Jazz
July 31, 2007
Au rayon du disque - Off the Record
Marc Chénard, Charles Collard, Félix-Antoine
Hamel, Paul Serralheiro
Michael Brecker
: Pilgrimage
Heads Up HUCD 3095
HHHHII
Le regretté Michael Brecker a influencé
toute une génération de saxophonistes par son style de virtuose, reconnaissable
dans les contextes les plus divers. Dès les premières mesures de
The Mean Time, la pièce qui ouvre ce disque posthume, on sait à
qui l'on a affaire. Entouré de grosses pointures (Herbie Hancock, Jack
DeJohnette, Pat Metheny, John Pattitucci, Brad Mehldau), le saxophoniste
se lance dans des solos volontier acrobatiques (et souvent époustouflants)
avec sa grâce habituelle et ce, dans un environnement surtout acoustique,
mais qui puise largement aux sources du mouvement fusion et de la musique
pop. Aucun thème n’est particulièrement mémorable, mais l’interaction
au sein d'une section rythmique stellaire vaut à elle seule le prix
du disque. Alors que le Fender Rhodes de Hancock donne à la pièce
titre une touche rétro à laquelle nous sommes désormais habitués,
l’EWI de Brecker (dans la même pièce) et la guitare-synthétiseur
de Metheny, même entre ses mains expertes, ne dépassent pas la stature
d’anecdotiques gadgets. À plus de 75 minutes, l’album pèche par
quelques longueurs, mais s’avère néanmoins un testament musical
à la hauteur du talent de l’un des saxophonistes les plus influents
de son temps. FAH
Jacques Vidal : Mingus Spirit
Nocturne NTCD-415
HHHHII
Certains disques rendent hommage à un
artiste en interprétant sa musique tandis que d’autres le font avec
un répertoire inspiré d'elle. Ce disque s’insère quelque part entre
les deux. Sous la direction du contrebassiste Jacques Vidal, un ensemble
de neuf solides instrumentistes (dont le trompettiste américain Eddie
Henderson) s’attaque aux compositions du bassiste, qu’il a savamment
orchestrées. Les clins d’œil au grand et gros Charles sont nombreux,
notamment son Don’t Be Afraid, the Clown’s Afraid Too en
début de disque; le jeu d’ensemble est admirable, même haletant
par moments, et la sonorité est celle d'un groupe américain logé
en plein cœur de la Grosse Pomme et non dans le noyau musical parisien.
Le disque défile sur les chapeaux de roue ; seule la dernière plage
(Epilogue), un duo intimiste entre Vidal et Isabelle Carpentier
qui récite un poème de son cru, permet de souffler pendant les quatre
dernières minutes de ce disque qui dure près d’une heure. On ne
sait pas si Charles sourit d’en haut, mais on peut parier que sa veuve,
Sue, approuvera cette solide réalisation. MC
Ivanhoe Jolicoeur: Bathyscaphe
BathCD01
HHHHII
With its three-horn lineup and rhythm
section behind it, the sextet potentially has lots of blasting power,
but it can also be startlingly intimate. It is this balance of contrasting
dynamics that characterizes trumpeter Ivanhoe Jolicœur’s band. Here,
he enlists the talents of saxophonist Yves Adam, trombonist Marc Tremblay,
pianist Gaëtan Daigneault, bassist Alain Picotte and drummer Daniel
Lemay. The leader’s compositions range from full-voiced block writing
to intimate chamber jazz. Their music is brawny, with a bold declarative
group sound in several cuts, as in the opening Pièces détachées,
apt given the heroic deep-sea diving themes suggested by the album’s
title. But there are peaceful moments, too, as in the jazz waltz
Domino and the lyrical Le soleil de San Blas. This is a concept
album for sure, highlighting both the writing and the playing, and performed
by a spirited crew out on a promising maiden voyage.
