L'état des choses : Portrait des arts visuels Par Julie Beaulieu
/ 4 septembre 2007
Actuellement, plus de quatre-vingts
expositions d’arts visuels en tout genre ont cours à Montréal. Si
la diversité et la quantité sont généralement garantes de bonne
santé, les arts visuels ont un statut qui les confine, plus souvent
qu’autrement, dans une sphère d’activité plutôt marginale, en
comparaison du théâtre et du cinéma. Sempiternelle bagarre entre
art élitiste et art populaire, ou réalité d’une situation culturelle
particulière?
La santé de nos musées et centres
d’exposition
Sans entrer dans le débat entourant
la crise culturelle ou verser dans le profond désenchantement des sociologues,
la question de la culture, et à plus forte raison celle des arts visuels,
est préoccupante. Dans le contexte actuel, où l’industrie culturelle
(cinématographique) prend le pas sur d’autres formes d’art moins
populaires, et partant moins visibles (par exemple la danse), comment
donc se portent nos institutions muséales et centres d’exposition?
Selon les plus récentes données
fournies par l’Observatoire de la culture et des communications du
Québec, les revenus de fonctionnement totaux des institutions muséales
s’élèvent en 2004 à près de 361,8 M$1. Cependant, les
dépenses à ce titre s’établissent à 359,4 M$, ce qui laisse très
peu de marge de manœuvre aux gestionnaires. Par ailleurs, les subventions
publiques pour immobilisation totalisent 24,5 M$ alors que les dépenses
s’élèvent à 34,2 M$. C’est dire qu’en 2004, les revenus globaux
des institutions muséales atteignent environ 386,2 M$ pour 396,6 M$
de dépenses. Si les musées du Québec ont accueilli 12,2 millions
de visiteurs cette année-là, ce sont les musées des sciences qui
ont attiré le plus de curieux (3,3 millions). Les musées d’art arrivent
en dernière place avec 1,3 million d’entrées, contre 3,2 millions
pour les musées d’histoire, d’ethnologie et d’archéologie réunis.
La précarité de la santé financière
des institutions muséales québécoises n’est pas chose nouvelle,
ce qui la rend aussi problématique que préoccupante pour les années
à venir. Car il ne faut pas oublier que les musées et centres d’exposition
participent de l’intérêt culturel d’une ville, donc à son rayonnement
international, en plus de favoriser la diversité. En exposant des œuvres
d’artistes issus de différentes communautés culturelles et groupes
linguistiques, les musées et centres d’expositions contribuent au
sentiment d’appartenance des habitants, d’où qu’ils viennent
– Montréal en est un cas exemplaire. Et si les musées et centres
d’exposition arrivent aujourd’hui à présenter une si grande diversité
et qualité d’expositions, c’est sans aucun doute grâce aux quelque
5953 bénévoles qui y consacrent plus de 440 000 heures de travail chaque
année. Grand merci à ceux et celles qui font vivre le secteur des
arts visuels… et à peu de frais!
Bouche à oreille et Internet
Bien que les médias préfèrent
le film de fiction commercial à l’installation vidéo numérique,
la promotion des arts visuels se fait, fort heureusement, autrement.
Les journaux culturels (pour la plupart distribués gratuitement) et
le bouche à oreille y contribuent d’ailleurs largement. Certaines
institutions muséales ont également recours à l’Internet pour rejoindre
une partie de la population ou une clientèle potentielle vivant à
l’extérieur de la grande métropole. Réceptif aux idées novatrices
et, disons-le, pratico-pratiques, le Musée d’art contemporain de
Montréal propose actuellement l’exposition virtuelle Perspectives
sur Claude Tousignant (du 22 mars 2006 jusqu’au 31 décembre 2010).
Cette exposition en ligne permet un accès direct et gratuit aux œuvres
de Tousignant dans un environnement familier, un plus pour une clientèle
en devenir, d’emblée branchée et à l’affût des nouveautés Web.
