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La Scena Musicale - Vol. 12, No. 5 February 2007

Critiques/Reviews

February 1, 2007


Love’s laments lost

Norman Lebrecht

I’m listening to the loveliest, most poignant sound I expect to hear all year, or maybe ever again. It’s the voice of Lorraine Hunt Lieberson, the Californian mezzo-soprano who died of cancer last summer at age 52. She is singing a suite of orchestral songs by her husband, Peter Lieberson, who is himself sick in hospital with lymphoma.

Knowing nothing of their story, I would still have been moved by the tender setting of five poems by the Chilean Pablo Neruda — profoundly so by the last of them, where the poet implores his beloved: “if I die, and you don’t, let’s not give grief an even greater field.” Knowing of the couple’s fate elevates the work to an altogether different plane — to the realm of epic tragedy, beside Dido and Aeneas, Romeo and Juliet, and every other loving pair who was untimely parted. From the outset, the love songs of Lorraine and Peter were the stuff of a legend in the making.

Lorraine was the offspring of music teachers in the San Francisco Bay. As a student, she took off to Mexico when her guitarist boyfriend was jailed for dope smuggling. She convinced the guards to let her share his cell. Meanwhile, at the Bay, she played principal viola in the Berkeley orchestra under Kent Nagano and new music in a string quartet. The voice that she found when she moved with a different boyfriend to Boston to study opera was coloured with a deep, instrumental lustre, a smoothness that musicians recognize as ‘legato.’ Peter Sellars cast her in Handel’s Julius Caesar in 1985 and she emerged as a Baroque heroine with a timbre, round and deep, bearing a ghostly resemblance to another late bloomer, the immaculate Kathleen Ferrier.

She met Peter in 1997 when he was casting his opera, Ashoka’s Dream. He was an East Coast highbrow, the son of record boss Goddard Lieberson and a dissonant modernist until he found his inner stillness through Buddhism. A month after falling in love, Peter discovered a pink volume of Neruda’s love sonnets in an airport book-rack and thought the words were “the words I would have spoken to Lorraine.” “We read some of the sonnets together in bed,” she relates, in a note to the new Nonesuch recording. “I read them in Spanish to Peter.”

With an opening reminiscent of Alban Berg’s sultry love music, Lieberson’s Neruda Songs undulate like a stream though a canyon, the rhythms dictated by nature. I did not hear a forte nor a false note in the whole thirty-one minutes. The idiom is late-romantic in the manner of Richard Strauss’s Four Last Songs, but never indulgent of beauty, never decadent. and always intriguing in its orchestral effects. It is a work you can hear four times and still want to hear again.

I tried to reach Peter Lieberson, only to find that he was under treatment for cancer of the lymphatic cells in a Houston hospital. Before Christmas, Peter, now 60, managed a few words about the songs on US National Public Radio. “After I heard these pieces and the way she sang them,” he said, “there was a sense of completion, a sense that I had finally done what I really wanted to do, and I was able to express my love for Lorraine in music.”


Musique vocale / Vocal

Dubois

Musiques sur l’Eau et autres mélodies

Marc Boucher, baryton; Olivier Godin, piano

Disques XXI, XXI-CD 2 1570 (76 min 29 s)

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La maison montréalaise Disques xxi est devenue incontournable sur la scène nationale. Son catalogue, de plus en plus étoffé, compte désormais une autre première: Musiques sur l’Eau de Théodore Dubois, cycle de mélodies d’après des poèmes tirés de différents recueils d’Albert Samain. Il s’agit de la deuxième œuvre inédite de Dubois portée au disque par xxi. Théodore Dubois demeure surtout connu pour ses écrits sur l’harmonie. Son œuvre est pourtant abondante: symphonies, concertos, plusieurs œuvres de musique de chambre et de musique religieuse. Publié en deux parties, en 1905 et en 1910, le cycle, limpide et éthéré, n’a rien à envier aux œuvres vocales d’un Fauré. Le baryton Marc Boucher, visiblement très familier avec le répertoire de Dubois, et le pianiste Olivier Godin, chambriste recherché, rendent cette première avec finesse, goût et retenue.

