Critiques/Reviews
February 1, 2007
Love’s laments lost
Norman Lebrecht
I’m listening to the loveliest, most
poignant sound I expect to hear all year, or maybe ever again. It’s
the voice of Lorraine Hunt Lieberson, the Californian mezzo-soprano
who died of cancer last summer at age 52. She is singing a suite of
orchestral songs by her husband, Peter Lieberson, who is himself sick
in hospital with lymphoma.
Knowing nothing of their story, I would
still have been moved by the tender setting of five poems by the Chilean
Pablo Neruda — profoundly so by the last of them, where the poet implores
his beloved: “if I die, and you don’t, let’s not give grief an
even greater field.” Knowing of the couple’s fate elevates the work
to an altogether different plane — to the realm of epic tragedy, beside
Dido and Aeneas, Romeo and Juliet, and every other loving pair who was
untimely parted. From the outset, the love songs of Lorraine and Peter
were the stuff of a legend in the making.
Lorraine was the offspring of music teachers
in the San Francisco Bay. As a student, she took off to Mexico when
her guitarist boyfriend was jailed for dope smuggling. She convinced
the guards to let her share his cell. Meanwhile, at the Bay, she played
principal viola in the Berkeley orchestra under Kent Nagano and new
music in a string quartet. The voice that she found when she moved with
a different boyfriend to Boston to study opera was coloured with a deep,
instrumental lustre, a smoothness that musicians recognize as ‘legato.’
Peter Sellars cast her in Handel’s Julius Caesar in 1985 and
she emerged as a Baroque heroine with a timbre, round and deep, bearing
a ghostly resemblance to another late bloomer, the immaculate Kathleen
Ferrier.
She met Peter in 1997 when he was casting
his opera, Ashoka’s Dream. He was an East Coast highbrow, the
son of record boss Goddard Lieberson and a dissonant modernist until
he found his inner stillness through Buddhism. A month after falling
in love, Peter discovered a pink volume of Neruda’s love sonnets in
an airport book-rack and thought the words were “the words I would
have spoken to Lorraine.” “We read some of the sonnets together
in bed,” she relates, in a note to the new Nonesuch recording. “I
read them in Spanish to Peter.”
With an opening reminiscent of Alban
Berg’s sultry love music, Lieberson’s Neruda Songs
undulate like a stream though a canyon, the rhythms dictated by nature.
I did not hear a forte nor a false note in the whole thirty-one minutes.
The idiom is late-romantic in the manner of Richard Strauss’s Four
Last Songs, but never indulgent of beauty, never decadent. and always
intriguing in its orchestral effects. It is a work you can hear four
times and still want to hear again.
I tried to reach Peter Lieberson, only
to find that he was under treatment for cancer of the lymphatic cells
in a Houston hospital. Before Christmas, Peter, now 60, managed a few
words about the songs on US National Public Radio. “After I heard
these pieces and the way she sang them,” he said, “there was a sense
of completion, a sense that I had finally done what I really wanted
to do, and I was able to express my love for Lorraine in music.”
Musique vocale /
Vocal
Dubois
Musiques sur l’Eau et autres mélodies
Marc Boucher, baryton; Olivier Godin,
piano
Disques XXI, XXI-CD 2 1570 (76 min 29
s)
***** $$$
La maison montréalaise Disques xxi est
devenue incontournable sur la scène nationale. Son catalogue, de plus
en plus étoffé, compte désormais une autre première: Musiques
sur l’Eau de Théodore Dubois, cycle de mélodies d’après des
poèmes tirés de différents recueils d’Albert Samain. Il s’agit
de la deuxième œuvre inédite de Dubois portée au disque par xxi.
Théodore Dubois demeure surtout connu pour ses écrits sur l’harmonie.
Son œuvre est pourtant abondante: symphonies, concertos, plusieurs
œuvres de musique de chambre et de musique religieuse. Publié en deux
parties, en 1905 et en 1910, le cycle, limpide et éthéré, n’a rien
à envier aux œuvres vocales d’un Fauré. Le baryton Marc Boucher,
visiblement très familier avec le répertoire de Dubois, et le pianiste
Olivier Godin, chambriste recherché, rendent cette première avec finesse,
goût et retenue.
