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La Scena Musicale - Vol. 12, No. 4 August 2008

Critiques/Reviews

August 5, 2008


Disque du mois

Guitar recital: Jérôme Ducharme

Rodrigo, de Falla, Ginastera, Manén, Hétu, Dunne

Naxos 8.570189 (68 min 33 s)

******* $

Une note parfaite pour un disque parfait! L’expressivité de ce jeune guitariste québécois, lauréat du prestigieux premier prix de la GFA 2005, est tout aussi désarmante que la qualité de son jeu. Le choix des pièces est judicieusement balancé entre le simple plaisir de l’écoute et leurs valeurs sur le plan guitaristique. Je ne suis pas de ceux qui adulent facilement un interprète pour sa technique sans reproches. Encore faut-il qu’il sache émouvoir. Si on joue Ginastera en se disant qu’il faut passer par là pour devenir un guitariste respectable, on n’arrivera à rien! Si par contre on fait le choix d’aborder sa musique avec clairvoyance, on en fera alors ressortir toute la sensibilité. C’est dans cette optique que Ducharme aborde la musique et c’est aussi en cela qu’il mérite son premier prix. Combien de fois a-t-on entendu dire que tel ou tel guitariste allait présenter Le tombeau de Debussy de Manuel De Falla? Cette fois, c’est la bonne. On aura la chance de pouvoir entendre Jérôme Ducharme en concert, les 12 et 13 décembre prochain, dans le cadre de la troisième saison des séries de concerts du Salon Francisco Tárrega. Mario Felton-Coletti




Musique orchestrale / Orchestral Music


Kalkbrenner

Concertos pour piano nos 1 et 4

Howard Shelley, piano et direction; Tasmanian Symphony Orchestra

Hyperion CDA67535 (59 min 11 s)

**** $$$$

Friedrich Kalkbrenner (1785-1849) était l’un des plus grands virtuoses de son époque (de l’ordre des Herz et Moscheles, que nous commençons à peine à redécouvrir aujourd’hui), un homme d’affaires marié à une aristocrate de grande famille et un impresario hors pair de sa propre musique. S’il fut récompensé de son vivant par une renommée internationale digne des plus grandes vedettes contemporaines, l’histoire l’a jugé beaucoup plus sévèrement. On peut comprendre qu’en écoutant ces arpèges en cascades, ces crescendos bien sentis, ces rondos vifs et pimpants aux contours prévus par une habitude qui était déjà, à l’époque, solidement implantée, les générations suivantes, abreuvées aux innovations de Liszt et à la profondeur de Brahms, se soient détournées de cette esthétique flamboyante. Reconnaissons cependant l’indéniable qualité de l’inspiration mélodique du compositeur, le dynamisme énergique qu’il insuffle au développement de son discours et la solide maîtrise du langage propre à son instrument, en combinaison avec des qualités d’orchestrateur plus qu’enviables. Redonnons une chance à ce petit maître qui, malgré la condescendance dont il osa faire preuve un jour envers le jeune Chopin (s’il avait pu lire l’avenir!), mérite mieux qu’un oubli total. Frédéric Cardin


Piazzolla

Pascale Giguère, violon; Benoît Loiselle, violoncelle; Les Violons du Roy / Jean-Marie Zeitouni

Atma SACD2 2399 (58 min 01 s)

***** $$

Dès les premières secondes de ce récent disque des Violons du Roy, le ton est donné: l’intensité sera au rendez-vous. C’est un premier enregistrement de l’ensemble sous la direction de Jean-Marie Zeitouni, et le jeune chef sait très bien insuffler aux musiciens la fougue, mais aussi la sensualité que requiert le «nuevo tango» de Piazzolla. Leur jeu est bien accentué, tout en mouvement. La pièce de résistance du programme, Las Cuatro Estaciones portenas (Les quatre saisons de Buenos Aires, dans l’arrangement pour violon solo et cordes de Leonid Desyatnikov), met en vedette la violoniste Pascale Giguère. Cette dernière est tout à fait convaincante, langoureuse à souhait et violente où il le faut. Le violoncelliste Benoît Loiselle, soliste dans Graciela y Buenos Aires de José Bragato, est tout aussi éloquent. Un disque qui procure beaucoup de plaisir. Isabelle Picard


Shostakovich

The Golden Age

Royal Scottish National Orchestra / José Serebrier

Naxos 8570217-18 (143 min 42 s - 2 CDs)

