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La Scena Musicale - Vol. 12, No. 10 July 2007

Critiques/Reviews

July 31, 2007


Politique de critique : Nous présentons ici tous les bons disques qui nous sont envoyés. Comme nous ne recevons pas toutes les nouvelles parutions discographiques, l’absence de critique ne constitue pas un jugement négatif. Vous trouverez des critiques additionnelles sur notre site Web www.scena.org.

Review Policy: While we review all the best CDs we get, we don’t always receive every new release available. Therefore, if a new recording is not covered in the print version of LSM, it does not necessarily imply that it is inferior. Many more CD reviews can be viewed on our Web site at www.scena.org.

HHHHHH indispensable / a must!

HHHHHI excellent / excellent

HHHHII très bon / very good

HHHIII bon / good

HHIIII passable / so-so

HIIIII mauvais / mediocre

$ < 10 $

$$ 10–15 $

$$$ 15–20 $

$$$$ > 20 $

Critiques / Reviewers

AL Alexandre Lazaridès

FC Frédéric Cardin

GB Guy Bernard

JKS Joseph K So

OGF Olivier Giroud-Fliegner

PMB Pierre Marc Bellemare

PG Philippe Gervais

RB René Bricault

LR Lucie Renaud

WSH W.S Habington

Disque du mois

Szymanowski

Violin Concertos Nos. 1 & 2 ; Nocturne and Tarantella

Ilya Kaler, violon ; Warsaw Philharmonic Orchestra/Antoni Wit

Naxos, 8.557981 (60 m)

HHHHHH$$

Véritable pont entre deux monuments du répertoire concertant pour le violon, le Concerto de Berg et le couple de Chostakovitch, les deux concertos du Polonais Szymanowski font figure de trésors oubliés. Un lyrisme intense et bouleversant les rend remarquablement accessibles pour le néophyte curieux. Dans l’opus 35, on pense aux Nocturnes de Debussy, mâtinées de stravinskisme. L’opus 61, quant à lui, débute par des inflexions gershwinesques qui bientôt évoluent vers des textures résolument musclées rappelant le grand Chostakovitch, mais aussi une sorte de post-romantisme tardif. Antoni Wit est un joyau de la couronne pour la maison Naxos. Tout ce qu’il touche se transforme en or. L’orchestre est ici exceptionnellement bien contrôlé, véhicule privilégié d’un monde de couleurs et de textures fantastiques. Le violon de M. Kaler est d’une remarquable intensité, n’abandonnant pas la subtilité pour la puissance. Indispensable.

Frédéric Cardin

Musique vocale

Lully

Thésée

Stephen Stubbs ; Paul O’Dette ; Boston Early Music Festival Orchestra and Chorus

CPO, 777 240-2 (3 cd, 173 m)

HHHHHI $$$$

À n’en pas douter, les 13 opéras de Lully seront bientôt disponibles sur disque. Isis et Amadis, révélés il y a peu par Hugo Reyne, n’avaient pas livré toutes leurs promesses, mais il en est autrement de ce Thésée, qui a bénéficié de l’expérience de la scène à Boston, pour être plus tard capté avec grand soin en studio. Tout ici, ou presque, appelle des éloges : orchestre magnifique, continuo étoffé, chœur énergique (presque trop, parfois…) et enfin solistes à la diction parfaite, (même si deux ou trois, heureusement peu présents, ont un accent anglais). Howard Crook, vétéran lullyste s’il en est, campe Thésée avec aisance, tandis que Laura Pudwell, de sa voix chaude, incarne une Médée plus charmeuse qu’effrayante, évitant du moins le piège de la caricature. Mireille Lebel, Suzie Leblanc et Olivier Laquerre sont parfaits dans leurs rôles de personnages légers, dont les conflits anodins mettent en valeur, par un jeu d’ombres chinoises, ceux des acteurs principaux. Créé en 1675, Thésée fut en son temps une œuvre célèbre, qu’on rejoua maintes fois jusqu’à la Révolution. Qu’on se le dise, Lully passe désormais par Boston, où l’on rejouait d’ailleurs le mois dernier un autre de ses opéras, Psyché, dans une des plus belles mises en scène baroques qu’on ait vues depuis longtemps. A défaut d’un DVD, un disque est annoncé pour 2008. PG

Sacchini

Œdipe à Colone

François Loup, Nathalie Paulin, Robert Getchell, Tony Boutté, Kirsten Blaise; Opera Lafayette/Ryan Brown

Naxos, 8.660196-97 (2 CDs 112)

