Hervé Niquet Par Phillippe Gervais et Pascal Lysaught
/ 6 septembre 2006
Ressuscitée le temps d’un concert,
qui nous a valu notamment une interprétation fougueuse de la première
symphonie de Joseph Méhul, la Nouvele Sinfonie d’Hervé Niquet ne
reviendra pas cette saison, faute de subventions. Cet orchestre d’environ
quarante-cinq jeunes musiciens, jouant sur instruments anciens, possède
pourtant bien des atouts, dont celui de pouvoir défendre efficacement
l’opéra baroque français, avec les effectifs appropriés, comme
l’avait démontré l’habile recréation il y a deux ans de Don
Quichotte chez la duchesse, oeuvre de Boismortier. À l’heure
où Hervé Niquet est plus que jamais actif en Europe – enregistrant
même, coup sur coup, trois opéras en première mondiale ! – souhaitons
le retrouver bientôt à la tête de son orchestre montréalais, qui
compte d’ailleurs présenter de nouvelles demandes de financement
dès que possible.
LSM : Idéalement, quels projets voudriez-vous
mener à bien avec la Nouvele Sinfonie ?
HN : Si nous le pouvions, nous aimerions
faire deux productions par année, soit un programme de symphonies et
un opéra en version concert. L’idée est d’offrir systématiquement
des pièces rarement jouées, en collaboration avec le Centre de Musique
Baroque de Versailles. On devrait se dire, en venant à la Nouvele Sinfonie
: « Je ne connais pas les oeuvres, mais je sais que ça sera agréable
! ». Par ailleurs, j’aimerais qu’on comprenne qu’il est possible,
dans un pays francophone, de faire un opéra français sur instruments
d’époque, un Rameau par exemple. Il n’y a pas de risque commercial.
Allons-y !
En ce moment, où sont les trésors
cachés du répertoire baroque français?
Partout, mais surtout dans le domaine
de la musique religieuse et de l’opéra. En France, on n’a entendu
qu’une petite partie du répertoire disponible. J’ai des armoires
pleines de partitions ! Par exemple, on ne pense jamais à André Cardinal
Destouches, dont la musique se révèle stupéfiante. Grâce aux gens
du Centre de Musique Baroque, j’ai retrouvé et enregistré son opéra
Callirhoé, une oeuvre violente, sauvage même, sans concessions,
qui annonce Rameau. On ne pense jamais non plus à Jean Joseph Mouret,
ou à Antoine Dauvergne, dont je viens de lire une partition somptueuse,
l’Hercule mourant.
N’allez-vous pas toujours vous heurter
au préjugé voulant qu’il s’agisse là de petits maîtres ?
C’étaient des gens qui connaissaient
leur métier : non pas de petits maîtres, mais de grands faiseurs ! Il
ne faut pas sous-estimer l’intelligence du public, qui aime la découverte.
A l’opéra de Montpellier où je travaille, on ne craint pas de présenter,
en même temps que des classiques, des oeuvres totalement inconnues,
et ça marche parfaitement. Justement, la saison prochaine, nous recréons,
en scène et au disque, un des quatre opéras qu’a laissés Marin
Marais, Sémélé. Vocalement, c’est une oeuvre difficile,
mais aussi très belle et très élégante, avec une chaconne quasi
hystérique !
Que pensez-vous de la controverse
entourant le travail de certains metteurs en scène ?
J’ai eu beaucoup d’expériences malheureuses,
alors maintenant je fais très attention. J’exige de parler avec les
gens avant. Je ne sais pas pourquoi on a fait cinquante années de recherches
pour développer l’intelligence des choses, si une personne incompétente
arrive à la dernière minute pour mettre tout le monde en chaînes
et cuir ! Ces transpositions que l’on voit partout, pas seulement dans
l’opéra baroque, relèvent d’un effet de mode et trahissent un
manque d’imagination.
Vos disques et vos concerts témoignent
de votre goût pour la légèreté et la vivacité, mais aussi de votre
attachement aux grands ensembles…
Pourquoi serait-ce contradictoire ? Beaucoup
de gens croient que le baroque était confidentiel, qu’il faut se
restreindre à de petits effectifs pour être virtuose. Avec mon enregistrement
de la Water Music et des Royal Fireworks de Handel, j’ai
voulu montrer, au contraire, qu’on peut bouger aussi vite à cent
qu’à douze. J’ai donc réuni 24 hautbois, 15 bassons, 9
cors, 9 trompettes et 50 cordes. Nous venons justement de refaire ce
spectacle plusieurs fois en Europe, et en particulier pour la Saint
Isidro, la fête de Madrid, où on a tiré en même temps un feu d’artifice.
C’était jubilatoire ! Cette musique ne peut pas sonner avec un orchestre
réduit. Regardez les églises baroques : ce n’est pas du gâteau en
nougatine ! L’architecture est à la fois virtuose, enveloppante et
grandiose, comme doit l’être la musique !
Mais comment éviter la lourdeur avec
de très grands effectifs ?
C’est possible si le chef connaît
son métier, qui ne s’improvise pas, contrairement à ce qu’on croit
trop souvent dans le domaine de la musique ancienne. Diriger d’un
instrument n’est pas toujours l’idéal… Par exemple, dans deux
ans, je vais faire une messe de Striggio, un compositeur italien de
la fin de la Renaissance, écrite à 40 voix, et même à 60 pour l’Agnus
Dei, ce qui suppose la présence de 15 quatuors vocaux, sans parler
de l’accompagnement instrumental. Alors, vous pensez bien qu’il
faudra un grand travail de direction et de pédagogie !
Vous avez encore beaucoup d’autres
projets ?
Oui, nous produirons en octobre le premier
enregistrement de Proserpine de Lully. Nous serons dans les Grandes
Écuries de Versailles, ce qui peut sembler étonnant, mais c’est
un lieu qui a vu beaucoup de musique et qui sonne très bien. Et surtout,
j’ai très hâte de voir sortir bientôt, sur disque Glossa, la messe
et le Te Deum à deux choeurs et deux orchestres de Marc-Antoine
Charpentier.
C’est un autre
Te Deum que celui qui a déjà été souvent
enregistré…
Oui. En fait, Charpentier avait écrit
huit Te Deum, et il nous en reste quatre : celui qu’on connaît
bien, avec ses trompettes, qui a longtemps servi d’indicatif à Eurovision,
deux autres à quatre voix et basse continue, et celui-là, sans cuivres,
mais avec des octuors de solistes étourdissants et enivrants !
Vous aimeriez aussi enregistrer avec
la Nouvele Sinfonie?
Mais bien sûr. Cet orchestre a un son
qui lui est propre, et j’en suis très fier. J’ai rarement eu d’aussi
bonnes cordes à ma disposition ! Vous savez, voilà plus de dix ans
que je viens au Québec et au Canada. Je connais bien les gens d’ici
et je ne demande qu’à travailler avec eux… n |
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