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La Scena Musicale - Vol. 12, No. 6 March 2007

Critiques/Reviews

March 31, 2007


Politique de critique : Nous présentons ici tous les bons disques qui nous sont envoyés. Comme nous ne recevons pas toutes les nouvelles parutions discographiques, l’absence de critique ne présume en rien de la qualité de celles-ci. Vous trouverez des critiques additionnelles sur notre site Web www.scena.org.

Review Policy: While we review all the best CDs we get, we don’t always receive every new release available. Therefore, if a new recording is not covered in the print version of LSM, it does not necessarily imply that it is inferior. Many more CD reviews can be viewed on our Web site at www.scena.org.

HHHHHH indispensable / a must!

HHHHHI excellent / excellent

HHHHII très bon / very good

HHHIII bon / good

HHIIII passable / so-so

HIIIII mauvais / mediocre

$ < 10 $

$$ 10–15 $

$$$ 15–20 $

$$$$ > 20 $

Critiques / Reviewers

AL Alexandre Lazaridès

CPP Catherine Paiement-Paradis

GB Guy Bernard

IP Isabelle Picard

PG Philippe Gervais

PMB Pierre Marc Bellemare

RB Réjean Beaucage

Disque du mois

Les Grands Classiques d’Edgar

XXI-21, OCT 3326 (6 CD)

HHHHHI $$$$

Assurément, voilà un coffret qui fera la joie de beaucoup d’auditeurs. Avec grand soin, Edgar Fruitier a réuni sur six disques plus de 70 œuvres qu’il aime, des Barricades mystérieuses de Couperin à l’Adagio de Barber. Comme dans tout bon Best of, le plaisir est ici avant tout dans la reconnaissance de musiques devenues célèbres, certaines grâce au cinéma, ou même à la publicité… Toutefois, aux côtés de nombreux incontournables (Casta Diva, la Valse des fleurs, la Danse du feu, le Boléro), on découvrira aussi quelques choix plus personnels (deux pièces de Rameau, un extrait d’un poème symphonique de Smetana). Un regret, cependant : en raison des droits de reproduction, aucun des enregistrements retenus n’est postérieur à 1957, si bien qu’on ne trouvera rien, sur ces disques, de la création contemporaine ou du renouveau de la musique ancienne sur instruments d’époque. Mélomanie traditionnelle, donc, essentiellement centrée sur le dix-neuvième et le début du vingtième siècle, qui ne reflète, par la force des choses, qu’une partie des goûts éclectiques d’Edgar Fruitier. Mais tant d’artistes légendaires au sommet de leur art se donnent ici rendez-vous (Gould, Fischer-Dieskau, Kempf, Callas), qu’on aurait bien tort de se plaindre, d’autant que la qualité technique des enregistrements, dans la plupart des cas, ne trahit pas leur âge. Ajoutons que le coffret bénéficie d’une présentation soignée, et s’accompagne d’une galerie de photos de la plupart des interprètes.

Philippe Gervais

Musique vocale

Bach

Cantatas vol. 33

Yukari Nonoshita, soprano ; Robin Blaze, contre-ténor ; Jan Kobow, ténor ; Dominik Wörner, basse ; Bach Collegium Japan / Masaaki Suzuki

BIS, SACD-1541 (74 min 12 s)

HHHHHI $$$$

Tout le bien possible a déjà été dit sur cette entreprise exceptionnelle. On est (encore !) ébahi par la justesse du ton, la perfection des architectures, la beauté des voix, la cohésion instrumentale de l’ensemble de M. Suzuki, et par la profonde humanité de sa vision artistique. La BWV 41 contient l’un des plus imposants chœurs d’introduction de la production de Bach. Il est ici réalisé avec un souffle et un soutien des arcs dialectiques qui imposent le respect. Suzuki réussit à être monumental sans jamais sombrer dans le « ompiérisme ». La BWV 92 est en contraste avec la première. Plus retenue, elle exprime un souci d’intimité et de dialogue personnel avec le Créateur. Dans la BWV 130, on renoue avec le grandiose, car l’œuvre fut composée pour la fête de la St-Michel en 1725. La basse Peter Kooij laisse ici la place à Dominik Wörner, plein de fraîcheur et d’énergie. Un autre joyau dans la couronne !

Frédéric Cardin

Beethoven

Fidelio - Two Met Performances. 1941-1951

Avec Kirsten Flagstad, sous la direction de Bruno Walter.

Restoration sonore : Ed Wilkinson. Notes d’Arthur Bloomfield.