HHHHHI $$$

Baroque masterpieces are being unearthed with increasing frequency these days, and Œdipe à Colone by Italian composer Antonio Sacchini (1730-1786) lives up to the billing of “masterpiece.” Sacchini, an important composer of opera seria, was known for his fluidity of style and melodic inspiration. This recording is derived from a concert performance in Maryland followed by additional studio sessions. It represents the first modern revival, but a staged production remains to be realized. Opera Lafayette, under the excellent baton of conductor Ryan Brown, is to be commended for a terrific effort. The playing is on modern instruments. Brown gives a crisp, well judged reading of the score. The five principals are mostly youthful voices – with a single exception, that of veteran baritone François Loup. With a long career behind him, Loup is sounding a little superannuated and dry of voice, but he can still do a creditable job. New Brunswick soprano Nathalie Paulin (Antigone) sings with warmth and affecting lyricism. As Polynice, tenor Robert Getchell offers sweet tone and elegant phrasing. The accompanying booklet has brief essays on the composer and the opera, some artist bios, and a French-only libretto, with English translations available on the Naxos website. This is a worthwhile purchase for anyone interested in discovering a long-forgotten baroque gem.

Joseph K. So

Aria Cantilena

Elina Garança, mezzo-soprano ; Staatskapelle Dresden/Fabio Luisi

Deutsche Grammophon, 477 6231 (58 m)

HHHHHI $$$$

Mezzo-soprano très demandée sur le vieux continent, Elina Garança demeure encore relativement méconnue chez nous. Difficile à expliquer car elle enregistre depuis quelques années avec les meilleures étiquettes et se produit avec les plus prestigieux orchestres : tournée européenne avec le Concertgebouw d’Amsterdam, premier rôle à l’Opéra de Paris, etc. Cet enregistrement nous fait donc l’étalage des talents de la chanteuse lettone : voix ample, juste, diction française impressionnante et présence indéniable. Cet album confirme ce que l’on savait déjà : la scène lyrique compte beaucoup sur l’apparence physique pour vendre son produit. Néanmoins, le talent, l’ambition, un répertoire judicieusement choisi et l’autopromotion, le tout bien dosé, sont autant de qualités nécessaires à une jeune carrière. En ce sens, tout porte à croire que cette nouvelle figure n’a pas fini d’étonner. Guy Bernard

Playing Elizabeth’s Tune

The Tallis Scholars

Gimell, GIMSA 592 (65 m)

HHHHHI $$$$

Playing Elizabeth’s Tune est un documentaire de la BBC, réalisé par les Tallis Scholars, qui explore la vie et l’œuvre de William Byrd (1539/40-1623) en regard de son rapport particulier avec la reine Élizabeth 1re (il était catholique, elle farouchement protestante). Ce disque en est la trame sonore. Au programme, plusieurs motets (comme le très beau Vigilate) de facture latine, ainsi que quelques titres à l’austérité manifestement protestante. Le cœur de ce disque est constitué par le chef-d’œuvre qu’est la Messe pour Quatre Voix. La tradition catholique était à ce moment complètement évacuée de la vie socio-religieuse de l’Angleterre. Byrd fit preuve de courage et d’une certaine opiniâtreté en publiant cette œuvre basée sur un texte manifestement catholique latin. Son intelligence (et la source de sa grande originalité) fut de marier la frugalité protestante à la manière ouverte et spectaculaire de la tradition latine. Quel grand exemple du génie humain sachant faire fi des contraintes, ou plutôt se les appropriant, pour mieux se propulser vers les plus hautes sphères de la créativité ! Prise de son luxueuse. FC

Poètes maudits dans la mélodie française : Verlaine

Mélodies de : Claude Debussy, Gabriel Fauré, Reynaldo Hahn, André Mathieu

Jean-François Lapointe, baryton ; Louise-Andrée Baril, piano

Analekta, AN 2 9922 (61 m)

HHHHHI $$$$

Ce disque nous invite à une exploration qui ne manque pas d’audace. Jean-François Lapointe, en effet, ayant noté que les compositeurs qui ont mis Verlaine en musique « se sont souvent permis d’étonnantes libertés » avec les textes originaux, a pris sur lui de restaurer ceux-ci « partout où la chose était possible sans nuire à la musique ». Dans ce problème esthétique, sinon dans la solution qu’il lui apporte, réside toute la question de la place, toujours ambiguë, de la musique, et particulièrement du chant, dans la culture française, qui est essentiellement littéraire. La voix magnifique de M. Lapointe convient éminemment à ce répertoire. C’est une de ces voix de baryton « léger » à la fois très jeunes et très masculines, comme l’école de chant français a su jadis les cultiver. Pelléas constitue l’exemple par excellence de rôle écrit pour ce type d’instrument. Or voici que Lapointe est en train, justement, de se tailler une réputation internationale de spécialiste de ce rôle. Espérons qu’un de ces jours Montréal pourra l’applaudir sur scène dans le chef-d’œuvre de Debussy. D’ici là, nous nous abonnerons à la série de disques qu’il se propose de consacrer aux démêlés de la musique et de la poésie en terre de France. Pierre Marc Bellemare