Enregistré à la salle François-Bernier
du Domaine Forget, la prise de son est intime mais franche. Guy Bernard
Handel
Solomon
Junge Kantorei, Frankfurt Baroque Orchestra
/ Joachim Carlos Martini; E. Wolak, E. Scholl, N. Wemyss, K. Schoch.
Naxos, 8.557574-75 (2h40 min)
**** $$$
Ce nouvel enregistrement de Solomon
se caractérise à la fois par deux grandes qualités et une grave faiblesse.
En effet, bien que l’œuvre ait souvent été enregistrée, celle-ci
n’est que la deuxième véritable intégrale, après celle de Paul
McCreesh (Archiv). Deuxièmement, et c’est l’autre bonne nouvelle,
avec des tempi légèrement plus dynamiques que ceux de McCreesh, le
maestro Martini réussit à faire tenir le tout sur deux disques plutôt
que trois. Là où les choses se gâtent, c’est au niveau des voix,
et en particulier des choeurs germaniques. Leur professionnalisme est
au-dessus de tout soupçon et leur musicalité impeccable, mais leur
diction anglaise est effroyable. Malheureusement, le même problème
affecte plusieurs des solistes, à divers degrés. Seuls Wemyss et Schoch
ont quelque chance de trouver grâce aux oreilles de ceux qui entendent
l’anglais. Livret (en anglais seulement) disponible sur Internet.
Pierre Marc Bellemare
Purcell
Les Boréades / Francis Colpron; Karina
Gauvin, soprano
Atma, ACD2 2398 (60 min 42 s)
****** $$$$
Ce CD témoigne magnifiquement de l’immense
mérite de Purcell (1659-1695), qui est d’avoir réussi à dégager
le langage musical de son temps à la fois du formalisme français et
des affectations italiennes, pour réaliser un idéal de simplicité
bien anglais, centré sur des mélodies qui touchent directement le
coeur. Le programme se compose d’extraits des semi-opéras et autres
musiques de scène, auxquels vient s’ajouter un morceau religieux,
An Evening Hymn (tiré des Harmonia Sacra), un des sommets
du récital. Pour plusieurs, ce sera une révélation, au même titre
qu’un autre moment fort du disque, l’air From my bowers,
véritable scène dramatique en miniature conçue pour le Don Quixote
de Dryden et qui, apprend-on, est la toute dernière musique que Purcell
ait composée. Karina Gauvin, en symbiose avec l’ensemble Les Boréades
de Montréal, sert admirablement «l’Orphée britannique» par sa
technique et la qualité intrinsèque de sa voix si unique, ainsi que
par le soin extrême qu’elle porte à l’élocution. Un des meilleurs
disques de l’année! Pierre Marc Bellemare
Handel
Messiah
K. Avemo, soprano; P. Bardon, alto; L.
Zazzo, contre-ténor; K. Rensburg, ténor; N. Davies, basse; The Choir
of Clare College; Freiburger Barockorchester / René Jacobs
Harmonia Mundi, HMC 801928.29
**** $$$
René Jacobs
– Un bout de chemin ensemble
Œuvres de Charpentier, Monteverdi, Bach,
Handel et autres
Harmonia mundi, HMX 2908214.16 (2 CD:
2h35 min; 1 DVD: 59 min 30 s)
**** $$$$
Deux nouvelles parutions qui permettent
de prendre, encore une fois, toute la mesure du talent et de la qualité
de travail de René Jacobs. D’abord, «Un bout de chemin ensemble
/ René Jacobs by Himself», qui réunit deux CD et un DVD, souligne
les trente ans d’association entre le musicien et la maison de disques
Harmonia mundi. Les deux CD proposent une sélection de 32 plages tirées
des enregistrements de Jacobs (comme contre-ténor ou chef) et présentées
chronologiquement. Le tout débute avec un extrait du tout premier enregistrement
de Jacobs pour la maison (1977), les Leçons de Ténèbres du Mercredy
Sainct de Charpentier. Que de chemin parcouru, jusqu’à l’enregistrement
de 2005 de La clemenza di Tito qui conclut la sélection! Parmi
les moments forts, l’interprétation par Jacobs de l’air «Erbarme
dich» de la Passion selon saint Matthieu (1984, sous la direction
de P. Herreweghe). Le DVD propose quant à lui le documentaire René
Jacobs, entre rigueur et fantaisie, de Pierre Barré et Thierry
Loreau. Un film bien fait et intéressant, où Jacobs nous entretient
de son parcours, de sa conception de l’interprétation et, bien sûr,
de musique. Quelques témoignages et de nombreux extraits de concerts
et répétitions complètent le tout.
