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La Scena Musicale - Vol. 11, No. 9 June 2006

Critiques/Reviews

June 7, 2006


Disque du mois

Enescu

Œdipe

Monte Pederson, baryton-basse; Egils Silins,Goran Simic, Peter Köves, Walter Fink, basses; David Damiani, Yu Chen, barytons; Michael Roider, ténor; Marjana Lipovsek, Mihaela Ungureanu, mezzo-sopranos; Ruxandra Donose, soprano

Stage Orchestra of the Austrian Federal Theatres / Michael Gielen; Vienna Boys Choir; Chorus and Orchestra of the Vienna State Opera

Naxos 8.660163-64 (128 min 26 s)

****** $$

La courte liste d’œuvres (33 opus au total!) composées par le génial Georges Enescu est peut-être une raison de la relative négligence dont il est victime encore aujourd’hui. Pourtant, d’autres compositeurs avares (tel Varèse) sont joués beaucoup plus fréquemment. Peu importe, puisque voici un enregistrement magistral d’un des chef-d’œuvres les plus essentiels de l’opéra moderne. Articulée autour du sujet bien connu de l’Œdipe grec, la partition d’Enescu est mouvante et composite, sans hachures artificielles, et naturellement construite pour porter les voix à leur ultime potentiel expressif. Moderne, lyrique, post-romantique, onirique, fantastique, plusieurs épithètes sont nécessaires pour rendre compte de la complexité de cette musique hallucinante. Des passages lugubres (mais fascinants!) côtoient d’autres pages absolument sublimes (l’entrée du chœur Roi Laïos en ta maison sur fond d’un inoubliable duo hautbois/harpe). Gielen dirige magistralement une palette instrumentale et vocale exceptionnelle! Essentiel à tout mélomane! Frédéric Cardin

Musique orchestrale / Orchestral Music

Bruckner, Reger

NDR Orchestra / Carl Schuricht

Music and Arts CD 1172(2) (153 min 46 s)

**** $$$

Fils de facteur d’orgue, Carl Schuricht a été destiné par la Providence à diriger Bruckner! Cet enregistrement réalisé lors de deux concerts donnés à Hambourg, l’un en 1954 et l’autre l’année suivante, met en présence l’un des orchestres les plus accomplis de l’époque avec un chef qui avait déjà l’allure d’un des rares «spécialistes» de Bruckner (ainsi que de Mahler d’ailleurs). La rencontre, bien que non dénuée d’imperfections techniques, surtout chez les cuivres, est importante et fort bien restaurée par la maison Music and Arts. Schuricht imprime une urgence vibrante aux symphonies (7e et 8e) de Bruckner, et amène l’orchestre à une concentration surprenante des contrastes rationalité/spiritualité dans l’œuvre brucknérienne. Avec Schuricht, un maître de la pâte orchestrale, la matière sonore se contracte et se relâche avec malléabilité et assurance. Le programme se termine avec le sublime An die Hoffnung de Reger, chanté par Christa Ludwig. Le fabuleux appareil vocal de Mme Ludwig, ici en début de carrière, épouse merveilleusement la poésie de Hölderlin. Frédéric Cardin

Pitfield

Piano Concertos nos 1 and 2 / Xylophone Sonata

Anthony Goldstone, piano; Peter Donohoe, piano; Royal Northern College of Music Orchestra / Andrew Penny

Naxos 8.557291 (54 min 41 s)

**** $

Thomas Pitfield (1903-1999) est un compositeur largement autodidacte dont les pièces présentées ici témoignent presque toutes d’un esprit miniaturiste, puisqu’elles sont pour la plupart divisées en mouvements très courts et très concentrés. La seule exception est le Concerto pour piano no 1, d’une durée de 24 minutes. La musique de Pitfield est résolument tonale et mélodique, s’appuyant manifestement sur des sources folkloriques et populaires, mais sans simplisme démagogique. Pitfield construit ses thèmes de façon rythmique, et ses mélodies sont propulsées vers l’avant par la pulsion soutenue d’un piano utilisé généralement comme instrument percussif. Cette musique résolument anglaise dans ses harmonies, trahit parfois certaines influences de Ravel et Poulenc. Notons le magnifique et surprenant contraste entre un orchestre nerveux et un ample choral cuivré dans les 2e et 3e mouvements du premier Concerto. Cela rappelle Britten dans la grandiose finale de son Young Person’s Guide to the Orchestra. À lui seul, ce passage vaut l’achat de ce disque, déjà si peu cher! Frédéric Cardin

