Critiques/Reviews
September 6, 2006
Politique de critique : Nous présentons
ici tous les bons disques qui nous sont envoyés. Comme nous ne recevons
pas toutes les nouvelles parutions discographiques, l’absence de critique
ne présume en rien de la qualité de celles-ci. Vous trouverez des
critiques additionnelles dans notre site Web www.scena.org.
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all the best CDs we get, we don’t always receive every new release
available. Therefore, if a new recording is not covered in the print
version of LSM, it does not necessarily imply that it is inferior. Many
more CD reviews can be viewed on our Web site at www.scena.org.
HHHHHH indispensable / a must!
HHHHHI excellent / excellent
HHHHII très bon / very good
HHHIII bon / good
HHIIII passable / so-so
HIIIII mauvais / mediocre
$ <
10 $
$$ 10–15
$
$$$ 15–20
$
$$$$ >
20 $
Critiques / Reviewers
AL Alexandre
Lazaridès
FC Frédéric
Cardin
GB Guy
Bernard
IP Isabelle
Picard
JKS Joseph
K. So
PG Philippe
Gervais
PMB Pierre
Marc Bellemare
RB Réjean
Beaucage
Disque du mois
Chopin
Intégrale des valses
A. Tharaud, piano
Harmonia Mundi HMC 901927 (61 min 20
s)
HHHHHH
$$$
Après un magnifique disque Bach l’an
dernier, Alexandre Tharaud nous propose cette année un non moins magnifique
disque consacré à l’intégrale des valses de Chopin. On pensait
bien connaître ces valses et pourtant... Les enregistrements qui leur
sont consacrés se font rares et la vision purement virtuose que l’on
nous en donne la plupart du temps en concert ne leur rend pas justice.
Alexandre Tharaud nous les offre avec un jeu raffiné, maîtrisé dans
ses moindres détails et pourtant très naturel. Son usage du rubato
est subtil et donne tout juste l’impression que la musique coule spontanément.
Aucun besoin de souligner à grand trait. Le pianiste nous présente
un Chopin intimiste, et sur ce point, la prise de son s’accorde parfaitement
avec son jeu. On met le disque, et Alexandre Tharaud se retrouve dans
notre salon, jouant seulement pour nous. Isabelle Picard
Musique de chambre
/ Chamber Music
Bach
The Two and three Part Inventions
G. Gould, piano
Sony Classical 82876-78766-2 (70 min
02 s)
HHHHHI $$
Cet enregistrement est à l’origine
un produit de l’association Gould-Columbia. Le disque couple les inventions
à 2 et 3 voix par tonalités, telles qu’elles furent retrouvées
dans le troisième manuscrit des inventions, en 1723. Le premier manuscrit
étant le Petit Livre pour clavier pour Wilhelm Friedemann
Bach et le second se retrouvant sous forme de traité, dédié au
prince d’Anhalt-Coethen. Voilà pour l’explication philologique.
Cette version fut enregistrée
en 1964 sur le légendaire piano Steinway CD-318, instrument dont Gould
ne se détachera plus. Les inventions sont tout le reflet du Bach qu’on
aime retrouver chez cet interprète aussi génial que singulier : immédiateté
de l’attaque, clarté du non legato
et prise de son très proche de l’instrument.
L’écoute de chaque invention
à 2 voix immédiatement suivie de la sinfonia correspondante, forme
une série d’unités qui n’est pas sans rappeler Le clavier bien
tempéré. Le CD inclut aussi quelques inédits des sinfonias 8,
9 et 15 de la session d’enregistrement des Variations Goldberg
de 1955. Guy Bernard
Bartók
Suite, op. 14; Sonata (1926); Improvisations
on Hungarian Peasant Songs; Out of Doors;
Sonata for Two Pianos and Percussion
M. Perahia et G. Solti, piano ; D. Corkhill
et E. Glennie, percussion
Sony Classical 82876-78750-2 (73 min
42 s)
HHHHII
$$$
Ce disque de la collection « Great Performances
» regroupe des enregistrements effectués par Perahia entre 1973 et
1987 et que CBS avait édités en deux disques en 1981 et 1988. Au programme,
cinq œuvres parmi les plus populaires de Bartók, notamment cet immense
chef-d’œuvre qu’est la Sonate pour deux pianos et percussion,
dans laquelle le pianiste américain est accompagné par nul autre que
Georg Solti. Il faut croire que la présence du défunt chef hongrois
est pour beaucoup dans la réussite de cette interprétation, dont on
admire les rythmes nets et coupants, les couleurs moirées dans le «
Lento, ma non troppo », avec une percussion animée à souhait. Pour
les quatre compositions où Perahia officie seul, on constate une sorte
d’affadissement du rythme et des timbres, comme si le pianiste laissait
sa veine lyrique s’exercer au détriment du côté inclassable de
ces œuvres. Elles résonnent autrement fort sous les doigts de Zoltán
Kocsis (Philips). Alexandre Lazaridès
Bolcom
Complete Violin Sonatas
S. Sorocka, violon ; A. Greene, piano
Naxos 8.559150 (76 min 52 s)
HHHHHI
$
William Bolcom (né en 1938) est un Américain
qui représente brillamment l’éclectisme raffiné d’une certaine
école de composition moderne états-unienne. Les trois sonates présentées
ici manifestent la décantation musicale qui s’est opérée dans ce
pays et qui s’exprime, dans les meilleurs cas, à travers des œuvres
bourrées de références hétérogènes, mais solidement ficelées
dans un canevas rigoureux et une esthétique remarquablement cohérente.