L’enregistrement du célèbre oratorio
Messiah de Handel (version de 1750) finit de nous convaincre de
la parfaite familiarité de Jacobs avec ce répertoire. Son sens du
drame et du rythme, sa façon de faire swinger la musique, opèrent
parfaitement. De façon générale, la clarté, tant des solistes (qui
n’hésitent pas à faire usage des ornements) que de l’orchestre
et du chœur, frappe. Certains choix de Jacobs, au niveau des nuances
et des tempos, sont très personnels, mais on le suit les yeux fermés.
Isabelle Picard
Shostakovich: Complete Works for Piano
Trio
Silvestrov: Postlude DSCH
Gryphon Trio, Alice Kutan, soprano
Analekta, AN 2 9854 (71 min 01 s)
***** $$$
Des quatre opus regroupés ici, ce sont
les Sept poèmes d’Alexandre Blok
op. 127 de Chostakovitch qui ressortent sans peine. L’œuvre a été
créée en 1967, et l’atmosphère en est sombre. Aline Kutan réussit
à la rendre avec une voix claire et pure qui dit l’innocence, mais
en y mettant, quand il le faut, l’énergie du désespoir. Les Gryphon
ne convainquent pas autant avec les deux trios de Chostakovitch. Si
le premier est une composition de jeunesse, le second est un de ses
chefs-d’œuvre. L’interprétation qui en est donnée ici ne manque
pas de force, mais semble presque trop affirmative. On ne sent pas le
mystère ou l’angoisse mêlée d’ironie qui font la grandeur de
cette composition, à cause, peut-être, d’un manque de couleur instrumentale,
au violoncelle particulièrement, et de fondu sonore. Le programme est
complété par une courte œuvre de l’Ukrainien Valentin Silvestrov
(né en 1937) destinée à la même formation que celle de l’opus
127 du compositeur russe admiré et dont les lettres DSCH constituent
le monogramme musical. Alexandre Lazaridès
Vivaldi
La Griselda
Ensemble Matheus / Jean-Christophe Spinosi
Naïve, OP 30419 (3 CD - 154 min)
***** $$$$
Après la Verita in cimento et
l’Orlando furioso, Spinosi apporte ici sa troisième contribution
à l’intégrale Vivaldi en cours chez Naïve. On l’attendait avec
impatience, et de fait, on ne sera pas déçu. Composée sur un livret
relativement simple, révisé par Goldoni, la Griselda
regorge d’airs magnifiques et la distribution est ici excellente.
Le rôle titre convient parfaitement à Marie-Nicole Lemieux; Philippe
Jaroussky, jouant l’amoureux déçu, chante avec la suavité qu’on
lui connaît, tandis que Simone Kermes et Veronica Cangemi se montrent
étourdissantes de virtuosité. Contrairement à son habitude, Vivaldi
place au cœur de l’œuvre un rôle de ténor héroïque, dont se
tire très bien ici le jeune Stefano Ferrari, conciliant agilité et
présence dramatique. Fait à noter, on a confié à un musicologue
la tâche d’écrire les ornements pour les reprises, et le résultat
s’avère souvent remarquable. La seule réserve – mineure – porte
sur l’orchestre: si les récitatifs sont magnifiquement accompagnés,
on a connu les cordes de l’ensemble Matheus plus lumineuses, notamment
dans la Verita in Cimento. Philippe Gervais
Vivica Genaux
– Arias
Handel: extraits de Orlando, Alcina et
Splenda l’alba in oriente; Johann Adolf Hasse: extraits de Arminio
et La Scusa
Vivica Genaux, mezzo-soprano; Les Violons
du Roy / Bernard Labadie
Virgin Classics, 7243 5 45737 2 9 (72
min 03 s)
***** $$$
Il serait difficile de reprocher quoi
que ce soit à cet enregistrement, le premier des Violons du Roy chez
Virgin. Tout y est bien articulé, précis, nettement défini, aussi
bien en ce qui concerne la voix de Vivica Genaux (et c’est particulièrement
frappant dans les passages de virtuosité, qui sont nombreux) que les
instruments. Les timbres de l’orchestre sont bien équilibrés –
l’air «Splenda l’alba in oriente» en présente un bon exemple,
tout comme l’air «La virtute è un vero nume», tiré de la même
cantate, où l’équilibre entre les cordes et le hautbois est parfait.