West Hill Radio Archives, WHRA-6008 (4 CD)

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Un gouffre sépare ces deux radiodiffusions de Fidelio au Metropolitan, entre 1941 et 1951 : la Seconde Guerre mondiale. Ajoutons-y la tragédie de Flagstad, ainsi que la présence de Walter qui avait fui l’Allemagne nazie, pour compléter un tableau poignant auquel l’oeuvre de Beethoven ne peut que conférer un éclairage à la fois lumineux et dramatique. Le 22 février 1941, quelques mois avant que les États-Unis n’entrent en guerre, tout semble assez « normal » au Met, si on excepte la présence de Walter comme « objecteur de conscience » envers Hitler. Le grand air de Leonore, à l’acte premier, « Abscheulicher », est d’une splendeur inégalée, de même que le célèbre chœur des prisonniers. À noter, pour le personnage de Rocco, le chant vibrant de la basse russe Alexander Kipnis, un des grands Boris de sa génération. Moins connu aujourd’hui, le ténor belge René Maison joue (quoique avec une voix un peu blanche) un Florestan vigoureux et héroïque. Bruno Walter dirige avec un doigté subtil jusque dans les moindres pianissimi. Sous sa direction, comment ne pas comprendre le chant de la liberté de Fidelio comme un poing levé contre le IIIe Reich ? L’ouverture Leonore III au deuxième acte en témoigne.

Peu après cette radiodiffusion, la tragédie de Flagstad. La cantatrice décide de rejoindre son mari en Norvège, où ce dernier est collaborateur des Nazis. Bien que la cantatrice n’ait jamais chanté devant l’occupant allemand, quand elle revient aux États-Unis après la guerre, une levée de boucliers survient à son endroit. Ni le directeur du Met, Edward Johnson, ni son célèbre collègue Lauritz Melchior ne se portent à la défense de Flagstad. Il faut attendre le nouveau patron, Rudolph Bing, celui-là même qui osera faire entrer au Met la cantatrice Afro-américaine Marian Anderson, pour aider Flagstad à réintégrer le plateau de New York où elle s’était illustrée depuis 1935. Bruno Walter épaule aussi Flagstad, en refusant de « s’allier aux forces de destruction » opposées à la réconciliation. Le 10 mars 1951, les deux apparaissent de nouveau dans Fidelio à la radio du Met. Bien qu’encore en monophonie, la qualité de cette captation sur le vif est supérieure à la précédente. Flagstad est chaleureusement applaudie à son entrée. Sa voix est encore superbe et lumineuse, plus chaude dans les graves. Solides prestations aussi de Nadine Connor (Marzelline), de Set Svanholm (Florestan) et de Dezsö Ernster (Rocco). La direction de Walter se hisse jusqu’à la transcendance et place ce Fidelio au niveau des archives sonores à valeur historique. Cette édition conserve les commentaires de l’animateur new-yorkais Milton Cross, les applaudissements et les cris de joie, les meilleurs réservés à Flagstad. Réal La Rochelle

Read Thomas

Prairie Sketches

Tony Arnold, soprano ; Amy Briggs Dissanayake, piano ; Callisto Ensemble / Cliff Colnot

ART, artcd 19912005 (73 min 18 s)

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Augusta Read Thomas est l’un des compositeurs états-uniens les plus respectés. Son langage est celui d’une certaine avant-garde américaine (Bubble Rainbow, pour soprano et orchestre de chambre, écrite pour le 95e anniversaire d’Elliot Carter, démontre bien ses allégeances). L’étendue des ressources dont elle fait preuve pour explorer les plus infimes motifs musicaux, ou rythmiques, la place bien au-dessus de (trop) nombreux tâcherons qui encombrent les couloirs de la musique contemporaine. Les Rumi Settings, inspirés de textes du poète persan du 13e siècle, sont lyriques et passionnés. Les 6 Piano Etudes sont groupées en trois paires de pièces reliées par une même préoccupation musicale. Chaque membre de la dyade est le revers de l’autre, comme dans un miroir. Deux pièces pour violon solo, Pulsar et Incantation, repoussent habilement les frontières du répertoire de cet instrument. Prairie Sketches, est un superbe hommage aux grands espaces de l’ouest, à travers le déroulement d’une journée entière dans la vie de cet austèr paysage. FC

Verdi

Nabucco

Alan Opic, Susan Patterson, Leonardo Capalbo, Alastair Miles, Jane Irwin.