Russian Album

Anna Netrebko, soprano ; Orchestra of the Mariinsky Theatre/Valery Gergiev

Deutsche Grammophon, 4776537 (63 m)

HHHHII $$$

Russian diva Anna Netrebko’s star is arguably shining the brightest of all sopranos today. Since signing with DG, her recordings, particularly those with tenor Rolando Villazón, have been selling like hotcakes. In this new solo album, Netrebko returns to her roots in a program of songs and arias by Tchaikovsky, Rimsky-Korsakov, Rachmaninov, Glinka, and Prokofiev. It features a mix of chestnuts (Tatiana’s Letter Scene) and relatively unfamiliar pieces (arias from Tale of Tsar Saltan and The Snow Maiden). Her celebrated beauty of tone is very much in evidence – the sound is big, round and smooth, evenly produced throughout a two-plus octave range. I do detect however a relative lack of tonal variation in her singing. Whether it is Natasha in War and Peace, the otherworldly Snow Maiden, or the lovesick Tatiana, the character delineation to hold the listener’s interest is lacking. However lovely the singing, her approach is placid and lacks dramatic urgency, particularly in the Letter Scene. I also find Gergiev’s conducting and the playing of the Mariinsky Orchestra somewhat routine. Nonetheless, this release is sure to please her legions of fans. JKS

Romances : Liszt, Rachmaninov

Chantal Dionne, soprano ; Louise-Andrée Baril, piano

Analekta, AN 2 9923 (61 m)

HHHHII $$$

Chantal Dionne s’affirme comme une artiste au soprano puissant, mais riche d’un large éventail de couleurs, et fort bien contrôlé, en particulier dans le registre grave, vibrant et magnifiquement projeté dans l’espace. Par contre, on recommandera à l’artiste une attention particulière aux extrêmes aigus. Il faut que la puissance et l’intensité émotive puissent être transportées par un plus grande douceur. En dehors de ce petit détail, il s’agit d’une entrée discographique qui se fait par la grande porte : celle de la qualité. Le répertoire choisi dénote, quant à lui, l’intelligence de madame Dionne. Tout à fait adapté à son instrument, il est suffisamment original pour lui permettre de se démarquer, mais assez accessible pour en faire un succès s’adressant à un large public. FC

Musique instrumentale

C.P.E. Bach

Concertos pour flûte ; Sonate pour flûte seule

Juliette Hurel, flûte ; Orchestre d’Auvergne/Arie van Beek

Zig Zag Territoires, ZZT070301 (70 m)

HHHHHI $$$$

La maison Zig zag nous fait découvrir et apprécier un nombre impressionnant d’artistes et d’ensembles français et italiens (en majorité) qui ne proviennent pas seulement des grands centres. Preuve que la vie musicale « en région » peut être riche et stimulante. Ici, c’est l’Orchestre d’Auvergne qui rayonne, avec la délicieuse Juliette Hurel comme partenaire, dans ces trésors d’énergie et d’exubérance que sont les concertos pour flûte de l’aîné des fils Bach, Carl Philip Emmanuel. Coups d’archets tranchants, flûte pimpante et fringante de madame Hurel, relation d’ensemble impeccable, maîtrise absolue des contrastes dynamiques et architecturaux, voilà 70 minutes fort bien utilisées ! FC

J.S. Bach

The Well-Tempered Clavier Book 1

Luc Beauséjour, clavecin

Naxos, 8.557625-26

HHHHII $$$

Somme qui continue de hanter clavecinistes, pianistes et organistes par-delà les siècles, le Clavier bien tempéré de Bach ne manque pas d’interprétations marquantes. Si les tempi rapides et vigoureux sont privilégiés (le Prélude en sol majeur est particulièrement effervescent), le texte reste ici décliné avec intelligence par le claveciniste Luc Beauséjour. Les différentes voix sont présentées avec une grande clarté, avec juste ce qu’il faut d’accents agogiques pour bien marquer les entrées et les cadences. Le claveciniste démontre à l’occasion une belle poésie, dans le Prélude en mi bémol mineur notamment (on aurait par contre aimé que le Prélude en sol mineur respire un peu plus et suscite l’introspection). Si l’approche n’est pas foncièrement originale, elle se veut dépouillée de tics (on est loin des choix de tempi rocambolesques de Gould ou de certaines manipulations maniérées du matériau chez d’autres clavecinistes). Les notes de programme sont intéressantes mais, malheureusement, présentées seulement en anglais. Lucie Renaud