Les prouesses que Handel et Hasse demandent à la voix semblent d’une
simplicité enfantine pour Vivica Genaux, qui fait montre de beaucoup
de fantaisie dans l’ornementation de la reprise des airs. Lumineux
et éclatant. Isabelle Picard
Musique instrumentale
Delerue
Œuvres pour guitare et flûte
Isabelle Héroux, guitare; Patrick Healey,
flûte
DCM Classique, DCM-CL 202 (57 min 40
s)
**** $$$
La première de ce disque nous présente
les œuvres que Georges Delerue (1925-1992) a composées pour la guitare
classique en solo, suivies du seul morceau (Diptyque) qu’il
ait jamais écrit pour la flûte solo. La deuxième partie se compose
de sept morceaux pour flûte et guitare. À vrai dire, Delerue n’a
jamais écrit de musique originale pour un tel ensemble et tous les
titres en question sont en fait des arrangements, dans un cas, d’une
pièce pour flûte et piano, et, dans tous les autres, de morceaux tirés
de ses partitions de musique de film ou de télévision. À l’écoute,
il est paradoxal et un peu triste de noter que lorsqu’il tentait de
faire original, savant et sérieux, Delerue ne parvenait pas vraiment
à trouver une voix particulièrement personnelle, tandis que, au contraire,
lorsqu’il s’abandonnait à sa veine mélodique, qui était fort
riche, pour s’investir dans des formes et des styles traditionnels
ou d’emprunt, le résultat était toujours séduisant et toujours
immédiatement reconnaissable comme du Delerue... Pierre Marc Bellemare
Mahler
Symphony No 5
London Symphony Orchestra / James DePriest
Naxos, 8557990
Soyons francs, il existe des versions
plus passionnées et énergiques de la Cinquième symphonie de
Mahler. Qu’on pense seulement aux enregistrements de Georg Solti avec
le Chicago Symphony Orchestra ou de Riccardo Chailly avec l’orchestre
royal du Concertgebouw. Le chef américain James DePriest (connu au
Québec pour avoir dirigé l’OSQ de 1975 à 1983) offre ici, avec
le LSO, une interprétation qui s’avère étonnamment lente et manquant
de cette intensité qui fait la particularité tant célébrée du répertoire
du compositeur autrichien. Dans le deuxième mouvement, décrit par
Mahler lui-même comme orageux et animé, on peine à
ressentir cette nervosité, cette véhémence auxquelles nous sommes
pourtant conviés par le compositeur. Même sentiment à l’écoute
du scherzo. Le tempo choisi par DePriest (le deuxième plus lent après
celui de Wyn Morris avec le Symphonica of London en 1973) surprend.
La réalisation du disque, enregistré aux studios Abbey Road à Londres
en 2005, s’avère toutefois admirable. Chaque ligne, chaque instrument
de l’orchestre se fait entendre comme il se doit. Cela dit, il s’agit
d’un disque qui ne plaira probablement pas aux vrais amoureux de Mahler.
