Accueil     Sommaire     Article     La Scena Musicale     Recherche   

La Scena Musicale - Vol. 13, No. 4 décembre 2007

Choix de la saison théâtrale de l’hiver 2007-2008

Par Marie Labrecque / 16 décembre 2007

English Version...


Elizabeth, roi d’Angleterre › Au Tnm, du 15 janvier au 9 février

Cette pièce du regretté écrivain canadien Timothy Findley repose sur une prémisse fascinante : en 1616, Elizabeth 1re, une souveraine devant assumer un rôle masculin pour régner, rencontre un acteur spécialisé dans les grands personnages féminins de Shakespeare. Il sera bien sûr question d’identité sexuelle lors de ce face à face où le Grand Will lui-même se pointe. Récompensée par le prix du Gouverneur général, cette œuvre créée au festival de Stratford est truffée de citations shakespeariennes. Dans l’une de ses rares présences sur les planches, le metteur en scène René Richard Cyr s’est attribué le rôle du comédien, face à une reine incarnée par Marie-Thérèse Fortin.

Les Mondes possibles › Au Théâtre Prospero, du 8 janvier au 2 février

Robert Lepage a porté à l’écran, en 2000, cette pièce réputée du Canadien John Mighton. Le dramaturge et professeur de mathématiques y explore les univers parallèles, le spectre infini des réalités qui auraient pu être si on avait fait un choix différent à certains carrefours de notre vie. La pièce entrelace un thriller policier, une enquête sur le meurtre étrange du protagoniste qui a été décérébré, et une exploration philosophique de ses existences potentielles. Une forte distribution, incluant entre autres Paul Ahmarani, Denis Bernard et Patrice Coquereau, portera sur scène ces mondes intrigants.

Ce qui meurt en dernier › À l’Espace Go, du 15 janvier au 9 février

Le dramaturge Normand Chaurette n’avait pas créé de nouvelle pièce depuis Le Petit Köchel, en 2000. On attend celle-ci avec d’autant plus d’intérêt que l’auteur refait équipe avec le metteur en scène Denis Marleau, son complice des Reines et du Passage de l’Indiana. Chaurette met généralement au monde des univers énigmatiques, aux niveaux multiples. Ce qui meurt en dernier ne semble pas échapper à la règle. Inspirée, apparemment, par les personnages de l’Allemand Frank Wedekind représentés dans l’opéra Lulu, l’œuvre orchestre une rencontre fatale entre une comtesse et Jack l’Éventreur dans le Londres de 1888. Un duo entre Éros et Thanatos.

Le Plan américain › À l’Espace Libre, du 9 janvier au 2 février.

Daniel Brière et Evelyne de la Chenelière sont peut-être en voie de devenir à la scène québécoise ce que sont Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui au cinéma français. Leur fructueuse union artistique a été consommée dans deux réussites, les très intimes Henri & Margaux et Nicht retour, mademoiselle. Des œuvres délicieuses, explorant la forme sans ignorer le plaisir du spectateur. Leur nouvelle pièce écrite, mise en scène et jouée en couple (en compagnie d’Anne-Marie Cadieux et Normand D’Amour) s’attaque par la satire à l’image de la famille moderne. Évoquant le procédé cinématographique, Le Plan américain propose aussi une réflexion sur la représentation de la réalité.

Bacchanale › Au Théâtre d’Aujourd’hui, du 19 février au 15 mars

Six femmes qui se partagent la scène, on ne voit pas cela souvent, sinon dans les pièces de Michel Tremblay. C’est justement à l’univers de l’auteur des Belles-Sœurs que le dramaturge Olivier Kemeid fait référence dans cette œuvre « pulsionnelle » mettant en vedette les serveuses d’un bar montréalais. « Qu’est-ce qui se serait passé si Albertine, au lieu de souffrir le calvaire, avait eu la possibilité de jouir ? », s’y demande-t-il. Des actrices issues de différentes générations, de Violette Chauveau à Michelle Rossignol, d’Isabelle Vincent à Isabelle Roy, donneront voix à ce sextuor féminin incandescent.

Les Justes › Au Théâtre Denise-Pelletier, du 25 janvier au 13 février

Les théâtres montréalais ne s’intéressent pas énormément à l’œuvre d’Albert Camus. Il y a bien un Malentendu ou un Caligula de temps en temps… Pour sa deuxième mise en scène théâtrale (après La Promesse de l’aube), le cinéaste André Melançon s’attaque à cette pièce peu montée de l’écrivain nobélisé. Situé dans le Moscou de 1905, Les Justes met en lumière le dilemme moral d’un terroriste (Maxime Dénommée) ayant refusé de lancer une bombe contre le grand-duc de peur de tuer de jeunes innocents. Cette pièce créée en 1949
a-t-elle vieilli ? Chose certaine, le questionnement sur le conflit entre humanisme et extrémisme politique est plus pertinent que jamais…

À Présent › À La Licorne, du 15 janvier au 23 février

La première pièce de la comédienne Catherine-Anne Toupin, L’Envie, bien accueillie en 2004, avait révélé son don pour les dialogues. La jeune auteure explore à nouveau une histoire intimiste de couples avec À Présent. Dans ce qu’on décrit comme un suspense à l’humour grinçant, la vie d’un jeune ménage est bouleversée par l’intrusion de leurs voisins, un couple plus âgé et leur fils adulte. Le complice artistique coutumier de Toupin, le metteur en scène Frédéric Blanchette, y dirige une impressionnante distribution : Monique Miller, Éric Bernier, David Savard, François Tassé et l’auteure elle-même.

