Robert Savoie, 1927-2007 Par Richard Turp
/ 3 octobre 2007
English Version...
On
n’avait qu’à entendre la voix de Robert Savoie pour le reconnaître.
Qu’elle soit parlée ou chantée, cette voix était une parfaite réflexion
de l’homme : naturellement résonante, richement savoureuse, mais
nuancée, une voix souriante remplie de couleur, d’autorité et de
présence, une voix animée par une incroyable expérience de la scène
et de la vie.
Je me rappelle que lors d’un
stage de perfectionnement à Orford où Robert enseignait un été,
il donnait une classe de maître sur scène avec son énergie débordante
habituelle et sans micro. J’entendis alors un jeune étudiant, surpris
par l’ampleur et la projection de la voix, chuchoter : « Il n’a
pas besoin de micro, il est branché directement au 220. »
Tout au long de cette semaine,
on a lu et entendu de nombreux témoignages au sujet de Robert, mais
je me permets de vous faire un bref survol de sa brillante carrière
professionnelle.
Élève de la légendaire Pauline
Donalda et du maestro Antonio Narducci, Robert a étudié à Montréal
et à Milan en compagnie de plusieurs autres Québécois dont mon père
André Turp, Joseph Rouleau, Constance Lambert et Guy Lepage. Des débuts
italiens sous le nom distingué de Roberto Savoia ont précédé son
retour au Canada et une série impressionnante de rôles avec l’Opera
Guild à Montréal. Comme plusieurs artistes lyriques québécois de
l’époque, il a participé à de nombreuses émissions de radio et
de télévision au réseau Radio-Canada, dont une production filmée
d’Il Barbiere di Siviglia de Rossini dans laquelle il interprétait
Figaro. Cette magnifique production a remporté de nombreux prix d’excellence
internationaux.
Sa carrière internationale a été
lancée en 1961 lorsqu’il a signé un contrat de cinq ans avec la
Royal Opera House de Covent Garden où il s’est joint à ses amis
Joseph Rouleau, André Turp et d’autres Canadiens comme Louis Quilico,
Teresa Stratas et Jon Vickers. Il a chanté plus de vingt rôles à
Covent Garden et il s’est également produit avec le Sadler’s Wells
Opera (maintenant l’English National Opera) et le Scottish Opera.
En Europe, Robert jouit du même
succès. Il n’y a guère de ville de France dans laquelle Robert n’a
pas chanté – souvent au côté de ses collègues québécois Joseph
Rouleau (notamment dans le Don Quichotte de Massenet) et mon
père (surtout dans Werther de Massenet).
En Amérique du Nord, il fit ses
débuts au Carnegie Hall et fut invité par de nombreuses grandes maisons,
notamment à Washington où il a chanté le rôle-titre dans le Falstaff
de Verdi lors de l’ouverture du Kennedy Center en 1971.
Cependant, malgré cette importante
carrière internationale, Robert Savoie refusait de tourner le dos à
son pays et sa province. En plus de chanter aux festivals de Stratford
et d’Ottawa, il a tenu des premiers rôles au Festival de Montréal,
au Grand Opéra de Montréal, à l’Expo 67, à l’Opéra du Québec
et à l’Opéra de Montréal, puis il était de la distribution de
l’Opéra d’Arran de Gilbert Bécaud lors de la création
nord-américaine de l’œuvre. À la fin de sa carrière, Robert avait
un répertoire de quatre-vingt-quinze rôles d’opéra chantés en
six langues.
Robert Savoie n’a jamais été
un simple « chanteur ». Pour lui, la voix et la technique vocale n’étaient
pas des fins en elles-mêmes, mais des moyens d’expression, des moyens
d’incarner et de faire vivre un personnage. Robert était un véritable
« artiste lyrique », un homme, un interprète fier de pratiquer son
métier.
Robert Savoie fut en effet l’un
des plus remarquables chanteurs-acteurs de sa génération. Trop méconnu
comme musicien, il possédait néanmoins d’enviables capacités d’interprétation.
Fort d’un naturel et d’un art innés sur scène, il avait cette
incroyable capacité de rendre un rôle vivant.
Ce qui rendait ses interprétations
de Falstaff, Rigoletto, Figaro, Scarpia ou Sancho Panza si mémorables
était précisément leur complexité ainsi que la vérité et la conviction
qui les animaient.
À l’extérieur de la scène,
Robert Savoie a été membre fondateur et vice-président du Mouvement
d’action pour l’Art lyrique du Québec (MALQ) qui a donné lieu
à la naissance de l’Opéra de Montréal.