Prokofiev

Roméo et Juliette; Cendrillon; Symphonie no 1

London Symphony Orchestra / André Prévin

Brillant Classics 7618 4 CD (276 min)

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Ce coffret est une réédition d’enregistrements de 1973 et 1983 faits par EMI et remasterisés sur support CD en 1987. Légère différence: la version intégrale de Cendrillon sur Brillant Classics n’apparaît qu’en extraits dans la version EMI. Section massive de cordes, cuivres exubérants, bois à la sonorité très large, les amateurs du LSO retrouveront la signature typique de l’orchestre à travers ces deux ballets. A côté des versions de l’Orchestre national Russe (avec Mikail Pletnev), ou de l’Orchestre Symphonique de Cleveland (Vladimir Ashkenazy), cette version n’est pas un ajout de taille sans être complètement mièvre pour autant. Il faut aussi mentionner que les longueurs qui se glissent lors de la simple audition, sans la visualisation du ballet, peuvent finir par avoir raison de l’auditeur. Le minuscule livret nous informe (en anglais seulement) sur l’essence de l’argument et de l’historique des œuvres. Guy Bernard

Sibelius

Symphonies nos 2 et 7

London Philharmonic Orchestra / Paavo Berglund

LPO 0005 (67 min 51 s)

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Paavo Berglund est probablement le plus grand chef sibélien des 50 dernières années. Son expertise de la langue symphonique du grand génie finlandais est incontestable. Il a déjà réalisé trois intégrales des symphonies de Sibelius, et semble maintenant en voie d’en réaliser une quatrième avec ces prises «live» du Philharmonique de Londres. Ce qui caractérise la vision qu’a Berglund de ces chef-d’œuvres, c’est la fabuleuse transparence et l’incroyable limpidité des textures. Avec lui, toutes les teintes contrastées de ces tableaux épiques, toutes les oppositions de type clair / obscur, sont magnifiées jusqu’à leur absolue limite de cohérence. On pourrait cependant reprocher à cette version d’être extraordinairement «propre». Comparé à la version Helsinki, par exemple, le Philharmonique de Londres est parfait. Velouté, équilibré, puissant, tout est jaugé et calibré au quart de tour. Mais pourquoi s’en plaindre? Berglund nous donne des frissons de bonheur, et nous transporte loin d’ici dans un véhicule luxueux. Un grand plaisir. Frédéric Cardin

Symphonic Dances

Bernstein, Rachmaninov, Gabriella Len Frank

Utah Symphony / Keith Lockhart

Reference Recordings RR-105 (73 min 16 s)

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Audiophiles should be delighted by the recent return of Reference Recordings to the marketplace. The Reference trademark has been a byword for excellence in sound reproduction. This disc is encoded for High Definition Compatible Digital (HDCD) playback. This ensures high quality in all CD players and enhanced sonics (comparable to SACD stereo) if the deck is equipped with a HDCD chip and given decent amplification. Keith O. Johnson’s engineering yields a remarkably life-like, full impact recording.

Keith Lockhart is naturally gifted in the music of Leonard Bernstein. This is stunningly evident in the performance of the dances from West Side Story. The orchestra is also really impressive in the Rachmaninov Symphonic Dances. These standards flank the real gem of the album, Three Latin American Dances (16’25”) by Gabriela Lena Frank (b. 1972). Lockhart led the Utah Symphony in the world première performance in April 2004, two days before this recording was made. Frank orchestrates vividly and there are strong affinities with the liveliest music of Bernstein. We will hear more of her. W. S. Habington

Musique vocale / Vocal

de Kerle

«Da Pacem Domine», messes et motets

Huelgas-Ensemble / Paul van Nevel

Harmonia mundi HMC 91866 (66 min 43 s)