***** $

Writing in The New Shostakovich (London 1990), the late Ian MacDonald related that in 1929, “...a commission came through ...from the Directorate of Theatres: a ballet to a scenario of outstanding idiocy entitled The Golden Age. Gaining in wisdom by the week, Shostakovich accepted it without hesitation.” Although the track listing of the discs follows the plot and Richard Whitehouse provides a synopsis in the booklet note, these can safely be disregarded. What’s important here is the music and much of it is of high quality. This is Shostakovich at his mischievous best. José Serebrier has been blazing a trail of glory for Naxos and he succeeds in leading the RSNO to a new benchmark recording for the complete ballet. The account is confidently and idiomatically performed which could not be said for Gennady Rozhdestvensky with the Stockholm Philharmonic for Chandos. The Shostakovich anniversary has generated a number of fine new recordings. This set and The Execution of Stepan Razin (Naxos 8557812) by the Seattle Symphony under Gerard Schwarz remain the two essential acquisitions for collectors with an interest in Soviet music and culture. W.S. Habington


Stokowski

Bach Transcriptions

Bournemouth Symphony Orchestra / José Serebrier

Naxos 8.557883 (67 min 51 s)

*** $

Le chef d’orchestre Leopold Stokowski (1882-1977) est également célèbre pour ses transcriptions. On peut trouver de nombreux enregistrements de ces arrangements, dont certains dirigés par Stokowski lui-même. La maison de disques Chandos leur a dédié une série de six CD, avec le BBC Philharmonic sous la direction de Matthias Bamert. Naxos semble suivre la même voie: Après un premier volume réservé à Moussorgski, en voici un consacré à Bach, qui devrait être suivi par un autre présentant des œuvres de Wagner. Les transcriptions d’œuvres de Bach peuvent en outre être entendues sous la direction de Wolfgang Sawallisch, Jacques Grimbert, Robert Pikler... Pourquoi en rajouter? C’est José Serebrier, chef assistant de Stokowski à l’American Symphony Orchestra de New York durant 5 ans, qui tient la baguette pour les enregistrements Naxos. Il présente des interprétations en accord avec les transcriptions de Stokowski: grandioses, ne lésinant pas sur la puissance, romantiques à l’extrême. Pour qui aime le genre, c’est bien fait. Sans aucun doute, un CD s’adressant davantage aux amoureux de Stokowski qu’aux amoureux de Bach. Isabelle Picard


Tchaikovsky

Violin Works

Julia Fischer, violin; Russian National Orchestra / Kreizberg

PentaTone PTC 5186 095 (68 min 25 s - Hybrid SACD)

**** $$$$

This generous and pleasing Tchaikovsky programme is the logical follow-up to Julia Fischer’s distinguished debut disc of Russian concertos (by Khachaturian, Prokofiev and Glazunov) for PentaTone. She is again teamed with Yakov Kreisberg and the Russian National Orchestra and the performances here are marvelous. In the concerto the balance between soloist and orchestra is perfect. There is brilliance aplenty in Fischer’s traversal and yet it all sounds natural, unforced and unpretentious. This is an account to rank with the best and the first version to become available in the Hybrid SACD multi-format. The other pieces for violin and orchestra get equally sympathetic treatment. Kreizberg demonstrates sensitivity as a pianist to partner Fischer in a deeply moving interpretation of Souvenir d’un lieu cher. Julia Fischer will be touring in the US in 2007. Included in the performance schedule are the violin concertos of Beethoven, Mendelssohn and Brahms. This provides an idea of what to look forward to from PentaTone. WSH


Concertos pour violon; Barber, Korngold, Walton

James Ehnes, violon; Vancouver Symphony Orchestra / Bramwell Tovey

CBC Records / Les disques SRC SMCD 5241 (78 min 53 s)

**** $$$

Ce disque au minutage généreux réunit trois des concertos parmi les plus joués en concert maintenant. On est heureux de retrouver l’archet, toujours juste et noble, d’un James Ehnes en grande forme, sans concession pour le romantisme mou ou brumeux auquel ces compositions pourraient prêter, à l’instar des Concertos pour violon de Bruch dont le violoniste canadien nous a donné une interprétation de haute tenue sous la même étiquette. À cet égard, le deuxième mouvement du Concerto de Barber, marqué «Andante», est un beau moment. Malheureusement, il manque au soliste un chef plus inspiré que Bramwell Tovey et un orchestre plus virtuose que le VSO pour tirer le meilleur de ces œuvres qui exigent lyrisme et virtuosité sans être d’une écriture toujours soutenue. De plus, une prise de son à la fois globale et lointaine en ce qui a trait à l’orchestre empêche l’auditeur de suivre le dialogue des divers pupitres instrumentaux entre eux et avec le violoniste. Alexandre Lazaridès


Musique de chambre / Chamber Music


Bach

Louise Pellerin, hautbois; Dom André Laberge, orgue

Atma, ACD 22511 (60 min)

