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La Scena Musicale - Vol. 12, No. 3 novembre 2006

Musique pour le mois des morts

Par Isabelle Picard / 5 novembre 2006


Requiem aeternam dona eis Domine… «Seigneur, donne-leur le repos éternel». Cette prière a été mise en musique des milliers de fois. Bien sûr, il aurait aussi fallu parler de Palestrina, Mozart (mais comment le faire sans consacrer une page complète aux différentes versions?), Berlioz, Brahms, Verdi, Gounod, Dvorak, Ligeti, Penderecki, Britten et j’en passe. Voici quand même quelques exemples de requiems à découvrir dans la discographie, en commençant par les premiers essais polyphoniques, puis en faisant un saut jusqu’au début du 20e siècle.

Pierre de La Rue (c. 1452-1518)

Dans la musique liturgique, celle destinée à la messe des morts est la dernière à avoir admis l’usage de la polyphonie. Le premier à avoir utilisé la polyphonie pour le cycle complet est Ockeghem, après 1450. La Rue est parmi les premiers à avoir suivi son exemple. On remarque dans sa Missa pro fidelibus defunctis une grande variété de textures et des passages de grande sophistication contrapuntique (par exemple dans l’Offertoire).

Écoute suggérée: The Clerks’ Group, dirigé par Edward Wickham (Gaudeamus, CD GAU 352)


Antoine Brumel (c. 1460-?1512-13)

Brumel est lui aussi parmi les premiers à avoir comme Ockeghem composé une musique polyphonique destinée à la messe des morts. Il est par ailleurs le premier à y avoir inclus le Dies irae. Comme tous les requiems composés à cette époque, la Missa pro defunctis de Brumel demeure près du chant grégorien traditionnel. Par exemple, dans le Dies irae, les passages polyphoniques alternent avec le chant grégorien.

Écoute suggérée: The Clerks’ Group, dirigé par Edward Wickham, sur le même disque que le La Rue ci-dessus (Gaudeamus, CD GAU 352). Il s’agit du premier enregistrement complet de cette messe de Brumel.

Thomas Luis de Victoria (1548-1611)

L’Espagne a été une terre riche pour le requiem polyphonique. La première mise en musique espagnole complète revient à Pedro Escobar, autour de 1520. L’Officium defunctorum (1605) de Tomas Luis de Victoria est sans aucun doute son œuvre la plus célèbre. Chapelain de l’impératrice Marie, sœur du roi Philippe II, c’est pour la mort de celle-ci que Victoria a composé ce requiem, un magnifique exemple de la riche polyphonie espagnole. Encore ici, plain-chant et polyphonie sont juxtaposés. On y trouve une charge émotionnelle d’une rare intensité pour l’époque.

Écoute suggérée: The Sixteen, dirigés par Harry Christophers (Coro, CORSACD16033)

Gabriel Fauré (1845-1924)

Il existe trois versions du Requiem de Fauré: La première (1988) était écrite pour choeur, orgue, cordes, timbales et harpe; en 1893, Fauré ajoute un solo de baryton dans le sixième mouvement (Libera me), des trompettes, des cors et des bassons; la version symphonique a été achevée en 1900. Avec ses ajouts en bois, cuivres, et cordes, cette dernière version est la plus souvent jouée. Fauré n’a pas composé cette œuvre pour une occasion particulière, mais plutôt, selon ses dires, «pour le plaisir». On perçoit dans son œuvre une influence du chant grégorien et, surtout, une sérénité face à la mort. Il a d’ailleurs dit: «C’est ainsi que je perçois la mort: comme une délivrance heureuse, une aspiration au bonheur d’au-delà».

Écoute suggérée: Il y a bien sûr de bons enregistrements de la version orchestrale. Mais on peut aussi se tourner vers une version très dépouillée, avec pour seul accompagnement un orgue, du Swedish Radio Choir, dirigé par Fredrik Malmberg (BIS Records, BIS-SACD-1206).

Maurice Duruflé (1902-1986)

Pour la composition de son Requiem, Duruflé s’est beaucoup inspiré de Fauré et il adopte la même structure liturgique (modifiée par rapport au texte traditionnel de la messe) que son prédécesseur. L’œuvre existe en trois versions: une pour grand orchestre et orgue, une pour orgue seul et une pour ensemble instrumental réduit et orgue. On y remarque la présence de mélodies de plain-chant et l’usage d’une harmonie modale. Comme chez Fauré, l’œuvre est teintée de sérénité plus que de douleur (sauf peut-être dans le Libera me). Duruflé a dédié son Requiem à la mémoire de son père.

Écoute suggérée: Comme pour le Fauré, l’enregistrement du Swedish Radio Choir, dirigé par Fredrik Malmberg, avec orgue, vaut la découverte (BIS Records, BIS-SACD-1206).


(c) La Scena Musicale 2002