Théâtre Par Hervé Guay et Marie Labrecque
/ 4 septembre 2007
Eaux profondes
et sommets vertigineux
Hervé Guay
La saison théâtrale qui s’est
terminée en juin a réservé au public montréalais de belles surprises,
l’entraînant dans des univers variés et parfois d’une profondeur
abyssale. Chronique de dix spectacles marquants.
Coma Unplugged
Un titre étrange sous lequel se révèle
le désespoir d’une trentaine de comateux dont la vie a été bouleversée
par une rupture douloureuse. Peu importe que Pierre-Michel Tremblay
se soit inspiré d’un thème assez banal, soit l’échec du titulaire
d’une chronique d’humour dans un grand journal, la mise en scène
de Denis Bernard lui donne une ironie très théâtrale où le moindre
détail fait mouche. Le spectateur y devient rapidement complice d’une
chute bien orchestrée, que le comédien Steve Laplante joue avec une
grande justesse dans le rôle de l’humoriste qui raconte ses déboires.
Le théâtre humoristique prend ainsi à la Licorne des allures de grand
art.
Je voudrais me déposer la tête
Claude Poissant a porté à la scène
le roman poétique de Jonathan Harnois. Ce dernier évoque avec une
poésie poignante l’impact sur Ludovic du suicide de son meilleur
ami. Poissant met en relief cette dérive émotive avec une beauté
et un lyrisme dénués de sentimentalité. Sa plus belle trouvaille
consiste à confier l’incarnation du héros à trois comédiens. Il
recrée ainsi l’insouciance bien adolescente de la vie en bande, à
laquelle met fin la mort de l’être cher. La prestation d’Annick
Bergeron rend inoubliable la scène où le héros fait une visite à
la mère du suicidé. Il y paraît porter sur ses épaules toutes les
peines du monde.
Blue Heart
Martine Beaulne poursuit avec Blue
Heart son exploration du théâtre de Caryl Churchill, auteur dramatique
britannique. C’est de la dentelle fine qu’elle nous livre, à travers
ce spectacle constitué de deux courtes pièces. Le retour d’une fille
prodigue, répété plusieurs fois avec des nuances infimes, donne lieu
à une chorégraphie et un jeu d’acteurs d’une perfection qui laisse
bouche bée. Plus perturbant encore s’avère Cafetière bleue.
Dans cette pièce, un jeune homme (le faible Gabriel Sabourin) se fait
passer pour un fils donné en adoption à de vieilles dames ayant «fauté»
dans leur jeunesse, tandis que la mémoire de sa véritable mère se
dégrade. Belle rencontre entre une écriture dramatique audacieuse
et le raffinement scénique déployé par une metteure en scène en
pleine possession de ses moyens.
Forêts
Après avoir fait un tabac en Europe,
Forêts de Wajdi Mouawad a fasciné le public montréalais qui s’est
rué aux guichets pour assister à cette saga familiale très touffue.
Une histoire de promesses tenues et non tenues qui confronte, dans une
quête inédite d’origines, un paléontologue sérieux et une jeune
adolescente mal engueulée. Le drame s’étale sur sept générations
de femmes et multiplie les détours, en plus de produire une myriade
d’images poétiques et scéniques percutantes. Il est en outre porté
par une magnifique distribution issue des deux côtés de l’Atlantique,
dont la cohabitation ne pose pas le moindre problème, puisque justifiée
par le cadre géographique dans lequel se déroule la trame.
Une trop bruyante solitude
La Veillée présente ici une fidèle
adaptation du meilleur roman de l’écrivain tchèque Bohumil Hrabal.
Sous le régime communiste, le vieil Hanta passe son temps à lire les
livres qu’il est censé pilonner, comme son métier l’exige. Le
comédien Claude Lemieux incarne cet excentrique émouvant avec conviction
et nous expose avec un naturel déconcertant à une langue d’une grande
beauté littéraire. Il réalise ainsi à notre avis le plus beau rôle
de sa carrière.
La Fièvre
Ce monologue de l’auteur américain
Wallace Shawn est une critique impitoyable du capitalisme et des inégalités
qu’il engendre. La Fièvre a pris l’affiche de l’Espace
Prospéro en programme double avec Le Pleureur désigné, pièce
très caustique du même auteur. Si La Fièvre a fait l’événement,
c’est grâce à la mise en scène sobre et inspirée de Stacey Christodoulou.
Il faut aussi noter le travail d’orfèvre de Philippe Ducros dans
le rôle d’un jeune homme de bonne famille torturé par la mauvaise
conscience, durant son voyage dans le tiers-monde.