Les néophytes pourront trouver mieux pour s’initier à l’univers
du compositeur. Catherine Paiement-Paradis
Marais
Pièces de viole du 4e livre
Jordi Savall, viole de gambe
AliaVox, AVSA 9851 (2 CD - 104 min)
****** $$$$
Enregistrant pour la deuxième et, dans
certains cas, pour la troisième fois les pièces qui ont tant fait
pour sa réputation et pour celle de Marin Marais, Jordi Savall allait-il
se maintenir au même niveau d’inspiration? Inquiétude vite balayée:
servies par une prise de son d’un raffinement inouï, la Rêveuse
et le Badinage sonnent magnifiquement. Mais au plaisir de retrouver
ces pièces rendues célèbres par le cinéma s’ajoute celui de la
découverte, le maître proposant enfin l’intégralité de la Suite
d’un goût étranger dont elles proviennent. Or cette suite, étonnamment
virtuose, multiplie les surprises: voici révélées, entre autres,
l’extravagante Fougade, la malicieuse Sauterelle (jouée
avec le bois de l’archet) et l’Amériquaine au refrain envoûtant,
autant de tableaux qui captivent d’emblée. De toute évidence, Savall
a pris un soin extrême à produire ce disque, s’entourant des meilleurs
accompagnateurs, très présents sans être envahissants. Même le tableau
qui orne la pochette (Marais à la viole?) a perdu les teintes brunâtres
qu’on lui voit d’habitude pour retrouver ses couleurs vives! Un
incontournable, pour tous et pour longtemps. Philippe Gervais
Marais
Sémélé
– Ouverture et danses
Montréal Baroque / Wieland Kuijken
Atma, SACD 2527 (53 min 50 s)
***** $$$$
Bien que son nom soit surtout associé
à la viole de gambe, Marin Marais (1656-1728) nous a également légué
quatre tragédies en musique. Jusqu’à maintenant, seulement une,
Alcyone, avait, sauf erreur, connu les honneurs du disque. Or voici
que Montréal Baroque et Atma nous offrent une gravure partielle de
Sémélé – partielle, car ce beau CD se compose exclusivement
de morceaux tirés des parties instrumentales de l’ouvrage. Il faudra
attendre une intégrale pour juger de la valeur des parties vocales
et de leur agencement aux parties instrumentales. Ce que l’on peut
d’ores et déjà conclure, c’est que cette musique est de la plus
haute qualité et d’une facture intimement apparentée au reste de
la production de Marais. Parmi plusieurs moments délectables, la chaconne
du deuxième acte est un splendide morceau d’anthologie, véritable
chef-d’œuvre en miniature. Pierre Marc Bellemare
Respighi
BBC Philharmonic / Gianandrea Noseda
Chandos, CHAN 10388 (73 min 04 s)
**** $$$$
Chandos fait paraître coup sur coup
deux versions des Études-tableaux de Rachmaminov. Tout d’abord
par le pianiste Rustem Hayroudinoff, puis par le BBC Philharmonic,
dans des arrangements d’Ottorino Respighi. C’est surtout la seconde
parution qui retient l’attention. Le compositeur italien usa visiblement
de tout son art pour porter un nouvel éclairage sur ces célèbres
pages: thèmes majestueux exposés aux cors, chorales de trombones,
cordes déployant tous leurs moyens lyriques, appuis de timbales, harpes
scintillantes, sonneries de trompettes en sourdines, etc. Aussi au programme:
Burlesca P59, inspirée par l’écriture de Dvorˇák et Sibelius,
Preludio, corale et fuga P30 qui fut écrite sous la supervision
de Rimski-Korsakov alors que Respighi n’avait que 21 ans, et Rossiana
P148, tirée de Les Riens de Rossini, pour qui il ne cachait
pas son admiration. Bref, un enregistrement sous le signe de l’influence
des écoles qui arrive à faire oublier certains arrangements moins
réussis du compositeur. Les amants de l’école anglaise d’orchestre
seront comblés par la sonorité toujours (un peu trop) brillante et
sans compromis du BBC Philharmonic. Guy Bernard
Festivals at Prades, vol. 2
Music & Arts, CD-1187 (12 CD: 14h31
min)
***** $$$$
C’est une pléiade de noms prestigieux
qu’on retrouve au programme aussi riche qu’hétéroclite de ce second
coffret consacré au Festival de Prades qu’animait Pablo Casals. Tout
n’y est cependant pas d’égale valeur du point de vue de l’interprétation,
même si la valeur documentaire en est partout indéniable. Les prises
de son varient elles aussi en qualité, étant donné que les captations,
toutes publiques évidemment, s’étalent sur une dizaine d’années,
de 1953 à 1962. De Bach, signalons quatre Sonates et Partitas pour
violon par Yehudi Menuhin, et deux Suites pour violoncelle
par Casals. Leur interprétation allie noblesse et profondeur. De Mozart,
le Divertimento K. 563, avec les Fuchs et Tortelier, et le
Quintette K. 516 par les Végh, sont mémorables. Mieczislaw Horszowski,
injustement oublié maintenant, livre une interprétation lumineuse
de la Fantaisie et de la Sonate, toutes deux en do mineur,
de Mozart. Le deuxième Trio op. 66 de Mendelssohn réunissait,
en juillet 1959, Ferras, Kempff et Casals dans une interprétation à
la fois scintillante et émouvante. On retrouve un Casals des plus inspirés
en compagnie de Horszowski dans la première Sonate pour violoncelle
et piano de Brahms. De leur côté, les œuvres chorales et orchestrales
de Bach ou de Beethoven dirigées par Casals font sentir leur âge.