Qu’il s’agisse d’un certain lyrisme atonal présent dans la
Première Sonate, des élans jazzistiques de la Deuxième,
du néoclassicisme chostakovitchien de la Troisième ou des exotismes
savants (en particulier hispaniques) de la Quatrième, le discours
de Bolcom est constamment relevé par la finesse de l’écriture musicale
et son dévouement à l’élaboration d’une ligne résolument chantante
pour le soliste. N’ayez aucune crainte, il ne s’agit aucunement
d’un autre produit crossover superficiel (malgré l’énumération
des influences éclectiques). Plutôt d’un corpus intelligent et édifiant,
réalisé par l’un des compositeurs états-uniens les plus brillants
de sa génération. Frédéric Cardin
Brahms
Complete Piano Trios
Trio Wanderer
Harmonia Mundi HMC 901915.16 (2 CD :
125 min)
HHHHHI
$$$$
Viola Works
S. Dann, alto ; L. Orkis, piano ; S.
Platts, mezzo-soprano
Atma ACD2 2350
HHHHII
$$$
La nouvelle intégrale des Trios pour
piano, violon et violoncelle proposée par le trio Wanderer peut
être mise au premier rang, juste après celles qui opposaient Katchen,
Suk et Starker, d’un lyrisme à l’intensité inégalée (en 1968
chez Decca), ou bien Istomin, Stern et Rose chez Columbia. L’interprétation
du Wanderer ne creuse pas le trait brahmsien, mais procède de façon
pour ainsi dire allusive. Les trois Trios acquièrent une grande
transparence qui trouvera certainement de nombreux admirateurs, d’autant
plus que le lyrisme y trouve une place de choix. Autre atout : comme
complément, le Wanderer a choisi le Quatuor avec piano op. 25,
enlevé avec une enivrante prestance (avec l’altiste Christophe Gaugué).
On sait que les deux Sonates op. 120 peuvent être interprétées
avec une clarinette ou un alto, au choix. L’altiste Steven Dann nous
en livre une interprétation contrôlée, mais ne parvient pas à transmettre
la rêverie propre à ces œuvres crépusculaires. C’est peut-être
l’accompagnement de Lambert Orkis qui vole la vedette. Son piano est
d’une présence de tous les instants. En complément de programme,
Susan Platts interprète avec chaleur les rares Deux chants op. 91
sur des poèmes de Rückert et de Geibel, mais sur une même musique
dans les deux cas. AL
Scriabine
Étrangeté/Strangeness : Preludes
and Poems
G. Csalog, piano
BMC CD 099 (70 min 42 s)
HHHIII $$$$
Le pianiste hongrois Gábor Csalog joue
(sur un Fazioli) un choix de Préludes de Scriabine, une trentaine
au total, qu’il a disposés dans un ordre propice, lui a-t-il semblé,
à une écoute en trois séances de 25 minutes chacune. Dans les faits,
cela ne change pas grand-chose à la compréhension de ces miniatures
bien plus subtiles et fascinantes qu’elles ne le semblent ici. Quelques
autres œuvres – Poème, Feuillet, Nuances,
Énigme, Fragilité,
Étrangeté – complètent un programme qui, en dépit de sa variété,
n’évite pas la fadeur. L’interprète n’a retenu de la palette
du compositeur que la couleur morbide. La main gauche sommeille et le
rythme, si fluctuant chez le compositeur russe, manque bien trop de
souplesse. Tout ce qui échappe à Csalog se trouve en abondance dans
le magnifique enregistrement de la quasi intégrale des Préludes
que Racha Arodaky avait gravée pour Zig Zag Territoires en 2003, sur
un superbe Steingraeber. Le disque de la maison hongroise BMC peut servir
à une première prise de contact : toutes les notes y sont, mais non
tout le reste. AL
Shostakovitch & Schnittke
Cello Sonatas
A. Gerhardt, violoncelle ; S. Osborne,
piano
Hyperion CDA67534 (78 min 50 s)
HHHHII
$$$$
Un demi-siècle environ sépare la
Sonate pour violoncelle et piano de Chostakovitch de celle de son
compatriote Schnittke. Elles ont été créées respectivement en 1934
et 1978. Le programme est complété par huit transcriptions, pour les
mêmes instruments, d’œuvres mineures de Chostakovitch, et par deux
œuvres intéressantes pour violoncelle solo de Schnittke, le Madrigal