Enregistré à la salle François-Bernier du Domaine Forget, la prise de son est intime mais franche. Guy Bernard


Handel

Solomon

Junge Kantorei, Frankfurt Baroque Orchestra / Joachim Carlos Martini; E. Wolak, E. Scholl, N. Wemyss, K. Schoch.

Naxos, 8.557574-75 (2h40 min)

**** $$$

Ce nouvel enregistrement de Solomon se caractérise à la fois par deux grandes qualités et une grave faiblesse. En effet, bien que l’œuvre ait souvent été enregistrée, celle-ci n’est que la deuxième véritable intégrale, après celle de Paul McCreesh (Archiv). Deuxièmement, et c’est l’autre bonne nouvelle, avec des tempi légèrement plus dynamiques que ceux de McCreesh, le maestro Martini réussit à faire tenir le tout sur deux disques plutôt que trois. Là où les choses se gâtent, c’est au niveau des voix, et en particulier des choeurs germaniques. Leur professionnalisme est au-dessus de tout soupçon et leur musicalité impeccable, mais leur diction anglaise est effroyable. Malheureusement, le même problème affecte plusieurs des solistes, à divers degrés. Seuls Wemyss et Schoch ont quelque chance de trouver grâce aux oreilles de ceux qui entendent l’anglais. Livret (en anglais seulement) disponible sur Internet. Pierre Marc Bellemare


Purcell

Les Boréades / Francis Colpron; Karina Gauvin, soprano

Atma, ACD2 2398 (60 min 42 s)

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Ce CD témoigne magnifiquement de l’immense mérite de Purcell (1659-1695), qui est d’avoir réussi à dégager le langage musical de son temps à la fois du formalisme français et des affectations italiennes, pour réaliser un idéal de simplicité bien anglais, centré sur des mélodies qui touchent directement le coeur. Le programme se compose d’extraits des semi-opéras et autres musiques de scène, auxquels vient s’ajouter un morceau religieux, An Evening Hymn (tiré des Harmonia Sacra), un des sommets du récital. Pour plusieurs, ce sera une révélation, au même titre qu’un autre moment fort du disque, l’air From my bowers, véritable scène dramatique en miniature conçue pour le Don Quixote de Dryden et qui, apprend-on, est la toute dernière musique que Purcell ait composée. Karina Gauvin, en symbiose avec l’ensemble Les Boréades de Montréal, sert admirablement «l’Orphée britannique» par sa technique et la qualité intrinsèque de sa voix si unique, ainsi que par le soin extrême qu’elle porte à l’élocution. Un des meilleurs disques de l’année! Pierre Marc Bellemare


Handel

Messiah

K. Avemo, soprano; P. Bardon, alto; L. Zazzo, contre-ténor; K. Rensburg, ténor; N. Davies, basse; The Choir of Clare College; Freiburger Barockorchester / René Jacobs

Harmonia Mundi, HMC 801928.29

**** $$$

René Jacobs – Un bout de chemin ensemble

Œuvres de Charpentier, Monteverdi, Bach, Handel et autres

Harmonia mundi, HMX 2908214.16 (2 CD: 2h35 min; 1 DVD: 59 min 30 s)

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Deux nouvelles parutions qui permettent de prendre, encore une fois, toute la mesure du talent et de la qualité de travail de René Jacobs. D’abord, «Un bout de chemin ensemble / René Jacobs by Himself», qui réunit deux CD et un DVD, souligne les trente ans d’association entre le musicien et la maison de disques Harmonia mundi. Les deux CD proposent une sélection de 32 plages tirées des enregistrements de Jacobs (comme contre-ténor ou chef) et présentées chronologiquement. Le tout débute avec un extrait du tout premier enregistrement de Jacobs pour la maison (1977), les Leçons de Ténèbres du Mercredy Sainct de Charpentier. Que de chemin parcouru, jusqu’à l’enregistrement de 2005 de La clemenza di Tito qui conclut la sélection! Parmi les moments forts, l’interprétation par Jacobs de l’air «Erbarme dich» de la Passion selon saint Matthieu (1984, sous la direction de P. Herreweghe). Le DVD propose quant à lui le documentaire René Jacobs, entre rigueur et fantaisie, de Pierre Barré et Thierry Loreau. Un film bien fait et intéressant, où Jacobs nous entretient de son parcours, de sa conception de l’interprétation et, bien sûr, de musique. Quelques témoignages et de nombreux extraits de concerts et répétitions complètent le tout.

