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La Scena Musicale - Vol. 11, No. 9 juin 2006

Les coulisses du trombone

Par Guy Bernard / 7 juin 2006


Trois trombonistes et autant de façons d’en vivre

Angelo Munoz

Il est deux heures du matin. Angelo Munoz ne trouve pas le sommeil. Son visage bleuté par l’écran d’ordinateur, il coupe, colle, écoute, efface tout, recommence. Il travaille à l’arrangement d’un tango pour quatuor de trombones. De toute façon, il a perdu la notion du temps. Il combat un solide décalage horaire. Hier encore, il était à Amsterdam avec le Nouvel Ensemble Moderne. Il y remplaçait un de ses collègues retenu par un horaire surchargé (qui a dit qu’il n’y avait pas de travail pour les trombonistes?). Angelo a connu pire décalage, au retour de Chine, par exemple, où il a joué avec l’Orchestre Symphonique de Shanghai.

Il devrait pourtant se reposer un peu. Demain matin, il joue des oeuvres de Schultz à Granby. Il quitte ensuite pour Trois-Rivières, où il jouera le trombone solo dans Ein Heldenleben de Strauss, en concert radiodiffusé.

Il est habitué de faire de la route... Il roule environ 1heure et demi par jour. L’Île-Perrot, c’est tout près de Montréal, mais quand même, c’est loin de la Place des Arts! De toute façon, il a assez de disques à écouter dans sa voiture pour se rendre en Alaska! Surtout des CD de musique latino-américaine. Ça vient de son père qui est aussi musicien. Il faut seulement qu’il les retrouve, ces CD! Sont-ils sous son habit de concert, ou peut-être à côté de son rasoir?

Il réécoute son tango, assez satisfait. Il le sauvegarde et descend au sous-sol pour pratiquer un peu. L’Île-Perrot, c’est près de Montréal, mais c’est assez loin pour qu’on y pratique la nuit sans craindre de s’aliéner les voisins pour l’éternité.

Bon, par où commencer cette pratique... Le répertoire du NEM, ce n’est pas l’idéal pour une paire de lèvres. Quarts de tons, flatterzung, multiphoniques, technique de triple coups de langue dans le suraigu, notes pédales dans le registre ingrat de l’instrument, changements de sourdines à tous les trois temps... On a vu mieux pour le maintien des délicats muscles labiaux d’un tromboniste.

Il s’en fout, c’est son moment préféré. La remise en forme pour revenir à son jeu «classique». Demain il sera content de s’être couché tard et de s’être refait des lèvres toutes neuves pour une grande occasion.

Dave Groth

Dave Groth prépare ses bagages. Il repart ce soir. Encore. Cette fois-ci, c’est une série de spectacles avec la comédie musicale Chicago. Grosse tournée: 14 villes. Lequel de ses 10 trombones favoris apportera-t-il? Laquelle de ses 30 embouchures préférées le suivra? Dilemme.

La journée sera longue, parce qu’elle a commencé de bon matin. Dave jouait toute la nuit dernière dans un mariage juif. Ce matin, il a eu un peu de temps pour s’échauffer tranquillement: il fait sa longue routine, prend une bonne pause pour se reposer les lèvres, et se remet à la tâche. Cet après-midi, il a un test de son pour un show avec Offenbach. Il prie pour que l’ingénieur du son ne perde pas de temps avec les 15 microphones placés autour des percussions, car il doit quitter à la hâte. Il est habitué à ces soundchecks. En tant que tromboniste jazz (il a joué, entre autres, auprès de Ginette Reno, Johanne Blouin, Vic Vogel, Bernard Primeau, le Montréal Jazz Big Band et Lorraine Desmarais), il joue 80% du temps dans un microphone, ce qui n’est pas le cas des trombonistes classiques.

En fin d’après-midi, il doit enregistrer un indicatif sonore (jingle) pour une publicité télévisée. Les techniciens de la télé vont toujours très vite. Chaque minute compte. Ça fait l’affaire de Dave, qui a un avion à prendre dans 3 heures. C’est toujours comme ça. Il se dit que dans l’avion il se reposera, à condition qu’il puisse y monter avec son instrument...

Pierre Beaudry

Pierre Beaudry est trombone basse à l’OSM depuis 1983. Presque chaque jour, il se rend à la Place des Arts pour les répétitions. Devant la quantité de musique à préparer pour les concerts, il doit répéter sans arrêt. Surtout qu’à côté du trombone, il aime bien jouer aussi de la harpe, du tuba, du cor anglais (pas facile à ses dires) et, s’il lui reste du temps, de la trompette. Pour le plaisir d’explorer des timbres nouveaux et de relever de nouveaux défis musicaux.

Au départ, c’est le violoncelle qui piquait sa curiosité. Il s’en est donc loué un. Puis, c’est chaque famille d’instruments qu’il a lentement conquise.

Lorsque j’ai contacté Pierre pour cet article, je m’attendais à ce qu’il me parle de son nouveau violon chinois à 2 cordes, mais c’est de son alimentation crudivore dont il m’a entretenu. Sans ce régime alimentaire – 98% cru (2% de pain) – il ne pourrait pas arriver à travailler tout ses instruments. «En plus de l’énergie, ça prend aussi l’humilité de toujours recommencer à zéro», ajoute-t-il.

Quand il se change les idées de la musique, il écrit. Il planche sur un roman composé exclusivement de chiffres et de lettres; il en est à 145 pages. Il a aussi écrit un conte où les notes de la gammes font office de phonèmes (do-ré-mi=dormi). Inutile de le dire, Pierre Beaudry est un casse-tête dans un casse-tête!

Ces portraits littéraires démontrent bien qu’il y a autant de carrières possibles que de musiciens. Je remercie chaleureusement Angelo, David et Pierre pour l’entrevue qu’ils m’ont accordée. Puissent-ils inspirer tous les voisins de trombonistes à cultiver bonne entente et clémence avec ces êtres d’exception!


(c) La Scena Musicale 2002