**** $$$

Atma présente avec ce CD un florilège de pièces de J.S. Bach arrangées pour orgue et hautbois (ou hautbois d’amour), et interprétées tant dans un esprit de «réconciliation» que de liberté vis-à-vis de l’instrumentation, comme Bach lui-même l’a fréquemment fait, porté qu’il était à transcrire ses pièces ou à ne pas donner de consignes spécifiques d’instrumentation. Figurent notamment dans cet enregistrement des extraits de Cantates, le Concerto en la majeur pour hautbois d’amour BWV 1055 et la Sonate en trio pour orgue no 4 BWV 528, arrangée pour hautbois et orgue. La combinaison de ces deux instruments rend le choix judicieux, dans la mesure où le hautbois peut prendre, selon l’oreille, la place de son homologue, le jeu d’orgue du même nom. Une prise de son très homogène, et une registration d’une grande sobriété, mettent en valeur les talents de la hautboiste (primée au Conservatoire de musique de Montréal ainsi qu’en Allemagne, elle a à son actif une carrière internationale et enseigne présentement a Zurich), et de l’organiste (premier prix d’orgue au Conservatoire de Montréal, il est prieur a l’Abbaye bénédictine de St-Benoit du Lac, où a eu lieu l’enregistrement). Olivier Giroud-Fliegner




Beethoven

Sonates pour piano op. 7, op. 10 no 3, op. 57 «Appassionata»

Angela Hewitt, piano

Hyperion SACDA67518 (77 min 23 s)

**** $$$

Après avoir établi les plus hauts standards d’interprétation pour Bach, puis Couperin, après avoir offert une vision très enrichissante des univers de Ravel et de Chopin, voici que la Canadienne Angela Hewitt s’attaque à la constellation Beethoven. Pari risqué, certes, mais ne l’est-il pas pour tout pianiste sérieux? Heureusement, Mme Hewitt ne manque ni de sérieux ni de talent. Elle affronte le monstre beethovénien avec passablement d’aplomb (sauf pour de légères erreurs dans l’Appassionata), et surtout beaucoup de cette confiance technique qui lui vient de son pèlerinage chez le grand Jean-Sébastien. Cette vision ressemble plus ici à une appropriation du chaos pré-romantique de Ludwig, plutôt qu’à une communication avec sa transcendance intime. Mme Hewitt contrôle le dogue, et ne le laisse pas lui échapper. Il s’ensuit une puissance émotive (en particulier dans le très beau mesto de l’op. 10 no 3) qui nous est suggérée par la pianiste, plutôt que par la musique. Attendons voir s’il s’agit d’une démarche esthétique, ou d’une période d’adaptation. Les prochaines sonates nous éclairerons un peu plus. Il y a indéniablement beaucoup de force partout dans ce disque, mais, malheureusement, les beethovéniens puristes trouveront probablement à rechigner. Soyez avertis. Frédéric Cardin


Haydn

Six Quatuors œuvre 32, connus comme opus 20

Quatuor Festetics

Arcana A 413 (2 CD: 157 min 45 s)

***** $$$$

L’intégrale des quatuors pour cordes de Haydn par les Festetics chez Arcana tire à sa fin. Le présent volume est consacré aux six quatuors dits «du Soleil» de l’opus initiateur de l’année 1772 qui ne cesse d’étonner par la liberté de son inspiration et la hardiesse de son écriture. Les fugues qui complètent trois de ces quatuors, en plus de marquer l’émancipation décisive du violoncelle, sont un délice pour l’esprit autant que pour l’oreille; c’est avec le sourire que l’on suit la poursuite malicieuse des voix jouant à cache-cache. L’interprétation de la formation hongroise est impeccable sur le plan technique de l’intonation, du rythme et de l’exactitude. Il y manque seulement un certain brillant, en particulier dans les finales rapides, de même que ce brin de fantaisie qui signe l’humour narquois de Haydn. De ce point de vue, la version du quatuor Mosaïques sonne plus juste (Astrée Auvidis, 1990-1992). On peut aussi ne pas trouver avenant le son austère que les Festetics tirent de leurs instruments d’époque. Prise de son réaliste qui permet de suivre chacun des instruments. Alexandre Lazaridès


Marais

Les Folies d’Espagne; Suite en mi; Le Labyrinthe

Ensemble Spirale / Marianne Muller, viole de gambe et direction

Zig Zag Territoires ZZT060801 (61 min 20 s)

