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La Scena Musicale - Vol. 13, No. 1 septembre 2007

Film

Par Jason Béliveau / 4 septembre 2007


Déjà la fin de l’année 2007 en vue! Vous cherchez une nouveauté à vous mettre sous la dent? Vous désirez savoir quels films sont à ne pas manquer cet automne dans les salles? Voici une liste délibérément éclectique destinée à satisfaire toutes les catégories de cinéphiles. Bon cinéma !

Inland Empire

Difficile de commenter un film de David Lynch. On peut dire qu’à la source, Inland Empire est une expérimentation en caméras DV, réduite à une simple formule : «A woman in trouble». D’une durée de plus de trois heures et d’un niveau d’abstraction pouvant étonner même les plus mordus de Lynch, le film demeure tout de même fidèle aux projets esthétiques du cinéaste, tout en élargissant radicalement les champs d’interprétation, tant du point de vue de la narration que de l’esthétique. La toujours obsédante Laura Dern (Blue Velvet, Wild at Heart) se prête au jeu, accompagnée de Jeremy Irons (Dead Ringers), Justin Theroux (Mulholland Dr.) et Harry Dean Stanton (Wild At Heart).

Zodiac

Fincher récidive avec un film impliquant un tueur en série, cette fois-ci en explorant l’un des cas les plus célèbres aux États-Unis. Sont attribués au tueur du Zodiaque (qui ne fut jamais «démasqué»)
plusieurs dizaines de meurtres perpétrés en Californie, au cours des années 60 et 70. Un film qu’on pourrait qualifier d’incontournable, avec son intrigue captivante et ses acteurs qui surprennent (notamment Jake Gyllenhaal, et Robert Downey Jr.), ce à quoi s’ajoute
un soin méticuleux du détail pour recréer l’époque. Mais sa caractéristique la plus intéressante réside peut-être dans le fait que
Fincher ne donne pas dans le tape-à-l’œil, préférant servir l’histoire et les personnages.

The Host

Oubliez tout ce que vous savez des films de grosses bibittes visqueuses. The Host réinvente le genre et lui ajoute une critique cinglante de la politique contemporaine. Après le déversement d’un produit nocif dans la rivière Han, en Corée du Sud, une sorte de grenouille géante et monstrueuse terrorise la population et force l’armée à prendre les choses en main. Ce qui nous apparaît à prime abord comme une fabulation farfelue se révèle lentement comme étant aussi une interprétation très originale des problèmes sociaux et écologiques de la Corée du Sud. Une comédie frôlant le burlesque, un suspense enlevant et un film bourré d’effets spéciaux. Pour les curieux et les amateurs de cinéma qui sort des sentiers battus.

Away From Her

Première réalisation de la canadienne Sarah Polley, remarquée pour son jeu d’actrice dans The Sweet Hereafter d’Etom Egoyan et Go de Doug Liman. Away From Her est l’histoire d’un couple marié depuis quarante ans, confronté à la maladie d’Alzheimer. Gordon Pinsent et Julie Christie (Fahrenheit 451, Doctor Zhivago) sont ici dirigés avec une très grande maturité par la jeune Polley, âgée à peine de 28 ans. Le combat de la femme avec sa maladie et les
difficultés du mari à accepter ce changement dans leur vie sont présentés avec une très belle austérité, assortie d’une retenue dramatique qui bouleverse ultimement le spectateur. Il est rafraîchissant de voir un film intelligent mettant en relief des personnages à l’automne de leur vie, registre trop rarement exploité.


La période automnale, comme d’habitude, nous amène des sorties de films qui aspirent aux petites statuettes dorées des festivals. Les grands du septième art s’extirpent de leurs laboratoires pour nous présenter leurs derniers chef-d’œuvre. Voici donc six films qui feront sans doute jaser d’ici la fin de l’année.

Contre Toute Espérance

Second volet de sa trilogie sur la foi, entamée avec La Neuvaine, Contre Toute Espérance explore sobrement les obsessions de Bernard Émond, qu’on pourrait ranger parmi les deux ou trois cinéastes québécois les plus intéressants de l’heure. Guylaine Tremblay y interprète une téléphoniste de métier confrontée à la grave maladie de son mari (interprété par Guy Jodoin). Présentement à l’affiche dans les cinémas.

3:10 To Yuma

Encore vibrant du succès de son film Walk The Line, James Mangold se lance dans le western avec cette adaptation d’une nouvelle d’Elmore Leonard. Le criminel Ben Wade (Russell Crowe) est capturé et doit prendre le train en direction de Yuma, où il est attendu pour être jugé. Le propriétaire d’un ranch (Christian Bale) est chargé de surveiller le captif jusqu’à ce qu’il soit pris en charge par les autorités.

The Darjeeling Limited

Variation orientale du leitmotiv que Wes Anderson explore depuis Rushmore, The Darjeeling Limited relate le voyage spirituel en Inde de trois frères (Owen Wilson, Jason Schwartzman, Adrian Brody) suite à la mort de leur père. On remarque aussi dans la distribution Angelica Houston (son troisième film de Anderson) et Nathalie Portman. Dans les cinémas à la fin du mois de septembre.

No Country For Old Men

Retour en force des frères Coen après une bifurcation momentanée vers la mise en scène de commande (les décevants Intolerable Cruelty et The Ladykillers). Adaptation du roman de Cormac McCarthy portant le même titre, le film relate le parcours tortueux d’un chasseur (Josh Brolin) après sa découverte d’une mallette remplie d’argent. À sa poursuite, un tueur sanguinaire à l’éthique confondante (Javier Bardem, qui donne froid dans le dos). Dans les cinémas le 21 novembre.