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Les cavernes d’Ali Baba de la musique ancienne continuent d’être une source apparemment intarissable de bonheurs auditifs, émotionnels et spirituels particulièrement intenses. Jacobus de Kerle, qui a vécu approximativement de 1531/32 à 1591, ne fit l’objet d’une première monographie appréciative qu’en 1913! Pourtant, éclairés que nous sommes maintenant par les plus récentes découvertes musicologiques, et par des enregistrements précieux comme celui-ci, il ne fait pas de doute qu’il était l’égal de Clemens non Papa et de Roland de Lassus. Les lignes musicales de Kerle procèdent par tourbillons et mélismes, tout en invitant à la méditation. Il connaissait et maîtrisait admirablement bien le secret du grand art polyphonique flamand: stimuler l’intellect tout en facilitant le repos de l’âme (et du corps). La Renaissance avait un autre Maître que nous connaissions mal. Paul Van Nevel s’est chargé de mettre fin à cette injustice. Frédéric Cardin

Beethoven: Fidelio

Waltraud Meier, Placido Domingo, Soile Isokoski, Werner Gura, Falke Struckmann, Rene Pape, Kwangchul Youn; Staatskapelle Berlin, Daniel Barenboim, conductor

Warner Classics 3984 25249-2 (2 CDs; 157m 50s)

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Recorded in 1999 and previously released on Teldec, this Fidelio is now reincarnated on Warner Classics. Its chief interest is Placido Domingo as Florestan, a role that he has never sung onstage. The high tessitura in the great scena ‘Gott! – Welch Dunkel hier!’ would be beyond him even in 1999. But in the studio, with the benefits of retakes and perhaps some engineering wizardry, he makes a totally convincing Florestan, his unidiomatic German notwithstanding. Waltraud Meier (Leonore) is in reliable voice though sounding short breathed in ‘Abscheulicher’. Soile Isokoski’s luminous soprano raises the soubrette Marzelline to new heights. She is well partnered by Werner Gura (Jacquino). Struckmann as Rocco sounds a little old and wobbly; on the other hand, Kwangchul Youn’s bass is spectacular as Ferrando. Most of all, this set benefits from the conducting of Barenboim, leading the Berliner Staatskapelle in a marvelous reading of the score. The booklet has an essay by the late academic Edward Said, who was professor of comparative literature at Columbia. Perhaps not in the same league as many great recordings of the past – how do you beat the likes of Klemperer and Karajan or Vickers and Ludwig? But it is one of the better contemporary version. Joseph K. So

de Lassus

Psalmi Davidis Poenitentialis

Collegium Vocale Gent / Philippe Herreweghe

Harmonia Mundi, HMC 901831.32 (2CD: 120 mn 20 s)

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On attendait beaucoup du retour d’Herreweghe chez Roland de Lassus, dans cette intégrale des Psaumes de la pénitence. L’œuvre, en effet, est passée à la légende, par la beauté du manuscrit et par les soins qu’Albert V de Munich prit pour s’en assurer l’exclusivité. Elle se compose de sept psaumes qui exaltent l’état de péché de l’homme, la miséricorde infinie de Dieu et la pratique fervente de la prière pour en obtenir l’avantage. Lassus y emploie toute la science du madrigal pour susciter autant la crainte que l’espoir, mais dans un style austère adapté au sérieux du propos. Herreweghe livre une version d’une grande beauté formelle en favorisant l’égalité et l’homogénéité des voix, mais tend à gommer les dissonances et à imposer un tactus uniforme. Ainsi, une fois passé l’émerveillement devant la cohérence du chœur et la qualité de la prise de son, on se lasse de cette lecture trop angélique qui nous prive des effrois de la damnation. Pascal Lysaught

Monteverdi

Sesto Libro dei Madrigali

La Venexiana / Claudio Cavina

Glossa GCD 920926 (71 min 58 s)