****** $$$$

L’année qui s’achève commémorait la naissance de Marin Marais dont c’était le 350e anniversaire. Cet élève de Sainte-Colombe et de Lully, violiste à la cour de Louis XIV pendant presque un demi-siècle, a laissé un nombre imposant de pièces pour la famille des violes, répertoire que le triomphe de la famille des violons fera un peu oublier à partir du 18e siècle. Il est à noter que les deux violes de gambe jouées dans cet enregistrement par Marianne Muller et Sylvia Abramowicz, celle-ci en tant que seconde basse de viole, sont à sept cordes. Les variations sur le thème des Folies d’Espagne (1701) sont une œuvre magnifique de presque vingt minutes qui exploite audacieusement les possibilités de l’instrument. La Suite en mi mineur de la même année regroupe une douzaine de pièces et finit par la grande méditation intitulée «Tombeau pour M. de Sainte-Colombe», alors que «Le Labyrinthe» tout en virtuosité est extrait de la Suite d’un goût étranger (1717). L’interprétation de l’Ensemble Spirale est partout exemplaire, tout comme la prise de son. Alexandre Lazaridès


Vivaldi

Chiaroscuro

Claire Guimond, flûte; Mathieu Lussier, basson; Arion

early-music.com EMCCD-7764 (66 min 50 s)

**** $$$

Vivaldi a composé 39 concertos pour basson, on peut donc supposer qu’il connaissait bien l’instrument. Et à l’écoute des concertos sélectionnés pour ce programme, on peut supposer qu’il connaissait un très bon bassoniste! Car le compositeur vénitien ne ménage pas son soliste. Comme dans les œuvres pour cordes, les passages virtuoses se succèdent à une vitesse folle. Mathieu Lussier s’en acquitte avec brio et on peut en dire autant de la flûte de Claire Guimond, ce qui n’a rien d’étonnant: on savait déjà qu’il s’agissait d’excellents musiciens, comme d’ailleurs les membres d’Arion qui les accompagnent. On retrouve donc la fraîcheur et la vivacité que l’on leur connaît, mais aussi leurs qualités expressives, notamment dans le Concerto en la mineur pour flûte, cordes et basse continue KV 440, moins éclatant de virtuosité et davantage axé sur la ligne mélodique. Isabelle Picard


Foreign Insult

La Ricordanza

MDG 505 1381-2

*** $$$$

Recueil d’ouvrages écrits par des compositeurs expatriés à Londres, cet enregistrement offre plus que les Handel de service. Johann Christoph Bach, Gottfried Fingerm, Francesco Barsanti, Carl Friedrich Able et Nicola Matteis exposent la riche palette de styles qui se sont succédés dans l’insulaire capitale anglaise entre 1685 et 1774. Que ce soit pour fuir les conséquences de la guerre, chercher un succès commercial ou pour embrasser une carrière d’imprésario, il semble que Londres était un environnement excitant et libéral pouvant offrir d’infinies possibilités. Le septuor La Ricordanza nous présente un quatrième opus dans la lignée de ses précédents enregistrements. Clarté, précision, justesse et acoustique naturelle feutrant l’articulation semblent être devenues leur marque de commerce. Sur ce dernier point, l’oreille qui apprécie des attaques mordantes restera sur son appétit. En effet, avec un intitulé d’album semblable, on eût pris davantage d’irrévérence et de risque. Tout de même, cet album est visiblement le résultat d’un intense travail d’archives et intéressera tout chambriste à la recherche de répertoire moins fréquenté. Guy Bernard


German Romantic Works for Viola and Piano

Jutta Puchhammer, alto; Élise Desjardins, piano

Fidelio FACD 018 (71 min 55 s)

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Quel bonheur que d’avoir (chose encore trop rare!) un disque complet consacré au mal aimé de la famille des cordes, l’alto. Le répertoire choisi met bien en évidence le lyrisme chaleureux inhérent à cet instrument. Mme Puchhammer est une interprète sensible et dévouée au défrichage des sentiers moins fréquentés du répertoire altiste. Ici, en plus des Pièces de Fantaisie op. 73bis de Schumann (originellement pour clarinette), elle propose des rencontres avec Friedrich Kiel (1821-1885) et sa Sonate op. 67, Karl-Ernst Naumann (1832-1910) et sa Sonate op. 1 et Robert Fuchs (1847-1927) et sa sonate en ré mineur op. 86. Le jeu expressif de Mme Puchhammer et de sa partenaire communique tout l’enthousiasme manifestement ressenti par les deux musiciennes envers ces œuvres méconnues. L’ensemble bénéficierait cependant d’une prise de son plus spacieuse, qui permettrait à la sensibilité naturelle de cette musique de mieux se manifester. Frédéric Cardin


Impressions

Œuvres de Debussy, Schmitt, Griffes, Szymanowski et Scriabin

Winston Choi, piano

Arktos 200689 CD (74 min 27 s)