Opera North Orchestra and Chorus / David Parry (2006)

Chandos, CHAN 3136 (2 CD : 2 h 9 min)

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La Grande-Bretagne est l’un des rares pays où l’intérêt d’une partie du public pour l’opéra chanté dans le vernaculaire demeure suffisant pour maintenir sur pied toute une compagnie qui ne produit que des spectacles en anglais, soit l’English National Opera (ENO). La cause bénéficie également de la munificence de la Peter Moores Foundation, qui, depuis plusieurs années maintenant, subventionne généreusement non seulement plusieurs de ces productions, mais aussi toute une série d’enregistrements qui paraissent régulièrement sous l’étiquette Chandos. Le présent enregistrement de Nabucco est typique de cette série, au sens où les chanteurs qui forment la distribution comptent parmi les meilleurs interprètes britanniques actuels de l’oeuvre. Ils sont dirigés par le maestro David Parry, comme c’est généralement le cas de ces gravures. L’enregistrement en question procède d’une série d’opéras-concerts montée par Opera North, jadis une succursale provinciale de l’ENO, depuis émancipée, mais qui a su conserver un préjugé favorable, quoique non exclusif, pour le vernaculaire. La traduction utilisée, signée Tucker et Hammond, est une réussite dans la mesure où la langue anglaise parvient mieux que ce n’est habituellement le cas à se couler dans la ligne vocale du belcanto romantique italien.Pierre-Marc Bellemare

Vivaldi

Heroes

Philippe Jaroussky, contre-ténor ; Ensemble Matheus / Jean-Christophe Spinosi

Virgin, 00946 363414 2 2 (63 min 15 s)

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Pour son premier disque solo avec orchestre, Philippe Jaroussky nous propose son choix d’airs d’opéras de Vivaldi, tout comme l’avait fait il y a quelques années Cecilia Bartoli, sur un album devenu célèbre (60 000 exemplaires vendus à ce jour !). Les airs qu’avait retenus la diva, avouons-le, étaient peut-être plus accrocheurs, et surtout plus richement orchestrés que ceux qu’on nous présente ici. Néanmoins, au fil des écoutes se dévoile tout le charme de cette nouvelle anthologie, souvent teintée de mélancolie : Jaroussky se sait à l’aise dans ce registre, où il ose des pianissimi proprement miraculeux. Moins nombreux, les passages virtuoses impressionnent tout autant : énergiquement soutenu par un orchestre avec lequel il a souvent travaillé en concert, le chanteur fait preuve d’une agilité déconcertante et montre plus d’intensité dramatique qu’à ses débuts, même si son timbre manque encore parfois de rondeur. Quelques airs figuraient déjà, interprétés par d’autres voix, dans l’intégrale en cours des opéras de Vivaldi, mais la comparaison tourne presque invariablement en faveur de Jaroussky, décidément l’un des meilleurs défenseurs de ce répertoire. PG

Wagner

Die Walküre

Robert Gambill, Attila Jun, Jan-Hendrik Rootering, Angela Denoke, Renate Beble, Tichina Vaughan.

Staatsoper and Staatsorchester Stuttgart / Lothar Zagrosek

Naxos, 8.660172-74 (3 h 44 min)

HHHHII $$$$

Cet enregistrement, qui fait partie d’une nouvelle intégrale de L’Anneau sur Naxos, tire son origine d’une production, très remarquée et très controversée, du cycle que l’Opéra Stuttgart a montée en 1999/2000. À ce titre, ces mêmes gravures sont également disponibles en sept DVD, sous étiquette TDK. Si les audaces des mises en scène d’avant-garde ne vous font pas peur, vous songerez peut-être à vous procurer la version vidéo. Autrement vous préférerez sans doute vous en tenir à l’audio. La conception symphonique saisissante de l’oeuvre que se fait Lothar Zagrosek, un chef très estimé dans le monde germanique, y est admirablement bien servie par une prise de son extrêmement soignée. La distribution est d’une qualité plus inégale. On y retrouve une étoile montante (Gambill) et deux vétérans chevronnés (Denoke, Rootering) dont les instruments accusent un certain déclin. Ils sont solidement épaulés, mais sans plus, par Jun et Behle. Curieusement, la prestation qui, pour les mordus de Wagner, fera tout le prix de ce nouvel enregistrement est celle de Tichina Vaughan, dans le rôle relativement mineur de Fricka. Elle est exceptionnelle. Pas de livret, mais un synopsis détaillé. PMB

La tragédienne

Mireille Delunsch, soprano

Timpani (63 min 13 s)

