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La Scena Musicale - Vol. 13, No. 4 décembre 2007

L’automne où l’on aura vu les chorégraphes danser

Par Aline Apostolska / 16 décembre 2007


S’attendait-on à un automne aussi fourni en émotions ? Pas sûr… En matière de programmation, on a parfois des attentes, plus ou moins heureusement remplies, et parfois des a priori, plus ou moins justifiés. Rien, cependant, ne remplace le plaisir, toujours renouvelé et inédit (même si on fait ce métier depuis des lustres), d’aller s’asseoir dans une salle pour une confrontation physique, charnelle, avec une chorégraphie, un univers, des émotions, des corps qui rejoignent votre corps.

Outre la programmation généreuse en émotions variées et en découvertes inattendues, j’aurai pour ma part retenu une caractéristique particulière de cet automne 2007. Dans la majorité des pièces, les chorégraphes, en non des moindres, se sont engagés.

Une saison forte donc, qui a commencé en septembre avec le retour de Benoît Lachambre avec Lugares Comunes, ce « lieu commun » qui nous réunit tous, nous terriens. Ce titre renvoie aussi à l’imaginaire qui nous permet de lier notre intériorité aux événements dans le monde. Benoît Lachambre n’y dansa pas, comme il l’avait pourtant fait à Rennes, Paris, Berlin ou Bruxelles. Il s’était imaginé dans la distribution, mais la présentation de cette pièce ici, dans sa ville natale qui est aussi une grande ville de danse, était pour lui suffisamment déterminante pour qu’il veuille se consacrer exclusivement à la mise en scène. On a retrouvé dans Lugares Comunes son univers singulier et sans concession. Sur scène, les interprètes, plongés dans un sommeil qui semble être leur mode de communion, s’éveillent de temps à autre pour partager quelques activités sociales souvent cocasses, mais le tout se déroule dans une grande lenteur qui appelle l’adhésion du spectateur, invité lui aussi à s’immerger dans l’état d’apesanteur qui constitue la griffe Lachambre.

En septembre toujours, choc tout à fait inoubliable avec le retour fort attendu du Cloud Gate Dance Theatre de Taïwan et le troisième et dernier volet de la trilogie Cursive du chorégraphe et fondateur de la troupe Lin Hwaï-Min. Basée sur la respiration et le mouvement propre à la calligraphie chinoise, alternant lenteur et intensité des mouvements, Wild Cursive offre un environnement sonore constitué de sons de la nature ainsi qu’un incroyable déploiement de banderoles de papier de riz sur lesquelles des figures d’encre apparaissent à un rythme infinitésimal et hypnotique. Moment magique, véritable expérience sensitive, presque mystique, que Danse Danse nous a offert pour lancer sa 10e saison en cadeau d’anniversaire.

Cela sans oublier la reprise, vingt ans après sa création (et près de 100 ans après que Nijinsky l’a dansé pour la première fois) du Sacre du Printemps par Daniel Léveillé. Un pur délice que ce quatuor masculin époustouflant, exigeant et pulsionnel, suivi par Louise Bédard en solo dans Traces II, prouesse chorégraphique envoûtante, qu’elle reprenait également pour la première fois depuis sa création en 1989. Louise Bédard que l’on a aussi applaudie, toujours à l’Agora, dans une pièce au croisement de la danse et de la littérature, Petits Fantômes Mélancoliques, sur un texte sur l’autisme de Louise Bombardier.

L’Agora a donné le coup d’envoi du mois d’octobre en nous
permettant de découvrir Jordi Cortés et Damián Muñoz, magnifiques chorégraphes barcelonais qui sont les interprètes de Ölelès, pièce inspirée d’un roman de l’écrivain hongrois Sándor Márai. Pièce de danse-théâtre sans fioritures, Ölelès signe aussi le début d’une collaboration interactive entre danse contemporaine québécoise et danse catalane.

