Le 30e anniversaire de la mort de Callas : Mémoire de l’âge d’or de la phonographie Par Réal La Rochelle
/ 4 septembre 2007
Côté cour, Elvis Presley. Côté
jardin, Maria Callas. Deux Américains, en 1977, foudroyés par la mort
subite. Stars, icônes, mythes mais surtout, à partir du 16 août et
du 16 septembre de cette année funeste, deux noms qui deviennent des
poules aux œufs d’or pour l’industrie culturelle.
Attardons-nous un moment au phénomène
Callas, exceptionnel dans la sphère de la musique lyrique sur disque.
A l’occasion du 30e anniversaire de son décès, le 16
septembre 2007, la Soprano assoluta fait encore l’objet de
commémorations, de concerts hommages, d’expositions et de livres,
de même que de numéros spéciaux de revues musicales : Gramophone,
Diapason, Classica Répertoire. En avril 2007, le magazine
Music, de la BBC, s’appuyant sur un examen critique de plusieurs
experts, avait déjà déclaré Callas grande première parmi les vingt
plus célèbres sopranos du XXe siècle. Sa maison-mère, EMI, annonce
pour cet automne une autre intégrale de ses enregistrements, 70 disques
compact. Au fil des anniversaires antérieurs, étaient déjà parus,
chez la même firme, une intégrale en vinyle et deux remasterings
différents en CD de ses œuvres complètes. Sans compter que, depuis
quelques années, Naxos réédite cet opus callassien à partir des
vinyles devenus «domaine public», tandis que EMI a l’avantage de
pouvoir recourir aux masters originaux, non aux tirages en « galettes
noires ».
Deux choses sont frappantes dans
l’exception Callas. La première est que son patrimoine musical est
constitué principalement de disques, le cinéma et la vidéo ayant
laissé peu de documents sur son art. Le film Medea de Pasolini,
un épiphénomène mais de loin le meilleur sur Callas et avec elle,
est un conte philosophique sur la mythologie, dans lequel elle ne chante
pas. La seconde constatation, que ce corpus phonographique forme le
seul vrai Musée Callas, puisque toutes les déclarations d’intention
des ayant droits au sujet d’un éventuel mémorial se sont avérées
stériles, que ses biens artistiques, comme les autres, ont pris plutôt
le chemin des encans bien payants.
Le legs phonographique de Callas
est aussi singulier pour d’autres raisons. Il est particulièrement
abondant, et témoigne d’une période faste, après-Guerre, dans le
champ de l’enregistrement sonore. C’est l’époque glorieuse qu’ont
enrichi aussi des Glenn Gould, Elvis Presley, les disques du musical
américain, Leonard Bernstein, les Beatles, Cathy Berberian, entre autres.
Le corpus phonographique de studio
de Callas est sans égal. Riche matériellement et diversifié sur le
plan artistique, il témoigne certes de dons techniques et stylistiques
uniques en son genre – passer par exemple de Il Turco in Italia
à La Gioconda, de Wagner à Bellini – mais il rend compte
d’une capacité exceptionnelle à couvrir pratiquement l’ensemble
de l’histoire de l’opéra et du répertoire lyrique, de Mozart à
Turandot. Le disque offre aussi à Callas, grâce aux microphones,
la chance de s’abstraire de ses talents, certes nombreux à la scène
et au concert, mais qui relèvent du domaine visuel (fragments de vidéo
et photographies). Balisant la sphère musicale au moyen du sonore orchestral
et du chant, la phonographie offre à la cantatrice la possibilité
de se concentrer sur la seule musique dramatique des ouvrages lyriques.
De la sorte, la pérennité de ses disques fait apparaître Callas comme
une des grandes musiciennes interprètes du XXe siècle, à l’égal
des Cortot, Schnabel, Rostropovitch… Ce n’est pas rien. Carlo Maria
Giulini déclarait : « Si le public pouvait comprendre, comme nous
les professionnels, à quel point Callas est si profondément et si
judicieusement musicienne, il en serait stupéfait ».
Après la mort de Callas, EMI s’est
finalement décidée à inclure dans son catalogue Callas certains enregistrements
live célèbres, les soustrayant ainsi à la piraterie, légitime
ou pas. Une Traviata de Lisbonne (1958) avec Alfredo Kraus, une
autre de La Scala (1955) dirigée par Giulini, la Macbeth de
La Scala (1952) dirigée magistralement par Victor de Sabata (responsable
aussi de la Tosca historique de studio en 1953), une mirobolante
Lucia de Berlin (1955) sous la baguette de Karajan, autant de joyaux
qui ont paru mériter une place dans le legs «officiel». EMI, dans
ce cas, s’est montrée opportuniste, ne faisant que reconduire ce
que plein de «pirates» ou d’éditeurs indépendants publiaient depuis
de nombreuses années.
Je garde, comme des milliers ou
des millions d’autres, une mémoire ineffaçable des premiers disques
de Callas durant les années 1950. Son premier récital, Coloratura.
Lyric, ses deux côtés A et B si magnifiques et étonnants, un
modèle de programmation phonographique. Et que dire de ses premières
intégrales de Lucia di Lammermoor et de I Puritani, qui
bouleversaient, de manière révolutionnaire, à la fois l’interprétation
de ces ouvrages et l’offre phonographique. Des dizaines et des dizaines
d’autres disques devaient suivre, en fulgurance, pendant quelques
années, brèves et lumineuses. En tout, 13 récitals et 27 intégrales,
en exclusivité pour EMI, sauf les premiers disques pour Cetra et une
Medea de Cherubini pour Ricordi.
EMI, sa maison-mère, si elle fait
depuis plus d’un demi siècle son pain et son beurre de ses enregistrements
Callas, peut néanmoins objectivement s’enorgueillir d’avoir permis
la production d’un legs aussi rare et à ce point miraculeux. n
Réal La Rochelle est
l’auteur de Callas. L’opéra du disque (Christian Bourgois, 1997).
Cet automne, il publie un roman, Les Recettes de La Callas (Leméac) |
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