L’enregistrement du célèbre oratorio Messiah de Handel (version de 1750) finit de nous convaincre de la parfaite familiarité de Jacobs avec ce répertoire. Son sens du drame et du rythme, sa façon de faire swinger la musique, opèrent parfaitement. De façon générale, la clarté, tant des solistes (qui n’hésitent pas à faire usage des ornements) que de l’orchestre et du chœur, frappe. Certains choix de Jacobs, au niveau des nuances et des tempos, sont très personnels, mais on le suit les yeux fermés. Isabelle Picard


Shostakovich: Complete Works for Piano Trio

Silvestrov: Postlude DSCH

Gryphon Trio, Alice Kutan, soprano

Analekta, AN 2 9854 (71 min 01 s)

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Des quatre opus regroupés ici, ce sont les Sept poèmes d’Alexandre Blok op. 127 de Chostakovitch qui ressortent sans peine. L’œuvre a été créée en 1967, et l’atmosphère en est sombre. Aline Kutan réussit à la rendre avec une voix claire et pure qui dit l’innocence, mais en y mettant, quand il le faut, l’énergie du désespoir. Les Gryphon ne convainquent pas autant avec les deux trios de Chostakovitch. Si le premier est une composition de jeunesse, le second est un de ses chefs-d’œuvre. L’interprétation qui en est donnée ici ne manque pas de force, mais semble presque trop affirmative. On ne sent pas le mystère ou l’angoisse mêlée d’ironie qui font la grandeur de cette composition, à cause, peut-être, d’un manque de couleur instrumentale, au violoncelle particulièrement, et de fondu sonore. Le programme est complété par une courte œuvre de l’Ukrainien Valentin Silvestrov (né en 1937) destinée à la même formation que celle de l’opus 127 du compositeur russe admiré et dont les lettres DSCH constituent le monogramme musical. Alexandre Lazaridès


Vivaldi

La Griselda

Ensemble Matheus / Jean-Christophe Spinosi

Naïve, OP 30419 (3 CD - 154 min)

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Après la Verita in cimento et l’Orlando furioso, Spinosi apporte ici sa troisième contribution à l’intégrale Vivaldi en cours chez Naïve. On l’attendait avec impatience, et de fait, on ne sera pas déçu. Composée sur un livret relativement simple, révisé par Goldoni, la Griselda regorge d’airs magnifiques et la distribution est ici excellente. Le rôle titre convient parfaitement à Marie-Nicole Lemieux; Philippe Jaroussky, jouant l’amoureux déçu, chante avec la suavité qu’on lui connaît, tandis que Simone Kermes et Veronica Cangemi se montrent étourdissantes de virtuosité. Contrairement à son habitude, Vivaldi place au cœur de l’œuvre un rôle de ténor héroïque, dont se tire très bien ici le jeune Stefano Ferrari, conciliant agilité et présence dramatique. Fait à noter, on a confié à un musicologue la tâche d’écrire les ornements pour les reprises, et le résultat s’avère souvent remarquable. La seule réserve – mineure – porte sur l’orchestre: si les récitatifs sont magnifiquement accompagnés, on a connu les cordes de l’ensemble Matheus plus lumineuses, notamment dans la Verita in Cimento. Philippe Gervais


Vivica Genaux – Arias

Handel: extraits de Orlando, Alcina et Splenda l’alba in oriente; Johann Adolf Hasse: extraits de Arminio et La Scusa

Vivica Genaux, mezzo-soprano; Les Violons du Roy / Bernard Labadie

Virgin Classics, 7243 5 45737 2 9 (72 min 03 s)