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Winston Choi est un jeune pianiste de Toronto en pleine ascension. Il possède une solide technique qui lui permet d’attaquer avec confiance les œuvres les plus virtuoses et diaboliquement exigeantes. On le retrouve ici dans un répertoire essentiellement impressionniste (voire symboliste), d’où le titre du CD. On remarquera un Debussy (trois des Images du Livre 2) à tendance expansive et à l’architecture globale magnifiée, parfois au détriment (léger) de la concentration sur l’analyse de l’espace intérieur. La beauté de son doigté, et son habileté à recréer l’univers prismatique debussyste en touches de concentrés coloristiques variés, est indéniable. M. Choi nous offre aussi en prime quelques cadeaux méconnus du même acabit. L’hommage de Florent Schmitt à son prédécesseur (À la mémoire de Claude Debussy), les extraits de Roman Sketches de l’Américain Charles Griffes et les Métopes de Szymanowski sont autant de kaléidoscopes lumineux et colorés en nuances sophistiquées dans lesquelles M. Choi semble être parfaitement à l’aise. Le programme se termine sur le Poème de l’Extase de Scriabin, très plastique, presque pudique, malgré plusieurs beaux moments. Frédéric Cardin


L’Orgue du diable; Anne Chasseur

Œuvres de Bach, Dupré, Haydn, Scarlatti, Schumann, (Bach), Vivaldi

Suisa Disc (62 min 43 s)

****

La jeune organiste concertiste suisse Anne Chasseur présente dans ce CD à la présentation originale et très soignée un enregistrement exécuté sur le 32 pieds Kleuker de l’église du Chant d’Oiseau à Bruxelles en Belgique, «orgue du diable» construit en 1981 sur les plans de Jean Guillou, et dont la sonorité trahit immédiatement l’influence du maître (cette palette de registres «solistes» qu’on retrouve sur les instruments qu’il a «faits», pour ne citer que N-D-des-Neiges à l’Alpe d’Huez, la Tonhalle de Zurich, et par-dessus tout l’église St-Eustache à Paris). Sur ce CD dont la qualité semble devoir moins au choix des œuvres qu’à l’interprète et à l’instrument, Anne Chasseur, rompue à une technicité adaptée à l’esprit de cette tribune, marie de grands classiques (Toccata, adagio et fugue en Ut BWV 564 de Bach ou les Variations sur un Noël de Dupré) a des Sonates de Scarlatti et des pièces pour orgue mécanique de Haydn. Les plus belles pages à entendre ici sont sans doute les Quatre Esquisses op. 58 de Schumann, où l’interprète fait montre de sensibilité. Olivier Giroud-Fliegner


Romantic Sonatas for Cello and Piano

Ponce, Coulthard, Rachmaninoff

Sébastien Lépine, violoncelle; Arturo Nieto-Dorantes, piano

Disques XXI-21 XXI-CD 2 1569 (82 min 30 s)

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Trois sonates pour violoncelle et piano, en apparence disparates par l’origine de leurs compositeurs, mais qui se révèlent, après audition, sorties du même moule romantique. Dans sa sonate, composée en 1922, Manuel Ponce réussit à marier la rythmique accentuée d’une certaine musique populaire hispanique avec l’amplitude sonore et le lyrisme débordant du romantisme tardif. De plus, dans le dernier mouvement, il aborde la technique du contrepoint fugué avec assez de bonheur. Une très belle œuvre, qui devrait être programmée plus souvent. La sonate (1947) de la Canadienne Jean Coulthard est bien ancrée dans la tradition germano-romantique, mais se refuse à n’être qu’un simple pastiche. C’est une belle pièce, facile d’approche, mais pas ignorante d’un certain modernisme. La sonate de Rachmaninov est un monument, rien de moins. Les deux interprètes sont tout à fait excellents. Fougueux, vifs, enflammés, mais aussi tendres et passionnés. Toute la souplesse des rythmes, mais aussi l’élan des phrasés sont bien maîtrisés et rendus par ces performances de haut niveau. On regrettera seulement un léger manque d’équilibre sonore dans le Rachmaninov, au détriment du violoncelle. Frédéric Cardin




Musique vocale / Vocal


Agricola

Chansons

Michael Chance, contre-ténor; Fretwork

Harmonia Mundi HMU 907421 (75 min 12 s)

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Agricola (qui, malgré la consonance italienne de son nom, était Flamand) était un compositeur dont les services étaient chaudement disputés par différents princes européens de l’époque. On raconte qu’Agricola quitta en 1491 la Cour du Roi de France sans permission. Ce dernier écrivit quelques lettres enflammées à différents princes, dont Pierre de Médicis à Florence, pour réclamer qu’on le lui retourne! Agricola mérite tout à fait sa réputation. Sa musique est un heureux mariage du populaire et du savant, et est annonciatrice de l’explosion des affects qui pointait à l’horizon avec l’arrivée du xvie siècle et du baroque. Le consort de violes Fretwork et le contre-ténor Michael Chance avec son timbre tout en subtiles demi-teintes, nous offrent des interprétations impeccables d’un magnifique répertoire encore trop méconnu. Frédéric Cardin


