Jazz
January 4, 2007
À PLEINE VUE
La série Jazz Icons
Marc Chénard, Félix-Antoine Hamel,
Paul Serralheiro
Bien que le disque audio ait été, pendant
très longtemps, le seul médium de conservation de la musique, le support
visuel a connu un essor considérable ces dernières années. Mis à
part les juke-box visuels des années 40 ou le grand écran (sans oublier
le petit, bien sûr), ce n’est que dans les années 80 que la musique,
comme expérience visuelle, a fait son entrée au domicile: dans un
premier temps, il y eut les cassettes Beta, puis le VHS, par la suite
la petite parenthèse du vidéo disque et, enfin, la venue du DVD. Les
changements ont été multiples ces dernières années, certes pour
le mieux. Durée plus longue, images de qualité impeccable, définition
sonore supérieure, emploi plus aisé et j’en passe. Bref, on se demande
enfin comment on pourrait améliorer la chose… mais comme on n’arrête
pas le progrès, dit-on, ne nous surprenons pas qu’il y ait d’autres
innovations qui se trament en ce moment.
Pour la musique qui nous concerne dans
ces pages, ces développements ont été salutaires, car ils lui ont
donné une autre présence, qui met davantage en valeur le créateur
que le seul médium acoustique qui, lui, ne fait que transmettre ses
créations. Quel amateur n’a pas, à un moment ou un autre, entretenu
l’idée, voire le fantasme, d’être là, dans le studio ou au concert,
pendant l’enregistrement d’une séance historique?
De nos jours donc, l’espace entre le
rêve et la réalité s’amenuise d’autant plus par la mise en marché
de films d’archives inédits. À ce titre, on peut saluer la parution
d’une magnifique collection de neuf titres. Intitulée «Jazz Icons»,
cette série, comme son titre l’annonce, nous donne la chance de voir
quelques-uns des grands de l’histoire devant la caméra et, dans plusieurs
cas, un public aussi. Du jazz classique de Louis Armstrong, d’Ella
Fitzgerald et de Count Basie en passant par certains «modernes» (Blakey,
Monk, Baker), sans oublier une belle petite rasade de big bands, l’amateur
féru d’histoire y trouvera son compte, c’est sûr. Ceux plus résolument
tournés vers l’actualité pourront aussi (re)voir ces musiques qui,
bien que déclinées au passé, ont permis l’émergence de celles
d’aujourd’hui. Six des neufs titres seront mis en évidence dans
les lignes qui suivent et, en sus, deux titres consacrés à des musiciens
d’aujourd’hui. Marc Chénard
LES «modernes» en
évidence
Art Blakey & The Jazz Messengers:
Live In ’58
TDK Jazz Icons DVWW-JIAB
****
Thelonious Monk: Live In
’66
TDK Jazz Icons DVWW-JITM
****
Les Jazz Messengers de 1958, malgré
une brève existence (six mois) sont désormais considérés comme l’un
des groupes emblématiques du hard bop. Après avoir gravé un
album classique («Moanin’»), le quintette fit une célèbre tournée
européenne au cours de laquelle ce concert belge (inédit jusqu’à
ce jour) fut filmé. On y retrouve un jeune Lee Morgan à la trompette,
Benny Golson (directeur musical du groupe) au saxo ténor, le très
bluesy Bobby Timmons au piano et le contrebassiste Jymie Merritt, en
plus du leader. Les amateurs seront familiers avec le répertoire (Moanin’
de Timmons, I Remember Clifford et Whisper Not de Golson,
A Night In Tunisia, etc.) et sauront chérir ce DVD, seul document
visuel d’un groupe légendaire.
En 1966, la carrière de Thelonious Monk
était au zénith. Il jouissait depuis plusieurs années d’un contrat
chez Columbia et avait fait la une de Time Magazine en 1984;
son quartette de l’époque (avec Charlie Rouse, Larry Gales et Ben
Riley) tournait avec régularité un peu partout dans le monde. Deux
prestations de cet ensemble sont regroupées sur ce DVD, la première
en Norvège, la seconde au Danemark. On y entend deux longues versions
de l’un des standards préférés de Monk, Lulu’s Back In Town,
une version solo de la ballade Don’t Blame Me et trois des
compositions les plus célèbres du pianiste: Blue Monk, Round
Midnight et son indicatif musical, Epistrophy. Somme toute,
une heure de musique bien agréable, offerte par l’un des grands.