Chopin

Les 24 Préludes

Jean-François Latour, piano

Atma Classique ACD2 2560 (72 m)

HHHHII $$$

L’interprétation des Préludes de Chopin par Jean-François Latour peut être qualifiée de sage; les rythmes sont pondérés, les phrases clairement découpées, et l’auditeur peut se laisser aller. Cette qualité estimable a cependant un revers : l’uniformité de conception. Il manque ici le sens de la surprise et du rebondissement qui aurait pu faire de chacun de ces Préludes un événement sans cesse contrasté de l’acte total que présente ce cahier si difficile à calibrer dramatiquement, même si l’interprète opte pour une vision distincte de chaque pièce. Ceux des Préludes qui exigent une virtuosité très maîtrisée, tels le 16e, le 19e ou le 24e, font penser plutôt à des exercices, de haute voltige sans doute, par l’absence de cette légèreté aérienne qui fait oublier l’existence du clavier sous des doigts inspirés (comme ceux de Martha Argerich chez DG). Le meilleur de ce disque Atma se trouve peut-être dans les généreux compléments : la Polonaise en do dièse mineur, Quatre Mazurkas op. 33 et deux Nocturnes (op. 9 no 2 et op. 15 no 3) où le tempérament réservé du pianiste se montre sous son meilleur jour. AL

Dompierre

Flash-Back

François Dompierre, piano

Espace Musique, MVCD 1174 (66 m)

HHHHHI

J’ai l’impression que le principal intéressé, par modestie, réfutera probablement l’allégation, mais j’ose affirmer que François Dompierre est un peu notre Georges Delerue bien à nous. Son sens inné de la mélodie bien tournée, tissée dans un canevas harmonique favorisant l’introspection et la mélancolie, touche la corde sensible de nos cœurs à tout coup. Ce disque n’est pas une compilation remastérisée des plus beaux thèmes de films de Dompierre (car en effet, toutes les pièces de l’album, sauf deux, proviennent de ses partitions cinématographiques). Il s’agit bien de nouvelles interprétations de ces inoubliables mélodies. Mais là n’est pas le plus important. Ce qui compte, c’est le magnifique voyage que le musicien nous fait faire à travers ses propres souvenirs, certes, mais surtout à travers les nôtres, ceux de toute une génération. Certains trouveront cela dérisoire, peut-être, mais c’est un pan de la mémoire d’un peuple qui se manifeste ici avec beaucoup de passion et d’émotion. François Dompierre, en tant que musicien, a toujours été un ami qui nous voulait du bien. Chaleureuses retrouvailles ! FC

Langgaard

Symphonies Nos 2 & 3

Inger Dam-Jensen, soprano; Per Salo, piano; Danish National Symphony Orchestra and Choir/Thomas Dausgaard

Dacapo, 6220516 Hybrid SACD (65 m)

HHHHHI $$$$

After an interval of five years, Dacapo resumed the Dausgaard cycle of the sixteen symphonies (and the numerous variants) of Rued Langgaard (1893 - 1952). This release was preceded by the Dausgaard recording of Symphonies Nos. 12 to 14 (Dacapo 6220517 - also Hybrid SACD). Both reveal an orchestral composer of high artistic merit. Symphonies 2 and 3 are especially impressive as the products of a still-young musical mind. The style and scope seem to flow in a line of succession from Wagner through Tchaikovsky, Strauss and even Scriabin. Symphony No. 2 concludes with a soprano solo of startling clarity and, in No. 3, Dausgaard opts to include the ad libitum choral section. The latter work might actually be considered a piano concerto with the solo obligato being so prominent. In this and other respects, Langgaard made his own rules. Brilliant performances from soloists, orchestra, chorus and conductor are enhanced by Dacapo’s detailed but full-bodied super audio sound. Dausgaard and the DNSO can also be heard in a thrilling selection of orchestral music by Carl Nielsen (Dacapo 6220518). Other recent Dacapo releases conducted by Matthias Aeschbacher feature symphonies from Peder Gram (8224713) and Leif Kayser (8224708). With offerings of such imposing quality, Danish music can become as habit-forming as Danish pastry. W. S. Habington

Liszt

Mephisto Waltzes ; Two Elegies ; Grosses Konzertsolo

Giuseppe Andaloro, piano

Naxos, 8.557814 (70 m)