In Memoriam Oleg Kagan et Klingende Buchstaben (« Lettres
sonores »). Dans les Sonates, ce sont deux mondes très différents
qui s’expriment, celui de Schnittke, plus allusif, semblant mieux
convenir au talent d’Alban Gerhardt, même si le long « Largo »
final manque du halo de mystère voulu. Entrée depuis longtemps dans
le répertoire et enregistrée par quelques grands noms, la Sonate
de Chostakovitch demande un son généreux et un souffle large, exigences
qui ne sont pas, si l’on peut dire, dans les cordes du violoncelliste
allemand. Steven Osborne ne manque ni de clarté ni de panache, mais
il se contente d’être un accompagnateur plutôt qu’un partenaire,
comme l’était, par exemple, Yakov Kasman en dialogue avec le violoncelliste
Petr Prause (Calliope, 2003). AL
In the Shade of Forests
The Bohemian World of Debussy, Enescu,
Ravel
P. Graffin, violon ; C. Désert, piano
Avie AV2059 (73 min 14 s)
HHHHHI
$$$$
Philippe Graffin et Claire Désert sont
deux musiciens exceptionnels qui ne reçoivent pas le dixième de l’attention
qu’ils méritent. Il est à souhaiter que nous ayons la chance de
les entendre sur nos scènes un jour prochain. L’auditeur avide d’une
musicalité toute illuminée par l’éclat d’une intelligence et
d’un raffinement hors du commun fera bien de porter attention à ce
trésor paru sur une jeune étiquette indépendante. Il faut entendre
les tressaillements du violon de Claire Désert et les scintillements
de lumière du piano de Philippe Graffin dans la Sonate posthume
de Ravel pour comprendre toute l’ampleur du plaisir suscité par la
complicité de ces deux musiciens ; la tendresse parfois éthérée,
mais surtout foncièrement moderne, des Impressions d’enfance
d’Enescu ; l’inaltérable esprit d’indépendance et de liberté
du Tzigane de Ravel joué, Oh, inspiration géniale, au luthéal
(sorte de petit piano à la sonorité unique, croisement entre le pianoforte,
le cymbalum et le grand piano moderne) et finalement les textures toutes
en délicatesse de la Sonate de Debussy. Chapeau ! FC
L’ange Marais
Pièces à trois violes
Première suite à trois violes en ré
majeur ; Deuxième suite à trois violes en sol majeur ; Tombeau pour
Monsieur de Lully
W. Kuijken, basse de viole ; Les Voix
humaines
(S. Napper et M. Little, basse de viole ; N. North, théorbe ; E. Milnes,
clavecin)
Atma ACD2 2374
HHHHII
$$$
Marin Marais écrivait dans la présentation
de ses Pièces à une et à trois violes (IVe livre),
en 1717 : « La Troisième Partie a cela de singulier qu’elle est
composée de Pièces a trois Violes, ce qui n’a point encore este
fait en France. » Ce sont des pièces tirées de cette troisième partie
du quatrième livre que nous présentent le duo Les Voix humaines et
leur invité Wieland Kuijken. Le son de ce vétéran de la viole de
gambe se marie admirablement avec celui du duo montréalais. Cette musique
au rythme si souple, aux voix si intimement imbriquées, demande une
écoute attentive de la part des interprètes, et c’est le cas ici.
Soulignons la beauté du Tombeau pour Monsieur de Lully
: la viole chante littéralement, et même, elle parle. Un beau disque
pour souligner le 350e anniversaire de Marais. IP
Musique orchestrale / Orchestral
Music
Leopold Stokowski
and the Philadelphia Orchestra
CD premières of their rarest recordings
Music and Arts CD 1173 (4 CD)
HHHHHH $$$$
Tirés de 78 tours enregistrés entre
1927 et 1940, la maison Music and Arts offre ici le fruit d’une recherche
et d’une remasterisation impressionnante. D’abord tubiste, puis
organiste, avant de se lancer dans l’aventure de l’arrangement et
de la direction, Stokowsky fut, à une époque, le seul chef d’orchestre
à porter Vivaldi au disque. La version pour grand orchestre qu’il
fit du Concerto Grosso, op. 3 no 11, témoigne bien
de la beauté insolite des arrangements de ce chef d’orchestre visionnaire.