Peut-on demander mieux? Félix-Antoine Hamel
Des Big Bands en prime
Quincy Jones Live in
’60
TDK Jazz Icons DVWW-JIQJ
****
Count Basie Live in
’62
TDK Jazz Icons DVWW-JICB
***
Dizzy Gillespie Live in
’58 & ’70
TDK Jazz Icons DVWW-JIDG
****
Bien avant de devenir un célèbre producteur
de vedettes pop (dont un certain M.J.), Quincy Jones était un trompettiste
de section qui, dans les années 50, délaissa son biniou au profit
(sic) d’une plume de compositeur et d’arrangeur. Fort de ses premiers
succès dans ses nouvelles fonctions, il réunit un premier orchestre
de tournée en 1959, se dirigeant vers l’Europe pour accompagner une
production musicale qui échoua toutefois pour des raisons expliquées
dans le livret d’accompagnement de ce disque (livret excellent d’ailleurs,
comme tous les autres de cette série). Deux séances sont regroupées
sur cette généreuse surface de près de 80 minutes, la première en
studio en Belgique, et la seconde devant public à Lausanne. Des 17
titres réunis ici, trois sont entendus dans les deux prestations; quoique
la seconde retient surtout l’attention en raison d’un plus grand
espace accordé aux solistes. Fait saillant: le solo de cor français
(si, si) de Julius Watkins sur Everybody’s Blues (plage 13)
mérite un cinq étoiles à lui tout seul. Comme on peux s’y attendre,
cette musique cache mal ses rides après 46 ans, mais il s’agit tout
de même d’un précieux document sur l’une des formations marquantes
dans l’histoire du jazz orchestral, et qui le mérite bien.
Si la troupe de Jones n’a pas accédé
aux premiers rangs du panthéon, celle de Count Basie y est arrivée,
si ce n’est que par son chef, le plus poli des pianistes de jazz (dans
les deux sens du terme). Encore une fois, c’est une musique d’époque
avec des tas de signatures d’arrangeurs qui passent désormais pour
des clichés du genre. Le swing métronomique à quatre temps court
au-travers des 11 pièces captées en concert par la télé suédoise,
les solos sont fringants pour la plupart, et une chanteuse bluesée
(Irene Reid) ne fait que passer le temps de trois numéros. Le clou
du spectacle demeure le long solo de batterie de Sonny Payne sur
Old Man River, une démonstration mi-pyrotechnique, mi-ringarde,
avec jonglage de bâtons en sus. Certes, ça pouvait épater la galerie
à l’époque, mais un tel kitsch ne serait guère bienvenu de nos
jours, hormis au cirque… (et encore).
Ce titre met en vedette le trompettiste
aussi célèbre que son instrument à coudée. Durant la première demi-heure,
il est entendu dans un concert télévisé en Belgique en 1958. Entouré
du trio d’accompagnement d’Ella Fitzgerald à l’époque (Lou Levy,
Ray Brown et Osie Johnson) ainsi que de Sonny Stitt aux saxos, M. Diz
n’est pas ici des plus inspirés, s’en tenant à des standards d’usage
et jouant presque uniquement en sourdine. Mais le meilleur se trouve
après, lorsqu’il se joint à l’un des big bands les plus injustement
méconnus de l’histoire du jazz: le Clarke-Boland Big Band (du nom
du pianiste-arrangeur Francy Boland et de l’un de ses deux batteurs,
le légendaire Kenny Clarke). Tourné devant un petit public en studio
à Copenhague, cet enregistrement est l’un des rares documents visuels
d’un ensemble qui, dans les années 60, a été le meilleur en son
genre sur le Vieux Continent. L’invité vedette pétille dans ce contexte
et joue avec autant de conviction que d’assurance. Outre un morceau
issu du répertoire de cette formation, les cinq autres sont redevables
à Dizzy (un de ceux-là par le pianiste de sa formation américaine
de l’époque, Mike Longo). Document précieux, il nous offre l’occasion
d’entendre un big band à son faîte, quelques mois avant la mort
de son irremplaçable chef de section de sax, l’altiste Derek Humble.
