Cohésion d’équipe en entreprise et direction d’orchestre : Mêmes schémas, mêmes problématiques, mêmes modes de management ? Par Mihai CEICU et Yann COIRAULT
/ 6 septembre 2006
Qu’ont en commun une équipe en
entreprise et un orchestre? La présence d’un chef, l’harmonie indispensable,
le rythme ou les rythmes, l’énergie déployée dans un même but,
sont en effet présents dans la direction d’orchestre autant que dans
le management d’équipe. Une étude récente(1) menée auprès de
plus de 200 musiciens de 22 orchestres symphoniques allemands, montre
les résultats suivants :
• Le style de direction du chef
d’orchestre influence directement la qualité artistique de l’orchestre
;
• Un bon esprit d’équipe et
une estime mutuelle entre musiciens sont les garants de la qualité
artistique de l’orchestre ;
• Mais plus clairement encore,
le lien entre ces critères est démontré : la cohésion et la coopération
entre les membres d’un orchestre est un critère indispensable à
la qualité artistique de l’ensemble. Le meilleur des chefs d’orchestre
n’obtiendra que de faibles résultats face à un orchestre où l’esprit
d’équipe est peu présent !
Qu’il existe des parallèles,
c’est indubitable. Qu’il persiste des différences fondamentales
d’environnement, d’enjeux et d’objectifs, c’est indiscutable.
Qu’il demeure des passerelles entre ces deux mondes qui paraissent
si éloignés l’un de l’autre, notamment pour ce qui concerne les
notions de cohésion d’équipe, c’est une question qui, si l’on
y répond, peut ouvrir de nouvelles voies de management des hommes,
tant en entreprise qu’en direction musicale.
« Cohésion » vient du latin
cohaerere qui signifie « adhérer ensemble ». C’est bien
la particularité d’un groupe – par rapport à un individu – que
de devoir adhérer aux mêmes objectifs pour pouvoir se mettre en mouvement.
L’objectif principal d’un ensemble
musical est de préparer et d’exécuter des œuvres musicales. L’existence
d’une concurrence entre les différents groupes d’instruments ainsi
qu’au cœur de chaque groupe d’instruments ne peut pas être niée.
Le souci de perfection représente un moteur très fort de motivation
mais aussi de risque de compétitions internes, ce qui peut avoir des
conséquences effrayantes, lorsque certains musiciens en viennent à
mettre leur santé en danger pour faire face à la pression.
Entraîner tout un ensemble de
musiciens dans une même dynamique de travail et d’interprétation
peut parfois représenter un pari ambitieux pour le chef d’orchestre.
En tendant à la perfection, les musiciens ne se pardonnent que très
difficilement leurs propres erreurs et, parfois aussi, celles de leurs
collègues. Ajoutez à cette tendance l’esprit de concurrence
et vous obtenez un cocktail qui peut devenir explosif. La cohésion
du groupe en souffre donc à terme.
Les nouveaux enjeux de l’environnement
du monde musical poussent au changement et à une prise de risque plus
élevée. Le rapport entre chef d’orchestre et musiciens est souvent
source de tension. Chaque musicien, par besoin de reconnaissance, peut
s’individualiser et générer des tensions dans le groupe. Comme un
chef de famille, le chef d’orchestre doit gérer les individualités
à leur profit en conservant à l’esprit le bénéfice du groupe,
qui doit rester prioritaire.
Une équipe se définit comme un
groupe de personnes réunies autour d’une tâche commune. Elle est
composée d’un leader et d’équipiers identifiés
travaillant tous dans un périmètre d’action bien défini.
La construction d’équipe
Les stades de progression : de la
conception à l’autonomie
Comme une famille, une équipe se construit.
De la naissance à l’autonomie, les équipes vivent, progressent,
deviennent cohérentes en passant par diverses étapes. Chaque étape
est le siège d’enjeux (risques et opportunités) qu’il est bon
de repérer afin d’en retirer tous les avantages et d’en éviter
tous les pièges.
1ère étape : LA GRAPPE
Les maîtres-mots de cette étape
: collection d’individus, dépendance forte vis-à-vis du leader,
flux d’information uni-directionnel et top-down, rôle du leader
central et incontournable. Le lien avec le leader est très fort, le
risque de réflexes « simiesques » est élevé (les équipiers singent
le leader), le taux de turn-over est important. En cas de crise,
ce type d’équipe est fréquent et le management directif adéquat.
En cas de naissance d’équipe, le cadrage par le leader des règles
communes et de la répartition des tâches est indispensable.
2ème étape : LE GROUPE
Les maîtres-mots de cette étape
: ensemble semi-ouvert, l‘information commence à circuler par binôme,
comme dans les fratries, le lien se fait par petits sous-ensembles.
En contre-dépendance vis-à-vis du leader, comme un enfant face à
ses parents, l’opposition n’est plus individuelle mais « corporatiste
». Le leader joue alors le rôle d’un médiateur, d’un rassembleur
sur des bases communes de fonctionnement.
3ème étape : LE COLLECTIF
Les maîtres-mots de cette étape
: cocon confortable et hermétique, flux d’information multi-directionnel,
indépendance. Les règles sont connues, l’adhésion aux objectifs
sans conteste, le fonctionnement « huilé ». Le leader n’intervient
que sur les dysfonctionnements entre les personnes, il porte son attention
sur les relations dans l’équipe et les objectifs à plus long terme.