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Mireille Delunsch est une figure controversée du chant lyrique. Alors que certains la portent aux nues, d’autres la critiquent sévèrement pour ses interprétations controversées de certains grands rôles à l’opéra dans les dernières années. Si vous êtes de ceux qui appréciez une artiste qui s’implique totalement dans l’univers musical et poétique qu’elle a choisi d’interpréter, vous aimerez cette soprano au timbre chaleureux, au phrasé fluide et à la puissance vocale remarquable. Cette compilation d’enregistrements de la soprano, permet de faire non seulement la découverte d’une artiste stimulante et passionnée, mais aussi d’un répertoire qui sort des sentiers battus, tels les Psaumes pour soprano et orchestre d’Ernest Bloch, ou des extraits de l’opéra Le Pays de Ropartz. Les deux sommets du disque sont les trois mélodies de Duparc (L’invitation au voyage, Romance de Mignon, Chanson triste) et ces œuvres moins connues de Louis Vierne, trois morceaux de Spleens et détresse ainsi que quatre extraits des Poèmes de l’amour. Magnifiques exemples d’une complémentarité exceptionnelle entre une soprano et un pianiste qui en font resplendir les moindres détours, ces délices de la mélodie française vous laisseront littéralement pantois par leur puissance émotive. FC

Musique instrumentale

De Visée

The complete works for guitar

David Jacques, guitare

Disques XXI, 2 1530 (3 CD : 216 min 12 s)

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En enregistrant l’intégral des œuvres pour guitare de Robert de Visée, David Jacques et les Disques XXI viennent de frapper un grand coup! Les deux livres de pièces pour la guitarre du Maître de guitarre de Louis XIV sont deux recueils important tant au niveau pédagogique que musical. La guitare ne connaissait pas de grands succès en France avant le règne du Roi Soleil, qui lui redonnât ses lettres de noblesse. Ce coffret est probablement le meilleur outil musicologique qui nous ait été donné pour imaginer l’ambiance à Versailles lorsqu’il était à la mode chez les courtisans de jouer les œuvres de Visée. À noter également que, par souci d’authenticité, David Jacques joue sur une guitare à cinq chœurs fabriquée par le luthier montréalais Claude Guibord et qui respecte la facture de l’époque. Tout y est pour qu’on applaudisse haut et fort l’excellent travail qui aura mené à la réalisation de cet enregistrement. Le prodigieux et prolifique musicien qu’est David Jacques poursuit actuellement ses études en interprétation dans un programme de doctorat en guitare baroque. Mario Felton-Coletti

Delalande

Les folies de Cardenio

Ensemble Baroque de Limoges / Christophe Coin

Laborie, LC 01 (55 min)

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Michel-Richard Delalande va, après Lully, prendre en charge toute la musique de la Cour de France. C’est dans ce contexte qu’il écrira la plupart des œuvres scéniques figurant à son catalogue. Bien que ce soit pour ses très beaux motets que l’on reconnaît la qualité de ce compositeur, ces œuvres de « divertissement », dansées par le Roi lui-même, nous présentent un orchestrateur habile, parfois ingénieux, et qui possède un sens inné du rythme et de la mélodie. Pour ceux qui ne l’auront pas encore deviné, le Cardenio de l’histoire est ce personnage secondaire du Don Quichotte de Cervantès, qui part à la recherche de sa promise, la belle Lucinde, enlevée par un rival. La musique de Delalande est entièrement dans la lignée de celle de Lully. Les numéros dansants s’enchaînent rondement, sans laisser l’ombre d’un moment d’ennui planer. Tout ceci grâce en majeure partie au travail passionné de Christophe Coin et ses musiciens qui dynamisent cette musique de façon très vivifiante. Un « divertissement » certes, mais dans le sens le plus noble du terme. Quoi de mieux au moment où la grisaille hivernale nous semble s’éterniser? FC

Elfman

Serenada Schizophrania

Orchestre dirigé par John Mauceri

Sony Classical, 82876897802 (45 min 12 s)

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L’univers de Danny Elfman est à nul autre pareil. Spécialiste des fantaisies gothico-romantiques du cinéma de Tim Burton (Batman, Edward Scissorhands, Nightmare Before Christmas, etc.) et récemment auteur des vibrantes partitions pour les deux Spider-Man, Elfman est un créateur qui invente des décors uniques pour tous les projets auxquels il s’associe. Son langage est fait d’un mariage très personnel entre les ténèbres et la lumière, entre une constante urgence rythmique et un discours de dimension épique, entre un romantisme mélodique et un recours fréquent à une dissonance
enracinée harmoniquement dans la pop et le jazz. Cette Serenada Schizophrania, première œuvre de grande dimension écrite pour le concert par le compositeur de 53 ans, est tout à fait dans la lignée de cette plume
hallucinée. La pulsion est souvent frénétique, mais le développement orchestral ne se limite pas à « habiller » cette agitation, comme certains minimalistes le font. Non, chez Elfman, la surexcitation est la condition essentielle à l’apparition d’un état d’hallucination délirante. L’orchestre est la porte d’entrée vers un univers profondément extravagant qui ne sombre jamais dans le pessimisme morbide. FC

Ginastera

Panambi ; Estancia (Complete Ballets)