Plus récent que les autres, donc moins ridé, on ne peut que recommander
ce titre pour les fanas du genre. À noter aussi dans cette série:
l’orchestre manu militari de Buddy Rich (DVWW-JIBR) en concert
en 1978. Pour les amateurs de «stage band» bien huilés. Marc Chénard
Jazz Trumpets on Parade
Chet Baker: Live in
’64 and ‘79
Jazz Icons DVWW-JICHB
****
This most romantic of musicians is presented
here at two different stages in his career, both of which capture him
when his playing was very much inspired and polished. Here then is Chet
at his coolest, albeit with a Picture of Dorian Grey effect. The first
set of five tunes comes from a 1964 Belgian television appearance. Interestingly,
Baker plays the flugelhorn throughout, tackling standards like Bye
Bye Blackbird, and jazz staples like Rollins’ Airegin.
The second part of this disc shows him a full 15 years later, this time
in Norway. Though looking worse for wear, his artistry remains intact,
the long silky lines still flowing from his trumpet in a most congenial
setting with a vibist, pianist and bassist. Included here is a short,
yet revealing interview, preceding this second performance, in full
living colour. For fans of classic jazz, please take note that the Jazz
Icons series also has a first-rate presentation of a 1959 televised
concert featuring Louis Armstrong himself, and in great form, too (DVWW-JLA).
Paul Serralheiro
Wynton Marsalis: In this House on
This Morning
Geneon 12842
****
More contemporary fare is offered in
the remaining two titles under review here, both by Crescent City natives.
The Marsalis release, for one, has more in common with Satchmo’s style
and era, though it is of much more recent vintage than the previous
title reviewed. In it, we hear his recent suite for jazz septet (trumpet,
trombone, alto/sopranino, tenor/soprano saxes, piano, bass and drums)
that is thematically centered on the church service, with all the moods
that this involves. Like a church service, it too is long and interminable;
in fact, just when you think it might be over, it goes on some more.
It reminds me of something Marsalis once said about classical music:
you feel uncomfortable having to sit through it, but it’s good for
you. That said, the music is intricately conceived and impeccably performed,
but it is more successful as an exercise in style. Paul Serralheiro
Terence Blanchard: Flow
Jazziz Music and Video JVM 5001
***
As for Terence Blanchard’s “Flow”,
it unfolds more like a promotional vehicle than a piece of art, but
is still appropriate enough, given the subject: Blanchard is a versatile
and commercially-savvy musician who has scored many feature films, as
well as leading his own award-winning combos and projects. The whole
documentary takes a “slice of life” approach, comprising interviews
with all members of his current sextet, followed through their world
travels. Even if aesthetics are discussed, this is more of a bread-and-butter
look at the realities of the business. Paul Serralheiro
Richard Gagnon Trombone Action: Intro
XXI XXI-CD 2 1684
****
Le label montréalais XXI s’est lancé
dans l’aventure du jazz, comme l’atteste cette parution et celle
qui suit. Placé sous la férule du tromboniste Richard Gagnon, ce nonette
saura faire titiller les amateurs de cet instrument. En effet, ils sont
six à la coulisse, avec une section rythmique traditionnelle. Et ce
dernier mot est doublement important ici, car on y trouve quatre vieux
saucissons (dont Body & Soul et You Stepped Out of a Dream),
des compos du leader et de l’un de ses acolytes (cinq plages) et trois
autres numéros, dont un de Vic Vogel (1970). Les amateurs un
tant soit peu avertis penseront à coup sûr aux formations de
Jay Jay Johnson et de Kai Winding des années 50. C’est tout aussi
impeccablement joué, fignolé dans les arrangements, mais on pense
ici à une coiffure où pas un seul cheveu est déplacé. Jadis, c’était
original, mais en 2006, cela ressemble à un tour guidé au musée.
Et comme cette musique résolument du XXe siècle se retrouve sur un
label comme XXI, on ne peut que voir un paradoxe. Bref, pour l’exercice
de style, quatre étoiles, pour sa pertinence musicale moins que cela,
hélas… Marc Chénard
Eric Harding Trio: Capelton Road
XXI XXI-CD 2 1567
****
This trio made up of pianist Harding,
drummer Claude Lavergne (Michel Berthiaume subs on three tracks) and
bassist Clinton Ryder engages in subtle rhythmic interplay resulting
in some deep regenerative grooves. While having a bold rhythmic sense,
Harding is also a colourist, using the piano for a wide range of expressions,
textures and timbres. Claude Lavergne’s playing is, as always, dynamic
and responsive, as in Roxy’s Waltz, where he holds down the
waltz time with many subtle touches. Among other notable moments are
the convincing romanticism of Never Let me Go and the varied
concepts and stylistic nuances of the keyboardist’s originals (only
4 of the 12 tunes are standards). Yet, there are spots with some coasting
and lulling into the “been-there-before” territory (i.e. touches
of Peterson in Twice Blue and Bill Evans in Time Forgotten
and an atmospheric, ECM-ish halo in spots, as in Lavergne’s Yesteryear),
but there is still an allowance for surprise to tweak us along the way.