PS
Andy Emler MegaOctet : West in Peace
Nocturne NTCD410
HHHHII
Cela faisait des lustres que le pianiste
français Andy Emler n’avait donné de ses nouvelles. On l'a connu
dans les années 90 par ses disques chez Label Bleu. On a beaucoup parlé
de lui, puis plus rien… jusqu’à l’arrivée de ce compact au malin
petit calembour de titre. Ayant reconstitué son ensemble, le MegaOctet
(qui en fait compte neuf membres), Emler présente une suite en sept
parties totalisant quelque 51 minutes (dont on pourra percer les secrets
à l’aide des notes incluses dans le livret). Beaucoup de styles sont
mélangés ici, quoique la facture soit indéniablement européenne
dans sa manière de fondre l’écrit et l’improvisé. La distribution
est ultra solide; on y retrouve entre autres le toujours délirant trompettiste
chanteur Médéric Colignon (un genre de Louis de Funès de la musique
improvisée). Comme par le passé, Emler mise beaucoup sur l’assise
rythmique, ce qui l’amène plus près du rock, mais les cuivres et
saxos ajoutent de belles épaisseurs à cette musique dont la conception
est aussi virtuose que son exécution. Welcome back, Andy!
MC
De nouveaux trios avec piano
1 Lafayette Gilchrist 3
Hyena HYN 9358
HHHHII
2 Fred Hersch Trio : Night And The
Music
Palmetto PM 2124
HHHHHI
3 Jef Neve Trio : Nobody Is Illegal
Universal 1708963
HHHHII
1 Notre corbeille de disques récents
contient quelques nouveautés trios, dont une de Lafayette Gilchrist.
Ce pianiste d’une trentaine d’années a fait ses débuts professionnels
à Baltimore en 2004 avec son groupe The New Volcanoes, avant de rallier
la formation de David Murray. Les médias spécialisés qualifient ce
solide gaillard de phénomène; en effet, Gilchrist combine avec une
étonnante expertise l’inspiration de ses éminents prédécesseurs
(Thelonious Monk, Andrew Hill et Sun Ra) et un sens du télescopage
funky digne des grands noms du genre. Les sept titres révèlent un
jeu flamboyant, notamment dans Visitors, dédié à Sun Ra. La
basse électrique d’Anthony Jenkins et la batterie binaire de Nate
Reynolds insufflent un groove puissant, mais diablement encombrant à
la longue car ces instruments sont très en évidence dans la prise
sonore. On souhaiterait bien entendre ce pianiste de nouveau, peut-être
en solo ?...
2Une option différente, mais
non moins intéressante, s’offre ici aux amateurs de trios avec piano.
Auteur de cinq disques pour le label Palmetto, Fred Hersch collabora
avec le chanteur Kurt Elling (« Leaves Of Grass »,
en 2005), ainsi qu’une performance « live » enregistré au Village
Vanguard avec ses partenaires habituels, Drew Gress (contrebasse) et
Nasheet Waits (batterie). Ce nouvel album est probablement son plus
intime, mais le pianiste ne tombe pas dans la langueur qui afflige tant
de productions du genre. Le son est nocturne, comme l'indique le titre,
avec des ballades figurant à côté de créations originales et de reprises
de Monk, notamment Misterioso en conclusion (l'interprétation
de cette pièce étant une leçon de sobriété et
d’introspection musicale).
3Jeune pianiste belge de formation
classique, Jef Neve s’est rapidement imposé en trio, soutenu ici
pour son troisième CD par le major Universal. La presse européenne
a salué ce disque et des ventes intéressantes ont transformé ce musicien
en attraction médiatique. Très polyvalent, il a donné en concert
les Variations Goldberg et composé des musiques de film. De
la virtuosité, il en a à revendre, naviguant entre les styles avec
une aisance déconcertante; certains pourront même lui reprocher un
penchant pour la démonstration. Le résultat est pourtant à la hauteur
avec des interprétations musclées en trio et beaucoup d'invention
dans l’écriture; deux compositions comprenant quatre cuivres témoignent
d’un sens raffiné des textures. Voilà un album de haute volée qui
laissera tout un chacun étourdi et fasciné. CC
À noter : Ce pianiste se produit
avec son trio
le 2 juillet sur une scène extérieure du FIJM.
en bref
Deux inédits
chez Justin Time
Dans sa série ‘Just a Memory’,
la maison de disques montréalaise Justin Time vient de publier deux
titres de valeur historique, le premier purement anecdotique, le second
d’une singulière importance pour le jazz canadien.