Vivre
Dans ce portrait sensible de la romancière
britannique Virginia Woolf, la metteure en scène Brigitte Haentjens
continue sa réflexion sur la folie au féminin. Le spectateur est invité
à entrer dans la conscience de cette intellectuelle anglaise et à
côtoyer ses proches afin de mieux comprendre sa descente dans l’abîme
du rêve. La production bénéficie d’une distribution admirable,
où Céline Bonnier prête ses traits à l’auteure des Vagues.
Sébastien Ricard (Loco Locass) et Marie-Claude Langlois participent
aussi à ce périple en eaux troubles.
Histoire de Marie
Marie est une femme de ménage que la
vie n’a pas gâtée. Le photographe Georges Brassaï a consigné les
principaux événements de son existence à la fin des années 1940.
Jean-Marie Papapietro du Théâtre de Fortune a su transporter sur la
scène de l’Usine C ce personnage humble et coloré auquel Sophie
Clément donne vigueur et crédibilité.
Outrage au public
Dans l’intimité de la salle de projection
de l’Institut Goethe, Caroline Binette a signé une mise en scène
toute fraîche de la pièce la plus connue du controversé écrivain
autrichien, Peter Handke. Dans Outrage au public, celui-ci fait
du public et de ses réactions le sujet de sa pièce. Or, plutôt que
de vouloir choquer – dans l’esprit des années 1960 – cette production
du Groupe Audubon met en exergue le
ludisme inhérent à cette anti-pièce. En outre, des images vidéo
bien choisies prolongent la réflexion sur le vrai et le faux ainsi
que sur la
présence et l’absence, ce qui rapproche les spectateurs d’une œuvre
a priori assez abstraite.
Ascension
Sur le plan expérimental, Ascension
d’Olivier Choinière retient l’attention. À nouveau, l’auteur
de Venise-en-Québec concocte une expérience théâtrale inédite.
Un promeneur entreprend la montée du Mont-Royal muni d’un audioguide
qui diffuse des réflexions sur un thème actuel : la recherche de la
gloire. Bien ancré dans l’histoire grâce à la « montagne », ce
petit théâtre intérieur boucle la boucle avec une touche introspective
imprévue. L’auteur s’y interroge courageusement sur ses propres
aspirations artistiques.
saison théâtrale de l’automne
2007
Marie Labrecque
L’Iliade
› Du 11 septembre au 6 octobre,
au tnm.
En 2000, le Théâtre du Nouveau Monde
avait fait de L’Odyssée un grand spectacle populaire. A priori,
l’autre poème épique d’Homère paraît moins bien se prêter à
une version théâtrale que les mouvementées tribulations d’Ulysse.
Récit d’un épisode de la Guerre de Troie, L’Iliade raconte
notamment la vengeance d’Achille (François Papineau, incarnant à
nouveau les héros homériques). Ce poème guerrier touchera-t-il les
sensibilités contemporaines, pour le moins pacifistes ? C’est oublier
que le coadaptateur de L’Odyssée, Alexis Martin, un artiste
qui sait conjuguer érudition et ludisme théâtral, est aux commandes
de l’aventure. Il semble que l’auteur de Matroni et moi montera
une Iliade bien personnelle, teintée d’ironie.
Marie Stuart
›
-Du 25 septembre au 20 octobre, au Théâtre du Rideau Vert.
Alexandre Marine réalise enfin son entrée
dans un grand théâtre francophone de Montréal. L’intéressant metteur
en scène d’origine russe est habituellement invité dans les institutions
anglophones, ou alors crée avec sa propre compagnie, le Théâtre Deuxième
Réalité. On a hâte de voir comment l’artiste, qui avait signé
en 1999 un décapant Hamlet, mettra en lumière la modernité
de l’œuvre de l’Allemand Friedrich von Schiller. Chronique d’une
lutte de pouvoir entre deux têtes couronnées (Marie Stuart et Élizabeth
1ère) sur fond d’intolérance religieuse, cette pièce écrite en
1800 n’a rien perdu de sa pertinence. Et avec Sylvie Drapeau et Lise
Roy dans les rôles principaux, elle nous promet un festin royal.
Le vrai monde ?
› Du 31 octobre au 8 décembre,
au Théâtre Jean-Duceppe.
Cette pièce créée il y a vingt ans
nous rappelle le Chacun sa vérité de Michel Tremblay. Orchestrant
une saisissante confrontation entre les personnages issus de l’œuvre
d’un jeune auteur et les êtres réels dont ils sont les doubles,
Le vrai monde ? explore avec force les rapports entre l’art et
la vie, la subjectivité des perceptions humaines et les mensonges fondateurs
d’une famille. Avec le talentueux Benoît McGinnis au centre de la
distribution, cette nouvelle production sera signée René Richard Cyr,
réputé pour son doigté dans la direction d’acteurs.
Théâtre Catastrophe
› Du 20 au 29 septembre, à l’espace
libre.