Bembo

Produzioni Armoniche

Convoce Coeln

Alpha 099 (71 min 09 s)

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Antonia Bembo, née Padoani (c. 1640 – c. 1710), après avoir quitté sa Vénétie natale, y laissant un mari et trois enfants, a été pensionnée par Louis XIV et s’est consacrée à la composition. Elle a laissé une œuvre assez abondante, constituée d’airs, de motets et d’opéras. Les pièces extraites du recueil manuscrit Produzioni Armoniche sont enregistrées ici pour la première fois. On y reconnaît une certaine rhétorique des sentiments héritée de Monteverdi et de l’opéra italien, mais, utilisée sans imagination, elle laisse froid alors même qu’il est question de souffrance et de mort. Maria Jonas livre une interprétation étudiée des œuvres de Bembo, mais la voix manque de couleur et n’émeut pas. Quelques œuvres instrumentales de trois autres compositeurs de la même époque complètent le programme de façon plutôt hétéroclite: «Prélude & Silvains» et «Tombeau», pour théorbe seul, de Robert de Visée, Sonate pour violoncelle de Giuseppe Maria Jacchini (1667-1727) et chaconne pour clavecin d’Élisabeth Claude Jacquet de la Guerre (1665-1729). L’interprétation des membres du Convoce Coeln semble quelque peu effacée. Alexandre Lazaridès


Puccini

La Bohème; Two performances from New York

Chefs: Gennaro Papi (1940); Giuseppe Antonicelli (1948)

West Hill Radio Archives, WHRA-6009, 2006

3 CD avec notes de Ralph V. Lucano

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Pourrait-on l’ignorer encore? Les transmissions des opéras du Metropolitan, en direct, durent depuis le 25 décembre 1931 (Hänsel und Gretel). Elles n’ont pas discontinué depuis plus de 75 ans, le Québec toujours aux premières loges. Le disque en garde plusieurs traces, les unes pirates ou privées, certaines éditées par le Met pour les membres de sa guilde; d’autres, commerciales, publiées par Naxos et Guild à partir des fonds de Immortal Performances Archive (Colombie-Britannique). Voici une nouvelle série, ontarienne cette fois. Un coffret propose deux Bohème (10 février 1940 et 31 janvier 1948), mettant en vedette Bidú Sayao, la célébrissime Mimì de cette décennie où, curieusement, l’œuvre de Puccini n’est pas encore un best-seller. «Les opéras les plus diffusés à l’époque, expliquent les notes, étaient, dans l’ordre, Tristan, Aïda, Carmen, La Traviata et Die Walküre». Sayao chante son rôle avec une stylistique davantage française qu’italienne, une voix mince plutôt que spinto, mais sûre et très portante, des émissions médianes bien timbrées et appuyées, à l’accent moderne. Ses collègues ténors, Armand Tokatyan et Ferruccio Tagliavini, sont radieux de jeunesse, de clarté, de panache. Il est intéressant aussi d’entendre d’anciennes stars comme Giuseppe De Luca, ou de nouvelles qui se nomment Ezio Pinza et Nicola Moscona. Bien que les enregistrements viennent d’une époque lointaine, la restauration des bandes et les transferts numériques procurent des sons assez nets et brillants, bien calibrés, dignes des matrices de Immortal Performances. Pour amoureux d’archives lyriques et radiophoniques. Réal La Rochelle


Forbidden Love; Salvatore Licitra

Salvatore Licitra, ténor; Orchestra Sinfonica di Milano Giuseppe Verdi / Romano Gandolfi

Sony Classical 82876-78852-2 (60 min 39 s)

*** $$$

Le ténor qui, il y a moins de dix ans, semblait beaucoup promettre ne tient pas très bien la route dans ce récital qui regroupe quelques-uns des compositeurs de la fin du xixe et du début du 20e: Mascagni, Cilea, Giordano, Boito, etc. Licitra est apparemment rompu au style vériste, et son émotion est par moments communicative, sauf que, d’un compositeur à l’autre, la caractérisation des personnages paraît bien trop uniforme. Les deux airs de Verdi, tirés de Ernani et de Othello, sont chantés de la même manière, avec des sanglots plutôt incongrus dans une ligne vocale où il n’y a guère de place pour l’artifice. Si la voix de Licitra possède toujours une projection et un éclat naturels, elle bouge assez pour inciter le chanteur à avoir recours à un vibrato qui devient trille dès que le son est longtemps tenu; les notes poussées ou forcées ne manquent pas non plus. L’accompagnement orchestral sonne de façon routinière. Alexandre Lazaridès


