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La Scena Musicale - Vol. 13, No. 4 décembre 2007

Marcelle Gagné : Une femme de cœur

Par Renée Banville / 17 décembre 2007


› -Dans les années 1930, ses professeurs s’appelaient Céline Marier,
Sarah Fischer, Pauline Donalda.

› -Son dernier professeur, Victor Brault, a chanté avec Fauré et Ravel.

› -Elle a côtoyé les plus grands artistes qui ont chanté ou joué à Montréal au siècle dernier.

› -Elle est issue de deux familles de musiciens qui ont participé à la vie musicale de Montréal et aux débuts de l’OSM. Certains ont étudié avec des artistes aussi légendaires que le violoniste Eugène Ysaÿe.

› -Sa fille, Hélène Gagné, est violoncelliste, chef et directrice artistique de l’Orchestre de chambre Sérénade.

› -Née d’un père canadien-français et d’une mère italienne, Marcelle Gagné, mezzo-soprano et administratrice, est entrée le 27 octobre dernier dans sa 100e année d’existence.

Pour cette raison, pour sa contribution à la vie artistique et pour une vie consacrée à la musique, la Scena Musicale a tenu à lui rendre hommage.

L’œil brillant et le sourire affable, coquette comme d’habitude, Marcelle Gagné m’accueille dans son appartement situé à flanc de montagne. Dans ses yeux bleus, je constate un peu d’appréhension. Que choisir d’évoquer parmi tous les souvenirs qui ont jalonné sa longue traversée du milieu artistique ? Que retenir de tous ces gens merveilleux qu’elle a connus ? Heureusement, sa fille la soutiendra dans ses efforts de mémoire.

Du côté de son père, trois des fils Duquette se sont illustrés dans la profession musicale. Son oncle Jean Duquette fut l’un des fondateurs et le président de l’OSM de Guillaume Couture. Son oncle Raoul Duquette était violoncelliste à l’Orchestre du Royal Opera House de Covent Garden. Né aux États-Unis en 1862, son grand-père, la basse Ellsworth Duquette, travaillait pour la compagnie Molson, dont le président se montra assez compréhensif pour lui permettre de continuer sa carrière de chanteur. Il était souvent l’invité de l’OSM de Couture et Goulet et tenait le rôle-titre dans la création de Caïn d’Alexis Contant en 1905. À la mort du chanteur, Molson régla généreusement l’hypothèque de la maison.

Du côté italien de sa mère, le musicien le plus connu est sans doute son oncle Émile Taranto qui a étudié à Bruxelles avec Ysaÿe et a été le violon solo de l’Orchestre symphonique de Montréal de 1904 à 1907.

Dès sa plus tendre enfance, la musique a fait partie de la vie de Marcelle Gagné. Son père chantait, accompagné au piano par sa mère. Avec les oncles et les tantes, on faisait de la musique pour s’amuser en famille.

Marcelle Gagné commença ses études de chant à l’âge de 16 ans avec Rose MacMillan. Elle fut l’élève de Céline Marier et de Sarah Fischer qui a fondé en 1941 les Concerts Sarah Fischer, au bénéfice des musiciens canadiens. Elle étudia ensuite avec Pauline Donalda, fondatrice en 1941 de l’Opera Guild of Montréal, société d’opéra sans but lucratif qu’elle dirigea jusqu’en 1969. Mais ce fut vraiment avec Victor Brault que Marcelle Gagné trouva finalement son maître et qu’elle entama sa carrière. Il lui enseigna à contrôler le volume de sa voix pour interpréter le répertoire français qu’elle adorait. « La musique française est encore peu connue au Canada », souligne Mme Gagné.

Le baryton Victor Brault était l’élève d’Alexis Contant. Chef des chœurs à Radio-Canada, il a été le directeur artistique et le commentateur de la série radiophonique Le Chant du monde à la SRC en 1944-45. Il a chanté à Paris L’Horizon chimérique de Fauré avec le compositeur au piano et, à Londres, Trois Poèmes de Mallarmé de Ravel sous la direction de Ravel.