***** $$$

Il serait difficile de reprocher quoi que ce soit à cet enregistrement, le premier des Violons du Roy chez Virgin. Tout y est bien articulé, précis, nettement défini, aussi bien en ce qui concerne la voix de Vivica Genaux (et c’est particulièrement frappant dans les passages de virtuosité, qui sont nombreux) que les instruments. Les timbres de l’orchestre sont bien équilibrés – l’air «Splenda l’alba in oriente» en présente un bon exemple, tout comme l’air «La virtute è un vero nume», tiré de la même cantate, où l’équilibre entre les cordes et le hautbois est parfait. Les prouesses que Handel et Hasse demandent à la voix semblent d’une simplicité enfantine pour Vivica Genaux, qui fait montre de beaucoup de fantaisie dans l’ornementation de la reprise des airs. Lumineux et éclatant. Isabelle Picard


Musique instrumentale


Delerue

Œuvres pour guitare et flûte

Isabelle Héroux, guitare; Patrick Healey, flûte

DCM Classique, DCM-CL 202 (57 min 40 s)

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La première de ce disque nous présente les œuvres que Georges Delerue (1925-1992) a composées pour la guitare classique en solo, suivies du seul morceau (Diptyque) qu’il ait jamais écrit pour la flûte solo. La deuxième partie se compose de sept morceaux pour flûte et guitare. À vrai dire, Delerue n’a jamais écrit de musique originale pour un tel ensemble et tous les titres en question sont en fait des arrangements, dans un cas, d’une pièce pour flûte et piano, et, dans tous les autres, de morceaux tirés de ses partitions de musique de film ou de télévision. À l’écoute, il est paradoxal et un peu triste de noter que lorsqu’il tentait de faire original, savant et sérieux, Delerue ne parvenait pas vraiment à trouver une voix particulièrement personnelle, tandis que, au contraire, lorsqu’il s’abandonnait à sa veine mélodique, qui était fort riche, pour s’investir dans des formes et des styles traditionnels ou d’emprunt, le résultat était toujours séduisant et toujours immédiatement reconnaissable comme du Delerue... Pierre Marc Bellemare


Mahler

Symphony No 5

London Symphony Orchestra / James DePriest

Naxos, 8557990

Soyons francs, il existe des versions plus passionnées et énergiques de la Cinquième symphonie de Mahler. Qu’on pense seulement aux enregistrements de Georg Solti avec le Chicago Symphony Orchestra ou de Riccardo Chailly avec l’orchestre royal du Concertgebouw. Le chef américain James DePriest (connu au Québec pour avoir dirigé l’OSQ de 1975 à 1983) offre ici, avec le LSO, une interprétation qui s’avère étonnamment lente et manquant de cette intensité qui fait la particularité tant célébrée du répertoire du compositeur autrichien. Dans le deuxième mouvement, décrit par Mahler lui-même comme orageux et animé, on peine à ressentir cette nervosité, cette véhémence auxquelles nous sommes pourtant conviés par le compositeur. Même sentiment à l’écoute du scherzo. Le tempo choisi par DePriest (le deuxième plus lent après celui de Wyn Morris avec le Symphonica of London en 1973) surprend. La réalisation du disque, enregistré aux studios Abbey Road à Londres en 2005, s’avère toutefois admirable. Chaque ligne, chaque instrument de l’orchestre se fait entendre comme il se doit. Cela dit, il s’agit d’un disque qui ne plaira probablement pas aux vrais amoureux de Mahler. Les néophytes pourront trouver mieux pour s’initier à l’univers du compositeur. Catherine Paiement-Paradis


Marais

Pièces de viole du 4e livre

Jordi Savall, viole de gambe

AliaVox, AVSA 9851 (2 CD - 104 min)