Également à l’Agora, Décompte de Zab Maboungou qui soulignait aussi les 20 ans de sa compagnie Nyata Nyata, solo minimaliste accompagné d’un violoncelle et d’un tambour, et qui débarrasse au passage la danse africaine des clichés qui la dénaturent. Puis Pouliches de Manon Oligny, autour des autoportraits corrosifs de la photographe américaine Cindy Sherman. Cela a permis de retrouver Anne-Marie Boisvert, éblouissante, carrément fascinante dans les deux solos qui forment la soirée. Puis Trois territoires quotidiens, autour d’une grande créatrice, Estelle Clareton, ici accompagnée de son ami et complice Harold Rhéaume, lui-même avant tout chorégraphe, ainsi que de Catherine La Frenière. Cette pièce en trois temps repose donc sur deux chorégraphes devenus ici leurs interprètes respectifs. Pas banal. Et enfin, toujours à l’Agora, mais dans une coproduction avec Danse Danse, Lost Action de la talentueuse Crystal Pite, laquelle danse aussi dans cette pièce puissante et irrévérencieuse sur le délire de la guerre, aux côtés de six interprètes exceptionnels, au moins aussi incroyables qu’elle, ce qui n’est pas peu dire. Lost Action est sans l’ombre d’un doute l’une des meilleures pièces de cet automne.

Parmi les quatre danseurs de Lost Action, on retrouve justement Victor Quijada, danseur magnétique, que l’on a vu également dans Slang en mouvement au Studio 303, un événement audacieux et novateur comme en produit souvent ce petit espace de recherche visionnaire. Quijada, fondateur et chorégraphe du Rubberbanddance, est ainsi revenu sur scène cet automne et on ne s’en plaint pas ! Encore au Studio 303, souligner aussi la visite du Bulgare Ivo Dimtchev, avec sa pièce délurée Lili Handel, début novembre.

En novembre donc, succession de grosses pointures dans des pièces marquantes. Le premier choc, véritable découverte, ou redécouverte plus ample, car on l’avait déjà vue en 2004 et 2005, Nora Chipaumire, exceptionnelle chorégraphe et danseuse tétanisante,
originaire du Zimbabwe et installée à New York depuis 1999. Mais attention, elle se revendique Africaine et sa gestuelle excelle à marier danse africaine et danse contemporaine. Elle a présenté en rafale quatre solos inoubliables dans le cadre de la nouvelle série de Tangente, Circulations, qui a réservé de vraies bonnes surprises. Outre Chipaumire, noter Yellamma de Jonathan Voyer et Julie Beaulieu, pour une vision rénovée de la danse et de la musique indienne.

Tandis qu’Ohad Naharin prépare une chorégraphie inédite pour les Grands Ballets pour le printemps prochain, sa compagnie, la Batsheva Dance Company, présentait Bertolina, une création de Sharon Eyal, chorégraphe remarquée et encouragée par Naharin. Univers sensuel, haletant, obsédant, une véritable exultation communicative, dansante à souhait. En novembre aussi, Emmanuel Jouthe, avec sa nouvelle création Staccato Rivière, interrogation intime et pulsionnelle sur la masculinité, ses bases et son évolution. Beaucoup de belles émotions décidément. n

Perspectives 2008 : l’hiver sera chaud !

Plusieurs grands événements s’annoncent à l’horizon de cet hiver 2008, sans oublier le Festival Montréal
en Lumière.