Marcelle Gagné donna plusieurs récitals consacrés à la mélodie et chanta fréquemment à la SRC, accompagnée par le pianiste John Newmark.

À la salle Tudor en 1941, elle interpréta le rôle d’Orphée dans Orphée et Eurydice de Gluck. La critique note qu’elle chanta « sans jamais forcer sa voix tout en rendant le pathétique des supplications aux divinités infernales de l’air célèbre… » (La Presse, Montréal, 12 novembre 1941). Elle participa en 1945 aux Festivals de Montréal1 comme soliste de la Petite Symphonie2 de Montréal dans la Messe du couronnement de Mozart.

En 1944, Marcelle Gagné se joint aux abonnées du Ladies’ Morning Musical Club (LMMC), la doyenne des sociétés culturelles du Canada qui en est à sa 116e année d’activités ininterrompues3. Soucieuse de collaborer au développement artistique à Montréal, Marcelle Gagné est devenue active au sein du conseil du LMMC à partir de 1952. Elle en fut présidente à trois reprises : (1965-67, 1969-71, 1973-75). Elle y est membre honoraire depuis 1994. Au cours de ses années de présidence, elle se préoccupa de présenter le plus possible d’artistes d’ici. Cela se concrétisa lors du 80e anniversaire où cinq concerts sur douze furent de facture entièrement canadienne.

De l’avis de Mme Gagné, il n’est pas facile de remplir ce rôle de présidente qui, doit-on le préciser, est accompli bénévolement : « On ne dort pas, on est sept jours par semaine près du téléphone à attendre les tuiles et, en voyage, on est malheureuse, inquiète. » À ces moments-là, elle pouvait compter sur le soutien de Gisèle Lefebvre qui était directrice de tournées des Jeunesses Musicales du Canada au moment de la présidence de Mme Gagné. Elle eut l’occasion de lui rendre la pareille en organisant dans les années 1960 des événements de collectes de fonds pour les JMC.

En 1977, à la journaliste Nicole Charest qui réalise avec elle une entrevue sur le LMMC pour Perspectives, Mme Gagné reconnaît : « Ce qui est sûr, c’est qu’on a présenté au fil des ans les meilleurs artistes. Nous étions intransigeantes bien que pauvres; ils étaient jeunes mais déjà extrêmement doués. L’avenir a prouvé que nous avions eu raison. » À la fin de ses trois mandats pour le LMMC, Mme Gagné fut présidente de l’Ensemble vocal Tudor, de 1976 à 1978.

Marcelle Gagné appartient à cette génération de femmes pour qui le don de soi faisait partie de la vie. De nos jours, il est difficile de trouver autant de ferveur et de passion dans le bénévolat. Beaucoup de sociétés ont vu le jour grâce à la générosité de ceux qui ont accepté de s’engager sans rémunération. La vie musicale d’aujourd’hui a une lourde dette envers eux. n

1 Fondée en 1939 par M. et Mme Louis Athanase David dans la tradition des grands festivals européens, la société Les Festivals de Montréal, à laquelle fut associé le nom de sir Thomas Beecham de 1941 à 1945, mit fin à ses activités en 1965.

2 La Petite Symphonie de Montréal fut fondée par Bernard Naylor. Le premier concert fut présenté le 8 décembre 1942 à l’Ermitage. L’orchestre cessa ses activités en 1952.

3 Le premier concert international officiel du LMMC fut présenté au Théâtre du Monument National le 22 avril 1895. Le violoniste belge Eugène Ysaÿe en était le premier invité. De nombreux artistes prestigieux y ont été entendus depuis : Nathan Milstein, Arthur Leblanc, Ginette Neveu, Henryk Szeryng, Walter Gieseking, Rudolf Serkin, Arthur Rubinstein, Paul Tortelier, Glen Gould, Jean-Pierre Rampal, Léopold Simoneau, Pierrette Alarie, Maureen Forrester, Gaston Germain et des centaines d’autres.


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