Il ne reste qu’à espérer que
la facilité avec laquelle l’internaute peut désormais « consommer »
de l’art avive sa curiosité, au point de l’attirer à l’intérieur
de murs réels pour une visite plus «traditionnelle ». Seul le temps
dira si cette nouvelle manière de concevoir une exposition aura des
effets positifs sur la fréquentation du musée.
Que s’est-il passé depuis la fonte
des neiges?
Le public attendait avec impatience
l’exposition Il était une fois Walt Disney - Aux sources de l’art
des studios de Disney, présentée en exclusivité nord-américaine
au Musée des Beaux-Arts de Montréal (MBAM) après un séjour acclamé
au Grand Palais à Paris. L’exposition, qui s’est tenue du 8 mars
au 24 juin dernier, a attiré bon nombre de visiteurs qui ont pu renouer
non seulement avec des personnages et paysages bien connus, mais aussi
avec les plus grandes œuvres de l’art occidental, source d’inspiration
inestimable pour le dessinateur américain. Beaucoup ont d’abord accueilli
le projet avec perplexité – souvenons-nous, il y a quelques années,
des circonstances similaires entourant la venue d’une exposition Alfred
Hitchcock au MBAM. La splendeur de l’exposition, qui a su séduire
les plus petits comme les grands, a toutefois donné raison aux organisateurs
de cet événement colossal.
Le MBAM présente depuis le 21
juin, et jusqu’au 23 septembre prochain, l’exposition pancanadienne
Emily Carr - Nouvelles perspectives sur une légende canadienne,
d’abord accueillie à Ottawa, Vancouver et Toronto. Il s’agit de
la quatrième exposition de l’artiste peintre depuis sa mort en 1945.
Plutôt solitaire et longtemps méconnue, Emily Carr est aujourd’hui
célèbre pour ses paysages canadiens, de même que pour ses écrits.
L’exposition s’attarde plus particulièrement à retracer sa démarche
artistique et l’évolution des perceptions à son égard. Si vous
avez manqué le passage d’Emily Carr à Montréal, sachez que vous
pourrez la rattraper cet automne en Alberta; elle termine son circuit
au Glenbow Museum de Calgary.
Enfin, le MBAM présente jusqu’au
2 décembre, et en exclusivité nord-américaine, l’exposition
Les célèbres Bronzes dorés de Cartoceto di Pergola. Le célèbre
groupe de bronzes dorés, composé de deux cavaliers accompagnés de
deux femmes debout, quitte pour la première fois l’Italie, un événement
sans précédent. Il s’agit là d’un rare exemple de groupe de sculptures
en bronze issues de la Rome antique, d’où le caractère un peu singulier
et irréel de leur voyage en Amérique.
Le Musée d’Art Contemporain
consacre actuellement (et jusqu’au 3 septembre 2007) une exposition
à Bruce Nauman, grande figure de l’art actuel. La manifestation,
composée de deux volets, porte sur des thèmes chers à l’artiste :
la vie et la mort, l’amour et la haine, le plaisir et la douleur.
Le premier volet, Elusive Signs: Bruce Nauman Works with Light,
a été organisé par le Milwaukee Art Museum. Cette section regroupe
une quinzaine de sculptures au néon et d’installations lumineuses
réalisées entre 1965 et 1985. Le deuxième volet, exclusif à Montréal,
a été conçu par Sandra Grant Marchand, conservatrice du Musée d’art
contemporain. Il réunit à la fois des films et des vidéos réalisés
dans les années 1960, d’importantes installations vidéographiques
des années 1980, 1990 et 2000, ainsi que One Hundred Fish Fountain
(2005), une réalisation récente.
