Musiques du monde Par Bruno Deschênes
/ 7 juin 2006
Tango, The Art History of Love
Robert Farris Thompson
Pantheon Books, New York, 2005, 360 p.
ISBN 0-375-40931-9
Le Tango! Cette danse où la sensualité
s’exprime par le geste, le mouvement du corps et non par la parole.
Cette danse hypnotise autant le danseur que l’observateur. Connaissons-nous
vraiment ses origines? L’auteur de ce récent livre tente de démystifier
les racines du tango qui sont en fait multiples et, parfois, surprenantes.
Au départ, les origines du tango sont africaines, bien que l’auteur
indique que plusieurs personnes tentent de le nier. Les premiers grands
maîtres «blancs» du tango ont été formés au départ par des danseurs
noirs. Mais ce n’est qu’un début. Des influences manifestes proviennent
aussi des danses espagnoles d’Andalousie, qui sont d’origine maure,
donc arabe. On retrouve même des influences de la polka européenne
et de la habanera cubaine. Thompson parle aussi d’influences russes
et juives. Le bandonéon, cet accordéon caractéristique des orchestres
de tango, est d’origine allemande. À lire si vous désirez vous y
retrouver dans ce capharnaüm musical!
Sirba Octet
… au cœur de l’âme yiddish et tzigane
Un violon sur les toits de paris
Ambroisie, AMB 9984 (73 min 55 s)
Ce CD découle d’une idée de Richard
Schmoucler, violoniste à l’Orchestre de Paris. Le projet met en situation
deux peuples voyageurs et errants: les juifs et les tziganes, souvent
forcés à se déplacer sans le vouloir au fil d’événements historiques
marquants (guerres et autres). Ces situations ont engendré des pertes,
des déplacements, des bris, des cris du cœur, des déchirements, et
bien plus! Avec ce disque, Richard Schmoucler et le Sirba Octet désirent
nous présenter cette musique qui a permis à ces émotions de s’exprimer,
peut-être même de s’exorciser, puisque cette musique, tant chez
les tziganes que chez les juifs, demeure empreinte de joie, d’espoir,
d’esprit festif et même d’humour. Ces huit musiciens sont de formation
classique. Leurs arrangements fusionnent en un style classique les musiques
juives et tziganes, tout en n’étant pas tout à fait klezmer.
YOSHIOKURAHASHI
Un maître du shakuhachi japonais
en Occident
Le shakuhachi est la flûte de bambou
japonaise qui a été l’apanage exclusif de moines Zen bouddhistes
pendant plus de 450 ans. Cette flûte est l’instrument de musique
asiatique le plus prisé des occidentaux, et surtout par les non-musiciens.
Cet instrument possède une aura mystique et exotique attirante pour
les occidentaux, qui pousse nombre d’entre-eux vers son apprentissage:
jouer de cette flûte devient une forme de méditation par la musique.
Son principal répertoire comprend des pièces solos, considérées
comme des pièces de méditation. C’est aussi un instrument extrêmement
difficile à maîtriser, ne possédant que 5 trous avec une embouchure
en biseau. Il est très difficile de produire un son de qualité et,
surtout, de jouer juste. Cette flûte exige une plus grande discipline
que la plupart des instruments occidentaux, sans oublier l’apprentissage
d’un répertoire dont le sens mélodique et l’esthétique musicale
sont, à bien des égards, à l’opposé des nôtres. Son apprentissage
va ainsi bien au-delà du simple apprentissage d’une technique, d’une
notation différente de la nôtre et d’un répertoire particulier.
Il faut aussi intégrer une pensée musicale particulière.
Le 7 janvier 2006, Yoshio Kurahashi,
maître du shakuhachi demeurant à Kyoto, est venu donner un concert
à Ottawa; il était accompagné au koto (cithare sur table japonaise)
par Yoko Itatani. Parmi les grands maîtres japonais, il n’est pas
le plus connu du grand public, mais il est, je crois, celui qui enseigne
le plus aux occidentaux à l’extérieur du Japon. Depuis plus de 15
ans, il visite les États-Unis deux fois par année (et parfois plus)
pour donner des concerts et enseigner, entre autres, à New York, Boston,
Philadelphie, Austin, San Francisco, dans des camps musicaux en Pennsylvanie
et au Colorado, où il enseigne à plus de 400 étudiants. Depuis 2000,
il visite aussi Montréal.
Étant moi-même un de ses étudiants
depuis 1999, j’ai pensé l’interviewer pour savoir s’il sentait
une différence entre les étudiants japonais et occidentaux. Selon
lui, à la base il n’y a pas de différence frappante, sauf que les
occidentaux posent beaucoup de questions! Il faut dire que, culturellement
parlant, l’étudiant japonais apprend à ne pas poser de questions
au maître. C’est un enseignement, en quelque sorte, intuitif. Selon
l’esprit bouddhiste et taoïste traditionnel japonais, les mots nous
éloignent de ce que l’on ressent; on n’apprend vraiment que par
les sens et non avec la tête. Cependant, Yoshio Kurahashi précise
que le contexte culturel japonais fait que beaucoup de choses n’ont
pas besoin d’être dites à un étudiant japonais, alors que l’Occidental,
n’étant pas né dans ce contexte, doit poser des questions pour mieux
comprendre et mieux assimiler cette musique parfois très étrange à
ses oreilles. Par ailleurs, il indique que les questions de ses étudiants
occidentaux le forcent à réfléchir plus directement sur cette musique
qu’il connaît si profondément. Il n’y a peut-être pas de différence
à la base, mais cette distinction entre étudiants occidentaux et japonais
dans leur mode d’apprentissage est, je crois, marquante. L’apprentissage
occidental donne préséance à l’intellect alors que, traditionnellement,
l’apprentissage japonais bouddhiste et taoïste rejette cet esprit
intellectuel si cher à l’Occident. Yoshio Kurahashi, dans cet esprit
bouddhiste, ajoute que, de plus en plus, il demande à ses étudiants
occidentaux de poser moins de questions parce que, selon lui, cela nuit
à leur imagination. |
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