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La Scena Musicale - Vol. 13, No. 1 septembre 2007

Danse

Par Aline Apostolska / 4 septembre 2007


2007 à Montréal : une année marquante

Aline Apostolska

En matière de danse, l’automne 2007 s’annonce avec tambours et trompettes comme un moment fort en spectacles originaux et variés. Audace, inventivité, pluridisciplinarité et pluriculturalisme semblent les maîtres-mots des mois à venir.

À Montréal et dans les environs, le public a l’occasion de voir tant de danse, partout et à longueur d’année, pendant et hors la période des festivals, qu’il vaut la peine de se retourner vers la saison dernière pour se remémorer les spectacles, certaines scènes, certains mouvements, certaines images ou certaines ambiances qui se sont, consciemment ou non, inscrites dans le disque dur de notre mémoire visuelle et émotive.

La danse, la plupart du temps sans paroles ou presque, se dépose ainsi, à notre insu, en fines strates qui remontent à la conscience au moment où l’on s’y attend le moins. Jean-Pierre Perreault disait de la danse qu’elle « part du ventre pour atteindre le ventre ». C’est bien cela, la danse est à la fois impact organique et, comme le souligne Edouard Lock, « ce qui échappe à la danse, au corps ». Bien mystérieux tout cela, bien mystérieux ce qui met en mouvement.

Si l’on regarde un an en arrière, donc, quelles images demeurent dans la mémoire ? Une série d’instantanés captivants, indélébiles.

Des Anatomies de José Navas, on retient les corps parfaits, radicalement différents, qu’unissent un même mouvement, une égale vitesse d’exécution, un phrasé chorégraphique distinctif, une épure complète de la scène magnifiée par des rais de lumière. Un alphabet de chair qui se décline en duos et trios. Un moment particulier que l’on aura d’ailleurs le bonheur de revoir à l’automne prochain.

Bancs, Benches, de Roger Sinha, a fixé dans notre esprit des sortes de balançoires pour deux, qui sont zones de déséquilibre des corps et des âmes, moments de fragilité, de chutes, et de stabilité retrouvée grâce à l’autre et avec lui. Une manière pour Sinha de souligner 15 ans d’un parcours original et singulier.

Les Treize lunes de Danse Cité, par et avec Daniel Soulières et ses nombreux danseurs et musiciens, n’a cessé de son côté de naître, renaître, disparaître et revenir, toujours identique et toujours différent, comme les cycles de la lune. Danse Cité existe depuis 25 ans (1982 - 2007), aussi longtemps qu’existe la danse contemporaine à Montréal.

Des anniversaires importants ont marqué la dernière année. Par exemple, les 20 ans de Montréal Danse, compagnie magnifique dont les danseurs sont plus que des danseurs. À preuve leur spectacle hommage présenté au Festival d’été de Saint-Sauveur. Cette représentation patchwork comprenait une chorégraphie inédite d’une des danseuses, Manon Levac, qui s’essayait avec succès à la création, un superbe solo de son brillant collègue Peter Trosztmer, qui livra Synthesis as composure : Painful but unequivocal truth (fin 2006), ainsi qu’une prestation mémorable, en gros plan, de Marlene Millar et Philippe Szporer dans le film The hunr.

On a vu beaucoup de solos remarquables au cours de la dernière année: celui de Ken Roy, Projet Roy, sur les chorégraphies de trois grandes chorégraphes, qu’il reprenait pour la première fois depuis 1999, avec le concours du pianiste Matthieu Fortin. Celui de Louise Lecavalier dans un enchaînement de trois chorégraphies de Tedd Robinson, Crystal Pite et Benoît Lachambre. Celui, hilarant et pathétique, de l’époustouflante Sarah Williams chorégraphiée par George Stamos, Eddie Ladd et Nathalie Claude, et qui sera reprogrammé cet automne. Celui aussi, inoubliable, du Français Philippe Decouflé dans l’autobiographique et technologique Le doute m’habite. Revient aussi à la mémoire la soirée Trois solos trois styles avec Ingrid Belley, Myriam Tremblay et Jean-Sébastien Lourdais, qui nous a fait découvrir un bijou de petit endroit, parfait pour les pièces de proximité: l’Espace Geordie, où l’on a également pu savourer La nuit sera courte, duo danse-théâtre interprété par Jean-François Casabonne et Geneviève La sur les textes et la mise en scène de Catherine Lalonde.

Une mention spéciale va à Paul-André Fortier, solo des solos, 30x30 Solo, pour son idée unique et magistrale: 30 minutes de solo pendant 30 jours, même heure même lieu, lieu de non-danse, dans 5 grandes villes du monde, de l’Europe à l’Asie, avant un retour à Montréal.

Au chapitre des célébrations, on a fêté d’heureux retours : celui de la mythique compagnie de bhuto japonaise, Sankai Juku, qui après 16 ans rentre à Montréal (avec Kagemi, méditation autant que fable, dont on sort réellement en état d’apesanteur). Événement comparable, mais dans un registre absolument différent : le retour de la non moins mythique Alvin Ailey Company après 20 ans d’absence, pour la première fois sans son créateur, décédé en 1989, avec un programme triple haut en couleurs et en énergie, toujours basé sur les classiques de la musique afro-américaine. Également, pour la première fois depuis 6 ans, le Toronto Dance Theater avec Timebreak code, où corps des danseurs et images projetées de leurs corps dansent ensemble sur une scène dénudée.