Luis Gaeta, narrateur / baryton-basse ; London Symphony Orchestra / Gisèle Ben-Dor

Naxos, 8.557582
(72 min 32 s)

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Heureuse initiative que cette réédition d’un disque Conifer paru il y a quelques années, car il s’agit d’un document fascinant et essentiel de deux œuvres monumentales. Ginastera (1916-1983) est le plus grand compositeur argentin du 20e siècle, l’équivalent, en moins prolifique, de Villa-Lobos au Brésil, ou Revueltas au Mexique. Panambi est la composition d’un jeune homme (21 ans !), et plaira à tous ceux qui admirent le Stravinski de l’Oiseau de Feu et du Sacre, le Bartok du Concerto pour Orchestre, ou le Falla des partitions scéniques. C’est une composition imprégnée du « primitivisme » cher aux artistes de la première moitié du 20e siècle et propulsée par une rythmique robuste. L’histoire, basée sur une légende Guarani, est amenée à la vie par une orchestration brillante et somptueuse. Estancia, œuvre plus tardive, ne déroge pas beaucoup de l’esthétique de Panambi, sauf pour des accents « impressionnistes » plus avoués, rendus nécessaires par le sujet, un panorama de la fabuleuse pampa argentine. Une magnifique production. FC

Hovhaness

Lars Ranch, trompette ; David Leisner, guitare ; Berlin Radio Symphony Orchestra / Gerard Schwarz

Naxos, 8.559294 (73 min 30 s)

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De son vivant vilipendé, méprisé et moqué par l’establishment musical contemporain, le compositeur américain Alan Hovhaness (1911-2000) sera peut-être reconnu, avant longtemps, comme l’une des voix les plus originales du 20e siècle. Il est déjà l’un des plus joué dans les salles de concert américaines, et de plus en plus en Europe. Son langage, simple en apparence, comprend de surprenantes richesses pour ceux qui daigneront y porter attention. Le mélange unique d’Orient et d’Occident (dû sans doute à ses origines à la fois arméniennes et écossaises) ainsi que d’ancien et de moderne en font littéralement un précurseur d’une certaine fusion internationale, ainsi que d’un mouvement d’interpénétration des différentes cultures musicales (populaire/savante, traditionnelle/moderne). Khrimian Hairig, pour trompette et cordes, est une superbe méditation élégiaque et intemporelle. Le Concerto pour guitare est de nature romantique, tout en faisant appel à des éléments de musique indienne. La création de la Symphonie ayant été honteusement bâclée par un chef négligeant, c’est ici la première « véritable » performance de cette œuvre épique et grandiose. Gerard Schwarz est un chef éminent. Le respect qu’il voue à cette musique, et qu’il communique aux berlinois, transporte ces oeuvres à des sommets de beauté et d’intensité. Un must. FC

Panufnik

Igor Cechoco, trompette ; Hanna Turonek, flûte ; Polish Chamber Orchestra / Mariusz Smolij

Naxos, 8.570032
(57 min 58 s)

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Sir Andrej Panufnik (1914-1991), compositeur polonais naturalisé britannique en 1961, a connu presque toutes les affres de la vie au 20e siècle. Seconde Guerre mondiale (où il se lia avec Lutoslawski, en plus d’écrire de nombreuses chansons de résistance), dictature communiste, pauvreté, etc. Heureusement, la sienne est une histoire qui se termine bien, avec la reconnaissance et les honneurs. Bien qu’il fut considéré comme le père de l’avant-garde polonaise, après l’avènement de la doctrine du Réalisme Socialiste dans les pays communistes (qui rejetait à peu près toute forme de modernité artistique) et son départ de la Pologne en 1954, son langage s’adoucit. C’est entre 1947 et 1966 que Panufnik composa ces petites digressions musicales inspirées d’un passé musical plutôt ténu, mais idéalisé. À part l’Hommage à Chopin, seule pièce à exprimer un tant soit peu de modernité harmonique, tout le répertoire présent sur ce disque est écrit dans le style qui a rendu célèbre les Airs et Danses Anciens de Respighi. C’est tout aussi agréable, et pour le prix Naxos, une découverte dont il ne faudrait pas se priver. FC

Rorem

Double Concerto for Violin and Cello; After Reading Shakespeare (for solo cello)

Jaime Laredo, violon ; Sharon Robinson, violoncelle ; IRIS Orchestra / Michael Stern

Naxos, 8.559316 (54 min 14 s)