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Enregistrant pour la deuxième et, dans certains cas, pour la troisième fois les pièces qui ont tant fait pour sa réputation et pour celle de Marin Marais, Jordi Savall allait-il se maintenir au même niveau d’inspiration? Inquiétude vite balayée: servies par une prise de son d’un raffinement inouï, la Rêveuse et le Badinage sonnent magnifiquement. Mais au plaisir de retrouver ces pièces rendues célèbres par le cinéma s’ajoute celui de la découverte, le maître proposant enfin l’intégralité de la Suite d’un goût étranger dont elles proviennent. Or cette suite, étonnamment virtuose, multiplie les surprises: voici révélées, entre autres, l’extravagante Fougade, la malicieuse Sauterelle (jouée avec le bois de l’archet) et l’Amériquaine au refrain envoûtant, autant de tableaux qui captivent d’emblée. De toute évidence, Savall a pris un soin extrême à produire ce disque, s’entourant des meilleurs accompagnateurs, très présents sans être envahissants. Même le tableau qui orne la pochette (Marais à la viole?) a perdu les teintes brunâtres qu’on lui voit d’habitude pour retrouver ses couleurs vives! Un incontournable, pour tous et pour longtemps. Philippe Gervais


Marais

Sémélé – Ouverture et danses

Montréal Baroque / Wieland Kuijken

Atma, SACD 2527 (53 min 50 s)

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Bien que son nom soit surtout associé à la viole de gambe, Marin Marais (1656-1728) nous a également légué quatre tragédies en musique. Jusqu’à maintenant, seulement une, Alcyone, avait, sauf erreur, connu les honneurs du disque. Or voici que Montréal Baroque et Atma nous offrent une gravure partielle de Sémélé – partielle, car ce beau CD se compose exclusivement de morceaux tirés des parties instrumentales de l’ouvrage. Il faudra attendre une intégrale pour juger de la valeur des parties vocales et de leur agencement aux parties instrumentales. Ce que l’on peut d’ores et déjà conclure, c’est que cette musique est de la plus haute qualité et d’une facture intimement apparentée au reste de la production de Marais. Parmi plusieurs moments délectables, la chaconne du deuxième acte est un splendide morceau d’anthologie, véritable chef-d’œuvre en miniature. Pierre Marc Bellemare


Respighi

BBC Philharmonic / Gianandrea Noseda

Chandos, CHAN 10388 (73 min 04 s)

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Chandos fait paraître coup sur coup deux versions des Études-tableaux de Rachmaminov. Tout d’abord par le pianiste Rustem Hayroudinoff, puis par le BBC Philharmonic, dans des arrangements d’Ottorino Respighi. C’est surtout la seconde parution qui retient l’attention. Le compositeur italien usa visiblement de tout son art pour porter un nouvel éclairage sur ces célèbres pages: thèmes majestueux exposés aux cors, chorales de trombones, cordes déployant tous leurs moyens lyriques, appuis de timbales, harpes scintillantes, sonneries de trompettes en sourdines, etc. Aussi au programme: Burlesca P59, inspirée par l’écriture de Dvorˇák et Sibelius, Preludio, corale et fuga P30 qui fut écrite sous la supervision de Rimski-Korsakov alors que Respighi n’avait que 21 ans, et Rossiana P148, tirée de Les Riens de Rossini, pour qui il ne cachait pas son admiration. Bref, un enregistrement sous le signe de l’influence des écoles qui arrive à faire oublier certains arrangements moins réussis du compositeur. Les amants de l’école anglaise d’orchestre seront comblés par la sonorité toujours (un peu trop) brillante et sans compromis du BBC Philharmonic. Guy Bernard


Festivals at Prades, vol. 2

Music & Arts, CD-1187 (12 CD: 14h31 min)

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C’est une pléiade de noms prestigieux qu’on retrouve au programme aussi riche qu’hétéroclite de ce second coffret consacré au Festival de Prades qu’animait Pablo Casals. Tout n’y est cependant pas d’égale valeur du point de vue de l’interprétation, même si la valeur documentaire en est partout indéniable. Les prises de son varient elles aussi en qualité, étant donné que les captations, toutes publiques évidemment, s’étalent sur une dizaine d’années, de 1953 à 1962. De Bach, signalons quatre Sonates et Partitas pour violon par Yehudi Menuhin, et deux Suites pour violoncelle par Casals. Leur interprétation allie noblesse et profondeur. De Mozart, le Divertimento K. 563, avec les Fuchs et Tortelier, et le Quintette K. 516 par les Végh, sont mémorables. Mieczislaw Horszowski, injustement oublié maintenant, livre une interprétation lumineuse de la Fantaisie et de la Sonate, toutes deux en do mineur, de Mozart. Le deuxième Trio op. 66 de Mendelssohn réunissait, en juillet 1959, Ferras, Kempff et Casals dans une interprétation à la fois scintillante et émouvante. On retrouve un Casals des plus inspirés en compagnie de Horszowski dans la première Sonate pour violoncelle et piano de Brahms. De leur côté, les œuvres chorales et orchestrales de Bach ou de Beethoven dirigées par Casals font sentir leur âge. Alexandre Lazaridès