Et puis, fête des fêtes, les 50 ans des Grands Ballets Canadiens de Montréal qui ont passé le cap de cette cinquantaine rugissante avec une programmation très remarquable et remarquée. Devenue compagnie de création contemporaine, la troupe n’en reste pas moins constituée de danseurs à la formation classique, rigoureuse et diverse, dont le registre d’interprétation s’est à nouveau révélé fort étendu au cours de la dernière année. Pour savoir restituer avec autant de talent et de conviction l’univers minéral et immobile de Shen Wei (Re-,II) et celui, tellurique et volcanique, de Mauro Bigonzetti (Cantata et Les quatre saisons), tout en ramenant sous les feux les créations de Kylián (Forgotten Land) ou de Wheeldon (Polyphonia), les Grands restent les grands. À surveiller cet automne 2007 la reprise méritée de Cendrillon sur une chorégraphie de Stijn Celis, auteur de Noces, dans une version tout à fait iconoclaste.

Iconoclaste aussi cette Amjad inspirée du ballet classique (La belle au bois dormant et Le lac des cygnes), dernière et marquante création d’Edouard Lock. Détournement et vertiges des sens, poétique, sublimes interprètes et remarquable revisitation musicale, ce ballet constitue à la fois une sorte de concentré pur Lock et une épure de son propre univers.

Des images inoubliables, encore, celles de la superbe, propulsive et visionnaire Trilogie de la terre de Paula de Vasconcelos dont on a pu revoir les trois volets presque en rafale. Celles des centaines de bougies dans Diary d’Hélène Blackburn qui sait faire de vraies pièces pour adolescents sans jamais traiter son public au rabais. Celles de la compagnie de flamenco La Otra Orilla sur la scène de la Salla Rossa dans leur captivant Denominación de origen descontrolado

Avec tout cela, 2007 restera aussi l’année de la première édition du Festival TransAmériques, tant attendu depuis la faillite du Festival International de Nouvelle Danse en 2003 : un bouquet de spectacles de danse, de théâtre et de performances mixtes, à la programmation exigeante, audacieuse, bigarrée. La compagnie Uqqaq (L’abri), les créations de Dave St-Pierre (Un peu de tendresse bordel de merde !), Isabelle Van Grimde (Perspectives Montréal), Sarah Chase et Peggy Baker (Some braided history), et Israël Galvan (Arena) restent des moments forts de cet événement désormais inscrit dans les rendez-vous de danse montréalais. Des rendez-vous où abondance rime avec authenticité. n

Perspectives
automne 2007

L’année de danse 2007 se terminera sur la même note d’audace créative et intense qui a marqué le reste de la saison. Voici quelques évènements majeurs à surveiller de près :

Septembre

Du 13 au 15 septembre à l’Usine C : après Forgeries, Love and Other Matters, ne ratez surtout pas Lugares Comunes, la nouvelle création de Benoît Lachambre pour 10 danseurs, qui a déjà été présentée à Paris, Berlin et Bruxelles ; et du 20 au 22 septembre au Théâtre Maisonneuve, programmé par Danse Danse qui fête sa dixième saison, le retour du Cloud Gate Dance Theatre de Taïwan avec Wild Cursive de Lin Hwaï-Min, une expérience unique à vivre. En septembre, on vous convie également aux promenades culturelles préparées par les Escales Improbables de Montréal (www.escalesimprobables.com), et à une 5ème saison, qui s’annonce riche, de la manifestation de danse contemporaine Transatlantiques (www.transatlantiquemontreal.com).

Octobre

À la demande générale, au Théâtre Maisonneuve du 4 au 6, la très grande pièce de Marie Chouinard, bODY_rEMIX/les_vARIATIONS-gOLDBERG, de retour après une tournée mondiale ; du 10 au 13 octobre à l’Agora de la danse, un nouveau spectacle, Décompte, de Zab Maboungou qui fête les 20 ans de sa compagnie, Nyata Nyata ; et l’étonnante Cendrillon de Stijn Celis créée pour les Grands Ballets Canadiens de Montréal, au Théâtre Maisonneuve du 18 au 27 octobre et les 2 et 3 novembre.

Novembre

Du 7 au 10, après une tournée en Norvège, Belgique et les Pays-Bas, José Navas revient à l’Agora de la danse avec ses fabuleuses Anatomies. Puis, retour à Montréal de la compagnie israëlienne Batsheva Dance Company dirigée par Ohad Naharin, avec Bertolina, une création de Sharon Eyal, du 22 au 24 au Théâtre Maisonneuve. Naharin fera également une nouvelle création attendue pour les GBCM en avril. Enfin, courez voir la nouvelle création de Paula de Vasconcelos pour 4 danseurs, Kiss Bill, nouveau contre-pied à Quentin Tarantino, à l’Usine C du 30 novembre jusqu’au 15 décembre.

Décembre

Danse Danse présente du 6 au 8 décembre, au Centre Pierre-Péladeau, un florilège de quatre exquis solos de la très belle danseuse Natasha Bakht, formée à la danse indienne depuis l’enfance et une des interprètes fétiches de Roger Sinha. Ce dernier présente pour sa part une nouvelle création, Thread, au MAI (www.m-a-i.qc.ca) dont la saison danse s’annonce aussi belle que celle de Tangente, où la programmation se révèle au fil des semaines (www.tangente.qc.ca). Un bien bel automne !


(c) La Scena Musicale 2002