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Ned Rorem (né en 1923) est peut-être le plus grand compositeur contemporain de mélodies, un art qui s’est largement perdu. Il est cependant beaucoup moins reconnu pour ses partitions orchestrales. Nous avons droit ici au Double Concerto, créé en 1998. Cette œuvre qui s’écarte de la structure concertante habituelle avec ses huit mouvements (elle a quelque chose de la suite baroque), fait appel à des sonorités qui rappellent un peu le jazz, ou une sorte de néo-romantisme expressionniste. Bien que fort adroitement écrite, son lyrisme grinçant ne soutient pas autant l’intérêt que les partitions vocales du compositeur américain. After Reading Shakespeare, contrairement au Concerto, nage en plein dépouillement. La solitude imposée au violoncelle convient mieux à l’expression de la sensibilité du compositeur. Très près de la voix humaine, le violoncelle se fait tour à tour touchant et bouleversant. Voici donc un artiste pour qui la sobriété est la source d’un épanouissement plus achevé. FC

New Works for Flute and Harp

Lorna McGhee, flute ; Heidi Krutzen, harpe

Skylark, SKY0603 (68 min 44 s)

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Il y a plusieurs belles rencontres à faire sur ce joli disque. La Sonate pour flûte et harpe de Marjan Mozetich (né en 1948) est enracinée dans une forme de néo-impressionnisme teinté de romantisme. Jocelyn Morlock (né en 1969) a créé dans son Vespertine un nocturne contemplatif traitant de la beauté mystérieuse de la faune qui s’active après l’avènement du crépuscule. Song and Dance de Milton Barnes (1931-2001) est inspiré par la technique des chants inuits, alors que Wild Bird de R. Murray Schafer (né en 1933) est un hommage à un oiseau prisé par les légendes amérindiennes pour ses qualités magiques et mystérieuses : le corbeau. Schafer utilise tout l’éventail des techniques d’interprétation contemporaine de la flûte, mais dans un contexte non dogmatique, axé sur la création d’un univers chatoyant de magie et d’émerveillement. Dans Magical Song and Dance de Paul Armanini (né en 1952) la harpe solo imite des sonorités diverses comme le xylophone. Canzone di Petra de Owen Underhill (né en 1954) est inspiré de Dante, alors que Woofin’ the Cat est un arrangement de pièces traditionnelles des Maritimes. Superbe maîtrise des deux solistes. Un hommage à la diversité canadienne. FC

Musique contemporaine

Wolf

Après moi le déluge

Matt Haimovitz, violoncelle ; University of Wisconsin-Madison Concert Choir ; Ensemble contemporain de Montréal / éronique Lacroix

Oxingale Records, OX2009 (71 min 47 s)

HHHHII $$$$

La pièce titre est un concerto pour violoncelle et chœur, combinaison pour le moins inusitée, mais qui, sous la plume de Luna Pearl Wolf, devient parfaitement naturelle. L’œuvre est composée sur un texte d’Eleonor Wilner inspiré de la désolation qui a submergé la Louisiane après le passage de l’ouragan Katrina, ce qui permet d’évoquer une grande variété d’émotions. Le soliste a aussi l’occasion de déployer sa virtuosité et son éclectisme, allant jusqu’à taquiner le blues dans le dernier mouvement. C’est cependant Orpheus on Sappho’s Shore qui occupe la plus grande partie du disque. Il s’agit d’un « opératorio » à deux personnages, personnifiés par la soprano Julieanne Klein et le ténor Michiel Schrey, soutenus par l’ECM placé comme à son habitude sous la direction précise de Véronique Lacroix. On déplore une prise de son un peu lointaine, qui émousse les aspérités de la musique. On a néanmoins ici deux voix fortes et un ensemble qui rend la musique de Luna Pearl Wolf avec un bel engagement. Réjean Beaucage

Strange Imaginary Animals

Eighth Blackbird

Cedille, CDR 9000 094 (71 min 57 s)

HHHHHI $$$$

Sixième enregistrement pour le sextuor de Chicago Eighth Blackbird, un nom qui, comme l’ensemble qu’il désigne, est original et ne manque pas d’humour. On trouve ici les œuvres de quatre compositeurs : Jennifer Higdon, dont la très percussive Zaka est extrêmement énergique ; le Canadien Gordon Fitzell dont la pièce violence est toute en retenue, et dont evanescence voit l’ensemble se fondre de façon très homogène dans un environnement électroacoustique ; Steven Mackey, qui désaccorde les instruments pour composer l’étrange musique d’une culture imaginaire ; David M. Gordon, dont les Friction Systems ressemblent à la rencontre entre Iannis Xenakis, Conlon Nancarrow et John Cage. Le percussionniste et électroacousticien Dennis DeSantis ferme le tout avec un remix inventif, sans doute réalisé à partir de la matière première du disque (mais ce n’est pas évident), et qui complète très bien le programme. Une musique contemporaine très vivante et qui ne se regarde pas le nombril. RB