Le grand thème de l’heure, l’environnement,
vu par l’irrévérencieux Nouveau Théâtre expérimental, voilà
qui promet. Le NTE a confié à un quatuor de jeunes auteurs/comédiens
la mission de simuler un cataclysme écologique. Dans la veine des films
catastrophes, le spectacle évoquera d’abord sur les murs extérieurs
de l’Espace Libre la situation chaotique régnant en ville, avant
de récréer intra muros la fébrilité d’une salle de nouvelles.
Une aventure qui risque de brasser la cage des conventions théâtrales.
Félicité
› Du 16 octobre au 24 novembre,
à La Licorne.
Après le brûlot que constituait sa
précédente pièce, la controversée Venise-en-Québec, on ne
peut qu’attendre avec curiosité la nouvelle création d’Olivier
Choinière. Qu’il donne dans le théâtre « déambulatoire » ou
dans la pochade estivale, l’ auteur iconoclaste d’Autodafé
a le don de surprendre, dessinant des univers où le ludisme se marie
à la réflexion. Mis en scène par Sylvain Bélanger et joué par quatre
interprètes doués (Maxime Denommée, Muriel Dutil, Roger La Rue et
Isabelle Roy), Félicité traite d’un double voyeurisme : notre
fascination pour la vie des célébrités et notre intérêt pour les
drames humains sordides.
Le Chant des Gaston
› Du 9 au 27 octobre, à l’Espace
libre.
La petite compagnie Momentum est le terrain
de jeu privilégié de neuf comédiens créatifs. C’est un espace
de totale liberté artistique, qui a produit depuis 1990 une trentaine
d’expériences théâtrales, souvent originales et marquantes. Membre
de cette troupe iconoclaste et protéiforme, la remarquable interprète
Céline Bonnier se lance ici dans la création de son premier texte
écrit en solo. À travers le langage corporel et sur un mode impressionniste,
Le Chant des Gaston explore les réactions de six personnages confrontés
au choc du deuil.
Hippocampe
› Du 28 août au 22 septembre, au
théâtre prospero.
Le metteur en scène Eric Jean et l’auteur
Pascal Brullemans ont adopté une méthode de création singulière,
issue d’improvisations, d’où naissent des œuvres atmosphériques
portées par la logique du rêve. Leur création la plus marquante à
ce jour demeure cet Hippocampe
produit en 2002, pièce au climat onirique prenant, où la scénographie,
conçue avant le texte, était un personnage en soi. Formellement très
réussi, le spectacle n’était toutefois pas aussi fort sur le plan
de la dramaturgie. La nouvelle version vise à approfondir cette histoire
d’un appartement hanté par la mémoire d’une femme. Mais l’envoûtement
sera-t-il le même au Théâtre Prospero, là où le Quat’Sous présente
Hippocampe pendant qu’on refait à neuf sa mythique petite salle
?
Savannah Bay
› Du 4 au 29 septembre, à l’Espace
Go.
Éric Vigner était venu à Montréal
en 2002 présenter La Bête dans la jungle, une adaptation déjà
très « durassienne » d’un texte d’Henry James. La critique avait
alors loué le grand sens pictural du metteur en scène français. En
montant Savannah Bay à la Comédie-Française, Vigner a confirmé
son affinité avec Marguerite Duras. Il revisite sur une scène québécoise
cette pièce allusive sur la mémoire et le théâtre, rencontre entre
une jeune femme (Marie-France Lambert) et une ancienne actrice (Françoise
Faucher) qui se lancent dans une narration où se disputent souvenirs
et fantasmes.
Othello
› Du 1er au 24 novembre,
à l’Usine C.
Avec cette coproduction du Théâtre
UBU et du Théâtre français du Centre national des Arts, Denis Marleau
se mesure pour la première fois à Shakespeare. Fasciné, paraît-il,
par la temporalité subjective de cette tragédie de la jalousie, le
rigoureux metteur en scène des Reines a réuni une équipe gagnante,
confiant la traduction française à Normand Chaurette, un habitué
du Grand Will. Et la distribution orchestre un face à face prometteur
entre Ruddy Sylaire (le comédien haïtien de Nous étions assis
sur le rivage du monde…) et Pierre Lebeau, un Iago manipulateur.
Terre océane
› Du 23 octobre au 17 novembre ,
au Théâtre d’Aujourd’hui.
Comment apprendre à accepter de mourir
quand on est âgé de dix ans ? Cette nouvelle pièce de Daniel Danis
raconte les retrouvailles, au fond des bois, entre un père et son fils
adoptif souffrant d’un cancer incurable. On verra comment la langue
à la poésie sauvage de l’auteur du Chant du Dire-Dire transmuera
ce récit d’une gravité apparemment toute simple. Pour la cinquième
fois déjà, Gill Champagne, le directeur artistique du Théâtre du
Trident, porte sur scène l’univers de Danis.
|