Décembre

Peu d’événements en décembre, mais pas des moindres. D’abord, dès le 30 novembre, la nouvelle création de Paula de Vasconcelos après sa Trilogie de la Terre qui avait fait notre intérêt durant les quatre dernières années : Kiss Bill, une nouvelle réponse de la chorégraphe et metteure en scène à l’univers de Quentin Tarantino, après la pre-
mière Lettre d’amour à Tarantino qu’elle avait déjà concoctée il y a presque dix ans. Et puis, un joli cadeau offert par Danse Danse du 6 au 8 décembre au Centre Pierre-Péladeau, avec toute une soirée autour de la belle Natasha Bakht, danseuse fétiche de Roger Sinha qui sera aussi sur scène dans l’une des quatre pièces de ce programme quadruple dans lequel Shobana Jeyasingh sera également présente. Enfin, ne pas oublier, comme chaque fin d’année, le spectacle des élèves de l’UQAM à l’Agora (www.agoradanse.com) ainsi que le rituel clou de clôture que représente le féerique Casse-Noisette des GBCM au théâtre Wilfrid-Pelletier.

Janvier

Coup d’envoi de la saison hivernale avec une ancienne danseuse des GBCM, Gioconda Barbuto, qui revient au Canada, à l’Agora de la danse, avec sa première création au pays, Life Lines, du 16 au 19 janvier. Barbuto s’y expose avec la jeune interprète montante de Vancouver Emily Molnar, de 15 ans sa cadette. Depuis sa dernière pièce Courage mon amour, présentée par Danse Danse en 2002, Hélène Blackburn a créé deux pièces – Barbe-Bleue et Journal intime – plus directement destinées au jeune public, ce qui ne veut nullement dire que la pertinence ou la sophistication y ont été traitées au rabais. C’est avec un grand plaisir que l’on pourra découvrir sa dernière création tous publics, Suites Cruelles, présentée au Centre Pierre-Péladeau du 24 au 26 janvier. Et ce n’est pas tout ! À l’Usine C, deux grands créateurs : le retour de Dave St-Pierre avec sa dernière pièce, Un peu de tendresse bordel de merde, du 15 au 19 janvier, et la mythique pièce d’Anne Teresa de Keersmaeker, Fase, qui fut à sa création en 1982 et demeure un monument de la danse contemporaine mondiale. Depuis son solo inoubliable, Once, présenté en 2006, on priait pour voir revenir la grande de Keersmaeker. La voici de retour, de nouveau seule ou parfois aux côtés de Tale Dolven, du 29 janvier au 1er février.

Février

L’Usine C fait fort décidément, avec la venue en février de Jan Fabre lui-même, du 26 février au 1er mars. Enfin, pour la première fois à Montréal, rien de moins que L’Ange de la mort, pièce pluridiscipli-
naire, entre danse, théâtre installation et hommage à Andy Warhol – lequel aurait sans doute adoré la géniale irrévérence de Fabre s’il lui avait été donné de voir ses œuvres. Mais avant cela, rien ne doit empêcher de découvrir les deux pièces présentées à l’Agora de la danse : Faune, de la subtile Jocelyne Montpetit du 30 janvier au 9 février, autour des textes de Nijinsky, et K-5, de Lina Cruz, dans une fusion danse-musique, du 20 au 23 février. À retenir également les vernissages-danse du samedi soir au Studio 303, www.studio303.ca.

Festival Montréal en Lumière

Du 20 février au 2 mars, surveillez de près la programmation du FML qui cette fois encore réserve une belle place à des spectacles de danse grand public triés sur le volet : place au flamenco d’abord avec la fabuleuse Eva Yerbabuena, le 20 février 2008 au Maisonneuve, et le Flamenco Contemporain à Tangente du 21 au 24 février et du 28 février au 1er mars. Ne pas rater le 29 février la soirée exceptionnelle signée Margie Gillis, M.Corps.7, qui réunira sur la scène du Maisonneuve Gioconda Barbuto, Anik Bissonnette, Holly Bright, Laurence Lemieux, Emily Molnar et Risa Steinberg. Sans oublier l’époustouflante Peggy Baker qui parle et captive autant avec ses mots qu’avec sa gestuelle, à la Cinquième salle de la PDA, du 20 au 23 février.

Un hiver torride donc, mais qui n’a rien à envier
à ce que sera le printemps 2008, particulièrement prometteur lui aussi !


(c) La Scena Musicale 2002