Sibelius

The Essential

Ensembles et solistes variés

BIS, BIS-CD-1697/1700 (15 CD: 19h)

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Voilà de quoi satisfaire l’amateur le plus glouton! 15 disques (vendus au prix de 4!) regroupant l’essentiel du catalogue de Jean Sibelius (1865-1957), soit les sept symphonies, le Concerto pour violon (avec Leonidas Kavakos), des œuvres chorales, poèmes symphoniqes, musiques pour le théâtre, chansons, etc. Le son du Nord dans toutes ses couleurs, avec les voix de Anne-Sofie Von Otter ou Monica Groop, le Gothenburg Symphony Orchestra sous la direction de Neeme Järvi ou le Tempera Quartet, entre autres. Enregistrées entre 1979 et 2006, les œuvres sont pour la plupart déjà disponibles au catalogue BIS, mais on compte tout de même 13 pièces qui ne le sont pas, parmi lesquelles un premier enregistrement, celui du bref mélodrame Näcken (1888), que chante M. Groop. Un livret important (en anglais, finnois, allemand, français et japonais) accompagne la collection. Réjean Beaucage


Declarations – Music Between the Wars

Leos Janacek: String Quartet No 2 «Intimate Letters» (1928); Ruth Crawford Seeger: String Quartet (1931); Paul Hindemith: String Quartet No 4 Op. 22 (1922)

Pacifica Quartet

Cedille Records, CDR 90000 092 (64 min 38 s)

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Le Quatuor Pacifica présente avec cet enregistrement un programme passionnant d’œuvres composées entre les deux guerres. D’emblée, le quatuor de Janacek permet aux musiciens de démontrer la grande variété de couleurs de jeu dont ils sont capables. On passe du tout au tout, de la douceur à la violence, du calme à la tempête. L’œuvre de Ruth Crawford est quant à elle une belle découverte, la plus moderne du disque au niveau du langage. Son troisième mouvement (Andante) est quasi hypnotique, comme un mouvement de balancier, et nous mène insidieusement vers un grand sommet dramatique avant de s’éteindre comme il a commencé. L’interprétation du Pacifica du Quatuor no 4 de Hindemith a quelque chose d’émouvant, particulièrement dans le très calme 3e mouvement. Encore là, les contrastes sont bien présentés, et la mention «Sehr energisch» du 2e mouvement prend tout son sens! Isabelle Picard


Recital

Viktoria Mullova, violon; Katia Labeque, piano

Onyx, 4015 (59 min)

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Cet enregistrement témoigne de la collaboration fréquente, en concert et avec ce programme, de la violoniste et de la pianiste, dont la communion est exemplaire. La Suite italienne d’après Pulcinella (1933), de Stravinski, offre à Mullova le meilleur des deux mondes: celui d’un compositeur dont elle a déjà enregistré plusieurs œuvres et celui d’un Pergolèse, évoqué par Stravinski, et que la passionnée de musique baroque rend avec fougue, magistralement appuyée par Labèque. La compicité du duo est la même dans la très virtuose Fantaisie en ut majeur D934 (1827) de Schubert, la Sonate (1927) de Ravel, où flotte un parfum à la Gershwin, et la très brève Romanze, op. 22/1, de Clara Schumann. À noter: Viktoria Mullova se joindra à la claveciniste Geneviève Soly pour un récital Bach, le 17 février, 14h, à l’église anglicane Saint-Georges (514-843-5881). Réjean Beaucage