Alexandre Lazaridès
Sibelius
The Essential
Ensembles et solistes variés
BIS, BIS-CD-1697/1700 (15 CD: 19h)
****
Voilà de quoi satisfaire l’amateur
le plus glouton! 15 disques (vendus au prix de 4!) regroupant l’essentiel
du catalogue de Jean Sibelius (1865-1957), soit les sept symphonies,
le Concerto pour violon (avec Leonidas Kavakos), des œuvres
chorales, poèmes symphoniqes, musiques pour le théâtre, chansons,
etc. Le son du Nord dans toutes ses couleurs, avec les voix de Anne-Sofie
Von Otter ou Monica Groop, le Gothenburg Symphony Orchestra sous la
direction de Neeme Järvi ou le Tempera Quartet, entre autres. Enregistrées
entre 1979 et 2006, les œuvres sont pour la plupart déjà disponibles
au catalogue BIS, mais on compte tout de même 13 pièces qui ne le
sont pas, parmi lesquelles un premier enregistrement, celui du bref
mélodrame Näcken (1888), que chante M. Groop. Un livret important
(en anglais, finnois, allemand, français et japonais) accompagne la
collection. Réjean Beaucage
Declarations
– Music Between the Wars
Leos Janacek: String Quartet No 2 «Intimate
Letters» (1928); Ruth Crawford Seeger: String Quartet (1931); Paul
Hindemith: String Quartet No 4 Op. 22 (1922)
Pacifica Quartet
Cedille Records, CDR 90000 092 (64 min
38 s)
***** $$$$
Le Quatuor Pacifica présente avec cet
enregistrement un programme passionnant d’œuvres composées entre
les deux guerres. D’emblée, le quatuor de Janacek permet aux musiciens de démontrer la grande
variété de couleurs de jeu dont ils sont capables. On passe du tout
au tout, de la douceur à la violence, du calme à la tempête. L’œuvre
de Ruth Crawford est quant à elle une belle découverte, la plus moderne
du disque au niveau du langage. Son troisième mouvement (Andante) est
quasi hypnotique, comme un mouvement de balancier, et nous mène insidieusement
vers un grand sommet dramatique avant de s’éteindre comme il a commencé.
L’interprétation du Pacifica du Quatuor no 4
de Hindemith a quelque chose d’émouvant, particulièrement dans le
très calme 3e mouvement. Encore là, les contrastes sont bien présentés,
et la mention «Sehr energisch» du 2e mouvement prend tout son sens!
Isabelle Picard
Recital
Viktoria Mullova, violon; Katia Labeque,
piano
Onyx, 4015 (59 min)
****
Cet enregistrement témoigne de la collaboration
fréquente, en concert et avec ce programme, de la violoniste et de
la pianiste, dont la communion est exemplaire. La Suite italienne
d’après Pulcinella (1933), de Stravinski, offre à Mullova
le meilleur des deux mondes: celui d’un compositeur dont elle a déjà
enregistré plusieurs œuvres et celui d’un Pergolèse, évoqué par
Stravinski, et que la passionnée de musique baroque rend avec fougue,
magistralement appuyée par Labèque. La compicité du duo est la même
dans la très virtuose Fantaisie en
ut majeur D934 (1827) de Schubert, la Sonate (1927) de
Ravel, où flotte un parfum à la Gershwin, et la très brève Romanze,
op. 22/1, de Clara Schumann. À noter: Viktoria Mullova se joindra à
la claveciniste Geneviève Soly pour un récital Bach, le 17 février,
14h, à l’église anglicane Saint-Georges (514-843-5881). Réjean
Beaucage
Musique contemporaine
/ Contemporary Music
Boudreau
Walter’s Mixed Bag
Le Récital (1992), Les Sept Jours (1977),
L’Asile de la pureté (2003), La Vie d’un héros (1999)
Olga Ranzenhofer, violon; Ensemble de
percussions McGill / Pierre Béluse; Ensemble de la SMCQ / Walter Boudreau
Atma, ACD2 2551 (76 min 41 s)
**** $$$
Il est intéressant de voir Walter Boudreau
affirmer, ailleurs dans ces pages, que les compositeurs délinquants
sont toujours les plus excitants. Assurément, il est lui-même fort
délinquant… Sur ce récent disque, on est surtout frappé par
La vie d’un héros, hommage posthume à l’ami Claude Vivier.
