La pédagogie instrumentale : une tradition tournée vers l’avenir Par Francis Dubé : Professeur de didactique instrumentale à la Faculté de musique de l’Université Laval
/ 30 avril 2007
L’étudiant-instrumentiste
L’instrumentiste engagé dans
un programme d’études musicales en interprétation souhaite généralement
s’imposer comme soliste, chambriste ou accompagnateur sur la scène
professionnelle. Rares sont ceux qui aspirent à une carrière pédagogique
pendant leur formation à l’université ou au conservatoire. Toutefois,
les choses peuvent changer. En fait, les besoins de la scène professionnelle
sont si limités qu’une forte majorité de musiciens, aussi doués
soient-ils, doivent enseigner pour vivre de leur art. Cette réalité
à laquelle sont confrontés les jeunes musiciens crée une situation
paradoxale. En effet, ces instrumentistes reçoivent une formation de
concertiste alors que, dans les faits, la pédagogie occupe une part
substantielle de leurs activités professionnelles. Est-ce que cette
faible représentation de la pédagogie instrumentale dans les programmes
universitaires serait liée à certaines croyances voulant
que le niveau instrumental de l’étudiant soit le facteur principal
de ses aptitudes pédagogiques ?
Chose certaine, bien que
le niveau instrumental d’un interprète représente un atout majeur
dans l’encadrement d’élèves, cet atout ne suffit pas pour bien
préparer l’instrumentiste à résoudre la majorité des problèmes
pédagogiques. De même, il est certain que le niveau d’expérience
pédagogique de l’instrumentiste bonifie ses qualités d’enseignant.
Cependant, l’expérience n’explique pas tout et de nombreux autres
facteurs interviennent dans la réussite ou l’échec d’un apprentissage
instrumental.
La pédagogie instrumentale
L’enseignement instrumental
est essentiellement centré sur l’intuition et l’expérience des
professeurs, l’enseignement de grands maîtres, l’utilisation de
méthodes d’enseignement - souvent très anciennes - et sur une littérature
pédagogique où les auteurs partagent l’essentiel de leurs réflexions.
Bref, les professeurs d’aujourd’hui guident la pratique de leur
enseignement en puisant et en utilisant des connaissances transmises
depuis des générations. C’est ce qui explique, entre autres, que
la pédagogie instrumentale repose principalement sur une longue tradition
et que l’instrumentiste enseigne, le plus souvent, de la même façon
qu’on lui a enseigné. Bien que cette approche semble s’avérer
performante, une analyse plus approfondie de la situation laisse planer
de sérieux doutes sur son efficacité.
La tradition : les « pour » et les
« contre »
Il est certain que cette
approche pédagogique est pertinente et
performante pour former des artistes de grand talent. Toutefois, elle
perd souvent du galon au moment d’enseigner à des instrumentistes
aux facilités moins prodigieuses ou pour accompagner adéquatement
la plupart des élèves dans leurs premières années d’apprentissage.
Cette approche peut même s’avérer particulièrement inefficace lorsque
le professeur doit régler certaines difficultés d’apprentissage
qui lui sont plus ou moins familières. Le musicien qui a toujours démontré
des facilités techniques aura plus de mal à régler les problèmes
techniques de son élève que celui qui a dû s’investir à fond dans
l’acquisition de cette habileté pendant sa formation. Bref, pour
l’ensemble des difficultés étrangères au professeur, la pédagogie
traditionnelle offre bien peu de support. Mais surtout, c’est à ce
moment précis que l’instrumentiste prend conscience de son manque
de formation pédagogique…une fois ses études terminées.
Le but éducationnel de la musique
: une histoire de pédagogie
Lorsque l’on débute l’apprentissage
d’un instrument de musique, on songe rarement à une carrière de
musicien. Par conséquent, le but premier du pédagogue exerçant son
métier en dehors des cégeps, universités et conservatoires n’est
pas de former des musiciens de carrière, mais plutôt d’éduquer
musicalement par l’apprentissage soutenu d’un instrument de musique.
Cette perspective éducationnelle, souvent absente du discours pédagogique
instrumental, est d’une extrême importance, et ce, pour diverses
raisons. D’abord, il est fondamental de se rappeler que l’apprentissage
d’un instrument de musique vise d’abord à développer le goût
pour la musique. Ensuite, l’enseignement d’un instrument de musique,
à l’aide d’expériences expressives riches de sens, aide l’apprenant
à mieux discerner par lui-même la qualité d’une interprétation
musicale. Mais surtout, le futur professeur doit savoir communiquer
que la musique s’adresse à la vie du sentiment.
La pédagogie instrumentale : son
avenir
La recherche en pédagogie ou en didactique
instrumentale en est, pour ainsi dire, à son ABC. Un fossé de taille
sépare les praticiens des chercheurs. Bien que l’interprète et le
pédagogue construisent leur travail dans une démarche de recherche,
leurs expériences vécues sur le terrain font très peu l’objet d’observations
et d’analyses systématiques. Certaines méthodes d’apprentissage
sont utilisées depuis plusieurs décennies sans que leur efficacité
soit remise en question. On peut aussi percevoir une certaine méfiance
de la part des musiciens face à la culture scientifique. Il est à
espérer que
ces deux pôles majeurs de la musique apprennent à s’apprivoiser
pour mieux partager leurs forces respectives. Ainsi, la pédagogie
instrumentale arriverait à combler plus aisément l’écart qui la
sépare actuellement des autres sciences éducatives sur le plan de
son développement.
En revanche, la pédagogie instrumentale
semble depuis quelques années prendre un nouveau tournant. L’Université
d’Ottawa, par exemple, a mis sur pied l’an dernier un laboratoire
de recherche d’avant-garde consacré à la pédagogie du piano. Des
chercheurs provenant de disciplines variées y étudient, entre autres,
diverses problématiques liées à la motivation, la prévention des
blessures physiques ou l’apprentissage de la lecture. La Faculté
de musique de l’Université Laval fait également figure de proue
dans le domaine de la pédagogie instrumentale. En effet, cette faculté
de musique est l’une des rares institutions à exiger un cours en
pédagogie instrumentale aux étudiants-interprètes de premier cycle.
Qui plus est, elle est la seule institution québécoise à offrir un
diplôme de maîtrise en didactique instrumentale où le futur professeur
est encadré autant sur le plan des connaissances théoriques pédagogiques
que sur la pratique de son enseignement. Enfin, cette faculté se distingue
tout particulièrement en offrant aux interprètes et aux pédagogues
la possibilité de réaliser un doctorat en éducation musicale (Ph.D.)
orienté sur la recherche en didactique instrumentale. À titre d’exemple,
les étudiants-chercheurs inscrits actuellement à ce programme travaillent
sur des problématiques liées à l’improvisation dans l’enseignement
instrumental de musiques classiques, l’anxiété de performance chez
les musiciens, le transfert des connaissances dans le jeu instrumental
de la flûte moderne à la flûte baroque ou sur l’improvisation des
pianistes jazz. Ces projets d’avenir démontrent, sans contredit,
que la recherche et la musique peuvent aussi faire très bon ménage. n |
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