Cela plusieurs années avant que les Quatre saisons ne reviennent
au goût du jour ! Palestrina, Bach, Lully, Byrd et Handel ne sont que
quelques-uns des autres compositeurs ayant été revisités dans ses
arrangements.
Le coffret va encore plus loin
en offrant la Quatrième symphonie de Brahms et même une version
« épique » de la Cinquième de Beethoven. Il y a ici beaucoup
plus qu’un chapitre d’histoire de l’orchestre. Il y a l’âme
de l’entre-deux-guerres et de la crise de 1929. Il y a une esthétique
racée, qui en vient à faire admettre aux puristes que cette vieille
école du jeu américain est appuyée sur une rhétorique certaine,
sur un caractère aussi singulier que démesuré. GB
Musique vocale /
Vocal
Haydn
Orlando Paladino
P. Petibon, C. Gerhaher, M. Schade, W.
Güra,
M. Hartelius, M. Schäfer, E. von Magnus ; Concentus Musicus Wien /
Nikolaus Harnoncourt
Deutsche Harmonia Mundi 82876 73370 2
(2 CD : 146 min 38 s)
HHHHHI
$$$$
Cet opéra héroïcomique composé par
Haydn en 1782 est peut-être son œuvre lyrique la plus originale. Tiré
du Roland furieux de L’Arioste, où l’auteur parodie les
mœurs guerrières médiévales, on y voit le chevalier Orlando, neveu
de Charlemagne, devenu fou par dépit amoureux à cause de la belle
Angelica, laquelle en aime un autre de foi mahométane. Il menace constamment
de sévir contre le couple amoureux, qu’il pourchasse par monts et
par vaux. Grâce à l’intervention de la sorcière Alcina, tout finira
bien, comme il se doit : Orlando recouvrera la raison et Angelica, la
paix. Haydn s’amuse avec génie au jeu des apparences et de la réalité.
On est tenu sur la ligne de crête d’une caricature ambiguë, mais
toujours soutenue par une écriture sûre de ses moyens, et une orchestration
fastueuse. Les arias sont d’une étourdissante variété de tons,
et certains récitatifs accompagnés sont des bijoux de raffinement.
Harnoncourt dirige l’œuvre de main de maître. Le plateau soliste
est de premier ordre, quoique Michael Schade (Orlando) et Christian
Gerhaher (Rodomonte) semblent devoir se forcer parfois pour venir à
bout de leur partie. AL
Tormis
Forgotten Peoples
Paysages d’automne, Chants de la Saint-Jean,
Aurore boréale, Chants des jours gras, Chanter sur le navire, Chemin
vepses
Musica intima
Atma ACD2 2354 (59 min 56 s)
HHHHII
$$$
L’ensemble vocal Musica intima, de
Vancouver, est constitué de douze chanteurs professionnels (trois sopranos,
trois altos, trois ténors et trois basses). Pour son quatrième disque,
l’ensemble a choisi la musique du compositeur estonien Veljo Tormis
(né en 1930). Ce dernier, un virtuose de l’écriture pour chœur
(il a d’ailleurs presque exclusivement écrit pour la voix), travaille
à partir de chants folkloriques. Musica intima s’approprie réellement
ces chants et semble avoir autant de plaisir à les chanter qu’on
en a à les découvrir. La musique est colorée, imagée, et ces éléments
nous sont transmis avec justesse : on voit les Paysages d’automne
et les couleurs de l’Aurore boréale. Le son d’ensemble est
le résultat d’un véritable travail d’équipe : l’ensemble travaille
sans chef, chaque musicien a donc son mot à dire sur les choix esthétiques.
Et ces choix sont ici tout à fait intelligents ; il y a quelque chose
de la simplicité populaire, de la naïveté, dans l’interprétation. IP
Tragédiennes
Lully, Campra, Rameau, Mondonville,
Leclair, Royer et Gluck
V. Gens, soprano ; Les Talens Lyriques
/ C. Rousset
Virgin 00946 346762 2 9 (70 min 05 s)
HHHHHI
$$$$
Cette anthologie illustre cent ans d’opéra
français, de l’Armide de Lully à celle de Gluck. Admirable
parcours, où l’on voit se maintenir et se renouveler la tradition
de la déclamation expressive, issue du théâtre classique. À cet
égard, les deux Armide étant composées sur le même livret,
il est fascinant d’en comparer le passage le plus fameux, où la magicienne
renonce à tuer celui qu’elle aime. Véronique Gens propose aussi
de nombreux inédits forts intéressants, qui témoignent de tout le
répertoire encore à découvrir : ainsi, « Mes yeux, fermez-vous pour
jamais », tiré du Carnaval de Venise de Campra, est-il un des
moments les plus touchants de ce disque. Par endroit, on pourra reprocher
à la chanteuse une pudeur excessive, mais ce récital n’en demeure
pas moins un modèle du genre, ne serait-ce que pour l’excellence
du style et de la diction. L’orchestre des Talens Lyriques complète
le programme de plusieurs pages instrumentales, où il se montre époustouflant
(écoutez ces basses !), en particulier dans l’ouverture du Scylla
et Glaucus de Leclair. Philippe Gervais
Musique contemporaine/
Contemporary Music
Burt
The Animation of Lists And the Archytan
Transpositions
W. Burt, diapasons
XI 130 (129 min 31 s)
HHHHII
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Voici un disque absolument déroutant.
