Accueil     Sommaire     Article     La Scena Musicale     Recherche   

La Scena Musicale - Vol. 13, No. 1

50 ans et une nouvelle jeunesse : Les Grands Ballets Canadiens

Par Aline Apostolska / 4 septembre 2007

English Version...


Dans son bureau de la rue Rivard, Gradimir Pankov, directeur artistique des Grands Ballets Canadiens de Montréal depuis 1999, affiche un sourire heureux et serein. On le comprend : la dernière saison des Grands a été très réussie, saluée comme telle par les professionnels et la critique, et la saison prochaine s’annonce carrément époustouflante. En effet, 2008, année du 400e anniversaire de la présence française en Amérique, marquera sans doute une étape importante dans l’histoire de cette grande compagnie de danse, la première de calibre international qui soit née au Québec - en 1957. Eh oui, 50 ans déjà ! Bon, évidemment, à côté du Ballet de l’Opéra de Paris ou de celui de Londres ou de Vienne, plusieurs fois centenaires, le nôtre paraît jeune, mais en Amérique du Nord, cinquante ans c’est phénoménal.

« Je me sens privilégié de diriger cette compagnie, dit Pankov. C’est à la fois un privilège et une responsabilité. Je rêvais de diriger une troupe importante et c’est une des grandes satisfactions de ma longue carrière. Vivre entouré de jeunes m’oblige à me tenir bien droit sur mes jambes. » En effet, avec 32 danseurs de grand calibre, venus d’horizons multiples, les GBCM sont pluriels, interculturels, interlinguistiques, intergénérationnels, internationaux, bref, à l’image de Montréal.

Chaque année, une audition fort attendue permet de recruter quelques nouveaux interprètes, assez peu en vérité, généralement un ou deux selon la saison : « La compagnie est désormais connue, même en Europe, ce qui explique qu’elle soit très recherchée. Les danseurs viennent des quatre coins du monde pour tenter leur chance chez nous. » Comment Pankov les choisit-il ? « Plus pour leur personnalité que pour leur technique, car je sais que je peux encore les former moi-même. Le tempérament, c’est cela que je recherche. » Sur scène, au cours des dernières années, on remarque une évolution des physiques : « Ils sont beaux, c’est vrai, mais ils ont tous des corps différents. Je cherche des personnes intéressantes à regarder, pas toutes sorties du même moule. » De même, il ne veut pas mettre en avant seulement une ou quelques vedettes dans la compagnie : « Il n’y a rien de mal à vouloir être une star, c’est juste que ce n’est pas l’esprit de la maison. Je n’aime pas les stars qui se comportent en stars - pour la simple raison que je dépends, que la compagnie dépend, de tous et chacun, et non pas seulement d’une vedette. Aux Grands, les danseurs tiennent le haut de l’affiche chacun à leur tour, selon les productions. » Si l’un d’eux, même une première danseuse, quitte la compagnie, pour moi ce n’est pas grave, ils sont interchangeables. » Ainsi, Anik Bissonnette, qui pris sa retraite en juin dernier, n’a pas été véritablement remplacée: « Une autre danseuse reprend ses rôles et c’est parfait ainsi, la vie de la compagnie continue, même si Anik est évidemment une personnalité à part. » Le gala grandiose, et tellement émouvant, que les GBCM lui ont consacré le 6 juin 2007, en a largement témoigné.

Ce que Gradimir Pankov veut dire, c’est qu’il met un point d’honneur à faire des Grands Ballets une compagnie star et non pas à créer des stars au sein de la compagnie. Avec sa longue expérience européenne mais également new-yorkaise, il privilégie cette conception moderne du fonctionnement des grandes compagnies internationales. Tous les membres y tiennent une place particulière mais c’est ensemble qu’ils sont uniques, et irremplaçables. « Durant les neuf dernières années, mon but a été de faire en sorte que le nom de la compagnie devienne en soi une garantie de qualité. Nous sommes désormais invités partout dans le monde, confiants que tous les danseurs sont au niveau, et pas seulement quelques-uns. »

Qu’attend-il, alors, de ses danseurs ? « Je veux qu’ils dansent comme un acteur joue au théâtre, en étant capables de changer de peau à volonté. Cela requiert de l’ouverture d’esprit et je pense que cette qualité est justement une de leurs caractéristiques. » En effet, ce qui frappe, et de plus en plus au fil des années, c’est l’extraordinaire polyvalence de la compagnie, sa remarquable capacité de s’adapter aux chorégraphes tout en maintenant un niveau de technicité hors pair. C’est ce qui a par exemple permis, durant la saison dernière, de passer de l’univers minéral, intérieur et quasi immobile du New-Yorkais Shen Wei à l’univers jubilatoire, tellurique et vertigineux du Romain Mauro Bigonzetti. « Je crois que les Grands Ballets sont devenus une compagnie à surprises, qui étonne son public, capable de présenter un magnifique Casse-Noisette, le classique des classiques, à côté des pièces les plus contemporaines. C’est une grande réussite. »

Car le changement le plus important intervenu depuis 2000 est la transformation des GBCM en compagnie de création contemporaine. « Les seuls journalistes qui parlent encore des Grands comme d’une compagnie de ballet classique sont ceux qui ne sont pas venus nous voir depuis au moins 8 ans ! » dit Pankov. En effet, les GBCM ne donnent plus aucune représentation classique, hormis Casse-Noisette. Pankov a pris une autre orientation : pour satisfaire les amateurs de ballet classique, il invite les plus grandes compagnies classiques du monde à se produire à Montréal trois fois par saison. Ainsi, le Houston Ballet, toujours apprécié, reviendra-t-il avec Madame Butterfly en mai 2008.