Musique contemporaine / Contemporary Music


Boudreau

Walter’s Mixed Bag

Le Récital (1992), Les Sept Jours (1977), L’Asile de la pureté (2003), La Vie d’un héros (1999)

Olga Ranzenhofer, violon; Ensemble de percussions McGill / Pierre Béluse; Ensemble de la SMCQ / Walter Boudreau

Atma, ACD2 2551 (76 min 41 s)

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Il est intéressant de voir Walter Boudreau affirmer, ailleurs dans ces pages, que les compositeurs délinquants sont toujours les plus excitants. Assurément, il est lui-même fort délinquant… Sur ce récent disque, on est surtout frappé par La vie d’un héros, hommage posthume à l’ami Claude Vivier. En une trentaine de minutes, Boudreau nous fait revivre la vie de Vivier, à travers quelques unes de ses musiques. Impossible de rester indifférent. Dans Les Sept Jours, pour ensemble de percussions, l’élément rythmique joue de toute évidence un rôle déterminant, mais la recherche de timbres impressionne. Si l’Asile de la pureté et Le Récital sont respectivement une musique de scène (composée pour la pièce de Gauvreau) et la musique originale d’un court-métrage, ces œuvres sont en quelque sorte des films (sonores) en soit – comme, d’ailleurs, Les Sept Jours et La vie d’un héros –, films qui nous happent et auxquels l’absence de support visuel n’enlève rien. Isabelle Picard


DVD


Mussorgsky

Boris Godunov

Orquestra Sinfonica et Cor del Gran Teatre del Liceu / Sebastian Weigle (2004), avec M. Salminen, P. Langridge, E. Halfvarson, P. Lindskog, A.Kotcherga

TDK, DWWW OPBORIS (152 min)

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Cette production fait valoir l’immensité, et surtout la profondeur, de la scène du nouveau Liceu de Barcelone. Sauf lorsque les choeurs viennent y trimballer une gigantesque chaise droite de bois doré, ces vastes espaces restent à peu près vides. La conception scénique, certainement, se situe aux antipodes de l’approche traditionnelle, qui est d’évoquer le clinquant byzantin de la Moscovie du xvie siècle. Ici, tout – les uniformes des soldats, les haillons du peuple, les rares éléments scéniques – rappelle l’URSS stalinienne. Parmi les versions disponibles, on a choisi (plus ou moins) la partition originale de 1868-1869, en sept tableaux, la plus sobre et la plus percutante. Au plan musical, l’interprétation se classe dans la bonne moyenne des gravures disponibles, mais l’impact dramatique de la mise en scène dépouillée est unique et irrésistible, d’où la cote. Le Boris de Salminen est d’un réalisme et d’un pathétique troublant. Quant à Langridge, en Chouiski, sa composition de conspirateur démoniaque domine toutes les scènes où il apparaît, même lorsqu’il ne chante pas. Une nouveauté: le rôle de Fyodor est confié à un contre-ténor, le Canadien Brian Azawa. Prise de son un peu faible. Sous-titres français et anglais. Pierre Marc Bellemare


Verdi

Rigoletto

Wiener Staatsopernchor et Wiener Philharmoniker / Riccardo Chailly (1988); L. Pavarotti, I. Vixell, E. Gruberova, F. Furlanetto, V. Barbieri.

Deutsche Grammophon, 00440 073 4166 (116 min)

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Ce Rigoletto désormais classique est signé Jean-Pierre Ponnelle, le réalisateur français qui, en son temps, révolutionna l’art du film-opéra. Car il s’agit bien, non d’une production scénique filmée, mais d’une véritable œuvre cinématographique, tournée en studio et «sur les lieux», notamment dans les splendeurs opulentes du Teatro Farnese de Parme. Pavarotti, au sommet de sa gloire, chante comme un dieu, débordant de vie et presque crédible en séducteur irrésistible. Si le ténor s’est mérité un Emmy pour sa peine, il le doit à Ponnelle qui semble avoir conçu toute sa production en fonction même des moyens dramatiques limités de son primo uomo: il lui suffisait de conter son histoire sur un mode volontairement grotesque, comme une série de blagues cruelles que seuls les sanglots du bouffon tragique, ici et là, viennent interrompre. Mais quels sanglots! La prestation de Wixell, en Rigoletto, ne le cède en rien à celle des plus grands chanteurs-tragédiens qui ont illustré le rôle au disque. Il s’offre même le luxe d’interpréter aussi le rôle de Monterone. La métamorphose, physique et vocale, est telle qu’il faut voir et entendre pour croire! En un mot: le Rigoletto en DVD de référence. Voix doublées. Coupures standard. Sous-titres italiens et français. Pierre Marc Bellemare