Les œuvres sont issues de l’esprit iconoclaste du compositeur australien
Warren Burt (1949) et conçues pour un ensemble de diapasons ! Accordés
de telle sorte qu’ils couvrent jusqu’à 53 sons différents dans
l’intervalle d’un octave, les diapasons de Burt réussissent à
nous cajoler les tympans par leur surprenante douceur. Pour l’auditeur
curieux et un peu aventureux, cette symphonie de timbres, foisonnante
d’éclats de brillance se déclinant en intensités variables et en
coloris subtils, mais toujours d’une agréable douceur, se révélera,
à force d’écoute, une source de plaisir et, peut-être, un écrin
confortable pour la méditation. FC
Coates
Symphonies Nos 1, 7 and 14
Siegerland Orchestra / J. Rotter ; Munich
Chamber Orchestra / C. Poppen ; Bavarian Radio Symphony Orchestra /
O. Henzold
Naxos 8.559289 (65 min 43 s)
HHHHHI
$
La musique de Gloria Coates pourrait
être taxée de facilité par l’auditeur qui se contenterait de l’écouter
superficiellement. L’usage constant des glissandos, un « truc »
très caractéristique d’une certaine époque de la musique contemporaine,
peut en effet sembler facile, mais Coates en est certes l’experte
et elle l’a expérimenté à toutes les sauces (l’un de ses premiers
quatuors à cordes n’était composé que de glissandos). La Symphonie
no 14 (2002), sous-titrée Symphonie
microtonale, arrive à intégrer de vieux hymnes américains dans
l’inextricable tissu de cordes sans cesse montantes et descendantes.
La no 1 (1972-73), Music on Open
Strings, ajoute aux glissandos l’accord des cordes selon une gamme
oritentale (le final donne littéralement le tournis !). Dans la
no 7 (1990), Coates appliquait pour la
première fois son procédé à un grand orchestre (avec bois et cuivres).
Les sonorités qu’elle en tire sont époustoufflantes. Vivement que
l’on entende ça à l’OSM ! Réjean Beaucage
Crumb
Songs, Drones, and Refrains of Death
Ensemble New Art / F. Kent
Naxos 8.559290 (54 min 31 s)
HHHHHI
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La pièce titre, pour baryton, instruments
amplifiés et percussion, date de 1962-68, une époque qui a laissé
beaucoup de traces sur les musiques qui nous en restent, mais pas sur
celle-ci. Elle est encore originale, surprenante et fraîche, des qualités
auxquelles l’interprétation des musiciens du New Art dirigé par
Fuat Kent n’est certes pas étrangère. Nicholas Isherwood chante
Garcia Lorca avec une maîtrise étonnante, qui force l’attention.
Quest, pour guitare (Alexander Swete), contrebasse, saxophone soprano,
harpe et percussion date quant à elle de 1994 et pourrait bien avoir
hérité de l’apparente éternelle jeunesse des Songs, ou de
celle de George Crumb (1929), qui utilise cette étonnante combinaison
d’instruments avec une grande efficacité. Chapeau, d’ailleurs,
au superviseur de l’enregistrement Andreas Werner, qui nous transporte
au milieu d’un désert métaphorique d’une grande beauté. RB
Saariaho
L’œuvre pour violoncelle
A. Descharmes, violoncelle ; J. Fèvre,
flûte ;
N. Baldeyrou, clarinette basse
Aeon AECD 0637 (56 min 11 s)
HHHHHI
$
Musique fragile et intense à la fois,
l’œuvre pour violoncelle de la Finlandaise Kaija Saariaho est nimbée
d’une mystérieuse beauté. Les titrages poétiques donnent une première
impression de fragilité. Petals
est une œuvre bercée par la brise légère d’un souffle rêveur.