HHHHHI $$

Même à prix fort, cet enregistrement serait une aubaine ! Un piano qui crépite, s’enflamme et s’envole, en ne perdant jamais de vue la musique, voilà qui est rare sous les doigts d’un jeune homme de 25 ans. Pour ce 24e volume de l’intégrale de la musique pour piano de Liszt, le pianiste italien propose d’abord les quatre Méphisto-Valses. La première, chef-d’œuvre incontestable, est rendue avec un bonheur égal tant pour la virtuosité que pour la musicalité, et l’interprétation peut être considérée comme une version de référence. Les Deux Élégies qui suivent méritent d’être mieux connues ; sans être aussi flamboyantes, elles ont plus de substance que le Grand Solo de concert, dont Liszt a laissé une version avec orchestre et une autre pour deux pianos. Cette composition de plus de 20 minutes est parsemée de tous les traquenards pianistiques que savait inventer le compositeur hongrois, avec un Andante sostenuto médian original. AL

Saint-Saëns

Emmanuelle Bertrand, violoncelle ; Pascal Amoyel, piano

Harmonia Mundi, HMC 901962 (68 m)

HHHHHI $$$$

Pauvre Camille ! Encore aujourd’hui, chaque fois que l’on présente une de ses sonates pour soliste et piano, on doit le faire devant des regards un peu surpris : « Saint-Saëns a écrit une sonate pour … ? » Eh bien oui, et de diablement belles ! En particulier celle-ci, pour violoncelle. Charmante et ludique, mais également sérieuse et lyrique, on se demande vraiment pourquoi elle n’est pas programmée plus souvent. L’équilibre des forces en présence est d’une grande subtilité, et savamment calculé pour magnifier les délicates émotions qui sous-tendent le discours de l’œuvre. L’autre morceau de choix du disque est une Suite complétée par un jeune compositeur de 31 ans qui s’affirme déjà comme un brillant créateur d’atmosphères. Du pur Saint-Saëns ! Plusieurs miniatures complètent le programme. L’académisme souvent reproché au compositeur s’efface derrière le plaisir ineffable procuré par l’écoute de ces fort jolies petites sculptures. FC

Schumann

Orchestral Works

Symphonies 2 & 4 (arr. Mahler), Genoveva Overture - Leipzig Gewandhausorchester/Riccardo Chailly

Decca, 4758352 (69 m)

HHHHII $$$$

“All praise to the conductor of the future who changes the orchestration of my symphonies,” Gustav Mahler proclaimed (albeit, out of concern for the acoustics of various concert halls). But what conductor would dare since Mahler’s music has been sanctified over the past sixty years? Yet Mahler dared to tinker with the recognized masterpieces of the day. Not even Beethoven was exempt from his well-meaning interventions. Turning to Schumann, Mahler slashed away at the densest thickets of orchestration, boldly adjusted dynamics and deleted or added instrumental passages with vigor. His emendations are detailed in the excellent booklet essay by David Mathews. The results are stimulating. In Mahler’s hands the symphonies are more emphatic and less foursquare. Perhaps this is Schumann for Mahler devotees but well worth having for the contrast of ideas. The playing of the Leipzig orchestra is superb. Hopefully, Chailly will give us Nos. 1 and 3 in the Mahler versions soon. WSH

Sor ; Giuliani

Roland Dyens, guitare ; Quatuor Arthur-Leblanc

Atma, ACD2 2397 (58 m)

HHHHHI $$

Un retour au disque très attendu que celui-ci ! En effet, Roland Dyens n’a pas, à côté d’autres guitaristes, beaucoup d’enregistrements à son compte. Notre étiquette bien à nous, Atma classique, réalise donc un bon coup en attirant cet artiste reconnu dans son équipe. Le Quatuor Arthur-Leblanc constitue un partenaire sensé pour le répertoire choisi, ainsi que pour Dyens, un guitariste très sensible, axé sur la subtilité et la délicatesse plutôt que sur la puissance. Au programme, huit Études de Fernando Sor (1778-1839) pour guitare, arrangées ici pour soliste et cordes par Dyens. La douceur et le raffinement classique de ces remarquables petites constructions sont subtilement magnifiés par l’intelligence teintée de sobriété des arrangements de Dyens. Le Quatuor Arthur-Leblanc répond sans hésitation aucune à l’appel de cette très belle musique, ainsi qu’à ses exigences de qualité. Les pincements de cordes de la guitare sont littéralement portés à une hauteur émotive insoupçonnée par la chaleureuse expressivité du Quatuor. Absolument superbe ! Le disque est complété par deux œuvres de Mauro Giuliani (1781-1829), qui apportent un brin de théâtralité contrastant avantageusement avec le sérieux des Études. FC