There Will Be Blood

Après une absence de cinq ans depuis son opus aigre-doux Punch-Drunk Love, Paul Thomas Anderson nous revient avec un récit qui se déroule au tournant du dix-neuvième siècle, dans un Texas où l’or noir coule à flots. Le toujours épatant Daniel
Day-Lewis y incarne un prospecteur belliqueux. Dans les cinémas le 26 décembre.

Le point d’interrogation : Youth Without Youth

Dix ans depuis la dernière réalisation de Francis Ford Coppola, qui déjà dans les années 90 semblait s’être perdu dans les méandres de la cinématographie. Depuis, on dirait que sa fille a repris le
flambeau de la tentaculaire famille américano-italienne. Peu d’information disponible à propos de son dernier film, si ce n’est qu’il met en vedette Tim Roth, qu’il se déroule dans une Europe antérieure à la deuxième guerre mondiale et qu’il pourrait apparaître sur nos écrans d’ici la fin de l’année. On se croise les doigts.

Quelle est la place du cinéma d’auteur au Québec ?

Le 16 décembre 2003 paraît dans Le Devoir une lettre critiquant les nouvelles politiques de Téléfilm Canada concernant le financement du cinéma québécois. La lettre est signée par vingt-cinq cinéastes, dont Michel Brault, Bernard Émond, Pierre Falardeau et Robert Lepage. On y condamne tout d’abord le système d’enveloppes à la performance, qui favorise un financement attribué aux producteurs ayant déjà connu un succès au box office, puis les modifications aux politiques de distribution des films, qui forcent les distributeurs à choisir les films les plus rentables commercialement. Plus de trois années se sont écoulées depuis ce cri contestataire. Trois années qui ont vu apparaître des films aussi différents que C.R.A.Z.Y., La Neuvaine, Bon Cop, Bad Cop et Congorama. On parle depuis de records d’entrées en salles et de reconnaissance dans plusieurs festivals à travers le monde. La grande majorité y voit un signe que notre cinéma est en grande forme (une forme qu’il n’aurait peut-être jamais connue). Qu’en est-il réellement?

Notre cinéma semble effectivement bien se porter aujourd’hui, avec une hausse de 163 % des budgets des films québécois depuis les six dernières années selon Téléfilm Canada, de nombreux records au box office (Bon Cop, Bad Cop est le film québécois ayant récolté le plus d’argent depuis sa sortie) et de nombreux prix (Oscar du meilleur film étranger pour Les Invasions Barbares en 2004, trois prix au Festival de Locarno pour La Neuvaine en 2005). Difficile alors d’ignorer le dynamisme certain de notre industrie depuis une dizaine d’années. Ces chiffres démontrent le talent de nos artisans, mais est-ce que cela est suffisant?

Le problème ne se situe pas en fin de course, lorsque les films sont sur les tablettes, mais en amont, au cœur d’un système de financement axé sur la rentabilité massive et éphémère et qui déclasse graduellement le cinéma d’auteur, celui qui forme la cinématographie québécoise. On célèbre tous les succès obtenus ici et à l’étranger, mais quand parle-t-on des difficultés qu’ont de nombreux cinéastes à trouver l’argent nécessaire pour faire leurs films? Les politiques de Téléfilm Canada commencent à défigurer notre cinéma, et il est à prévoir d’ici quelques années un déclin de plus en plus marqué du film d’auteur. En donnant aux producteurs l’argent qui leur permettra de financer sans vergogne leur dernière babiole, on risque de voir apparaître de plus en plus de monstruosités (il suffit de penser à Roméo et Juliette). Et, pendant ce temps, on se moque des auteurs qui, de film en film, développent et renouvellent leur vision du monde et du cinéma, nous donnant ultimement une œuvre complète, riche de sens et intemporelle. Le cinéma d’auteur est quand même en effervescence au Québec, mais il est ignoré (jusqu’au jour où il décroche un prix à l’étranger). Les cinéastes indépendants, contraints ou librement dilettantes, proposent une alternative bienvenue et revitalisante au divertissement grand public. Il n’est pas question de vouloir remplacer une forme de cinéma par une autre – chacun devrait pouvoir y trouver son compte – mais il faut bien constater qu’un certain favoritisme hypocrite perdure qui risque d’homogénéiser dangereusement notre cinéma à court terme.

On doit trouver le moyen d’amener le public aux films. Oserait-on affirmer que des films comme Rechercher Victor Pellerin (Sophie Desraspe), Nos Vies privées (Denis Côté), Sur la trace d’Igor Rizzi (Noël Mitrani) ou Le Cèdre penché (Rafaël Ouellet) n’ont pas la qualité cinématographique requise pour trouver un auditoire ? Ces quatre films (tous produits ces deux dernières années) ont pourtant été présentés en salle. Où ? Quand ? Voilà une partie du problème. Les cinéphiles aux aguets en auront entendu parler, mais pas le grand public. Ces films seraient apparemment réservés aux festivals et aux mordus de cinéma. L’idée n’est pas de verser tout l’argent disponible aux auteurs, mais simplement de permettre à leurs films d’être vus par le plus grand nombre. Informons le public convenablement, et laissons-le prendre part aux discussions. Il est stupide de croire que le cinéphile moyen se déplacera uniquement pour voir une autre de ces comédies dramatiques qui pullulent présentement sur nos écrans. n


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