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La Scena Musicale - Vol. 12, No. 1 septembre 2006

Authenticité en musique du monde

Par Bruno Deschênes / 6 septembre 2006


Un thème récurrent en musique du monde, tout en étant fort mal compris, est celui de l’authenticité. Ce terme sert généralement à définir la fidélité des musiciens à leurs racines culturelles et à leurs traditions musicales, cependant, il est ambigu. D’une part, il cherche à démarquer une musique particulière, ainsi que la prise de position culturelle, esthétique et même sociale ou politique des musiciens qui interprètent cette musique. D’autre part, toute musique subit inévitablement le contrecoup des influences de la globalisation, de l’occidentalisation, mais surtout de la « commodification » à l’occidentale : les musiques du monde deviennent des commodités commerciales. Dès qu’elles ne rapportent plus, elles sont abandonnées. Nombre de musiques considérées traditionnelles ont été remodelées selon le moule que cette commercialisation impose, modifiant ainsi une présumée authenticité.

Plusieurs des musiques et des danses que l’on rencontre dans les circuits touristiques, bien que basées sur des musiques traditionnelles, sont réarrangées, et même transformées, pour plaire aux voyageurs occidentaux. Le célèbre Mystère des voix bulgares est en fait une invention des années soixante-dix. Le lukthung thaïlandais est une musique de la campagne qui est considérée, en Thaïlande, comme authentiquement thaïlandaise ; pourtant, ces musiciens s’habillent et dansent similairement aux orchestres latino-américains. Le raï, bien que découlant d’une tradition algérienne, est une invention des années 80 provenant de la France. Le Bhangra est une musique « indienne » dont les origines sont davantage britanniques qu’indiennes (plusieurs des musiciens ne parlent pas le punjabi qu’ils chantent !). Plusieurs prétendues « traditions » sont en fait des créations du XXe siècle1.

Qu’est-ce qui définit alors une musique authentique ? Est-ce le respect d’une tradition ? Aucune tradition n’est statique ; elle subit des influences diverses et évolue. Les exemples que je viens de citer indiquent clairement que nombre de traditions sont aujourd’hui remodelées pour plaire à l’esprit occidental. Est-ce que des musiques qui ont vu le jour au XXe siècle ont vraiment une tradition lorsque leurs racines ont pied dans l’esclavage ou l’oppression ? Est-ce qu’une musique à caractère pop qui a vu le jour dans les années 80 est authentique, malgré des liens potentiels avec une tradition quelconque ? Est-ce que les musiciens qui fusionnent instruments africains et irlandais, chinois ou autres, font une musique authentique ? Est-ce qu’un groupe rock de Singapour est plus authentique qu’un groupe rock d’aborigènes australiens ? Ces musiciens disent exprimer leurs racines culturelles par le rock, racines parfois difficiles à discerner tellement leur rock est typique et si peu « différent ».

Le terme authenticité, à défaut d’un autre, est souvent utilisé à mauvais escient. Il cherche à démarquer et à protéger quelques éléments encore vivants de cultures précaires, perdus dans une masse sonore occidentalisante, ainsi qu’à tenter de particulariser les racines culturelles et sociales d’une musique, malgré les influences qui lui sont souvent imposées. L’ensemble des musiques du monde est aujourd’hui dilué à une plus ou moins grande échelle. Y a-t-il alors vraiment authenticité lorsqu’une musique a été créée hors de son pays et de sa culture d’origine (par exemple le Bhangra) ? Y a-t-il authenticité lorsque aucun membre d’un groupe gitan n’est gitan d’origine ? Y a-t-il authenticité lorsque des musiciens chinois interprètent des pièces occidentales sur leurs instruments chinois ? Un grand nombre de musiciens sont jugés sur la base du métissage qu’ils pratiquent. Souvent, les musiciens vraiment authentiques et traditionnels sont critiqués justement parce qu’ils ne se métissent pas.

Comment, alors, définir vraiment l’authenticité ? n

1. Voir mon article de septembre 2005 dans LSM, sur les « traditions modernes ».

Bibliographie

Monique Desroches et Ghyslaine Guertin, « Musique, authenticité et valeur », Musiques, Vol. 3 : Musiques et cultures, Jean-Jacques Nattiez (dir.), Actes Sud, Paris, 2006, p. 743-755.

Locating East Asia in Western Art Music

Yayoi Uno Everett & Frederick Lau (dir.)

Wesleyan University Press, 2004, 321 p.

L’attrait à l’égard des musiques « orientales » n’est pas récent. Il aurait débuté à la Renaissance, principalement suite aux contacts de l’Europe avec la Turquie. Aux XIXe et XXe siècles, cet intérêt s’est déplacé vers l’Asie. Les musiques indonésiennes (balinaise et javanaise), chinoises et japonaises, sont celles dont l’exotisme a été le plus séduisant pour les musiciens européens. Au XXe siècle, suite à l’ouverture de l’Asie sur l’Europe, des compositeurs chinois, japonais et coréens se sont exilés en Occident et purent ainsi devenir des compositeurs contemporains de renom. Citons les Chinois Tan Dun et Chou Wen-Chung ou encore le Coréen Isang Yun. Ou bien, sans s’exiler, des compositeurs asiatiques se sont fait connaître sur la scène internationale, comme le Japonais Toru Takemitsu. Cet excellent livre trace un portrait de l’adaptation des musiques chinoise, coréenne et japonaise à la musique contemporaine européenne par la présentation de quelques compositeurs, ainsi que de l’attrait des musiques asiatiques chez des compositeurs occidentaux, dont surtout Henry Cowell, John Cage ou encore John Zorn. On retrouve aussi des articles originaux de John Cage, Toru Takemitsu et Chou Wen-Chung.

Music of Nova Scotia

Arc Music, EUCD 1998, 2006 (57 min 54 s)

C’est à partir de 1758 que l’Ile du Cap Breton, suite à la conquête finale de l’île par les Britanniques contre les Français, voit affluer les colons écossais des Highlands et des îles écossaises, ainsi qu’un nombre moins important d’Irlandais. Ces colons ont bien sûr apporté avec eux leurs traditions musicales. Les nouveaux résidents écossais de l’île ont fièrement maintenu leurs racines. On y retrouve même un tartan qui les distingue des autres grandes familles de leur Écosse natale. La troupe de danse la plus connue de l’île est la Troupe folklorique de danse écossaise Forrester du Cap Breton, créée en 1965 par Eileen Forrester, qu’on a pu entendre et voir un peu partout à travers le monde, même jusqu’en Asie. On a pu les entendre aussi au Mondial des cultures de Drummondville. Parallèlement, on retrouve une école qui forme des danseurs et musiciens de tous les âges. Une belle tradition du monde cachée dans un coin du Canada.

À découvrir !


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