Homage: The Art of the Diva

Arias from Adriana Lecouvreur, Dalibor, Oprichnik, Tosca, Das Wünder der Heliane, Die Liebe der Danae, Servilia, Il Trovatore, Cleopatre, Jenufa, and Die Kathrin

Renée Fleming, soprano

Orchestra of the Mariinsky Theatre, Valery Gergiev, conductor

Decca 475 8069 (67m 27s)

***** $$$$

As the reigning American diva of our time, it is fitting that soprano Renée Fleming pays homage to divas of the past. The twelve arias chosen for the album were premiered by such great singers as Mary Garden, Rosa Ponselle, Maria Jeritza, Lotte Lehmann, Emmy Destinn, Magda Olivero, and Geraldine Farrar. The selections range from the extremely familiar (Vissi d’arte from Tosca and Tacea la notte from Il Trovatore) to the rarely heard arias from Korngold’s Die Kathrin and Das Wunder der Heliane. The most obscure piece is an aria from Rimsky-Korsakov’s Servilia, from a newly discovered score gathering dust for many decades at the Mariinsky Theatre. Fleming is in terrific voice on this disc, singing with her customary rich, opulent tone. Her technical command is really quite amazing – you won’t hear better trills than hers in “Di tale amor”. More problematic for me is her tendency to be excessively melodramatic in some of the arias, distorting the vocal line and coming across as mannered. The handsomely produced booklet is chockfull of lovely photos of the great singers, plus of course many of Fleming herself in her best diva poses. She also contributes an interesting and well written – though far-too-brief – essay on the genesis of this recording. Her frequent collaborator, Valery Gergiev conducts this material lovingly. For me this is one of the better recordings of Fleming in recent years. Joseph K. So


Secrets of Dvorak’s Cello Concerto

Jan Vogler, violoncelle; Angelika Kirchschlager, mezzo-soprano; Helmut Deutsch, piano; New York Philharmonic / David Robertson

Sony Classical SK 82876737162 (67 min 42 s)

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Voilà un programme bien pensé et bien exécuté! Pour nous convaincre d’acheter une énième version du Concerto pour violoncelle de Dvorak, Jan Vogler a eu l’idée d’y joindre une série de lieder brillamment interprétés par la magnifique Angelika Kirchschlager, l’un des très beaux mezzo de l’heure. Chaleur, velours, tendresse, mais aussi puissance émotive, sont admirablement évoqués par cette voix exceptionnelle. Vogler reprend le très beau chant Lasst mich allein op. 82 no 1. La «voix» du violoncelle fait ainsi un écho très réussit à celle de Mme Kirchschlager. Puis, comme l’éclectisme est à la mode, on a décidé de l’utiliser intelligemment, en insérant au programme deux chansons folkloriques américaines de Stephen Foster, délicieusement rendues par les caresses vocales d’Angelika Kirchschlager. Et le Concerto direz-vous? Il démarre sur les chapeaux de roue, et n’arrête pratiquement pas. Le son de Jan Vogler est puissant, mais aussi empreint d’étonnantes subtilités, et l’orchestre est somptueux. Même si vous en possédez déjà une ou plusieurs versions (ce qui est plus que probable), celle-ci, par la programmation originale et intelligente qui l’accompagne, et par l’interprétation marquante du soliste et de l’orchestre, devrait vous convaincre de l’ajouter à votre collection! Frédéric Cardin




DVD


Marc-André Hamelin; It’s all about the music

Hypérion DVDA68000 (120 min)

***** $$$$

Ce DVD offre le double plaisir d’un documentaire sur le pianiste canadien et d’un récital filmé en 2005 au Domaine Forget. Le documentaire fait alterner commentaires biographiques succincts, entrevues avec le pianiste qui évoque avec une affection évidente les œuvres des compositeurs-pianistes ainsi qu’entretiens complémentaires avec le compositeur Ronald Stevenson (tout un personnage), Robert Rimm (presque pontifiant par moments) et Andrew Keener (qui ajoute un éclairage fascinant sur le travail de réalisation d’un enregistrement). Dans la partie concert, on retrouve Hamelin au sommet de sa forme, faisant fi des embûches pianistiques sans mouvements excessifs, livrant avec conviction et une maturité raffinée l’essence musicale de chaque œuvre. On regrettera de n’avoir eu droit qu’à un extrait des «Jardins de Buitenzorg» de la Java Suite de Godowsky, amoureusement ciselé par le pianiste. En complément de programme, on retrouve le quatrième mouvement du Concerto de Busoni (électrisant) et des entrevues avec Rimm, Harvey Wedeen (professeur de Marc-André Hamelin à Temple University) et du compositeur Jay Reise (particulièrement intéressant). Lucie Renaud