Paul Serralheiro
Une histoire d’étiquettes (3) -
Label Stories
Calling Their Own Tunes:
Artist-produced Labels
Generally speaking, the business of being
an artist has little to do with the business of selling art; or so it
seems from the perspective of creative musicians dealing with record
companies. And for those whose art pushes the envelope, taking control
of the means of production is often seen as the best option, one which
jazz artists have been pursuing for decades, in spite of all the headaches
it entails.
To record, produce and distribute one’s
own music in the days of vinyl seemed, in hindsight, next to impossible:
procedures were complicated, access to studios and pressing facilities
difficult. But people managed to do it anyway, two pioneers being Dizzy
Gillespie and Charles Mingus.
Dizzy’s Dee Gee Records (1951-53) provided
an oasis of artistic freedom early in his career. Tired of the ignorance
of major label executives, Gillespie set up his label with a business
partner. The trumpeter’s wife Lorraine designed the label and a few
78s were released with small to medium-sized bands that included a budding
John Coltrane on alto. But other titles were produced, some from the
Bill Russo Band, Milt Jackson’s Quartet and Shelly Manne.
Charles Mingus along with his then wife
Celia and drummer Max Roach started up Debut Records (1952-57). The
bassist’s first Jazz Workshop projects were captured on disc, with
early sides by Thad Jones and Paul Bley, not to forget the legendary
Massey Hall Concert. Though short on business savvy, Mingus had vision
and authority. In pianist Mal Waldron’s view, Mingus was motivated
by a feeling that “musicians were not controlling their own product,
and that the man that was controlling it had nothing to do with music.”
At the same time, Sun Ra also began documenting
his own music. With Saturn Records, the eccentric composer produced
and distributed his work throughout his career. Printed in editions
of 75 copies, the hand-decorated albums by Arkestra members were sold
at concerts, but rarely contained any information on the jackets or
labels.
In the early 1970’s, trumpeter Charles
Tolliver, with pianist Stanley Cowell, set up his own label, Strata
East. By 1974, the catalogue sported some 50 titles, folded by 1978,
but is still kept alive for “strictly historical reasons,” according
to its founder. In Britain, guitarist Derek Bailey co-founded with Evan
Parker and Tony Oxley Incus records in 1970, Bailey running the operations
from the mid-80’s till his recent passing. Parker, for his part, set
up Psi five years ago, whose website acknowledges that “the technology
and economics have changed markedly in favour of the small independent
producer.”
With the current availability of recording
facilities, qualified engineers and proliferation of independent distributors,
not to overlook the possibilities of internet sales, getting your product
to customers is almost a cinch now, and anyone who wants to do it can.
On the local front, labels like Effendi and Ambiances Magnétiques are
prime example of the current state of affairs. With internet distribution
now playing an important role, label projects can also be smaller in
scope. Such is the case of composer and band leader Maria Schneider,
whose Concert in the Garden managed to fetch a Grammy in 2005, a remarkable
feat for a recording available only via the web. In Europe as well,
British multi saxophonist Paul Dunmal established his made to order
label (Duns Edition), with runs of only 50 to 100 copies per title,
with reprints made as necessary.
The main difference between the artist-produced
labels of past and present is one of technological ease. The raison
d’être, however, has not changed, i.e. to provide an outlet for creative
music in the marketplace. In that way, the imperatives of mass-media
marketing are skirted, and the driving force behind the product is chiefly
artistic.