Il fut aussi le directeur artistique
de la ville de Lachine entre 1976 et 1997. À ce titre, avec ses deux
grands collaborateurs, le maire Guy Descary et Noël Spinelli, il a
fondé les Concerts Lachine qui présentent, entre autres, le Festival
de musique de Lachine depuis trente-trois ans. Il fut le directeur artistique
du festival pendant vingt ans et j’ai eu le privilège de prendre
sa relève. Il fut aussi l’un des fondateurs de l’Orchestre Métropolitain
du Grand Montréal et fut son président pendant presque cinq ans, de
1981 à 1985.
La relève et l’avenir de l’art
lyrique étaient d’une importance capitale pour Robert. Ces préoccupations
étaient au cœur non seulement de sa fascinante et touchante autobiographie,
Figaro-ci, Figaro-là, mais aussi de multiples démarches et projets
qu’il a entrepris durant sa vie.
Il n’a jamais cessé d’enseigner
(jusqu’à la dernière journée de sa vie) et plusieurs jeunes chanteurs
et professionnels du métier ont bénéficié de ses conseils, son expérience
et ses connaissances pendant plus de trente ans.
Compte tenu de son engagement et
de son dévouement, il n’est guère étonnant qu’on lui ait décerné
plusieurs prix et titres. Membre du Panthéon de l’art lyrique du
Canada, il a également reçu le titre d’Officier de l’Ordre du
Canada ainsi que de l’Ordre national du Québec.
Peu importe toutefois les réalisations
et les prix que nous pourrions évoquer, le fait demeure que Robert
Savoie était plus que la somme de ses parties. L’on pouvait admirer
et respecter le chanteur, le pédagogue et l’administrateur, mais il
était impossible de ne pas aimer et chérir l’homme.
Robert reste pour moi une immense
force de la nature. Sa surprenante et considérable force physique était
liée à une force de personnalité et une détermination tout aussi
impressionnantes.
Comme Atlas dans le lied de Franz
Schubert, Robert pouvait porter le poids du monde sur ses épaules dans
des moments de crises. Nous avons tous dû subir des périodes difficiles
dans notre vie, mais dans de telles circonstances, Robert pouvait se
nourrir de réserves d’énergie et de forces insoupçonnées et émerger
plus fort qu’avant.
Robert était avant tout fidèle
à lui-même et à sa nature. Il n’a jamais cherché simplement à
plaire dans une carrière et à une époque où l’image et la rectitude
politique étaient de règle. Il était aussi intransigeant dans ses
valeurs qu’il était exigeant envers lui-même.
Parfois Robert semblait être un
paradoxe ambulant.
Un homme têtu, d’une incroyable
rigueur, presque sévère, mais en revanche un homme d’un charme considérable
et d’une chaleur et d’une générosité remarquables.
Un homme parfaitement à l’aise
de parler hockey avec monsieur tout le monde, mais qui était aussi
d’une grande profondeur, d’une rare culture, curiosité et intelligence.
Un homme qui avait besoin par moments
de vivre avec et dans la nature et la solitude, mais qui adorait la
vie, un homme qui pouvait être, comme disent les Anglais, « the
life and soul of the party. »
Un homme qui pouvait être d’une
candeur et d’une franchise déconcertantes, voire écrasantes. En
revanche, Robert aimait ses amis et surtout les membres de sa merveilleuse
famille de façon entière, sans réserve et sans conditions.
Puis il y avait ce sens de l’humour,
ce rire qui faisait vibrer les murs.
Robert était un remarquable raconteur.
Armé de sa pipe, il pouvait vous faire pleurer avec ses histoires de
la vie de bohème en Italie au début des années 1950, des parties
de cartes, du souper du jour de l’An qui a coûté beaucoup plus cher
que prévu. Polyglotte, il utilisait sa facilité avec les langues pour
rendre parfaitement le chanteur marseillais enragé ou le chef de claque
dans un théâtre d’Italie.
Ce sont ces histoires qui ont,
heureusement, nourri et animé ma jeunesse.
Cette semaine j’ai pensé au
dernier Festival de musique de Lachine que Robert a animé à titre
de directeur artistique. Pour moi, il avait toujours été « uncle
Bob », mon uncle Bob. Mais grâce au Festival de Lachine,
j’ai réalisé que tout le monde le connaissait, tout le monde lui
parlait comme si Bob était un frère ou un oncle. En fin de compte,
Robert ne m’appartenait pas.
Il ne m’appartenait pas, de la
même façon qu’il n’appartenait pas à ces intimes, Michèle ou
Aline, Élizabeth ou Pierre. Car finalement, il appartenait à tout
le monde.
Quel bel héritage de pouvoir dire
que vous avez touché non seulement beaucoup de gens avec votre voix
de baryton pendant plus de vingt-cinq ans, mais que vous avez surtout
gravé autant de souvenirs impérissables dans tant de cœurs.
Écoutez, un instant… j’avais
raison, c’est Robert qui rit. n
English Version... |