Kiss Bill › À l’Usine C, du 30 novembre au 15 décembre

Est-ce du théâtre, est-ce de la danse ? Mariant texte et mouvements, les spectacles de Paula de Vasconcelos valsent depuis plusieurs années sur cette ligne poreuse. Une décennie après son apprécié Lettre d’amour à Tarantino, la metteure en scène et chorégraphe revisite le monde cruel mais ludique du cinéaste de Kill Bill. Interprétée par des danseurs, mais aussi par la comédienne Sylvie Moreau, cette création colorée de Pigeons International interrogera la place de la violence dans le monde.

Familles Made in USA › À l’Espace libre, du 6 au 23 février

Avec Under Construction, Nager en surface et Comment j’ai appris à conduire, le « Cycle états-unien » produit par le Théâtre de l’Opsis a déjà donné des résultats intéressants. Dans ce quatrième volet, l’inventive compagnie d’exploration nous invite à découvrir la plume singulière de trois auteures américaines contemporaines. Inédites au Canada, leurs pièces se penchent sur l’univers fondateur de la famille, mais vu à travers des formes innovatrices. Ruines (Allonge-moi, Justin Timberlake), de Sheila Callaghan, Anna Bella Eema de Lisa D’Amour et Une maison propre, de Sarah Ruhl, seront présentées en alternance.

Le Jour où l’autre… › À l’Espace Go, du 19 février au 8 mars

La grande Monique Mercure, la chanteuse Betty Bonifassi, voix des Triplettes de Belleville, et l’actrice/créatrice Brigitte Poupart réunies sur scène ? On est intrigué. Inspirée du mythe de Jeanne d’Arc, cette création met en vedette des personnages féminins engagés, réels ou fictifs, qui ont en commun d’avoir changé le cours des choses. Cette réflexion sur la féminité et le pouvoir prend la forme d’échanges épistolaires et s’appuie sur l’intégration des nouvelles technologies. Une production de Transthéâtre, une petite compagnie ayant présenté des spectacles fort inégaux au fil des ans, mais qui ose toujours.

Une saison qui nous a réservé des temps forts, à commencer par le Marie Stuart monté par Alexandre Marine au Théâtre du Rideau Vert. On ne s’ennuyait pas une seconde devant cette mise en scène baroque du classique romantique de Schiller, où était palpable, parfois avec un humour décapant, le délire induit par le pouvoir et les passions humaines. Le tout incarné par un magnifique duel d’actrices entre Sylvie Drapeau et Lise Roy.

L’Othello du Théâtre UBU bénéficiait du même atout de départ : une traduction de Normand Chaurette brillant par sa modernité et son absolue clarté. Pour cette première incursion en territoire shakespearien, Denis Marleau a opté pour une mise à nu de la pièce. Malgré une finale plutôt décevante, cet intéressant spectacle était porté de bout en bout par la performance forte et subtile de Pierre Lebeau en Iago.

Au Théâtre du Nouveau Monde, Alexis Martin a relevé plutôt habilement un pari exigeant en portant sur scène L’Iliade d’Homère. Menée par une bonne distribution, son adaptation jouait entre la puissante tragédie vécue par les personnages humains et l’ironie du traitement réservé aux divinités, qui orchestraient avec cynisme leurs luttes.

À la compagnie Jean Duceppe, on a eu droit à une production sensible d’une pièce forte de Michel Tremblay, Le Vrai monde ?. Dirigeant avec justesse sa distribution, René Richard Cyr y a particulièrement mis en lumière les difficiles relations familiales et la saisissante confrontation finale entre père et fils.

Du côté des créations, Olivier Choinière a frappé l’imagination avec sa ludique et féroce Félicité, créée à La Licorne. Par un cérémonial singulier centré sur la figure iconique de Céline Dion, cette pièce d’une ironie mordante piégeait l’un de nos grands travers sociaux : notre tendance à vivre par procuration, à travers les grandeurs et misères des gens qui font la une des médias.

Des échos favorables ont aussi accueilli les deux nouveaux textes mis au monde dans la grande salle du Théâtre d’Aujourd’hui :Terre Océane, œuvre de Daniel Danis portée à la scène par son complice Gill Champagne et Je suis d’un would be pays. Axée sur la question toujours cruciale de l’identité, cette seconde pièce de François Godin a marqué le retour réussi d’un comédien faisant depuis longtemps carrière en France : Serge Dupire.

Enfin, deux spectacles nous ont permis de découvrir des pièces américaines intéressantes, plusieurs fois primées. Des œuvres intelligentes qui, curieux hasard, abordaient toutes deux le problème délicat de la pédophilie. Monté plutôt sagement mais efficacement par Martine Beaulne, Le Doute de John Patrick Shanley a révélé un récit apparemment simple mais aux ramifications complexes. Troisième volet du « Cycle états-unien » du Théâtre de l’Opsis, Comment j’ai appris à conduire de Paula Vogel dissèque une relation incestueuse à travers une structure brillante et ludique. L’irrésistible Violette Chauveau transporte ce spectacle d’un abord divertissant, qui réserve son coup de poing émotionnel pour la fin.


English Version...

(c) La Scena Musicale 2002