Les Sept Papillons virevoltent, Oi Kuu est un jeu en clair-obscur
entre la clarinette basse et le violoncelle, Mirrors est une
délicate bluette amusante où la flûte et le violoncelle se renvoient
ludiquement les motifs musicaux par l’entremise d’une étonnante
variété de moyens (homorythmies, symétries horizontales et verticales,
etc.). Spins and Spells est un parcours plein de surprises pour
le soliste, alors que Près, une œuvre majeure du répertoire
contemporain pour violoncelle, est inspirée de Gauguin (Près de
la Mer) et Saint-John Perse (Amers). L’élément aquatique
y est omniprésent, autant par la bande électroacoustique, que par
l’instrument soliste lui-même, qui s’exécute dans un surprenant
florilège de sonorités coulantes, ondoyantes, parfois bruitistes. FC
À quelle heure commence le temps
?
Nouvel Ensemble Moderne / Lorraine Vaillancourt
ATMA ACD2 2376 (70 min)
HHHHII
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Trois œuvres sont ici regroupées. Michael
Oesterle offre dans annus mirabilis (2005) « cinq perspectives
célébrant l’année miraculeuse d’Albert Einstein » ; il s’agit
de l’année 1905, qui vit la naissance de la relativité. Le compositeur
ne cherche pas à illustrer les théories d’Einstein, bien que des
superpositions de tempi puissent les évoquer, mais offre plutôt un
portrait du scientifique. Une musique qui séduit d’emblée par
sa variété (ou son mouvement) et son dynamisme. Serge Provost, dans
Les ruines du paradis (2004), semble se lancer dans ce qui pourrait
être un concerto pour piano, mais utilise bientôt toutes les ressources
du NEM qui produit des jeux de timbres très proches de l’électroacoustique.
Le monodrame de Gilles Tremblay qui donne son titre au disque et qui
remportait le prix Opus de la création de l’année 1999-2000, laisse
souvent le baryton-basse Michel Ducharme fin seul, comme le marin perdu
en mer qu’il évoque. On n’en goûte que davantage le son de l’ensemble
dont Tremblay utilise les couleurs par petits aplats et hachures vives. RB
L’Homme armé
Works for solo cello
M. Zeuthen, violoncelle
Dacapo 8.226007 (64 min 40 s)
HHHHII
$$$$
Cet album porte un regard sur la production
danoise moderne et contemporaine pour violoncelle. Le thème « L’Homme
armé » de Josquin des Prés est repris dans une multitude de variations
par l’imaginatif Poul Ruders (né en 1949) dans les justement nommées,
Bravour Studies for solo cello over « L’Homme armé ». De la
bravoure, il n’en manque pas dans cette série de variations aux textures
et atmosphères diverses. Trois sonates de compositeurs-phares de l’école
danoise sont aussi proposées : l’une de Per Norgard, une autre de
Hans Abrahamsen (toutes deux teintées d’un expressionnisme abstrait
adouci par un certain lyrisme) et une, enfin, assez néoclassique, du
doyen en présence, Vagn Holboe (1909-1996). D’intéressantes miniatures,
diaphanes et économes, nous sont aussi offertes par Karl Aage Rasmussen,
Andy Pape, Niels Rosing-Schow et Svend Nielsen. FC
DVD
The La Scala Collection
Adriana Lecouvreur, Attila, La donna
del lago,
I vespri Siciliani, I due Foscari, Così fan tutte, Lo frate ‘nnamorato,
La Fanciulla del West, Guglielmo Tell, Don Giovanni, Lucia di Lammermoor
(live performances ; various artists and conductors)
Opus Arte OA LS3000BD (12 DVDs, 30 h
32 min)
HHHHHI
$$$$$
Though there are still four months to
go before Christmas, this release has my vote as the ultimate Yuletide
gift for the opera buff. In this beautifully packaged box set are eleven
operas on twelve discs, all Teatro alla Scala telecasts on Italian television
between 1988 and 1992. It should be noted that all were previously released
individually at full price. These performances showcase most – but
not all – of the best artists La Scala had to offer at the time. Regrettably
no Pavarotti, the biggest star of Italian opera at the time; and Plácido
Domingo is represented by a single La Fanciulla del West. One
misses the truly gorgeous Zeffirelli productions of La Bohème
and La Traviata, released commercially under other labels. Also
missing are the Italian warhorses the likes of Aïda, Tosca,
and Madama Butterfly, shows that La Scala can do fabulously well.
Instead, we have the relatively obscure La donna del lago and
Lo frate ‘nnamorato. Basta
– rather than dwelling on what is missing, I want to focus on what
is here, and it is substantial. There are plenty of performances that
give pleasure. Tops on the list are the aristocratic Don Giovanni of
Thomas Allen, the plangent-voiced Dick Johnson of Plácido Domingo,
and the lovely Adriana Lecouvreur of Mirella Freni, caught in her late
prime. Also prominently featured is American soprano Cheryl Studer,
who did some of her best work at La Scala before her all-too-early vocal
decline. Her Elena in Vespri and Mathilde in the rare Guglielmo
Tell show her at her considerable best. Also caught at her best
is soprano June Anderson, in another Rossini rarity, La donna del
lago. Partnering her are fellow American tenors Rockwell Blake,
who doesn’t have the most ingratiating tone, but what coloratura!