Les GBCM ont été créés en 1957 par Ludmilla Chiriaeff, née à Berlin de parents russes juifs et débarquée au Canada avec mari et enfants après une carrière sur scène et à la télévision à Berlin mais aussi en Suisse où elle s’était réfugiée pour fuir les rafles nazies. Ils ont d’abord été des ballets classiques, bien sûr. Chiriaeff a tout simplement apporté la danse dans ses bagages, à une époque où il n’existait rien de tel chez nous. Grâce à la télévision de Radio-Canada, elle a même apporté la danse dans les foyers québécois, jouant un rôle déterminant dans l’émergence de la vie culturelle de la province. Avec Fernand Nault (décédé en décembre 2006) qui créa Casse-Noisette, une série de ballets classiques et contemporains appréciés (Tommy, opéra rock…) puis de nombreuses directions artistiques de renom (Colin McIntyre, Lawrence Rhodes), les GBCM avaient déjà commencé à explorer la planète contemporaine, dès les années 70 d’ailleurs. Sur des pièces de Gilles Vigneault, Nacho Duato mais aussi Edouard Lock ou Paul-André Fortier, ils ont étendu leurs horizons1.

Néanmoins, jusqu’à l’arrivée de Pankov, le répertoire de la compagnie était classique avec des exceptions contemporaines. C’est désormais le contraire : le répertoire est contemporain avec une seule exception, pour Noël. « Les jeunes danseurs sont très motivés à postuler une place ici. » Ce tournant majeur s’est-il fait facilement ? « Tout à fait harmonieusement, confirme Pankov. Quand j’ai exposé mes ambitions, tous étaient parfaitement convaincus et, en fait,
déjà prêts pour un virage qui nous permettrait de nous mettre au
diapason des plus grandes compagnies mondiales, européennes et américaines. Une seule personne nous a quittés pour cette raison, c’est vous dire combien les changements se sont opérés naturellement et sans heurts. »

La plupart des grandes compagnies du monde ont emprunté la même voie. La formation classique est la seule qui prépare l’interprète à toutes les formes de danse. Aujourd’hui les plus grands chorégraphes recherchent des interprètes de formation classique, Lock et Chouinard en particulier. Les compagnies doivent recruter des danseurs de calibre international avec de fortes compétences techniques. Au sein des GBCM, les danseurs évoluent et s’épanouissent, tout comme, d’ailleurs, les jeunes chorégraphes auxquels Pankov a su faire confiance (Didi Veldman – TooT, ou Stijn Celis – Noces et Cendrillon, reprise en octobre prochain). Cette sorte de pépinière maison a contribué à mettre la compagnie sur la place internationale. « Je suis particulièrement satisfait de la critique, unanime, qui a salué notre dernière tournée américaine, tout spécialement celle du New York Times (toujours redoutée). Nous avons aussi conclu des accords de réciprocité (échanges de tournées) avec plusieurs compagnies américaines et européennes, et avons été invités à revenir chaque année à de prestigieux évènements, comme la Biennale de Jacob’s Pillow. »

Pas étonnant, avec tout ça, que l’avenir paraisse prometteur : « 2007 a été une année de célébration en forme d’apothéose mais 2008 sera vraiment exceptionnelle », laisse entendre le directeur général, Alain Dancyger. On aimerait en savoir plus… Bien sûr, Ohad Naharin viendra présenter une création en avril, c’est intéressant, mais qu’y a-t-il là d’« exceptionnel » ? Deux choses: d’abord, et après avoir attendu trop longtemps (comme la majorité des compagnies québécoises), les Grands Ballets vont enfin avoir leur propre maison (« Nous vivons et créons dans un garage ! » dit Pankov en parlant du bâtiment vétuste et exigu de la rue Rivard) : un bâtiment construit spécialement pour eux, sans doute sur le terrain vague derrière la Place des Arts, qui sera un lieu administratif, de création et de répétition autant qu’un apport architectural pour la ville. Par ailleurs, très sensible à la question de l’enseignement des arts à l’école, Gradimir Pankov nourrit des ambitions quant à la formation des danseurs. Il n’en dit pas davantage pour l’instant : « Nous serons fixés sur tout cela en janvier 2008 », dit Dancyger. Enfin, plusieurs évènements exceptionnels s’annonceraient pour l’été 2008 qui sont « encore à confirmer ». Nous suivrons de près le dossier, mais quoi qu’il en soit, les Grands méritent déjà leur réputation, leur place et … leur avenir. n

1 La vie des Grands, 50 ans de la vie des GBCM. Christine Bourgier. Catalogue de photos et textes. En vente dans toutes les librairies.


English Version...

(c) La Scena Musicale 2002