Vivier vu par Boudreau Par René Bricault
/ 18 novembre 2007
En lien avec la première « Série Hommage » biennale de Montréal/Nouvelles Musiques,
La Scena Musicale est fière de vous présenter une série d’articles
sur Claude Vivier, préludant ainsi aux 25e anniversaire de sa mort
et 60e anniversaire de sa naissance, célébrés respectivement en mars
et avril 2008.
Walter Boudreau nous a semblé
une cible de choix pour recueillir des propos sur Claude Vivier,
et ce, pour plusieurs raisons. D’abord, en sa qualité de directeur
artistique de la SMCQ, il compte parmi les cerveaux derrière la
Série Hommage Montréal/Nouvelles Musiques mettant Vivier à l’avant-scène
cette année. Mais aussi et surtout, il aura été, avec Michel-Georges
Brégent, le « compagnon d’armes » – selon ses propres termes, fort
à propos – de Vivier… et son ami. Nous l’avons rencontré lors
de la dernière Journée internationale de la Musique, soit le 1er octobre.
D’entrée de jeu, Boudreau cerne
le cœur du projet artistique de Vivier : l’émotion. Bien sûr, tout
créateur cherche à inspirer, stimuler, étonner, émouvoir son public,
mais on se rend vite compte que ce dernier objectif atteint un état
paroxystique chez Vivier, comme en témoigne cette citation rapportée
par Boudreau : « Je veux que les gens pleurent [à l’écoute de ma
musique], qu’ils aient le même bonheur que l’enfant un matin de
Noël ».
L’originale réussite de Vivier
dans ce domaine vient du fait, selon Boudreau, que l’expressivité
de sa musique compte deux grandes sources : l’une plus terre-à-terre
(axée sur la libido), l’autre plus métaphysique (axée sur
la spiritualité). Dixit Boudreau :
« [Vivier était] constamment en équilibre précaire entre la pureté
formelle, religieuse, intellectuelle, et le monde des bas-fonds, de
tout ce que la nature humaine peut nous proposer de bassesses possibles. »
Éduqué dans le catholicisme, dont la doctrine exige une séparation
totale de la libido et de la spiritualité, le compositeur n’a jamais
réussi à harmoniser ces deux éléments essentiels à son expression
artistique, ce qui crée une formidable tension au sein de son
œuvre. (À l’intention des musiciens, Boudreau déclare, non sans
humour : « Vivier n’a jamais trouvé son V – I. ») C’est tout
le contraire d’un Arvo Pärt, selon l’exemple bien choisi du chef,
pour qui l’approche strictement contemplative donne un tout autre
résultat, beaucoup plus linéaire.
L’objectif d’expression dans
l’architecture sonore n’en diminue pas pour autant la fascination
pour celle-ci. Systèmes, calculs et recherches n’ont jamais été
exclus du travail de Vivier, bien au contraire. Selon Boudreau, Vivier
a su concilier ses passions avec les canons de la modernité grâce
à une quête commune, de ce qu’il surnomme la« pierre philosophale ».
On le sait, la génération
« sérielle », à l’instar de Webern (voire Brahms !), cherchait à
déduire une œuvre entière d’une cellule ou principe générateur
uniques. Ce principe générateur, Boudreau le constate dans l’écriture
de Vivier en le résumant à l’harmonisation d’un cantus firmus.
Voyons cela plus en détail.
À la base d’une œuvre de Vivier,
même instrumentale, il y a le chant. Diverses méthodes de calcul lui
permettent d’étirer, de jouer avec la plasticité des durées
et développements des cellules mélodiques (sans contredit l’une
des merveilles de sa musique). De là, en véritable cantus firmus
(c’est-à-dire le chant de base sur lequel repose l’ensemble des
voix), le compositeur commence à bâtir ses textures; dans son cas,
elles ne sont pas contrapuntiques comme dans les messes de la Renaissance,
mais harmoniques – une harmonie qui va éclairer, colorer le
cantus. Dans ce but, non seulement favorisera-t-il justement l’homorythmie,
mais son travail recherché sur le timbre nous a amenés, lors de l’entretien,
à user d’un néologisme de mon crû, laid mais pratique : timbrarmonie.
Toute la déduction harmonique du cantus va dans le sens de cette
fusion/intégration totale des différents paramètres musicaux. Voilà
qui fait de lui un véritable disciple de Stockhausen, autre chercheur
de la pierre philosophale.
Son timbrarmonie vient,
selon Boudreau, d’un clonage du spectre harmonique. Il s’explique
ainsi : si on utilise toujours le même ordre et la même hiérarchie
dynamique dans les partiels harmoniques, on obtient toujours les mêmes
couleurs d’accords. Vivier, avec des buts coloristes particuliers,
va déranger l’ordre d’apparition des partiels dans ses structures
d’accords et jouer d’exagération ou de discrétion avec certains
d’entre eux selon les instruments et les dynamiques. Après de savants
calculs pour trouver les hauteurs exactes (en Hz), il arrondit au quart
de ton (ou demi-ton) le plus près. Cela pour d’évidentes raisons
pratiques quant à l’exécution (ce qui aide à rendre ses partitions
d’autant plus claires), mais aussi pour créer ce que Boudreau appelle
un flou, un halo harmonique, qui donne à sa musique une touche additionnelle
de mystère, de magie. Ainsi il s’intègre à l’histoire de la polyphonie
occidentale dans la mesure où sa musique poursuit le processus millénaire
de recherche et d’innovation. Boudreau donne l’exemple de l’harmonie
de Wagner, qui était implicitement incluse dans les conséquences possibles
de l’harmonie de Bach; il s’agissait d’y penser, et de la réaliser.
Ainsi pour Vivier.
Récapitulons : la mélodie est
liée au rythme par les variations de celui-ci sur celle-là dès le
départ; le timbre est lié à l’harmonie grâce à leurs rapports
structurels intrinsèques; le timbrarmonie résultant est lié
au complexe mélodie/rythme grâce à l’homorythmie (entre autres).
Pour paraphraser Boudreau : on n’aime pas quelque chose parce que c’est
bien construit, mais il est tout de même fascinant de constater parfois
à quel point quelque chose qu’on aime spontanément, viscéralement,
est si bien construit.
« Vivier est une figure originale,
touchante, et dont la musique va demeurer », conclut son collègue.
Il touche à des « penchants horribles » (associant par exemple les
conséquences militaro-religieuses du 11 septembre 2001 à Wo bist
du Licht), à une naïveté (« surtout dans ses personnages d’opéra »)
et à de « vieilles recettes transmuées » qui sont universels. À nous
de nous ouvrir à son chant d’amour. n |
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