Nordic Passion

Derek Yaple-Schobert, piano

Œuvres de Hartmann, Gade, von Koch, Sæverud, Schmidt, Haydn, Schubert

Urgence Musique, 2096-4 (72 m)

HHHHII $$$$

Le programme que nous propose le Canadien Yaple-Schobert est moins homogène que le titre thématique ne le laisserait croire, étant donné que Haydn et Schubert ne pourraient a priori être logés sous le thème de la « passion du nord ». Si la Sonate Hob. XVI :48 de Haydn est jouée de façon juste et allante, les trois Klavierstücke D. 946 de Schubert manquent du clair-obscur qui hante ces compositions ultimes dont le ton rhapsodique est malaisé à cerner. Les œuvres « nordiques » du programme sont mieux venues. Les Six pièces caractéristiques op. 50 de Hartmann et la Sonate op. 28 de Gade ont un charme
suranné quoique plaisant, mais les Variations sur un thème folklorique suédois de Erland von Koch et la Ballade de la révolte du Norvégien Harald Sæverud retiennent l’attention et mériteraient d’être mieux connues. Le
toucher incisif du pianiste place son interprétation dans une lumière qui privilégie les lignes et le mouvement plutôt que les
couleurs et l’atmosphère. Le piano Fazioli de la Chapelle du Bon-Pasteur et une prise de son spacieuse servent bien ses intentions. AL

Musique contemporaine

Schafer

Letters from Mignon

Eleanor James (soprano); Esprit Orchestra/Alex Pauk

ATMA Classique, ACD2 2553 (69 m)

HHHHHH $$$

La musique des œuvres qui constituent le programme de ce compact est le fruit de l’amour. Tandis que la profondeur des sentiments de la Mignon de Goethe (et celle d’Ambroise Thomas) pour Wilhelm Meister n’est jamais révélée, celle de R. Murray Shafer aime et se sait aimée de l’artiste, du compositeur. Si l’identité des femmes auxquelles sont adressés les poèmes d’amour des Minnesänger demeure un mystère, dans le cas présent, il n’y a aucun doute : la femme aimée est celle qui a inspiré toutes ces œuvres, celle qui les a commandées, celle qui les a créées, celle qui, à maintes reprises, s’en est fait l’interprète, et aujourd’hui une fois de plus pour ce disque appelé à en devenir l’enregistrement de référence - c’est l’épouse du compositeur et l’amour de sa vie, Eleanor James. Aux mélomanes qui n’auraient pas encore « découvert » Shafer, je recommande tout spécialement les Letters to Mignon, d’une écriture vocale et instrumentale lumineuse et raffinée. PMB

Canadian Organ Music Showcase

David Palmer, orgue

Oeuvres de Evans, Gagnon, Koprowski, Lee, Nin, Piper

Centredisques, CMCCD 12106 (73 m)

HHHHII $$$

Voici une importante sélection de compositeurs canadiens de musique d’orgue contemporaine, publiée par le Centre de musique canadienne. Enregistré à Calgary sur le 32 pieds Casavant du Jack Singer Concert Hall, ce CD met en valeur David Palmer dans des œuvres aux aspects contrastés écrites par des musiciens venant d’horizons variés (Peter Paul Koprowski vient de Pologne, Deirdre Piper de Grande-Bretagne, Chan Ka Nin de Hong Kong). Le Québécois Alain Gagnon, dans son tryptique Émergences, mobilise la culture de l’orgue symphonique française cristallisée autour de Messiaen. Robert Evans puise quant à lui dans le folklore de Terre-Neuve. Le Benedictus (hommage à Monteverdi) de Koprowski est également à remarquer. Daté de 2006, ce disque donnera une idée de l’état de la musique d’orgue au Canada et n’intéressera pas que les amateurs. OGF

DVD

Giordano

Fedora

Mirella Freni, Placido Domingo, Adelina Scarabelli, Alessandro Corbelli ; Coro del Teatro alla Scala, Orchestra del Teatro alla Scala/Gianandrea Gavazzeni

TDK, DWWW OPFED (113 m)

