Accueil     Sommaire     Article     La Scena Musicale     Recherche   

La Scena Musicale - Vol. 12, No. 7 avril 2007

La pédagogie instrumentale : une tradition tournée vers l’avenir

Par Francis Dubé : Professeur de didactique instrumentale à la Faculté de musique de l’Université Laval / 30 avril 2007


L’étudiant-instrumentiste

L’instrumentiste engagé dans un programme d’études musicales en interprétation souhaite généralement s’imposer comme soliste, chambriste ou accompagnateur sur la scène professionnelle. Rares sont ceux qui aspirent à une carrière pédagogique pendant leur formation à l’université ou au conservatoire. Toutefois, les choses peuvent changer. En fait, les besoins de la scène professionnelle sont si limités qu’une forte majorité de musiciens, aussi doués soient-ils, doivent enseigner pour vivre de leur art. Cette réalité à laquelle sont confrontés les jeunes musiciens crée une situation paradoxale. En effet, ces instrumentistes reçoivent une formation de concertiste alors que, dans les faits, la pédagogie occupe une part substantielle de leurs activités professionnelles. Est-ce que cette faible représentation de la pédagogie instrumentale dans les programmes universitaires serait liée à certaines croyances voulant
que le niveau instrumental de l’étudiant soit le facteur principal de ses aptitudes pédagogiques ?

Chose certaine, bien que le niveau instrumental d’un interprète représente un atout majeur dans l’encadrement d’élèves, cet atout ne suffit pas pour bien préparer l’instrumentiste à résoudre la majorité des problèmes pédagogiques. De même, il est certain que le niveau d’expérience pédagogique de l’instrumentiste bonifie ses qualités d’enseignant. Cependant, l’expérience n’explique pas tout et de nombreux autres facteurs interviennent dans la réussite ou l’échec d’un apprentissage instrumental.

La pédagogie instrumentale

L’enseignement instrumental est essentiellement centré sur l’intuition et l’expérience des professeurs, l’enseignement de grands maîtres, l’utilisation de méthodes d’enseignement - souvent très anciennes - et sur une littérature pédagogique où les auteurs partagent l’essentiel de leurs réflexions. Bref, les professeurs d’aujourd’hui guident la pratique de leur enseignement en puisant et en utilisant des connaissances transmises depuis des générations. C’est ce qui explique, entre autres, que la pédagogie instrumentale repose principalement sur une longue tradition et que l’instrumentiste enseigne, le plus souvent, de la même façon qu’on lui a enseigné. Bien que cette approche semble s’avérer performante, une analyse plus approfondie de la situation laisse planer de sérieux doutes sur son efficacité.

La tradition : les « pour » et les « contre »

Il est certain que cette approche pédagogique est pertinente et
performante pour former des artistes de grand talent. Toutefois, elle perd souvent du galon au moment d’enseigner à des instrumentistes aux facilités moins prodigieuses ou pour accompagner adéquatement la plupart des élèves dans leurs premières années d’apprentissage. Cette approche peut même s’avérer particulièrement inefficace lorsque le professeur doit régler certaines difficultés d’apprentissage qui lui sont plus ou moins familières. Le musicien qui a toujours démontré des facilités techniques aura plus de mal à régler les problèmes techniques de son élève que celui qui a dû s’investir à fond dans l’acquisition de cette habileté pendant sa formation. Bref, pour l’ensemble des difficultés étrangères au professeur, la pédagogie traditionnelle offre bien peu de support. Mais surtout, c’est à ce moment précis que l’instrumentiste prend conscience de son manque de formation pédagogique…une fois ses études terminées.

Le but éducationnel de la musique : une histoire de pédagogie

Lorsque l’on débute l’apprentissage d’un instrument de musique, on songe rarement à une carrière de musicien. Par conséquent, le but premier du pédagogue exerçant son métier en dehors des cégeps, universités et conservatoires n’est pas de former des musiciens de carrière, mais plutôt d’éduquer musicalement par l’apprentissage soutenu d’un instrument de musique. Cette perspective éducationnelle, souvent absente du discours pédagogique instrumental, est d’une extrême importance, et ce, pour diverses raisons. D’abord, il est fondamental de se rappeler que l’apprentissage d’un instrument de musique vise d’abord à développer le goût pour la musique. Ensuite, l’enseignement d’un instrument de musique, à l’aide d’expériences expressives riches de sens, aide l’apprenant à mieux discerner par lui-même la qualité d’une interprétation musicale. Mais surtout, le futur professeur doit savoir communiquer que la musique s’adresse à la vie du sentiment.

La pédagogie instrumentale : son avenir

La recherche en pédagogie ou en didactique instrumentale en est, pour ainsi dire, à son ABC. Un fossé de taille sépare les praticiens des chercheurs. Bien que l’interprète et le pédagogue construisent leur travail dans une démarche de recherche, leurs expériences vécues sur le terrain font très peu l’objet d’observations et d’analyses systématiques. Certaines méthodes d’apprentissage sont utilisées depuis plusieurs décennies sans que leur efficacité soit remise en question. On peut aussi percevoir une certaine méfiance de la part des musiciens face à la culture scientifique. Il est à espérer que
ces deux pôles majeurs de la musique apprennent à s’apprivoiser pour mieux partager leurs forces respectives. Ainsi, la pédagogie
instrumentale arriverait à combler plus aisément l’écart qui la
sépare actuellement des autres sciences éducatives sur le plan de
son développement.

En revanche, la pédagogie instrumentale semble depuis quelques années prendre un nouveau tournant. L’Université d’Ottawa, par exemple, a mis sur pied l’an dernier un laboratoire de recherche d’avant-garde consacré à la pédagogie du piano. Des chercheurs provenant de disciplines variées y étudient, entre autres, diverses problématiques liées à la motivation, la prévention des blessures physiques ou l’apprentissage de la lecture. La Faculté de musique de l’Université Laval fait également figure de proue dans le domaine de la pédagogie instrumentale. En effet, cette faculté de musique est l’une des rares institutions à exiger un cours en pédagogie instrumentale aux étudiants-interprètes de premier cycle. Qui plus est, elle est la seule institution québécoise à offrir un diplôme de maîtrise en didactique instrumentale où le futur professeur est encadré autant sur le plan des connaissances théoriques pédagogiques que sur la pratique de son enseignement. Enfin, cette faculté se distingue tout particulièrement en offrant aux interprètes et aux pédagogues la possibilité de réaliser un doctorat en éducation musicale (Ph.D.) orienté sur la recherche en didactique instrumentale. À titre d’exemple, les étudiants-chercheurs inscrits actuellement à ce programme travaillent sur des problématiques liées à l’improvisation dans l’enseignement instrumental de musiques classiques, l’anxiété de performance chez les musiciens, le transfert des connaissances dans le jeu instrumental de la flûte moderne à la flûte baroque ou sur l’improvisation des pianistes jazz. Ces projets d’avenir démontrent, sans contredit, que la recherche et la musique peuvent aussi faire très bon ménage. n


(c) La Scena Musicale 2002