« C’est Magnifique! », d’abord, est une compilation de 23 pièces
(en 61 minutes), de chanteurs (6) et de chanteuses (12) actifs à Montréal
entre 1953 et 1968. Parfois en formation intimiste, parfois avec big
band et orchestre à cordes, ce pot-pourri de standards de jazz et de
musique pop fait écho à des temps révolus et sonne inévitablement
un peu kitsch. Plus significatif est « Our Blues » du saxo ténor
vancouvérois Fraser McPherson. Deux bandes radio de 1962 et de 1963,
découvertes dans le legs du défunt saxophoniste à son fils, sont
repiquées sur ce compact de 53 minutes. Ce qui retient l’attention,
c’est le pianiste, Chris Gage, sans doute le musicien le plus mythique
des annales du jazz canadien. Chose étonnante, il aura fallu 42 ans
après son suicide en 1964 (à 37 ans) pour entendre enfin ce pianiste
qu’Oscar Peterson appréciait pour son style bien développé. Le
programme musical est bien d’époque, avec des bons numéros de jazz
comme Round Midnight ou Speak Low, et ce document révèle
un pianiste à la touche percussive et originale, peut-être même unique.
Un must pour celui que la filière historique, ou canadienne,
intéresse. MC
Débat
ECM dans le collimateur
D’ici
un an, le prestigieux label munichois ECM sortira son millième titre,
un fait qui relève de l’exploit pour cette entreprise qu'on pourrait
appeler le ‘roi’ des indépendants. De l’encre, il en a fait couler
durant ses 38 ans d’existence et, à en juger par les critiques, le
flot n’est pas près de s’arrêter. Question de s’immiscer dans
la polémique, voici trois parutions récentes, deux qui soulignent
la problématique soulevée par l’étiquette et une autre qui fait
contraste avec sa production habituelle.
Enrico Rava Quintet : The Words and
the Ways
ECM 1982
Figure emblématique du jazz italien,
Enrico Rava est un trompettiste au souffle chaud dont le lyrisme et
le mélodisme puisent à la tradition musicale de son pays. Après avoir
tâté du jazz américain, du cool au free, il revient à ses amours
premiers, par exemple, des relectures de musiques d’opéra. Ici, il
est entouré de quatre jeunes compatriotes, son partenaire d’avant-scène
étant le tromboniste Gianluca Patrella. La musique caresse comme une
brise méridionale, avec d’occasionnels coups de vent qui font dresser
l’oreille. Rava développe ses solos admirablement, comme toujours,
alors que ses acolytes ne captivent pas autant notre attention dans
leurs interventions, remplissant leur charge d’accompagnateurs bien
adéquatement. Le scénario ECM est respecté à la lettre : on ne brusque
rien dans les premières plages, puis on ose un tout petit peu, on modère
de nouveau ses transports et on se fait un peu plus enjoué en fin de
parcours. Comme entremets, cela convient tout à fait, mais ces douze
plages étendues sur 73 minutes auraient nécessité quelques épices
de plus que la petite pincée de fines herbes. MC
Paul Motian: Time and Time Again
ECM 1992
The imprint of producer Manfred Eicher
is clearly present here, as it is in just about every release from this
label. But there are strings attached to this, both pro and con. On
one hand, the goods are delivered, as expected, but on the other, some
of the players’ individuality is lost in the process - and nowhere
is that more obvious than in Joe Lovano’s case. Not only is the full
range of his sound compromised, but the bluster and abandon he is so
able to muster up are absent, making way, instead, for some restrained
tone painting, like subtle pastels dabbed in light strokes. This is
not necessarily bad; it’s just not what one expects from Lovano. But
for guitarist Frisell, the restraint is welcome. In his projects there
is sometimes a lack of hemming in of ideas. But in the service of another
leader, as is the case here, Frisell steps up to the plate with some
good lumber in hand, swinging the right chords and getting good wood
on the concepts suggested by Motian’s themes. As for the drummer-leader,
well, he has a long history with the label and seems to be able to be
more like himself than most. Along with the trademark high relief of
the cymbals that characterizes the ECM sound, we also get the full range