Translations

Evergreen Club Contemporary Gamelan

Œuvres de Boudreau, Catlin Smith et Mack

Artifact Music, ART-036 (49 min 46 s)

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Le Evergreen Club Contemporary Gamelan de Toronto participe depuis 1983 à un phénomène étrange qui consiste à construire un répertoire occidental en utilisant des instruments typiques de l’extrême-orient, en l’occurence ceux qui forment le gamelan indonésien. Walter Boudreau offre ici, avec Le matin des magiciens, une musique qui pourrait presque passer pour un pur produit du cru, du moins à l’oreille d’un non-spécialiste, et ce, malgré l’ajout de divers instruments (harpes, cor, ondes Martenot). La construction très complexe de l’œuvre (succintement expliquée dans le livret) n’est guère apparente, le caractère particulier des instruments l’emportant sur la personnalité (pourtant forte!) du compositeur. Linda Catlin Smith offre pour sa part avec A Light Snow une musique très douce inspirée par des œuvres du peintre Jasper Johns. Le compositeur allemand Dieter Mark, un véritable spécialiste du genre et lui-même fondateur du gamelan Anggur Jaya, s’interroge précisément sur la dualité culturelle du principe et sa pièce Crosscurrents mêle allègrement les genres. Dépaysement garanti. RB

DVD

Deldevez/Minkus

Paquita

Agnès Letestu, José Martinez ; Corps de ballet et Orchestre de l’Opéra national de Paris / David Coleman

TDK, DVUS-BLPAQM
(1 h 49 min)

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Cette magnifique production d’une oeuvre oubliée résulte d’un travail d’archéologie de la danse sur un ouvrage doublement hybride. À l’origine (Paris, 1846) un ballet-pantomime de Joseph Mazillier (1808-1868), sur une musique d’Édouard Deldevez (1817-1897), Paquita a par la suite (Saint Petersbourg, 1881) été refondu comme un grand divertissement romantique par Marius Petipa (1818-1910). Les nombreux et superbes morceaux d’appoint (Polonaise des enfants, Grand Pas) que Petita, pour l’occasion, commanda à Léon Ludwig Minkus (1826-1917) ont toujours, depuis, fait partie du grand répertoire de la danse classique. Le reste de la partition, cependant, et en particulier les morceaux mimés de la partie Deldevez, avait, à toutes fins pratiques, disparu, mais heureusement non sans laisser des traces dans quelques mystérieux fonds d’archives. C’est au chef d’orchestre David Coleman et surtout à Pierre Lacotte, danseur et maître de danse émérite et spécialiste incontesté du ballet romantique qu’il revient d’avoir, documents à l’appui, reconstitué l’ouvrage sous une forme qui permet de mesurer l’évolution spectaculaire de l’art du ballet pendant l’ère Petipa, de la pantomime parisienne aux grands sauts à la russe. La
production de l’Opéra de Paris - danseurs-étoiles, corps de ballet, orchestra, décors,
costumes, prise vidéo - est à tous égards exceptionnelle. PMB

Puccini

La bohème

Inva Mula, Aquiles Machado, Laura Giordano, Fabio Maria Capitanucci

Chorus and Orchestra of Teatro Real, Madrid / Jesús López Cobos

Opus Arte, DVD 0961 D (2 discs with documentary; 149 min)

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If there is a more frequently recorded opera than La bohème, I can’t imagine what it could be. This Teatro Real production is the most beautiful I have seen. The opulence and realism of the Madrid production directed by Giancarlo Del Monaco – incidentally the son of Mario – just takes your breath away. Captured in high definition and surround sound, it sets the highest possible standards visually if not musically. Del Monaco explains in the accompanying documentary that he wanted to achieve a filmic quality, which he succeeded. The attention to detail is remarkable, and the seamless transition from the end of Act 1 into the Café Momus scene in Act 2 is stunning. Each tableau resembles a Renoir painting. On the musical side of things, the orchestra with Lopez Cobos at the helm takes top honours. Soprano Inva Mula embodies the role of Mimi perfectly; tenor Aquiles Machado sings well except for a tendency to push at the top, and he looks too well fed to be believable as a starving poet. Laura Giordano looks gorgeous as Musetta, but the voice is ordinary. The rest of the cast is able. The set comes with a short documentary containing interviews with the conductor, director, and the two leads. Highly recommended.