Le risque est ici le ronronnement, la routine et la trop forte réaction
au changement, comme un adolescent cherchant son indépendance totale.
4ème étape : L’ÉQUIPE
Les maîtres-mots de cette étape
: une constellation d’éléments, capables de s’éloigner, mais
toujours en lien avec l’équipe, le flux d’information se tourne
vers l’extérieur, l’inter-dépendance permet l’arrivée de nouveaux
éléments dans l’équipe, s’ils respectent les valeurs et règles
communes. Le rôle du leader est ici centré sur la stratégie, il est
émancipateur, en ce sens qu’il favorise la « libération » de ces
éléments pour redémarrer une nouvelle aventure avec une nouvelle
équipe. Le risque réside en l’éclatement du groupe, la perte du
pouvoir du leader et la prise de décision qui ne passe plus par le
leader (risque de putsch). Les avantages en sont nombreux : concertation,
coopération efficace, souplesse, encaissement du changement, effort
sur l’essentiel.
Ces quatre étapes représentent des
étapes psychologiques, comme à différents âges de l’existence.
Elles décrivent les tendances générales des équipes à différents
stades de progression. Au sein du système, chaque individu suit bien
entendu son propre développement qui influence le système entier.
Ceci représente une source – peut-être même la principale – de
divergences entre les membres d’un orchestre. Les membres d’un orchestre
appartenant à la même génération partagent des expériences, des
croyances et des valeurs communes, qui les lient souvent. Les conflits
anciens ou les différends personnels non résolus, lient plus ou moins
consciemment les personnes impliquées. On peut dire par ailleurs que
les mêmes générations semblent se retrouver à des stades de développement
identiques. Et à long terme elles apprennent les unes des autres.
Néanmoins le rôle du conseil d’orchestre et surtout du chef sont
cruciaux pour l’établissement de meilleures relations de travail.
Lors d’un concert, l’harmonie
et la beauté de tant de musiciens jouant ensemble restent époustouflantes.
Les spectateurs perçoivent le moment merveilleux de l’exécution
musicale quand l’orchestre entier célèbre la musique. Aucune trace
d’individualisme, de conflits, d’esprit de compétition ou de jeux
de pouvoir. Par conséquent, il est légitime de penser que c’est
tout le temps le cas ! Or, ce n’est pas vrai, heureusement ! Les musiciens
professionnels sont aussi des hommes et des femmes. L’individualisme,
les jeux de pouvoir et la compétition accompagnent la vie artistique
de beaucoup d’entre eux. Jouer dans un orchestre est une rude école
d’acceptation de soi et de l’autre ! La connaissance des freins
à la coopération et des moyens pour l’améliorer (par l’intermédiaire
d’un coach personnel ou d’équipe par exemple) peut amener à un
bien-être général, à des rapports sains et à des succès pour l’équipe.
Les entreprises sont conscientes
que leur capital principal réside dans les personnes qui y travaillent.
Elles emploient fréquemment le savoir-faire moderne, le professionnel
externe ou les coaches, les superviseurs internes ou externes pour prendre
soin de l’état d’esprit et du bien-être des employés, pour minimiser
les conflits et créer la meilleure ambiance, génératrice de résultats.
Parce qu’aucune concurrence externe ne peut détruire une entreprise
avec un impact aussi fort que le manque de cohésion et de motivation
de ses propres membres.
Les outils et méthodes employés
pour atteindre ce but sont nombreux : PNL (Programmation Neuro-Linguistique),
modèle de Schutz, Pensée latérale (De Bono), Constellation familiale
et Systémique, Analyse Transactionnelle, offrent un riche éventail
des possibilités qui visent à une communication plus efficace et un
renforcement de la cohésion des équipes.
De nos jours, la situation financière
de nombreux orchestres n’est pas aussi sûre qu’il y a quelques
années. Une restructuration du paysage culturel s’opère, la concurrence
est plus tendue et l’exigence des spectateurs et des pouvoirs publics
de plus en plus forte. Une raison de plus pour que les chefs d’orchestre
renforcent la cohésion d’équipe et expérimentent de nouveaux outils
de management et d’organisation.
On s’attend à ce que, dans les
prochaines années, des orchestres développent des aspects qualitatifs
comme ceux développés dans les entreprises. Atteindre les meilleures
performances musicales, bien sûr, mais également vendre plus de leurs
« produits » musicaux, tout en dégageant plus de bénéfices pour
assurer le futur à long terme, voilà le but. Les ensembles musicaux
ont ceci de particulier et de différent que la passion les anime et
qu’ils peuvent compter sur leur potentiel et sur les ressources qualifiées
élevées qui les composent.
Les équipes sont des groupes focalisés
sur un but commun. L’équipe grecque de football a donné au monde
entier un merveilleux exemple de la façon dont une équipe inconnue,
inspirée par un état d’esprit collectif à toute épreuve, en participant
comme outsider à l’Euro 2004, a remporté la coupe. n
(1) Sabine Boerner/Diana
Krauser/Diether Gebert: « Leadership and cooperation in an orchestra
– An empirical study » in Human Resource Development International
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