of the kit, albeit with that ever-present reverb. Notable tunes are
Whirlpool, with its ambiguous time feel and swirling melody lines,
the atmospherically charged Cambodia, and the spry, almost folk-songish
K.T. Despite their differences, most of the tunes share the same
characteristic sonic shadings, which makes for great background music
However, we would still like our ears to be tweaked by a little more
individuality from the participants. PS
David Torn : Prezens
ECM 1877
Au premier coup d’œil, la pochette
de ce disque ECM intrigue par la présence du trio Hard Cell (Tim Berne,
saxophone alto, Craig Taborn, claviers et Tom Rainey, batterie) dont
l’esthétique brute et funky semble étrangère à l’étiquette
munichoise. Mais à l’audition, on comprend que le CD est finalement
une vitrine pour le guitariste - et producteur -
David Torn, lequel se révèle comme un créateur d’ambiances et de
fonds sonores où toute contribution individuelle finit par être trafiquée,
déshumanisée dans une musique saturée de beats urbains, de
riffs empruntés au rock et d’exhibitionnistes solos de guitare
issus de la pire musique « fusion ». On peut même se demander ce
qu’un tel album fait dans nos pages jazz, tellement lui fait défaut
toute référence à l’esprit de la musique afro-américaine, et même
— au cas où cette référence n'aurait pas été le but visé par
les créateurs — toute recherche de l’intemporel ou de la communication
humaine, véritable base de la musique improvisée. On connaît les
tendances européennes et « ambiantes » d’ECM; on aura rarement trouvé
dans son catalogue un disque aussi mécanisé et prisonnier de son époque,
cela malgré quelques moments où perce le talent des musiciens (les
solos de Berne sur Sink et Neck-Deep In The Harrow...
et la belle partie de guitare (si, si) sur Them Buried Standing).
FAH
Histoire de trios
Charles Collard
Ensemble phare du jazz, le trio
piano-basse-batterie a toujours su ravir les amateurs de la note bleue.
Le piano, comme on le sait, est l’instrument d’accompagnement par
excellence en jazz, mais il tient aussi un rôle de soliste important.
Pourtant, cette combinaison d'instruments se voit peu avant 1940. Le
pionnier de ce type de formation pourrait bien être Jess Stacy qui,
en 1935, grava deux titres aux côtés du bassiste Israël Crosby et
du batteur Gene Krupa. Six ans plus tard, ce sera au tour de Teddy Wilson.
Le grand Art Tatum, pour sa part, préféra le trio avec guitare et
contrebasse, mais il effectuera une rare performance au Metropolitan
Opera House en 1944 avec Oscar Pettiford et Big Sid Catlett. Mary Lou
Williams, pionnière elle aussi, forme un trio entièrement féminin
en 1946.
Ces quelques groupes servent de
tremplin à la nouvelle formation instrumentale, adoptée du reste par
un jeune Oscar Peterson pour ses premiers enregistrements gravés à
Montréal en 1945. La porte sera alors ouverte pour Erroll Garner et
Ahmad Jamal, deux musiciens qui excelleront dans ce contexte, tout comme
Bud Powell et Thelonious Monk, les deux vrais instigateurs du piano
jazz moderne. Impossible ici de faire le tour de la question, cela nécessiterait
tout un livre, aussi nous contenterons-nous de circonscrire le sujet
en fonction de la notoriété artistique et commerciale. En conclusion,
nous citerons quelques cas d’exception qui valent aussi le détour.
Erroll Garner, l’euphorique
On réserve souvent, dans le palmarès
des trios, une place de choix, sinon la première, à Erroll Garner.
Talent naturel s’il en était un — il ne savait pas lire la musique
— ce pianiste n’était pas fait pour jouer dans l’ombre de ses
collègues, son activité d’accompagnateur s'est d'ailleurs limitée
à quelques plages enregistrées avec Charlie Parker en 1947. Son style,
à la fois prolixe et plein de relief, est caractérisé par ce fameux
bounce sur tempo rapide, évoquant à la fois l’exubérance
de Fats Waller et le stride hérité de James P. Johnson, qu’il
a su réinventer avec sa fabuleuse main gauche en léger décalage avec
la droite. La richesse harmonique exemplaire de ses ballades, ses escapades
dans le rêve, trouvent leur plein aboutissement sur le disque « Concert
By The Sea » (1955), enregistré à l’apogée de
sa carrière.