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On ne saurait faire autrement qu’ajouter sa voix au concert de louanges qui avait accompagné la parution, l’an dernier, du Sixième Livre des Madrigaux de Monteverdi interprété par l’ensemble La Venexiana. Publié en 1614, ce recueil revêt, musicalement parlant, une importance historique du fait de l’abandon de la polyphonie traditionnelle à cinq voix propre au genre madrigalesque. Monteverdi en était venu à favoriser une écriture qui lui permettait de combiner les voix de manière plus diversifiée, afin de mieux dégager les affects exprimés par les poèmes de Pétrarque, de Rinuccini, de Marino, etc. En accordant la primauté au mot sur le son, il développait l’action partout où elle pouvait se trouver. Certains madrigaux sont, en effet, autant de tableaux dramatiques miniaturisés, à thème généralement amoureux. Un des mérites de La Venexiana est de ne pas souligner indûment l’émotion dans les compositions intenses, tels le «Lamento d’Ariana» ou la «Sestina»; ce sont les plus infimes nuances qui bouleversent alors d’autant plus sûrement. La direction de Cavina aboutit sans faute à une transparence d’une délicatesse cristalline. L’auditeur se sent comblé par tant de beautés. Alexandre Lazaridès

Petitgirard

Joseph Merrick, the Elephant Man

Nathalie Stutzmann, contralto; Nicolas Rivenq, baryton

Robert Breault, tenor; Marie Devellereau, soprano; Sophie Koch, mezzo-soprano

Nicolas Courjal, basse; French Opera Chorus & Monte-Carlo Philharmonic Orchestra / Laurent Petitgirard

Naxos 8.557608-09 (149 min 19 s)

**** $$

Laurent Petitgirard est un compositeur français né en 1950, mieux connu comme auteur de partitions pour le cinéma et d’œuvres de concert pour orchestre. Il réalise ici un exploit en réussissant à créer un opéra résolument tonal, mélodique, mais aussi moderne et original. Il évite les clichés et réussit admirablement bien à équilibrer les nombreuses forces en présence. Son langage musical est très près de celui de Poulenc, harmoniquement, mais également en ce sens qu’il est fluide et qu’il privilégie des textures instrumentales variées et suggestives avec une teinte d’onirisme théâtral. À noter la Prière des malades de l’acte 2, qu’on dirait tout droit sortie du Stabat Mater de Poulenc. Mélodie inoubliable, toute en retenue, elle incite au recueillement et restera en mémoire longtemps. Magnifique initiative de Naxos de nous avoir offert cette gravure! Frédéric Cardin

Wagner

Die Meistersinger von Nürnberg - Acte III

Staatskapelle Dresden, Chor der Staatsoper Dresden / Karl Böhm, Margarete Teschemachen (Eva), Hans Herrmann Nissen (Sachs), Torsten Ralf (Walther)

Profil Édition Günther Hänssler 2CD PH05038 (111 min 12 s)

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Il ne s’agit pas là, comme on pourrait le croire, d’un vieux pirate ou de quelque bande obscure récemment exhumée des archives, mais d’un enregistrement studio de la firme Electrola. Si le tout ne comporte qu’un acte, c’est que, dans le contexte technologique de l’époque, seuls les super-riches auraient pu se permettre l’achat d’une intégrale des Meistersinger. Limité à un acte (15 disques 78 tours...) au moins le produit restait-il à la portée des bien nantis... Cette gravure magnifique est unanimement reconnue comme un sommet de la discographie wagnérienne. Les chanteurs, presque tous des germanophones «de souche», réalisent à la perfection l’idéal de théâtre chanté du compositeur. À l’orchestre, le jeune Karl Böhm est en pleine possession de ses moyens. La prise de son est à l’avenant, grâce à la technique de pointe allemande, alors en avance d’au moins une décennie sur la concurrence. La restauration technique exceptionnelle est signée THS Studio Holger Siedler. Pas de livret, mais un petit essai très complet sur l’enregistrement où, cependant, on évite soigneusement la moindre allusion au contexte «extra-musical» (l’Anschluss, la Kristallnacht...), y compris les accointances nazies d’au moins la moitié de la distribution (à commencer par le chef). Pierre Marc Bellemare

Musique de chambre / Chamber Music

Arnold

Overtures op.8; Incidental Music to Macbeth

Toronto Chamber Orchestra / Kevin Mallon

Naxos 8.557484 (76 min 27 s)