Another American, Chris Merritt, was more controversial in bel canto.
He has since abandoned this repertoire for character tenor roles and
contemporary opera.
Seven of the eleven operas in the
collection are conducted by its then music director, Riccardo Muti,
with two by the octogenarian Gianandrea Gavazzeni, and one each by Lorin
Maazel and Stefano Ranzani. In terms of production values, La Scala
is sort of the Italian counterpart of the Met – rather old-fashioned
in approach and super-lavish in execution, made possible by its huge,
state-subsidized resources. The most ‘adventurous’ strokes are the
occasional abstractly painted scenery or slide projections of mountains
and streams in Guglielmo Tell. With the exception of Tell,
each opera fits onto a single disc. As a result, something has to give.
The menu options are minimal – only English subtitles and absolutely
no bonus material. There is no DTS Surround Sound, something we spoiled
armchair opera goers have come to expect. The colours are less vibrant
and the picture quality not as sharp, which I suspect is the result
of some digital compression. For example, to fit the three-and-a-half
hour Così fan tutte onto a single disc, it is slightly cut.
Some recitatives, the duet “Al fato da legge quegli occhi’ and the
aria ‘Ah lo veggio quell’ anima bella’ are omitted. A curiosity
– all La Scala telecasts from this period are devoid of solo curtain
calls, possibly due to the tendency of merciless booing of certain artists
by the infamous La Scala loggionisti. Kudos to Opus Arte for
including the libretti, albeit in Italian only. I can heartily recommend
this release, if you don’t have some of the operas already in your
collection. Joseph K. So
Puccini
La Bohème
M. Freni, A. Martino, G. Raimondi, R.
Panerai ; Chœurs et orchestre du Théâtre de la Scala de Milan / H.
von Karajan
Mise en scène : F. Zeffirelli (1965)
Deutsche Grammophon 00440 073 4071 (103
min)
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Alors que se multiplient les versions
DVD des piliers du répertoire, le mélomane est confronté au même
problème que devant les CD : l’embarras du choix ! Or, ici, il n’y
a pas à hésiter : cette production étincelante et inventive qui,
en son temps, fit fureur, est une valeur sûre. Ceci dit, le produit
date un peu. À l’époque, les projets du genre étaient réalisés
sur des plateaux de tournage, comme des films, avec comme résultat
la même perfection glacée qui caractérise l’approche studio des
enregistrements de musique classique qui faisait alors la norme. De
plus, comme il n’était pas question d’enregistrer les voix en même
temps qu’on filmait les chanteurs, ceux-ci se voyaient contraints
au dilemme ingrat de choisir entre ouvrir la bouche toute grande, comme
sur scène, ou la garder à moitié fermée, au naturel. Hélas, que
l’on choisisse dans un sens ou dans l’autre, en synchronisation,
le résultat est toujours insatisfaisant. Autre problème : le médium
tendait à accentuer l’écart entre les bêtes de scène et les comédiens
amateurs. C’est ainsi que Martino, une Musetta flamboyante, domine
ici toutes les scènes où elle apparaît (y compris celle de la mort
de Mimi...), tandis que le jeu de Freni trahit cruellement la débutante.
La voix, par contre, est d’une fraîcheur exquise... Il n’est pas
jusqu’à Zeffirelli, metteur en scène, mais pas encore cinéaste,
qui n’ait, ici et là, quelques difficultés avec l’éclairage !
Bref, un produit de qualité, mais qui a vieilli. Pierre Marc Bellemare
Livres /
Books
Mimi Daitz
Ancient Song Recovered: The Life and
Music of Veljo Tormis
Pendragon Press / Dimension Diversity
Series, no 3, 2004, 368 p. (contient un CD)
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Veljo Tormis est, avec Arvo Pärt, l’un
des maîtres de l’école estonienne de chant choral dont les noms,
pratiquement inconnus avant la chute du régime soviétique, s’imposent
maintenant à l’attention des mélomanes et critiques occidentaux.