Ahmad Jamal, le perfectionniste
Héritier de Garner, dont il revendique
l’influence pour le style orchestral au piano, Ahmad Jamal est une
figure charismatique au même titre que Miles Davis. Parmi ses modèles,
ce natif de Pittsburgh (comme Garner) cite Nat King Cole qui, lui, s’illustre
dans un trio célèbre avec contrebasse et guitare. Jamal forme The
Three Strings en 1950 avec le contrebassiste Israël Crosby et le guitariste
Ray Crawford, ce dernier remplacé par Vernell Fournier à la batterie
en 1956. Le groupe atteint un merveilleux équilibre au cours de son
historique performance enregistrée au Pershing Lounge de Chicago en
1958. Davis admirait le découpage de son discours en sections bien
définies, usant d’espace et de silences, sans oublier la conception
méticuleuse des arrangements et la symbiose entre les
instruments. Toujours actif, Jamal a atteint d’autres sommets
durant une longue et fructueuse carrière.
Bill Evans, Peace Piece
À peu près au moment où le Hard
Bop dominait la scène du jazz, la parution en 1956 de « New Jazz Conceptions
» de Bill Evans marque un changement aussi essentiel dans les conceptions
harmoniques du piano que ceux apportés par Bud Powell et Lennie Tristano.
Avec Evans, le piano s’invente un destin propre et intimiste, libéré
en quelque sorte de la tradition du bop. Après une éphémère collaboration
(huit mois) avec Miles Davis, qui aboutit aux explorations modales du
chef d’œuvre « Kind Of Blue », Bill Evans revient au trio et enregistre
son grand disque de 1961 au Village Vanguard de New York, avec le contrebassiste
Scott LaFaro (mort peu de temps après) et le batteur Paul Motian. Les
visions évanescentes, la fluidité structurelle de son jeu, atteignent
ici un sommet d’introspection musicale. Durant les années 70, des
événements tragiques le marquent profondément - notamment, les suicides
de son frère et de sa femme - préludes à sa mort prématurée en
1980. Mais il connaîtra bien des succès professionnels durant ses
dernières années, quoique son jeu sera plus tendu que par le passé.
Keith Jarrett, l’éblouissant
La cristallisation d’un style
mène souvent à la redondance et à un appauvrissement de la vision
artistique; pourtant, dans un monde de surproduction musicale, Keith
Jarrett reste un acteur majeur qui fait tomber tous les préjugés. Informé
par tous les développements du jazz, Jarrett a su créer un univers
aussi complexe que fascinant, dans lequel il a même tenté de réaliser
l’impossible alliance entre l’expressivité de la musique improvisée
et la discipline classique. Avec l’appui de Gary Peacock et de Jack
de Johnette, Jarrett dirige le piano trio absolu de notre temps;
malgré une image médiatique surfaite qui le dépeint souvent comme
un personnage d'humeur acariâtre, son ensemble tient la route depuis
1983 avec une impressionnante discographie, couronnée par les trois
soirées au Blue Note en 1994. Pourtant, le pianiste affirme que rien
ne peut approcher le vénérable trio d’Ahmad Jamal avec Vernell Fournier.
On pourrait nommer bien d’autres pianistes, mais les ouvrages de référence
ne manquent pas pour suivre cette merveilleuse filière.
Des trios d’exception
Parmi ces pianistes incontournables,
on placera sans hésiter Hank Jones, plusieurs fois tenté par l’aventure
du trio depuis les années 50. Ce musicien a décrit le piano comme
un « monstre anthropophage avec des dents noires et blanches », mais
il a su bien apprivoiser la bête avec un jeu discret et maîtrisé,
signant quelques albums éloquents avec son Great Jazz Trio des années
70. Non moins essentiel est Oscar Peterson, le pianiste fétiche du
producteur Norman Granz, qui occupe une place majeure avec ses différents
trios (avec batteur) formés à partir de 1959.
Il arrive parfois qu’un seul
disque consacre un musicien et c’est le cas de « My Fair Lady » (1956),
une version jazz réalisée par un pianiste au toucher élégant nommé
André Previn. Non seulement la critique a-t-elle été séduite, mais
le disque rafla la première place au palmarès du magazine Billboard.
Mose Allison, pianiste habile dans le blues et le chant guttural inspiré
des anciens bluesmen, est un cas à part dont la renommée dépassa
le jazz pour s’étendre au rock. D’autres pianistes doivent absolument
figurer dans cette liste malheureusement incomplète: Ray Bryant, Hampton
Hawes, Paul Bley, Chick Corea, tout comme de nombreux Européens et,
plus près de nous, le jeune prodige Brad Mehldau. n |
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