Danse contemporaine et développement de public Par Aline Apostolska
/ 16 décembre 2007
En moins de vingt ans, Montréal
est devenue une des capitales mondiales de la danse contemporaine. En
quinze ans, le public de la danse contemporaine montréalaise a connu
une augmentation de près de 400 %, dont plus de la moitié dans les
six ou sept dernières années. C’est donc un véritable phénomène
artistique autant qu’économique.
Il faut certes s’en réjouir,
sans oublier pour autant que cette bonne santé du développement du
public ne se reflète pas forcément dans la santé financière de l’ensemble
des diffuseurs. Et que les financements publics font toujours défaut,
cruellement dans certains cas, tant les subventionneurs, canadien ou
québécois, ne semblent pas encore avoir adapté leurs critères et
leurs fonds à la réalité du milieu.
Mais pour l’heure, réjouissons-nous,
donc, en compagnie de trois diffuseurs montréalais parmi les plus importants
qui ont accepté de partager avec nous quelques recettes de développement
du public. Agora de la Danse, Danse Danse, Grands Ballets Canadiens
de Montréal, trois diffuseurs, trois orientations, trois savoir-faire,
trois types de publics, mais qui ont tous connu une vive augmentation
de leur fréquentation au fil de la dernière décennie. Comment font-ils
et quelles conclusions peut-on en tirer ?
« Si je prends l’exemple de
Daniel Léveillé, José Navas ou Danielle Desnoyers, je peux dire qu’il
y a dix ans, leurs spectacles se donnaient devant soixante personnes
pendant cinq représentations, alors qu’aujourd’hui on doit organiser
huit représentations toutes à guichets fermés. Cela justifie que
ces chorégraphes passent de la salle de l’Agora (241 places) à des
salles de 900 places ou plus avec Danse Danse. C’est l’évolution
logique ». Ainsi parle Francine Bernier, directrice générale et artistique
de l’Agora, haut lieu dévolu exclusivement à la création contemporaine.
Depuis cet automne, l’Agora a
même créé une direction du développement, poste qu’occupe Louise
Duchesne qui avait pendant de nombreuses années dirigé les communications,
autre pôle stratégique clef, à partir duquel elle a créé une identité
singulière pour l’Agora, un visuel décalé, recherché, toujours
de grande qualité établissant une image d’originalité spécifique.
Le programme de l’Agora, léché et singulier, est attendu chaque
saison, distribué à des dizaines de milliers d’exemplaires, notamment
dans Le Devoir. Tous les diffuseurs le diront, installer une
image singulière et spécifique est la base du développement du public.
Ayant établi cette base solide, Louise Duchesne peut à présent se
consacrer au développement de publics plus sectoriels.
Il faut aller à l’une des soirées
spécialement destinées aux cégépiens pour saisir l’importance
d’une approche didactique. Un soir, 150 cégépiens assistent à la
pièce de Crystal Pite, Lost Action
puis parleront à la chorégraphe et à ses interprètes. Une
heure avant la représentation, les étudiants sont pris en charge par
Simon Ampleman, danseur, animateur et vulgarisateur d’expérience,
qui les prépare au spectacle. Il répond aux questions sur l’Agora,
mais surtout sur la danse contemporaine, les chorégraphes, le métier
de danseur, et leur fait répéter quelques enchaînements simples de
la chorégraphie qu’ils vont voir, puis attend leurs commentaires
sur l’œuvre. Une méthode qui, démultipliée, assure une formation
efficace des publics futurs.
Le public du futur constitue aussi
la priorité des Grands Ballets Canadiens de Montréal, le rajeunissement
du public représentant pour le directeur général, Alain Dancyger,
l’élément essentiel de leur orientation : « Les abonnements stagnent
depuis quelques années, dit-il, comparativement à une véritable explosion
de la vente de billets individuels. De plus, notre première cible est
à présent les 25-45 ans, alors qu’avant 2000, nous nous adressions
aux plus de 55 ans. » Il explique cette révolution par le virage créatif
radical amorcé depuis 2000, soit la transformation de la compagnie
classique en une compagnie de création contemporaine (voir La Scena
sept. 2007) : « Le tournant contemporain a rajeuni, diversifié et augmenté
notre public ».