Une ballade en plein art
Bien que la majorité de la « consommation »
en arts visuels se fasse à l’intérieur des murs d’un musée ou
d’un centre d’exposition, certaines villes, dont Montréal et Lachine,
profitent de la belle saison pour inviter le public à profiter à la
fois des arts et du soleil. Le Festival International Montréal en Arts
(FIMA), en collaboration avec Le Village, a fait découvrir au public,
sur la rue Sainte-Catherine (entre les rues Saint-Hubert et Papineau),
plus de 150 artistes des arts visuels et des métiers d’art venus
de tout le Québec, de l’Ontario, des autres provinces canadiennes,
des États-Unis, de la France, du Pérou et du Mexique. Les festivaliers
ont pu rencontrer les artistes et les artisans durant les quatre jours
du festival (28 juin au 1er juillet).
La ville de Lachine a proposé
une activité inédite, Pédalez au rythme des sculptures!, qui
s’est déroulée du 7 juillet au 19 août. Le public était invité
pour l’occasion à circuler à vélo au cœur du Musée plein air
de Lachine, à la découverte de ses 50 œuvres monumentales. Voilà
une façon amusante et originale de s’initier à l’art public –
ou au vélo – durant la belle saison.
La ville de Montréal présente,
jusqu’au 31 octobre, 19 œuvres de Ju Ming, un des plus grands sculpteurs
asiatiques de l’heure. Le public peut admirer en plein air des oeuvres
de la série Taïchi, présentées lors de grands événements
à Berlin, Bruxelles, au Luxembourg et à Paris. Les sculptures sont
exposées dans trois lieux stratégiques de la ville, soit au Lac aux
castors du Mont-Royal, au Quartier international et aux Quais du Vieux-Port.
Enfin, la 5e édition
de la Biennale de Montréal a eu lieu du 8 mai au 10 juillet dernier.
Cette année, les organisateurs ont misé sur les artistes canadiens.
Wayne Baerwaldt, commissaire invité, a su programmer et orchestrer
une rencontre stimulante entre artistes canadiens et étrangers. La
Biennale de Montréal constitue un événement incontournable montrant
au public l’éventail complet de l’art actuel, de l’exposition
au film, en passant par l’art de la performance, la musique et les
arts technologiques.
Le meilleur est toujours à venir
Parmi les expositions et manifestations
à venir et à ne pas manquer cet automne, celle de Picasso au Musée
National des Beaux-Arts du Québec (MNBAQ), du 6 septembre 2007 au 6
janvier 2008. L’exposition, intitulée La joie de vivre - Picasso
au Château d’Antibes célèbre l’éternelle folie et l’énergie
du maître. C’est à la fin de l’été 1946 que le peintre installe
son atelier au Château Grimaldi à Antibes, qui deviendra en 1966 le
musée Picasso. Cette période de création a donné naissance au célèbre
tableau La joie de vivre (1946), qui illustre le bonheur retrouvé,
baigné par la chaude lumière de la Méditerranée. Dans un style complètement
différent, le MNBAQ offrira aussi au public l’exposition Paris
1900 - Collections du Petit Palais, Paris, du 4 octobre 2007
au 6 janvier 2008. Le Petit Palais (actuellement le Musée des Beaux-Arts
de la ville de Paris) se veut le témoin de deux cultures, bourgeoise
et populaire, diamétralement opposées au tournant du XXe
siècle. L’exposition réunit des tableaux, des aquarelles, des gravures,
des sculptures, des photographies et des objets d’art décoratif tirés
des riches collections du Petit Palais.
On entend malheureusement très
peu parler du Mois de la photo à Montréal. Cet événement, qui aura
lieu du 6 septembre au 21 octobre 2007, est néanmoins d’un très
grand intérêt tant pour les professionnels et artistes que pour les
amateurs de photographie. Pour son 10e anniversaire, il s’organise
autour du thème « Explorations Narratives », élaboré par la commissaire
invitée Marie Frazer. Le Mois de la photo à Montréal 2007 invite
le public à repenser les narrativités de l’image au moyen d’une
trentaine d’expositions solos. De nombreux artistes canadiens seront
au rendez-vous, mais aussi des photographes des États-Unis, de la Chine,
du Royaume-Uni, de la Finlande, du Danemark, de la France, de la Belgique
et de l’Afrique du Sud.