Jewels

Ballet de l’Opéra National de Paris / George Balanchine - Paul Connelly, chef d’orchestre

Opus Arte OA 0951 D

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George Balanchine, figure emblématique du ballet néoclassique, signe ici la chorégraphie de Pelléas et Mélisande de Fauré, du Concerto pour piano et orchestre en ré de Stravinsky et de la Troisième symphonie de Tchaïkovski. Pour les amants de l’école russe, avec tout ce qu’on lui connaît de rigueur et de romantisme, cet enregistrement vidéo vaut son pesant d’or. Après tout, Balanchine s’est vu attribuer le modeste titre de plus grand chorégraphe du 20e siècle! Sans argument, sur fond noir, les danseurs, tenue impeccable, démontrent tout leur savoir-faire dans la grande tradition du ballet alla Kirov. Si Le Fauré se marie bien à ces pas classiques, on sent un petit malaise en voyant le décallage d’esthétique entre le Concerto pour piano de Stravinsky, tout tango qu’il est, et les pas de danse en pointes des danseuses. Tentant de s’approprier le caractère de la danse argentine, la faïence dansante fait un peu anachronique. Toutefois, dès les premières mesures de la symphonie de Tchaïkovsky jusqu’à sa grandiose coda, cet écart de styles disparaît complètement pour laisser place à toute l’habileté et à la poésie de ces artistes du corps. L’orchestre de l’Opéra national de Paris est dans sa plus grande forme. Guy Bertrand


Renée Fleming: Sacred Songs

In concert from Mainz Cathedral

Die Deutch Kammerphilharmonie Bremen, Mainzer Domchor / Trevor Pinnock

Decca 074 3129

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Vous vouliez assister au concert de Renée Fleming et l’OSM en décembre? Trop tard, les billets se sont tous envolés. En «prix de consolation», ce DVD qui rassemble plusieurs grandes oeuvres sacrées de Noël (et un court extrait d’opéra profane) devrait grandement satisfaire quiconque a trop tardé à se prémunir de son droit d’entrée. Alternant entre répertoire traditionnel, classique léger (Ave maria de Schubert, Panis angelicus de Franck) et registre plus sérieux (Laudamus te extrait de la Messe en Do mineur, K427 de Mozart), Fleming chante d’une voix généralement bien placée, avec justesse et égalité, tout en réussissant à éviter les réflexes opératiques. À la direction, Trevor Pinnock assure le déroulement instrumental avec tout ce qu’on lui connaît de bon goût, de sobriété et de justesse. Son effectif orchestral intime se fait entendre seul sur quelques plages, tout comme le chœur de voix de garçons. Ces ajouts à la prestation sont loin d’être du remplissage. En fait, ils rehaussent la prestation tout en la diversifiant. En complément de programme, quelques œuvres chantées par Fleming et un chœur mixte d’enfants, sans public, sont d’un intérêt moindre. Guy Bertrand




Livres

Notes d’espoir d’un «joueur de piano»

Pierre Jasmin se raconte à Jeanne Gagnon

Triptyque, 2006, 170 p.

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C’est un ouvrage difficile à définir que nous présentent le pianiste Pierre Jasmin et l’auteure Jeanne Gagnon. Pas vraiment une biographie du musicien, quoiqu’on suive une bonne partie de sa formation et de son cheminement; pas vraiment une réflexion sur le milieu musical et culturel québécois, quoiqu’il soit aussi question de ça, et en abondance. De ça, mais également de l’idée de l’interprétation de la musique, de pédagogie et même à l’occasion de politique internationale. Car il s’agit d’entretiens, sous forme de questions / réponses, allant dans de multiples directions. On ne pourra en tout cas pas reprocher à Pierre Jasmin de ne pas avoir d’opinion! Il en a une sur de nombreux sujets et ne se gêne pas pour distribuer les éloges et pour décocher quelques flèches. On peut être d’accord avec lui ou non, selon les sujets, mais il a au moins le mérite d’argumenter ses dires et d’alimenter la réflexion. On sent bien qu’il s’agit des propos d’un passionné et on excuse quelques contradictions. Jeanne Gagnon est visiblement une «groupie» de Jasmin – on le comprend dès le premier paragraphe de l’avant propos. Mais après tout, est-ce bien grave? Soyons honnête: peut-on avoir envie de travailler à un tel ouvrage avec un artiste dont on n’apprécie pas le travail? Isabelle Picard


(c) La Scena Musicale