**** $

Samuel Arnold était un prolifique compositeur de musique de scène de Londres de la fin du xviiie siècle (1740-1804), comme en témoignent les ouvertures présentées ici. Les sujets de ces petites scènes distrayantes allaient de la fantaisie gothique au militantisme humaniste (Arnold composa la musique du premier opéra anti-esclavage!). La musique de cet Anglais mort sans avoir pu compléter l’édition complète du catalogue de Handel qu’il rédigeait est vive et enjouée, favorise des tempi rapides et nerveux, et démontre un excellent sens de la mélodie accrocheuse. Au plan de la technique d’enregistrement, l’orchestre est assez bien défini, quoiqu’il aurait pu bénéficier d’un tout petit peu plus de rondeur dans les basses. Le jeu des torontois est équilibré, précis et très énergique. Ces derniers se sont fait une «spécialité» de la défense de la musique anglaise post-handelienne, et apportent ici un autre chapitre à l’amélioration de notre connaissance de cette période. Frédéric Cardin

Bach

Das Wohltemperierte Clavier – 1

Andrei Vieru, piano

Alpha 087 (2 CD: 138 min 49 s)

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The Well-Tempered Clavier

Evelyne Crochet, piano

Music and Arts CD-1180 (4 CD: 259 min 36 s)

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Le Roumain Andrei Vieru nous donne, du premier cahier du Clavier bien tempéré, une interprétation qui semble de prime abord sévère, voire austère. Le rythme penche invariablement vers la modération, sinon la lenteur. Il en résulte une certaine monotonie lors d’une audition suivie. C’est la réserve la plus importante qu’on aurait à formuler à l’égard de cette approche, par ailleurs très intéressante. Car nul doute que Vieru connaît bien son Bach et son instrument. Le jeu est d’une transparence polyphonique exceptionnelle et l’auditeur n’a aucune peine à suivre les entrelacements du sujet d’une fugue dans les diverses voix. Un jeu de pédale d’une grande subtilité compense la rigueur du phrasé, en soi impeccable, tandis que la lenteur parfois suffocante des grandes fugues est un défi que le pianiste réussit à relever par son sens de l’architecture. Cette approche ne laisse pas indifférent et ne se laisse guère oublier. Il faut donc la saluer, même si l’on ne partage pas la vision monolithique du pianiste. Au moins a-t-il le mérite d’en avoir une! Ce n’est pas le cas de la Française Evelyne Crochet, installée maintenant à New York où elle enseigne. Son interprétation trop lisse de l’intégrale du Clavier bien tempéré refuse toute prise de risque. Au mieux, une honnête version d’initiation. Alexandre Lazaridès

Buxtehude

Seven Trio Sonatas, op. 2

John Holloway, violon; Jaap ter Linden, viole de gambe; Lars Ulrik Mortensen, clavecin

Naxos 8.557249 (63 min 13 s)

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Buxtehude est le chaînon manquant entre Schütz et Bach, et ses sonates en trio sont un bel exemple de la maîtrise qu’il possédait des différents styles et idées musicales de cette époque. Des danses stylisées de la Sonate no 1 aux passages presque improvisés de la no 5, en passant par la science de sa rhétorique fuguée, ce corpus offre un plaisir musical à renouveler régulièrement. Ces œuvres sont parfois surprenantes dans leurs tournures imprévues, parfois rassurantes dans leur prescience du grand Bach à venir. Elles sont en totalité superbes. Naxos nous fait une faveur en rééditant ces enregistrements autrefois parus sur étiquette Dacapo, et qui furent salués par la critique en leur temps. Nous n’hésiterons pas à les saluer de nouveau. Frédéric Cardin

Corrette

Les délices de la solitude

Les Voix humaines: Susie Napper (viole de gambe, violoncelle baroque), Margaret Little (viole de gambe), Kate van Orden (basson baroque), Mathieu Lussier (basson baroque), Pierre Cartier (contrebasse), Sylvain Bergeron (théorbe), Eric Milnes (clavecin)

Atma ACD2 2307 (73 min 49 s)