Joseph K. So

Verdi

Nabucco

Leo Nucci, Maria Guleghina, Miroslav Dvorsky, Giacomo Prestia, Marina Domashenko

Chor und Orchester der Wiener Staatsoper / Fabio Luisi (2001)

TDK, DWWW OPNAB (126 min)

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À l’heure actuelle, on ne compte pas moins de sept enregistrements en format DVD de Nabucco... N’est-ce pas un peu beaucoup pour une oeuvre de jeunesse qui, en dépit de percées éblouissantes, trahit un certain manque de métier? J’avoue être de ceux qui jugent l’ouvrage trop uniformément sombre et qui trouvent que le matériel mélodique, quoique fort beau, manque d’invidualité (Va pensiero excepté bien sûr !). D’un autre côté, et comme le démontre cette grande production, il est indéniable que Verdi y atteint déjà des sommets dans sa conception dramatique des personnages d’Abigaile et de Nabucco. Ces rôles sont ici confiés à Maria Guleghina et à Leo Nucci dont on dira que, dramatiquement et vocalement, ils interprètent leurs rôles antagonistes et complémentaires exactement comme il se doit. Le reste de la distribution va de l’excellent (Prestia, Domashenko) à l’adéquat (Dvorsky). Les choristes semblent avoir bénéficié d’une véritable direction, mais la prise vidéo incohérente ne permet pas toujours d’apprécier le détail de la mise en scène de Günter Krämer, qui situe l’action dans le contexte de l’antisémitisme et du totalitarisme au 20e siècle. La présence au pupitre d’un spécialiste du jeune Verdi, constitue un atout. Sous-titres : italien, anglais, français. PMB

The Berlin Concert: Live from the “Waldbühne”

Plácido Domingo, Anna Netrebko, Rolando Villazón

Orchestra of the Deutschen Oper Berlin / Marco Armiliato

Deutsche Grammophon, DVD 00440 073 4302 (110 min)

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This blockbuster captures the concert at the “Waldbuhne”, an outdoor venue outside Berlin, on the eve of the World Cup last July. It starred the hottest operatic couple today – Russian bombshell Anna Netrebko and Mexican sensation Rolando Villazón, as well as his mentor Plácido Domingo, acknowledged by many as the greatest living tenor, at least in terms of longevity and versatility! The result is a record company’s dream come true – twenty thousand screaming fans asking for more, the ambience assuming rock concert proportions. Events like this mostly run on star power, but I disagree with those who dismiss the Berlin Concert as kitsch. True, the repertoire is of the “classical top ten” variety, but everything was executed with style and taste. The many highlights include the Pearl Fishers duet – with Domingo taking the baritone part, the Otello Love Duet, a saucy Netrebko in “Meine Lippen, sie küssen so heiss,” and “O soave fanciulla” with Netrebko and Villazón. There were a couple of misfires – both Netrebko and Villazón sounded tentative singing in English in the West Side Story duet; and “Non ti scordar di me” as a duet with two men doesn’t really work. There were five encores – first with Villazón doing his trademark clowning in “La danza”, then Netrebko camping it up in Musetta’s Waltz, and the three with champagne glasses in hand, singing “Libiamo”. But the funniest moment was “Dein ist mein ganzes Herz”, with the two divos competing for the prima donna’s affection. The camera work on the several cranes makes you feel like you’re on a rollercoaster. JKS

Livres

Kevin Bazzana

Lost Genius. The Forgotten Story of a Musical Maverick

McClelland & Stewart Ltd., 368 p.

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En 1972, les membres d’un club de collectionneurs de rouleaux de piano mécanique de San Francisco sont éberlués d’apprendre que l’un des artistes qui ont enregistré de tels rouleaux dans les années 1920 vit encore, dans la misère, à Los Angeles. Ils font venir le vieillard de 69 ans, un Hongrois au nom imprononçable et il les mesmérise en leur interprétant du Liszt dans un style pianistique absolument inouï, échevelé - le style même, se prennent-ils à imaginer, des grands pianistes romantiques du 19e siècle. C’est ainsi que s’amorçait «l’affaire Ervin Nyiregyhazi», la redécouverte sensationnelle, mais bientôt controversée, de cet ancien enfant prodige, de ce virtuose à la personalité pianistique tout à fait particulière qui, après avoir connu une carrière fulgurante au début du siècle, avait pris sa retraite à moins de vingt ans, pour aller s’engloutir dans l’existence obscure et sordide d’un gentleman alcoolique aux escapades sexuelles assez compliquées (dont dix mariages). C’est l’histoire intime, mais surtout artistique, de cet homme inusité, de cet interprète si passionné que souvent il ensanglantait les claviers de ses instruments, que le chercheur canadien Kevin Bazzana s’est attaché à nous conter, dans ce livre, un peu long, mais qui se lit d’un trait, le premier consacré au personage depuis... 1916! Ce n’est qu’une question de temps avant qu’Hollywood ne s’empare du sujet. PMB


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