HHHHHI $$$$

Les mélomanes en quête d’un DVD du semi-chef-d’œuvre d’Umberto Giordano ont maintenant le choix entre deux versions : cette production de la Scala de Milan mettant en vedette Mirella Freni et Placido Domingo et une production du Met mettant en vedette... Mirella Freni et Placido Domingo ! Laquelle des deux versions est la meilleure ? La crédibilité et l’impact dramatique de cette œuvre reposent sur les épaules de l’interprète du rôle-titre. Or Freni, sans conteste, est à la fois la très grande chanteuse et la tragédienne consommée qu’exige ce rôle, avec peut-être un peu plus d’intensité et de déploiement de passion dans la version milanaise. Une autre raison de préférer celle-ci est le Sierex d’Alessandro Corbelli, plus sympathique et plus convaincant que celui de Dwayne Croft. Quant à Domingo, il est égal à lui-même dans les deux versions. Pour le reste, Fedora est un opéra scénarisé comme un film et cela laisse peu de place à l’improvisation : l’essentiel est que mille détails finissent par s’agencer exactement comme prévu, ce qui est bien sûr le cas dans les deux versions. À Milan, l’action se déroule sur un fond de toiles peintes, tandis qu’au Met on utilise des décors solides et d’une grande opulence très semblables à ceux de la production de l’OdM de 1995. PMB

Rossini

La Gazzetta

Cinzia Forte, Bruno Pratico, Pietro Spagnoli, Charles Workman; Intermezzo Choir, Academy of the Gran Teatre del Liceu/Maurizio Barbacini

Opus Arte, OA 0953 D (155 m)

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Les reprises de La Gazzetta, toutes récentes, se comptent sur les doigts de la main. Celle-ci est l’œuvre de Dario Fo, satiriste et dramaturge comique italien (Prix Nobel de littérature 1997) qui, depuis quelques années, fait de la mise en scène d’opéras bouffes de Rossini l’objet d’un apostolat auprès des riches. Son approche de ce répertoire se caractérise par (1) des décors et des costumes aussi tape-à-l’œil que possible; (2) l’utilisation massive de danseurs et de clowns dont le rôle est de remplir le champ visuel d’une agitation presque incessante; et (3) la succession ininterrompue de détails incongrus (chœur de « quakers » costumés en Juifs orthodoxes, prima donna métamorphosée en tableau vivant de la Statue de la liberté, duel à la bombe, etc.) dont l’accumulation vise à provoquer un effet d’entraînement (un peu comme dans un crescendo rossinien...) Et l’approche s’avère efficace, pour peu que le spectateur soit ouvert à un humour visuel très différent de ce qui passe pour drôle, ces jours-ci, au cinéma et à la télévision. La direction d’orchestre est ordinaire, la distribution plus à la hauteur du concept et de la musique, qui est splendide. Reconnaissons toutefois que Bruno Pratico, l’étoile du spectacle, est davantage un « performer » bouffe qu’un basso buffo au sens propre du terme. Sous-titres en italien, français et anglais. PMB

Verdi

Otello

José Cura, Krassimira Stoyanova, Lado Ataneli, Vittorio Grigolo; Orchestra and Chorus of the Gran Teatre del Liceu/Antoni Ros-Marbà

Opus Arte, OA 0963 D (2 DVDs - 151m)

HHHHHI $$$$

The raison d’être of this DVD is undoubtedly to capture for posterity the Otello of José Cura. The Argentinean tenor’s voice – and musicality – is something one either loves or hates. He can sound a little rough and stentorian; and he has been known to commit the occasional musical excess. But given the right role, such as Otello, Cura can be very impressive. His Moor is physically imposing, full of sexual energy and animal magnetism. His burnished timbre has the baritonal heft in the tradition of Jon Vickers and James McCracken, and his acting is definitely larger than life. Stage director Willy Decker uses these qualities to the full. Otello’s seizures in Act 3 has Cura on the stage floor alternately sobbing and twitching, long after the music has stopped. Dramatically excessive perhaps, but it underscores the inner demons gnawing at him. Krassimira Stoyanova is a fine Desdemona – the rich, shimmering quality of her tone a pleasure to the ears – although I was disappointed that she didn’t do more high pianissimo singing especially at the end of Ave Maria. As Iago, Lado Ataneli bears an uncanny resemblance to Cura, making for a very interesting psychological twist to the story. His Credo is powerfully sung. The extremely minimalist production on a steeply raked stage is perhaps not to everyone’s taste. But as it is free of clutter, one can focus on the inner psychologies of the main characters. Still, no bedchamber Act Four proved very awkward – poor Desdemona had to expire on the hard floor. Decker’s direction is rich in religious symbolism, some would say not entirely supported by the story. A huge white cross dominates throughout. Otello breaks it in half. All supporting characters are well cast, with tenor Vittorio Grigolo, a new Italian heartthrob, as a very buff Cassio. Conductor Antoni Ros-Marba, a new name to me, conducts idiomatically. This release is a must for Cura fans, but it has enough merits to stand on its own. JKS

Concert in Wine Country

Linus, 2 79009 (116 m)