Autant que la diversification des
lieux de publicisation : « Nos publicités dans les cinémas ont été
déterminantes, dit-il. S’ajoutent à cela des stratégies de marketing
direct de plus en plus personnalisées. » Toujours en déclinant le
message central de la compagnie : les GBCM appartiennent aux Montréalais,
c’est leur compagnie. « D’où que l’on vienne, de quelque
communauté que l’on soit, la diversité et la pluralité des GBCM
font qu’on va s’y reconnaître et y adhérer. »
Enfin, dernier exemple et non le
moindre, celui de Danse Danse, diffuseur spécialisé dans les spectacles
de danse contemporaine d’envergure. Fêtant son dixième anniversaire
en 2007, Danse Danse vient d’ailleurs de changer son logo pour traduire
le mouvement et le dynamisme qui caractérisent sa signature.
Clothilde Cardinal et Pierre Des
Marais, codirecteurs de Danse Danse - et toujours seuls permanents -
sont satisfaits de ces dix années. D’année en année, ils ont amené
à Montréal malgré les coûts des compagnies de réputation internationale
que l’on n’aurait pu voir autrement, en étant toujours exigeants
sur le pari d’innovation apporté par chaque spectacle. Innovation,
impact inattendu, envergure, mouvement (« Danse Danse ça danse vraiment
! »), telles sont les critères sur lesquels ce diffuseur n’a jamais
transigé et qui ont finalement assuré son succès public, sa réputation
au Québec mais aussi à l’étranger. Développement du public rime
donc, pour tous les diffuseurs, avec qualité, honnêteté, vision à
long terme.
Et avec respect des partenaires.
« Pour positionner Danse Danse, il fallait qu’on fasse ce que les
autres ne faisaient pas et qu’on remplisse une fonction manquante
à Montréal, c’est-à-dire apporter de grandes compagnies sur de
grands plateaux, dit Clothilde Cardinal. En aucun cas cela n’a amené
à marcher sur les pieds de nos partenaires. C’est la concertation
qui est gagnante : Avec d’autres diffuseurs, on ajuste nos calendriers,
et parfois même on se conseille les uns les autres. »
Clothilde Cardinal l’explique
ainsi : « Notre philosophie consiste à reconnaître d’abord que
la danse contemporaine reste pour la plupart source d’inconnu. Il
faut admettre que la danse est un art d’élite, qu’elle demande
des références pointues. Le spectateur est au centre de toutes nos
priorités. Nous voulons l’accompagner à tous les paliers. Pour nous,
cet accompagnement se compare au fait de visiter une exposition d’arts
visuels avec audioguide, ça fait une énorme différence. »
Fort de cette philosophie, Danse
Danse produit toute une série de documents d’approche et de vulgarisation
clairs et efficaces, autant pour les journalistes que pour les acheteurs
de billets. Communication simple et de grande qualité informative,
un visuel très typé – couleurs éclatantes, photos pleine page présentant
toujours du mouvement –, un programme de soirée « sur lequel nous
ne lésinons jamais », un bulletin destiné aux abonnés et aux groupes
scolaires. Une stratégie doublée de deux priorités : une même qualité
esthétique et littéraire dans tous les éléments de la communication
; des abonnements disponibles de plus en plus tôt dans l’année.