En une trentaine de minutes, Boudreau nous fait revivre la vie de Vivier,
à travers quelques unes de ses musiques. Impossible de rester indifférent.
Dans Les Sept Jours, pour ensemble de percussions, l’élément
rythmique joue de toute évidence un rôle déterminant, mais la recherche
de timbres impressionne. Si l’Asile de la pureté et Le
Récital sont respectivement une musique de scène (composée pour
la pièce de Gauvreau) et la musique originale d’un court-métrage,
ces œuvres sont en quelque sorte des films (sonores) en soit – comme,
d’ailleurs, Les Sept Jours et La vie d’un héros –,
films qui nous happent et auxquels l’absence de support visuel n’enlève
rien. Isabelle Picard
DVD
Mussorgsky
Boris Godunov
Orquestra Sinfonica et Cor del Gran Teatre
del Liceu / Sebastian Weigle (2004), avec M. Salminen, P. Langridge,
E. Halfvarson, P. Lindskog, A.Kotcherga
TDK, DWWW OPBORIS (152 min)
***** $$$$
Cette production fait valoir l’immensité,
et surtout la profondeur, de la scène du nouveau Liceu de Barcelone.
Sauf lorsque les choeurs viennent y trimballer une gigantesque chaise
droite de bois doré, ces vastes espaces restent à peu près vides.
La conception scénique, certainement, se situe aux antipodes de l’approche
traditionnelle, qui est d’évoquer le clinquant byzantin de la Moscovie
du xvie siècle. Ici, tout – les uniformes des soldats, les haillons
du peuple, les rares éléments scéniques – rappelle l’URSS stalinienne.
Parmi les versions disponibles, on a choisi (plus ou moins) la partition
originale de 1868-1869, en sept tableaux, la plus sobre et la plus percutante.
Au plan musical, l’interprétation se classe dans la bonne moyenne
des gravures disponibles, mais l’impact dramatique de la mise en scène
dépouillée est unique et irrésistible, d’où la cote. Le Boris
de Salminen est d’un réalisme et d’un pathétique troublant. Quant
à Langridge, en Chouiski, sa composition de conspirateur démoniaque
domine toutes les scènes où il apparaît, même lorsqu’il ne chante
pas. Une nouveauté: le rôle de Fyodor est confié à un contre-ténor,
le Canadien Brian Azawa. Prise de son un peu faible. Sous-titres français
et anglais. Pierre Marc Bellemare
Verdi
Rigoletto
Wiener Staatsopernchor et Wiener Philharmoniker
/ Riccardo Chailly (1988); L. Pavarotti, I. Vixell, E. Gruberova, F.
Furlanetto, V. Barbieri.
Deutsche Grammophon, 00440 073 4166 (116
min)
****** $$$$
Ce Rigoletto
désormais classique est signé Jean-Pierre Ponnelle, le réalisateur
français qui, en son temps, révolutionna l’art du film-opéra. Car
il s’agit bien, non d’une production scénique filmée, mais d’une
véritable œuvre cinématographique, tournée en studio et «sur les
lieux», notamment dans les splendeurs opulentes du Teatro Farnese de
Parme. Pavarotti, au sommet de sa gloire, chante comme un dieu, débordant
de vie et presque crédible en séducteur irrésistible. Si le ténor
s’est mérité un Emmy pour sa peine, il le doit à Ponnelle qui semble
avoir conçu toute sa production en fonction même des moyens dramatiques
limités de son primo uomo: il lui suffisait de conter son histoire
sur un mode volontairement grotesque, comme une série de blagues cruelles
que seuls les sanglots du bouffon tragique, ici et là, viennent interrompre.