Au rayon du disque
Isaiah Ceccarelli: Lieux-Dits
Ambiances magnétiques AM 159
****
Il y a des musiques qui suscitent le
mystère, comme celle du batteur Isaiah Ceccarelli. Dans ses brèves
notes, il souligne que ses sources d’inspiration sont ses voyages
dans les Alpes françaises et des éléments de théorie musicale puisés
chez Olivier Messiaen. Il en résulte alors une musique qui, par endroits,
a un relent de terre et, à d’autres, des souffles aériens proches
d’un état d’apesanteur. Mais ces termes cernent à peine cette
musique aux frontières floues, où les lignes entre composition et
improvisation se fondent souvent entre elles. Hors du jazz en quelque
sorte, du moins selon ses poncifs, mais pas complètement étrangère
à lui non plus, cette musique est rare chez nous en ce qu’elle traduit
une sensiblité bien plus européenne qu’américaine (ce qui ne surprend
pas compte tenu des influences citées). Saluons le travail de ses acolytes,
Frank Lozano et Jean Derome (anches), Steve Reagele (guitare, effets)
et Clinton Ryder (contrebasse), qui se mettent totalement au service
du concept (si ambigu soit-il). Une des approches les plus originales
à se faire entendre dans nos parages ces derniers temps. Marc Chénard
Marie-Soleil Bélanger, Normand Guilbeault:
Les salines
Ambiances magnétiques AM 160
****
Les cordes sont un univers en soi, surtout
celles qui résonnent par l’archet. Et lorsqu’il s’agit d’un
duo de violon et de contrebasse, la proposition est d’autant plus
singulière. Marie-Soleil Bélanger joue du violon, du violon baroque,
et même du erhu chinois d’une manière souveraine; son comparse,
le bassiste jazz par excellence Normand Guilbeault, demeure encore l’un
des piliers de chez nous sur son instrument, tant arco que pizzicatto.
Ensemble, ces complices offrent quatorze morceaux qui couvrent un éventail
varié de modes et de techniques de jeu, recoupant aussi bien de purs
effets sonores que des mélodies d’une simplicité parfois désarmante.
Seule une plage dépasse les sept minutes, les autres couvrant entre
deux et cinq minutes. Pas de bavardage donc, juste des essences bien
distillées et une intériorité qui vient poser sa signature sur ce
disque d’ambiances… bien acoustiques. Pas besoin de jouer un instrument
à cordes pour apprécier, mais ça aide. À écouter dans vos moments
les plus recueillis. Marc Chénard
Ornette Coleman: Sound Grammar
Sound Grammar SG 11593
****
Un nouveau disque d’Ornette Coleman
est toujours un évènement, à plus forte raison quand son précédent
opus date de près d’une décennie. Ce concert allemand d’octobre
2005 nous permet d’entendre pour la première fois sur disque son
quartette régulier, dont l’instrumentation rappelle son groupe à
deux contrebasses de 1968: auprès de lui, on retrouve son fils Denardo
à la batterie, ainsi que deux contrebassistes, Greg Cohen jouant pizzicatto
et Tony Falanga à l’archet. Dès les premières notes de Jordan,
Coleman s’impose: il est évident que l’âge n’a diminué en rien
le dynamisme de son jeu et sa grande capacité d’invention. Falanga
joue un rôle original ici, moitié dialoguant avec le leader, moitié
s’intégrant à la section rythmique auprès de Cohen, qui constitue
l’assise de la formation. Denardo Coleman n’a jamais été un batteur
particulièrement subtil, mais il est néamoins redoutablement efficace,
ayant l’avantage de jouer la musique de son père depuis près de
40 ans. Huit thèmes typiquement colemaniens présentent différentes
facettes du compositeur: lyrisme (Sleep Talking, Once Only),
blues (le classique Turnaround), teintes latines (Matador,
évidemment) et lignes sinueuses, lointaines descendantes du bop (Jordan,
Call To Duty). Fidèle à lui-même, Coleman fait aussi appel à
sa trompette et à son violon, instruments sur lesquels il est tout
aussi immédiatement identifiable qu’au sax alto. Pour clôturer le
tout, il nous offre une version turbulente à souhait de Song X.
Pas de doute, Ornette est de retour. Et tant mieux pour nous! Félix-Antoine
Hamel
Bunky Green: Another Place
Label Bleu LBLC 6676
****
Outre le fait qu’il soit un saxo alto
— comme l’illustre M. Coleman — et un Noir américain, Bunky Green
est l’un de ces petits maîtres du jazz dont la discographie est pour
le moins sporadique. En effet, cette parution toute récente chez Label
Bleu en France est son premier disque en 16 (!) ans et à l’écouter
on se demande bien pourquoi... Il se peut bien que son travail d’éducateur
l’ait accaparé, mais réjouissons-nous du fait qu’il n’y ait
rien de scolaire dans ce disque. Sa sonorité âcre a quelque chose
d’écorché et de prenant, et son approche n’est pas sans rappeler
Art Pepper dans ses dernières années. En un peu moins de trois quarts
d’heure, il interprète cinq pièces de son cru, un standard (It
Could Happen to You en ouverture) et Soul Eyes, une ballade
de feu Mal Waldron (en fin de programme). Ce monsieur, qui dépasse
les 70 ans, ne fait pas du tout vieux et il se lance avec autant d’entrain
que sa jeune section rythmique (Jason Moran, piano; Lonnie Plaxico,
contrebasse; Nasheet Waits, batterie) qui, elle, lui renvoie l’ascenseur.