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Le Quartetto Gelato est un ensemble à l’instrumentation éclectique. Fidèle à son habitude du mélange des genres, le répertoire s’étend d’un arrangement du Tombeau de Couperin jusqu’à Danny Boy. Tournée dans un célèbre vignoble canadien par un beau soir d’été, la réalisation léchée a tout pour plaire : image de haute définition et prise de son pour un système supportant le surround 5.1. Le technophile est comblé. Il y a un chromatisme quasi infini entre les artistes versant dans le classique léger et ceux qui interprètent le grand répertoire dans la plus pure tradition. Le Quartetto Gelato parvient à se glisser dans une brèche de cette gamme. C’est un chaînon manquant, en quelque sorte. La formation ravit par la qualité technique et expressive de ses musiciens et offre au public une expérience moins formelle que le concert traditionnel de musique de chambre. Pourtant, la facture est très éloignée des André Rieux et autres interprètes en crinoline, car le Quartetto Gelato possède assez de flair pour éviter les dangers de la commercialisation à outrance. Une des raisons de cette retenue se nomme Cynthia Steljes, membre fondatrice de l’ensemble et hautboïste du quatuor jusqu’à tout récemment. Premier opus en format DVD, cet enregistrement est en quelque sorte un hommage à cette grande musicienne, disparue en décembre 2006. GB

Gidon Kremer : Back to Bach

Euroarts, 2055638 (74 m [Partitas], 58 m [doc.])

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Le temps n’a pas tempéré la bête. Le phrasé est parfois (rarement) un tantinet nerveux, mais les dynamiques, l’articulation, et surtout la tension sont parfaitement contrôlées. La plus grande qualité de cette nouvelle intégrale des Partitas est l’individualité que Kremer donne à chacun des mouvements : parfois dansants, parfois éthérés, ils n’ont rien de la platitude académique qui les dénaturent trop souvent. Le documentaire, lui, est plus qu’un simple ajout : d’une durée de près d’une heure, il inclut de très intéressants documents d’archives, des extraits de répétitions, et quelques sages réflexions de Kremer sur l’interprétation de ces œuvres colossales, voire de la musique en général. La qualité de production, finalement, est supérieure à la moyenne. RBr

LIVRES

La société des jeunes pianistes

Ketil Björnstadt

JC Lattès, 2006, 300 p.

Artiste norvégien particulièrement prolifique (il a écrit de nombreux ouvrages de poésie, des romans, du théâtre, mais aussi des musiques de film, en plus de voir enregistrées nombre de ses œuvres), Ketil Björnstad signe avec La société des jeunes pianistes un roman très personnel qui rejoint d’une certaine façon son propre parcours de jeune pianiste (il a fait ses débuts avec l’Orchestre philharmonique d’Oslo en janvier 1969, période du récit). Portrait d’une certaine jeunesse à la fois désabusée et exaltée qui vit en marge de la société, le roman séduit avant tout par sa réflexion sur la pertinence du langage musical et sur les choix qu’on doit poser pour devenir interprète (Rebecca abandonnera au lendemain de ses débuts, la musique ne pourra pas sauver Anja de ses démons, la pédagogue Selma Lynge entretient une relation à la limite du malsain avec ses étudiants). Le livre foisonne d’histoires parallèles, de destins entrecroisés qui s’entrechoquent parfois, évoqués en demi-teintes malgré l’intensité des émotions sous-jacentes. On déplorera par contre certaines maladresses du traducteur, notamment dans les titres d’œuvres (la « Révolutionnaire » de Chopin devient par exemple « Étude de la révolution ») et les tonalités (la Fantaisie en fa mineur de Schubert est ainsi « transposée » en fa dièse). LR

Sibelius : The Orchestral Works. An Owner’s Manual David Hurwitz

Amadeus Press, 2007, 190 p.
(+2 CD)

Un désavantage majeur des livres d’introduction analytique s’adressant aux mélomanes plutôt qu’aux musiciens est qu’ils sont souvent rédigés par des amateurs aux opinions pour le moins douteuses. C’est le cas pour Hurwitz. Les qualités de son ouvrage ne manquent pourtant pas : tableaux illustrant l’instrumentarium d’œuvre en œuvre, références constantes et précises aux passages offerts sur les deux disques d’accompagnement, analyse claire des techniques d’écriture de Sibelius par famille d’instruments, réflexions intéressantes sur l’influence de la langue sur son style mélodico-rythmique, prose légère et décontractée, etc. Mais son manque d’égards envers certaines évidences (les fonctions musicales autres que l’expressivité, l’importance de l’avant-garde, etc.), érigé en principe, devient carrément néfaste pour l’éducation culturelle du public qu’il vise. À conseiller seulement aux néophytes attirés par les œuvres orchestrales du grand Finlandais, mais qui jouissent d’un fort sens critique. RBr


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