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La Scena Musicale - Vol. 12, No. 7 avril 2007

Une musique révélatrice de la force

Par Gabor Csepregi / 30 avril 2007


Comment avez-vous connu Zoltán Kodály ?

J’avais cinq ans lorsque j’ai vu Kodály pour la première fois. Mes parents m’ont emmené à un concert qui avait lieu à la grande salle de l’Académie de musique de Budapest. Le Psalmus Hungaricus de Kodály était au programme. Le compositeur était présent et a été ovationné par le public. Mon père m’a alors dit : « Regarde-le bien, il est le plus célèbre des compositeurs hongrois ».

Plus tard, à l’école, notre professeur de musique a organisé un concours de solfège. Fier de ses meilleurs élèves, il a invité Kodály comme président du jury. J’ai eu la gorge serrée et un grand trac lorsque mon tour est venu. Mais je me suis assez bien débrouillé. Kodály, peu loquace, n’a pas dit mot (dans son cas, c’était l’équivalent d’un éloge !), mais j’ai reçu le premier prix, dont je suis encore fier après tant d’années.

À la fin de mes études au conservatoire, à mon concert d’examen et à d’autres concerts que j’ai dirigés au début de ma carrière, Kodály m’a honoré de sa présence. Je le rencontrais aussi presque tous
les jours à la piscine.

Pourriez-vous nous décrire sa personnalité ?

Kodály était un homme d’une grande intégrité. Il n’a jamais fait de concessions, ni pendant l’occupation allemande, ni durant les longues années de l’occupation russe.

C’était un homme généreux. Une fois, il m’a donné une grande quantité de partitions de sa Missa Brevis. Lorsque je lui ai demandé quel était le prix, il m’a répondu : « Chantez-la bien, c’est le prix. » Il aidait les pauvres musiciens qui n’avaient pas de salaire décent. Il leur offrait un treizième mois de salaire. Il leur achetait un instrument ou leur payait même un petit logement s’ils étaient vraiment dans le besoin.

Pourriez-vous dire quelques mots de vos visites chez les Kodály les samedis après--midi ?

J’ai eu la chance de rendre visite aux Kodály tous les samedis après-midi pendant trois ans, en compagnie de quelques-uns de mes confrères du Conservatoire Béla Bartók. Nous y chantions toutes sortes de musiques. Nous causions de mille et un sujets. Parfois, nous déchiffrions l’une de ses nouvelles œuvres avant sa publication. Les discussions sur la musique ou sur la situation difficile de la Hongrie durant le régime communiste nous passionnaient toujours.

Avez-vous eu l’occasion d’échanger avec le maître ?

Comme je l’ai déjà mentionné, Kodály était peu loquace. Mais toutes les fois qu’il nous adressait la parole, c’était pour nous une révélation. Les échanges portaient sur divers sujets : la voix humaine, les chorals de Bach-parfois avec une manifestation, si discrète soit-elle, de sa foi, des réflexions sur l’histoire de la Hongrie, ou bien encore des allusions à sa correspondance professionnelle. Je lui racontais des blagues sarcastiques sur les communistes et il répliquait dans le même sens, avec un humour noir.

Peu avant sa mort, Kodály m’a montré une lettre qu’il avait reçue de l’Université de Santiago du Chili, en espagnol, en me disant que je pouvais la comprendre avec ma connaissance du français et du latin ! On lui demandait de recommander un professeur de musique. Après tant d’années, je suis encore très fier qu’il ait pensé à moi.

Comment pourriez-vous caractériser l’art musical de Kodály ?

Dans la diversité du style des compositeurs du XXe siècle, celui de Kodály est unique. Ce style s’est alimenté à deux sources : celle du folklore hongrois et celle de la musique de Debussy. Enraciné dans la musique tonale, son univers mélodique et harmonique est une immense synthèse de la tradition et de l’innovation. Une sorte de diatonisme coloré et une richesse harmonique caractérisent son style qui se distingue de ceux de ses contemporains.

Quelle est l’influence de Kodály sur vos activités de chef d’orchestre ?

Un musicien-interprète du XXe ou du XXIe siècle doit connaître
un vaste répertoire des époques baroque, classique, romantique
et contemporaine. Certains cherchent à se spécialiser dans un seul style. D’autres préfèrent se familiariser avec la musique venant
de toutes les époques.

Pourtant, les interprètes aussi bien que les mélomanes peuvent avoir un choix de prédilection de quelques compositeurs avec lesquels ils s’identifient le plus. En ce qui me concerne, les musiques de Schubert et de Kodály sont pour moi des livres ouverts. Lorsque je me mets à lire les pages de ces partitions, j’ai l’impression d’y trouver des idées comme si elles étaient miennes.

En effet, j’ai souvent dirigé des œuvres orchestrales de Kodály, aussi bien ses opéras en version concert que ses œuvres chorales.

Ce serait une erreur de prétendre qu’un chef hongrois dirige mieux la musique d’un compositeur hongrois. Mais il est vrai que la langue musicale commune de l’auteur et de son interprète fait vibrer davantage les cordes de ce dernier.

À la lumière de l’œuvre de Kodály, quelle est votre propre philosophie de l’art et de la vie ?

Mon ars poetica est identique à ce que le grand poète Gyula Illyés, traduit en français par Miklós Bornemissza, a écrit dans son poème Introduction à un concert de Kodály :

de cette profondeur orchestrale déborde,

mais non pas la plainte,

cela vous surprend, non, non, pas la plainte,

mais plutôt la force,

la force, comme des racines profondes,

cette force nourrie par le passé, qui

pour toi engage le combat, avenir :

éternelle vie.

grâce à toi, nous sommes unis

et celui même qui ne chante pas,

sent que l’on peut trouver l’harmonie libre

de l’Existence, quelque part.


(c) La Scena Musicale 2002