On en convient, ce quartette s’inscrit dans la plus pure tradition
du jazz, basé sur le modèle thème-et-variations, mais M. Green et
consorts prouvent qu’il est encore possible d’oser dans cette formule,
de risquer en l’étirant jusqu’à un point de rupture, sans jamais
la défaire complètement. Du jazz mainstream moderne qui mérite
pleinement ce qualificatif. Quatre étoiles… et quelques poussières
de plus. Marc Chénard
Four of a Kind: Recent Pickings from
Effendi Records
Effendi Jazz Lab: Chance Meeting
Effendi FND 066
****
A lab is a place where one experiments.
But then there are experiments which are novel, i.e. innovative and
groundbreaking, and others that replicate or merely confirm existing
knowledge. By and large, the latter tack is the one followed by this
eight-piece all-star aggregate of the Montreal-based label: tightly
crafted charts from its various members (ten in total), solos hovering
around the harmonic forms, a typical jazz instrumentation with reeds,
brass and rhythm section, all ingredients that reaffirm established
values for the most part, but not exclusively. As all rules have exceptions,
this disc has two noteworthy ones, baritone saxist Alexandre Côté’s
Conversation, where the group splinters in various improvising duo
configurations, and drummer Isaiah Ciccarelli’s brief and rather elusive
sounding Mysteriovum. In this, its second release, the Lab turns
out some conclusive test results, with some nice fare from (and for)
everyone. Marc Chénard
Sage Reynolds: On the Wall
Effendi FND067
****
In his first outing as a leader, the
Montreal bassist has recruited very able bodies in trumpeter Bill Mahar,
guitarist Kenny Bibace, and drummer Stef Schneider. The quartet performs
all-original material that is delicately crafted and inspired. Mahar
brings lots of colour and nuance to the table, showing his depth and
skill as a player, both on open and muted horn alike, playing flugelhorn
in a Kenny-Wheeler like fashion on The Restorative and most unusually
for jazz, some piccolo trumpet on the piece On the Wall. As for
the leader, he too takes several solo features, yet remains a solid
team player by blending himself into the group effort, even taking the
music to some interesting places along the way. Also of note are the
imaginative guitar textures from Bibace in some spots, whereas Schneider
adds his supportive and tasteful shadings to the proceedings. Paul
Serralheiro
Joe Sullivan Big Band: Stop and Listen
Effendi FND068
*****
The jazz big band is, for all intents
and purposes, an anachronism, but still justifiable because it gives
us the opportunity to hear all the instruments we love in jazz, and
to witness different stylists brought together. And when the charts
are well-conceived by a writer who cares about the genre, it’s hard
to go wrong, as on this, the Joe Sullivan Big Band’s second CD. A
top-notch cast of Montreal ringers is corralled here to play the leader’s
well-crafted original charts that live up to a long tradition established
by Ellington and Basie and extended by notables like Toshiko Akiyoshi
and Thad Jones. As for the solos, there are too many good ones to mention
them all, among them are Dave Grott’s trombone stretch on One for
Dave and André Leroux’s sinewy double-time soprano on the ballad
that gives its title to this sterling effort. Paul Serralheiro
Yves Léveillée: Soho
Effendi FND070
****
Some eight years ago, it was this very
pianist who graced this label with its very first release (and his own
as well). Now for his fourth opus, Yves Léveillée once again puts
his best foot forward, namely as a composer. While his previous albums
tended to lack variety in terms of tempos and dynamics, this one, however,
has a little more lilt to it, and a bit more urgency as well. To wit,
his composition work has also broadened, and this is the best suit of
this recording, what with its layered writing that eschews obvious jazz
unisons from the horns, as the twin reedman Roberto Murray and Frank
Lozano often provide counterlines to the trumpet of Aron Doyle. And
as the title suggests, there is a New York connection here, as alluded
to in the leader’s brief liner notes, and there is something of that
town that seems to have rubbed off in his newest creations. Let’s
hope this craftsman can keep digging deeper, if not reach a little further
afield. Marc Chénard |
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