Livres / Books


Musiques. Une encyclopédie pour le xxie siècle

vol. 4: Histoires des musiques européennes

Sous la direction de Jean-Jacques Nattiez

Actes Sud / Cité de la musique, 2006, 1514 p.

On le sait, Actes Sud / Cité de la musique fait paraître depuis 2003 l’encyclopédie Musiques. Une encyclopédie pour le xxie siècle, version française de l’Enciclopedia della musica d’abord parue chez l’éditeur italien Einaudi, dirigée par Jean-Jacques Nattiez (voir La Scena Musicale vol. 8 no 10, vol. 10 no 7 et vol. 11 no 5 à propos, respectivement, des volumes 1, 2 et 3 de l’encyclopédie). Le quatrième volume, intitulé Histoires des musiques européennes, se trouve sur les tablettes des libraires depuis quelques semaines.

Comme pour les volumes précédents, Nattiez et ses collaborateurs (Margaret Bent, Rossana Dalmonte et Mario Baroni) ont donné la parole à des chercheurs aux orientations variées, offrant ainsi un large spectre de points de vue. Les 62 essais que le volume réunit sont autant d’aspects de l’histoire (ou autant d’histoires) des musiques européennes: «Les traditions du chant dans l’Europe occidentale», «La naissance de la musique instrumentale du xiie à la fin du xvie siècle», «Danse et musique de la Renaissance à Tchaïkovski», «L’implantation de la musique française en Nouvelle-France aux xviie et xviiie siècles», Beethoven, Wagner, la mise en scène d’opéra, le mythe de Faust, etc. Ainsi, même s’il ne s’agit pas d’une «histoire de la musique» au sens propre, au même titre que les ouvrages de Grout et Palisca, Jean et Brigitte Massin ou Brigitte François-Sappey, toutes les époques sont couvertes (sauf le xxe siècle, auquel tout le premier volume était consacré) et peu d’aspects ont été mis de côté.

Ce qui distingue par-dessus tout ces Histoires des musiques européennes, c’est la diversité des conceptions de l’histoire que l’on y rencontre et la réflexion qu’elles nous mènent à faire sur la nature même de l’histoire (de la musique ou autre). À cet effet, le texte de présentation de Nattiez, «Histoire ou histoires de la musique?» – bien plus qu’un simple texte de présentation –, est particulièrement éloquent. L’auteur ose y remettre en question le relativisme absolu et poser la question «le relativisme est-il la nouvelle vérité du discours historique en musicologie?». On notera qu’il passe à cet endroit de son texte du «nous» au «je», montrant bien qu’il s’agit d’une position personnelle qui ne fait pas l’unanimité.

Si cet ouvrage n’a définitivement pas une fonction d’initiation à l’histoire de la musique, il n’est pas non plus réservé au musicologue ou autre spécialiste. Avec la variété qu’il renferme, tout mélomane sérieux y trouvera son compte. Comme pour les autres volumes de l’encyclopédie Musiques, l’index des noms et des œuvres est une merveille.

Jean-Jacques Nattiez poursuivra en février un cycle de quatre conférences présenté par le Cercle de musicologie de la Faculté de musique de l’Université de Montréal et l’Observatoire international de la création musicale (OICM) sous le thème «Unité ou éclatement de la musicologie?». Les deux conférences à venir sont «Critique de la musicologie postmoderne» (8 février, 16h) et «Unité de la musicologie, unité de la musique» (15 février, 14h). Faculté de musique, Université de Montréal, salle B-421, entrée libre. Isabelle Picard


(c) La Scena Musicale