« On transmet l’émotion ! » conclut Cardinal. Des Marais ajoute
que « chaque diffuseur a une responsabilité globale pour le développement
de l’ensemble du milieu. »
Les diffuseurs de danse contemporaine
ont donc le public qu’ils se sont construit année après année,
inventant, en quelque sorte, leur place de toute pièce. D’accord,
mais les journalistes dans tout ça ? N’ont-ils aucun impact dans le
développement des publics ? « Les journalistes sont une courroie essentielle
», confirment-ils tous. Ah bon, tout de même ! n
ART VISUELS
Par Julie Beaulieu
« C’est l’hiver, c’est l’hiver,
c’est l’hiver », dit la célèbre chanson de Noël. Et qui dit
hiver dit neige et temps froid. Si vous avez les blues en collant le
nez à la fenêtre givrée – Ah comme la neige a neigé – ou si
vous faites partie de ces gens qui ne savent pas chausser les skis sans
perdre pied, pourquoi ne pas opter pour une sortie au musée ? Car mon
pays ce n’est pas un pays, c’est l’hiver, chante Gilles Vigneault,
alors autant en profiter pour s’évader et se cultiver… bien au
chaud !
Ce que vous avez peut-être raté…
Le calendrier automnal des événements
en arts visuels a été plutôt chargé. Si vous avez profité pleinement
de la belle saison, qui s’est poursuivie jusqu’au festival des couleurs,
vous avez peut-être manqué quelques rendez-vous importants – dont
le 10e anniversaire du Mois de la photo à Montréal. Mais même si
vous avez loupé, bien malgré vous, le passage d’Harun Farocki dans
la métropole, vous avez encore le temps d’attraper quelques-unes
des expositions à l’affiche depuis le début du trimestre.
La Galerie Leonard et Bina Ellen
de l’Université Concordia a présenté du 19 octobre au 1er décembre
l’exposition One Image Doesn’t Take The Place of the Previous
One, consacrée à l’artiste et cinéaste contemporain allemand
Harun Farocki. Six installations filmiques du réalisateur ont été
présentées, dont plusieurs en première nord-américaine. Né en 1944
à Neutitschein, en République tchèque, Farocki a réalisé plus de
90 films, dont des longs métrages, des documentaires et des émissions
de télévision. Les installations de Farocki explorent le rapport entre
la guerre, l’industrie et les médias à partir d’une mise en scène
fondée sur des recoupements avec le cinéma, la photographie, l’art
vidéo et l’art numérique. Si vous avez manqué cette exposition,
vous pouvez toujours vous rabattre sur le site Web officiel du cinéaste,
qui propose un tour d’horizon virtuel de ses multiples réalisations
plastiques, littéraires et médiatiques (http://www.farocki-film.de).
Par chance, et si vous courrez
vite, car le temps presse (il faut vous ruer là où ça se passe),
vous aurez le plaisir de goûter à l’éternelle folie et énergie
de Pablo Picasso, toujours au rendez-vous au Musée National des Beaux-Arts
du Québec (MNBAQ), dans une exposition intitulée La joie de vivre.
Picasso au Château d’Antibes (jusqu’au 6 janvier 2008). Dans
un tout autre registre, les éternels amoureux de la Ville Lumière
peuvent encore admirer les joyaux du Petit Palais de Paris en visitant
l’exposition Paris 1900. Collections du Petit Palais, Paris
(également au MNBAQ et jusqu’au 6 janvier).
Le Musée d’art contemporain
(MAC) présente actuellement les photographies de l’artiste brésilien
Vik Muniz, de renommée mondiale. Singulièrement fascinante, son œuvre
est réalisée à partir d’images composées de matériaux du quotidien
(beurre d’arachide, confiture, chocolat, sucre, fil métallique, poussière
et diamants) qui sont ensuite photographiées. Inspirées de l’actualité,
de l’histoire de l’art ou de personnages célèbres, les 110 photographies
retenues à partir de 27 séries depuis 1998 sont à la fois familières
et énigmatiques. L’exposition Vik Muniz : Réflexe est présentée
en première québécoise et canadienne jusqu’au 6 janvier.