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C’est une excellente idée qu’ont eue Les Voix humaines, de consacrer un disque à la musique de Michel Corrette (1707-1795). Les délices de la solitude, une série de six sonates pour le violoncelle, la viole ou le basson avec basse continue sont un véritable régal et montrent bien la variété du talent de Corrette. Les Voix humaines en proposent des arrangements (signés Susie Napper) allant de deux à quatre instruments. On ne sera pas étonné du magnifique résultat de la Sonate VI interprétée par deux violes de gambe. Mais il faut entendre la Sonate III jouée par deux bassons! L’arrangement paraît tout à fait naturel. Le jeu des musiciens est vivant et souple, ce qui rend l’écoute passionnante. Un must pour tous ceux qui aiment le répertoire français du xviiie siècle. Isabelle Picard

Debussy

Suite Bergamasque, Children’s corner, Images

Alain Planès, piano

Harmonia Mundi HMC 901893 (71 min 54 s)

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Artiste raffiné et discret, Alain Planès a de grandes affinités avec Debussy, dont il explore l’œuvre depuis longtemps. Après avoir donné il y a quelques années les Préludes sur un piano Bechstein de 1897, il tente à nouveau ici l’expérience du clavier à l’ancienne, en adoptant un instrument construit par la maison Blüthner en 1902. Passée la surprise initiale, le résultat convainc rapidement: ce piano aux registres contrastants sait peindre merveilleusement, mais aussi parler sans sécheresse. Les effets de halo dont plusieurs interprètes usent dans ce répertoire sont atténués au profit d’une lisibilité accrue: on entend ainsi, dans la Suite Bergamasque, la mélodie du Clair de lune se découper nettement sur le fond chaud et boisé des notes graves. Au reste, la variété des couleurs et la souplesse du jeu de Planès séduisent partout et ravivent autant l’humour subtil des Children’s Corner que la densité théâtrale des Images. Une parfaite introduction à l’univers de Debussy. Philippe Gervais

Krawiec

Journey-Podro?

Works for solo guitar - From Spain to Poland

M•A Recordings Mo68A (64 min)

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Grzegorz Krawiec est un nouveau venu sur la scène guitaristique. Il était de passage au Canada durant la fin de l’année dernière pour présenter une série de concerts dans le but de faire la promotion de son premier disque, Journey-Podró?. Malheureusement, il ne présenta aucun concert à Montréal, mais s’il avait à revenir au Canada, il vaudrait la peine d’aller l’entendre, peu importe où. Il interprète avec brio chacune des pièces présentées sur l’album. Le titre le dit, il s’agit d’un voyage à travers les musiques pour guitare de quatre pays d’Europe. Le répertoire choisi est particulièrement agréable et on y fait même quelques découvertes. Par exemple, pour représenter son pays d’origine, la Pologne, le guitariste propose la pièce Remiscencje du compositeur Sylwester Lakowski. Parmi les nouveautés, on pourra aussi entendre Due Canzoni Lidie du compositeur Italien Nuccio D’Angelo. Pour ses 25 ans, le jeune virtuose fait preuve d’une maturité musicale bien établie. Mario Felton Coletti

Migot

Le Zodiaque

Stéphane Lemelin, piano

Atma ACD2 2381 (2 CD: 104 min 16 s)

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L’œuvre de Georges Migot (1891-1976), pourtant abondante, ne jouit que d’une maigre représentation discographique. Son recueil Le Zodiaque, douze études de concert (1931-32) consiste en autant d’explorations du clavier inspirées par les signes astrologiques. La visée descriptive y est moins significative que l’atmosphère à créer. L’écriture, parfois étrange, toujours personnelle, non sans quelques effluves debussystes, rejette toute affiliation officielle avec les courants esthétiques de la première moitié du xxe siècle. Il faut donc savoir gré à Stéphane Lemelin de faire œuvre de pionnier (une autre version du Zodiaque a paru il y a peu en Europe). Son interprétation, soignée, donne tout de même l’impression d’une prise de possession encore trop prudente de cet opus difficile. En complément, deux brefs recueils datant de 1912 et de 1927, cinq pièces au total, permettent de mieux comprendre la réelle originalité du Zodiaque. Cet enregistrement fait partie de la collection «Musique française. Découvertes 1890-1939» de la maison Atma, une belle initiative pilotée par Lemelin pour faire place à un répertoire négligé. Alexandre Lazaridès