Il est d’une actualité si récente (en dépit de ses 76 ans bien
sonnés !) que, à part les textes d’accompagnement de CD, au demeurant
de plus en plus nombreux, l’information manque à son sujet. À cet
égard, le livre de Mme Daitz vient combler un vide et de façon spectaculaire,
car il a été conçu comme un ouvrage de référence aussi exhaustif
que possible. On y retrouve de tout, soit, en plus des biographie, bibliographie,
discographie et liste d’œuvres de rigueur, des analyses détaillées
de compositions essentielles, un dossier d’entrevues et de textes
importants, et même une histoire de l’Estonie et une introduction
au regilaul, le genre de chant folklorique qui définit la tradition
vocale où s’inscrit Tormis. Le CD d’accompagnement se compose de
nombreux fragments d’œuvres et d’œuvres courtes, dont beaucoup
sont inédites. Par son style, cette musique rappelle celle de Pärt,
mais l’inspiration spirituelle est toute autre. Tandis que Pärt,
ces dernières années, cherche à renouer avec la tradition chrétienne,
Tormis tente un retour au shamanisme. PMB
Daniel Felsenfeld
Parallel Lives. Benjamin Britten and
Samuel Barber. Their lives and their music
Amadeus Press / Music Appreciation, 180
p.
(contient un CD)
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Par sa forme, ce petit ouvrage destiné
aux débutants relève du genre des notes d’accompagnement
à un enregistrement. En fait, presque la moitié de son contenu (Partie
3, p. 85-172) consiste précisément en des analyses poussées (dans
le style Naxos) des divers morceaux du compact complémentaire. Les
deux biographies sont agréablement écrites et fourmillent de renseignements
de toutes sortes. On regrettera seulement que l’auteur, dans son récit,
n’ait pas jugé bon de fournir plus de repères chronologiques à
son lecteur. La Partie 2 se compose de deux essais, dont l’un raconte
la première désastreuse d’Anthony and Cleopatra, au Met,
le 16 septembre 1966, tandis que l’autre aborde, courageusement et
presque sans détours, la question scabreuse des tendances appréhendées
de Britten à la pédophilie. L’ouvrage comporte une bibliographie,
mais pas de discographie ou de catalogue des œuvres, non plus d’ailleurs
que les textes complets des pièces chantées. Tous les enregistrements
sont extraits du catalogue Naxos. PMB
André Papillon
Index des mélodies de chorals dans
l’œuvre de Bach
Les Presses de l’Université Laval,
2006, 150 p.
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On sait que la musique de Bach est intimement
liée au chant luthérien et que l’on retrouve des mélodies de chorals
dans plusieurs œuvres du compositeur. André Papillon, flûtiste et
professeur à la faculté de musique de l’Université Laval, recense
dans ce précieux ouvrage tous les chorals utilisés par Johann Sebastian
Bach. Faire tenir une somme aussi considérable de travail dans un petit
livre d’à peine 150 pages relève du tour de force. D’autant plus
que le tout est présenté d’une manière simple et efficace : on
peut aisément repérer toutes les mélodies de chorals utilisées dans
tel oratorio, telle cantate, telle œuvre pour orgue, et aussi aisément
identifier toutes les œuvres où est citée telle mélodie de choral.
Cet index est un outil tout indiqué pour approfondir notre connaissance
de l’œuvre du compositeur. Une version anglaise a été publiée
simultanément, également aux Presses de l’Université Laval, sous
le titre Index of Chorale Melodies in the Works of Johann Sebastian
Bach. IP
Claude Samuel
Clara S., les secrets d’une passion
Flammarion, 2006, 417 p.
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Claude Samuel, journaliste et critique
musical, a déjà fait paraître une dizaine de livres, notamment sur
Prokofiev, Messiaen, Ligeti et Boulez. Il se penche cette fois sur Clara
Schumann et en propose une « biographie romanesque ». « Romanesque
» en quoi ? Au contraire d’un ouvrage musicologique « pur et dur
», l’auteur se permet par moment d’imaginer les pensées de sa
principale protagoniste (qu’on distingue des véritables mots de Clara
grâce à la typographie). Il évite également le vocabulaire trop
spécialisé et les exemples musicaux. Mais attention, ce Clara S.
n’a rien d’un roman à l’eau de rose. Les pensées imaginées
par Claude Samuel demeurent crédibles et cette biographie est bien
documentée (l’importante liste des ouvrages consultés en fait foi).
On suit le destin mouvementé de la pianiste depuis l’enfance : son
apprentissage auprès de son père, sa vie de jeune prodige, puis de
virtuose reconnue, l’émergence de son talent de compositrice (qu’elle
ne mettra en œuvre qu’avec beaucoup d’humilité, affirmant même
à propos d’une de ses œuvres : « Naturellement, cela reste toujours
un ouvrage de dame auquel manquent la puissance et, ici et là, l’invention.
»), l’histoire d’amour passionnée avec Robert Schumann, sa vie
d’épouse dévouée, mère de huit enfants, la maladie de Robert,
son internement et les quarante années suivant son décès. À travers
son destin, on plonge dans l’esprit romantique et on croise plusieurs
de ses grandes figures (Mendelssohn, Paganini, Liszt, Brahms...). IP |
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