La galerie de la SAT (Société
des arts technologiques) présente l’exposition Effusions,
composée des tableaux et installations audiovisuelles réalisés par
la chanteuse et artiste multidisciplinaire Diane Dufresne, récipiendaire
de plusieurs prix nationaux et internationaux. Il faut cependant faire
vite, car l’exposition prend fin le 9 décembre 2007. Par ailleurs,
la SAT, qui a pour mission de mettre en valeur les créations montréalaises,
vous invite à faire votre magasinage de Noël au Souk@SAT du 14 au
16 décembre. C’est un rendez-vous des plus conviviaux !
Quelques suggestions hivernales
Les passionnés de musique classique
seront ravis d’apprendre que le Musée canadien des civilisations
(MCC) présente actuellement, et jusqu’au 15 août 2008, l’exposition
Glenn Gould – La symphonie d’un génie. Gould est sans aucun
doute le pianiste classique canadien le plus adulé, mais aussi le plus
controversé. L’exposition présente une centaine d’objets, dont
ses pianos préférés, et un large éventail d’extraits musicaux
qui feront revivre son art à la fois singulier et génial.
Du 8 février au 20 avril 2008,
le Musée d’art contemporain (MAC) consacrera une première exposition
d’envergure à l’artiste québécois Yannick Pouliot. Acclamée
à l’unanimité tant par le public que la critique, la force du travail
artistique de Pouliot réside sans aucun doute dans sa maturité et
son originalité. Pouliot travaille dans plusieurs médiums à la fois
(sculpture, photographie, son), mais sa démarche artistique démontre
cependant un fort attachement à l’architecture et au mobilier. À
l’occasion de cette grande première muséale, l’artiste sera invité
à produire une série d’œuvres autour du thème de la domesticité,
dans sa relation avec l’architecture, le mobilier et les arts décoratifs.
¡Cuba! Art et histoire de 1868
à nos jours saura vous réchauffer le cœur en cette saison froide.
Si les événements politiques et culturels majeurs de Cuba sont connus
du grand public, on ne peut en dire autant des arts visuels. Cette première
exposition d’envergure sur les arts plastiques cubains retracera,
à travers quelque 350 œuvres, mélangeant styles et médiums (peinture,
photographie, sculpture, installations et œuvres vidéo, musique et
cinéma), les grandes étapes de la Cubanidad (l’identité cubaine).
Cette exposition sera présentée au Musée des Beaux-Arts de Montréal
à compter du 31 janvier 2008.
En rafale
À l’affiche au Musée McCord à partir
du 22 février : Dévoiler ou dissimuler ?, une exposition provocante.
Pour l’occasion, le musée d’histoire canadienne se propose d’interroger
les perceptions de l’érotisme et de la pudeur d’un point de vue
historique, en explorant les tenues féminines qui dévoilent ou dissimulent
le corps des femmes au fil des siècles.
À l’orée des fêtes du 400e de la
Vieille Capitale, le Musée National des Beaux-Arts du Québec présentera
Québec, une ville et ses artistes, du 14 février au 27 avril 2008.
Cette exposition rendra hommage aux artistes en arts visuels qui ont
développé, au fil des années, un lien particulièrement étroit avec
la ville de Québec.
Les vacances des fêtes approchent à
grands pas. Il ne reste donc que très peu de temps pour visiter l’exposition
Au Pérou avec Tintin, présentée jusqu’au 6 janvier 2008 au
Musée de la civilisation de Québec, qui saura ravir les plus jeunes
comme les moins jeunes. Vous y découvrirez les trésors et richesses
des Incas (250 objets usuels et rituels) qui ont inspiré les albums
Les 7 Boules de Cristal et Le Temple du Soleil. Une exposition
à ne pas manquer pour tous les passionnés de la bande dessinée.
Et pourquoi ne pas en profiter, au passage,
pour admirer une fois de plus l’architecture magnifique du Petit Champlain,
scintillant sous la neige, ou faire un détour par les plaines d’Abraham
? Soyez toutefois aux aguets, car vous pourriez bien croiser Picasso
au détour d’un bosquet enneigé ! |
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