Mais quels sanglots! La prestation de Wixell, en Rigoletto, ne le cède
en rien à celle des plus grands chanteurs-tragédiens qui ont illustré
le rôle au disque. Il s’offre même le luxe d’interpréter aussi
le rôle de Monterone. La métamorphose, physique et vocale, est telle
qu’il faut voir et entendre pour croire! En un mot: le Rigoletto
en DVD de référence. Voix doublées. Coupures standard. Sous-titres
italiens et français. Pierre Marc Bellemare
Livres /
Books
Musiques. Une encyclopédie pour le
xxie siècle
vol. 4: Histoires des musiques européennes
Sous la direction de Jean-Jacques Nattiez
Actes Sud / Cité de la musique, 2006,
1514 p.
On le sait, Actes Sud / Cité de la musique
fait paraître depuis 2003 l’encyclopédie Musiques. Une encyclopédie
pour le xxie siècle, version française de l’Enciclopedia della musica
d’abord parue chez l’éditeur italien Einaudi, dirigée par Jean-Jacques
Nattiez (voir La Scena Musicale vol. 8 no 10, vol. 10 no 7 et vol. 11
no 5 à propos, respectivement, des volumes 1, 2 et 3 de l’encyclopédie).
Le quatrième volume, intitulé Histoires des musiques européennes,
se trouve sur les tablettes des libraires depuis quelques semaines.
Comme pour les volumes précédents,
Nattiez et ses collaborateurs (Margaret Bent, Rossana Dalmonte et Mario
Baroni) ont donné la parole à des chercheurs aux orientations variées,
offrant ainsi un large spectre de points de vue. Les 62 essais que le
volume réunit sont autant d’aspects de l’histoire (ou autant d’histoires)
des musiques européennes: «Les traditions du chant dans l’Europe
occidentale», «La naissance de la musique instrumentale du xiie à
la fin du xvie siècle», «Danse et musique de la Renaissance à Tchaïkovski»,
«L’implantation de la musique française en Nouvelle-France aux xviie
et xviiie siècles», Beethoven, Wagner, la mise en scène d’opéra,
le mythe de Faust, etc. Ainsi, même s’il ne s’agit pas d’une
«histoire de la musique» au sens propre, au même titre que les ouvrages
de Grout et Palisca, Jean et Brigitte Massin ou Brigitte François-Sappey,
toutes les époques sont couvertes (sauf le xxe siècle, auquel tout
le premier volume était consacré) et peu d’aspects ont été mis
de côté.
Ce qui distingue par-dessus tout ces
Histoires des musiques européennes,
c’est la diversité des conceptions de l’histoire que l’on y rencontre
et la réflexion qu’elles nous mènent à faire sur la nature même
de l’histoire (de la musique ou autre). À cet effet, le texte de
présentation de Nattiez, «Histoire ou histoires de la musique?»
– bien plus qu’un simple texte de présentation –, est particulièrement
éloquent. L’auteur ose y remettre en question le relativisme absolu
et poser la question «le relativisme est-il la nouvelle vérité
du discours historique en musicologie?». On notera qu’il passe à
cet endroit de son texte du «nous» au «je», montrant bien qu’il
s’agit d’une position personnelle qui ne fait pas l’unanimité.
Si cet ouvrage n’a définitivement
pas une fonction d’initiation à l’histoire de la musique, il n’est
pas non plus réservé au musicologue ou autre spécialiste. Avec la
variété qu’il renferme, tout mélomane sérieux y trouvera son compte.
Comme pour les autres volumes de l’encyclopédie Musiques,
l’index des noms et des œuvres est une merveille.
Jean-Jacques Nattiez poursuivra en février
un cycle de quatre conférences présenté par le Cercle de musicologie
de la Faculté de musique de l’Université de Montréal et l’Observatoire
international de la création musicale (OICM) sous le thème «Unité
ou éclatement de la musicologie?». Les deux conférences à venir
sont «Critique de la musicologie postmoderne» (8 février, 16h) et
«Unité de la musicologie, unité de la musique» (15 février, 14h).
Faculté de musique, Université de Montréal, salle B-421, entrée
libre. Isabelle Picard |
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