Le Musée canadien des civilisations,
institution culturelle majeure, fête actuellement, et jusqu’au 12
mai 2008, son 150e anniversaire. Né en mai 1856, le musée
a soufflé ses 150 bougies en 2006, mais la fête se poursuit au Salon
William E.-Taylor qui abrite une exposition retraçant l’évolution
de l’institution. Dans le cadre des activités régulières du musée,
il faut surveiller l’exposition Trésors de Chine (jusqu’au
28 octobre 2007) et la venue de Glenn Gould
– La symphonie d’un génie, une exposition spéciale sur le
pianiste, compositeur, réalisateur et écrivain canadien Glenn Herbert
Gould.
Sortir des sentiers battus
Pourquoi ne pas songer à sortir
des sentiers battus dans les mois à venir? Au programme : une visite
surprise à la Société des arts technologiques (SAT), un petit détour
féministe par le Studio XX et un passage obligé aux musées McCord
et Pointe-à-Callière.
Peu connu du grand public, la SAT
occupe plusieurs territoires : de la diffusion à la production, en passant
par la formation. Le calendrier chargé de la SAT propose des expositions
et des spectacles de tendance actuelle et novatrice en tout genre. Un
endroit différent à découvrir – insolite pour certains – afin
de se familiariser avec des œuvres explosives, hybrides ou singulières.
Fondé en 1996, le Studio XX est un centre d’artistes féministes,
engagé à la fois dans l’exploration, la création et la critique
en art technologique. Le studio offre différentes activités de diffusion
et de production. Surveillez le calendrier en ligne pour être au fait
des événements à venir, dont le Festival HTMlles, un événement
biannuel et international d’arts médiatiques.
Les musées McCord et Pointe-à-Callière
vous ouvrent grandes leurs portes sur l’histoire et l’archéologie
montréalaise et canadienne, l’année durant. Le Musée McCord présentera
à partir de septembre Souvenirs d’ici
– L’Album de photographies comme archive particulière, une
exposition qui interroge les usages mémoriels de la photographie au
moyen d’archives personnelles de prêteurs montréalais d’origine
chinoise. Dans un tout autre registre, l’exposition Dévoiler ou
dissimuler? (à partir du 22 février 2008) explorera, sous des
allures provocantes, les perceptions de la pudeur et de l’érotisme
des tenues féminines au fil du temps. Pour souligner son 15e
anniversaire, le Musée de la Pointe-à-Callière présente actuellement
(et jusqu’au 14 octobre 2007) l’exposition Premières nations,
collections royales de France, qui met en valeur quelque 85 objets
choisis parmi les collections amérindiennes du musée du quai Branly
à Paris, une des plus riches collections d’objets amérindiens des
18e et 19e siècles.
Enfin, comment ne pas évoquer
pour le plaisir des amoureux des grands musées parisiens - quoiqu’un
peu à l’avance - le passage du Louvre à Québec à l’occasion
du 400e anniversaire de la ville. Présentée du 5 juin au
26 octobre 2008, l’exposition d’envergure internationale Le Louvre
à Québec - Les arts de la vie, méritera d’être vue. Elle sera
présentée en exclusivité au Musée National des Beaux-Arts du Québec.
Les quelque 274 chefs-d’œuvre qui y figureront, dont beaucoup d’œuvres
majeures, proviennent des huit départements du musée du Louvre : Antiquités
égyptiennes, Antiquités grecques, étrusques et romaines, Antiquités
orientales, Arts de l’Islam, Objets d’art, Peintures, Sculptures
et Arts graphiques. Un rendez-vous incontournable pour les amants des
arts, de la culture et de l’Histoire.
1 Les données qui suivent sont tirées
de l’étude L’État des lieux du patrimoine, des institutions
muséales et des archives, Cahier 1 :
premier Regard, 2006. |
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