Marc-André Hamelin

Dukas: Piano Sonata; Decaux: Clairs de lune

Hyperion CDA67513 (64 min 59 s)

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Medtner: Forgotten Melodies I, II

Hyperion CDA67578 (74 min 57 s)

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La Sonate en mi bémol mineur de Paul Dukas a souvent été rapprochée de la «Hammerklavier» en raison de sa longueur: plus de trois quarts d’heure. Elle tient les interprètes à distance et est rarement enregistrée. Il faut reconnaître qu’il est malaisé d’en saisir tant la forme que les intentions. On comptait donc sur Marc-André Hamelin pour nous éclairer sur ces énigmes, mais ce n’est pas le cas. On n’est convaincu que par le troisième mouvement, une sorte de toccata démoniaque marquée «Vivement, avec légèreté». Les trois autres mouvements, tous de rythme modéré, restent évasifs. La prise de son, fortement réverbérée, y est pour quelque chose. Elle métallise les aigus et brouille ou étouffe les basses, ce qui fait que la distinction des plans sonores n’y est plus. En revanche, les quatre pièces qui composent Clairs de lune d’Abel Decaux, la seule œuvre, mais d’une étonnante originalité, qu’on connaisse de ce contemporain de Dukas, sont rendues de façon exceptionnelle, dans une prise de son fine qui laisse vibrer les sons les plus ténus. C’est une révélation qui tient en quelque vingt minutes très denses. Quant aux Mélodies oubliées de Nilolai Medtner, elles sont extraites de l’intégrale des Sonates du compositeur russe parue en 1998. L’interprétation de Marc-André Hamelin avait été alors saluée comme remarquable. Elle l’est encore! Alexandre Lazaridès

Autour de Chostakovitch

German Germanovitch Galinin: Concerto pour piano no 1; Dmitri Chostakovitch: Symphonie de chambre en fa majeur op. 73a (transcription de R. Barshai du Quatuor no 3, op. 73); Galina Ivanovna Ustvolskaya: Concerto pour piano

Serhiy Salov, piano; I Musici de Montréal / Yuli Turovsky

Analekta AN 2 9898 (76 min 55 s)

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C’est un programme entièrement russe, constitué de trois œuvres de 1946, que propose I Musici de Montréal sur son plus récent CD. Dès les premières notes du Concerto pour piano no 1 de Galinin, le ton est donné: I Musici sonne comme un grand orchestre, avec des sections de bois et cuivres solides. Yuli Turovsky est en pays connu dans ce répertoire tantôt flamboyant, rythmé, dansant, et tantôt grave, tragique. Pour la seule découverte du concerto de Galinin, dont il semble que ce soit le premier enregistrement en Occident, ce disque vaut déjà d’être écouté. Le soliste Serhiy Salov (qu’on a connu en tant que Sergeï Salov…) y fait la démonstration de sa maîtrise et est fort bien appuyé par l’orchestre. La transcription du Quatuor no 3 de Chostakovitch est un autre point fort de cette parution. Isabelle Picard

Trumpet Tunes

Œuvres célèbres pour trompette et orgue

Œuvres de H. Purcell, J. Clarke, J.S. Bach, G.F. Handel, G.B. Viviani, C. Balbastre, H. Tomasi et G. Delerue

Stéphane Beaulac, trompette; Vincent Boucher, orgue

Atma ACD2 2369 (57 min 39 s)

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Stéphane Beaulac et Vincent Boucher proposent sur ce disque une sélection des œuvres présentées lors des récitals qu’ils ont donnés dans le cadre des tournées des Jeunesses musicales du Canada cette année. Le programme, varié, inclut à la fois des œuvres archi-connues (Trumpet Tune de Purcell, Trumpet Volontary de Clarke) et d’autres qui le sont moins (Variations grégoriennes sur un Salve Regina de Tomasi – peut-être la pièce la plus intéressante du programme –, Sonate pour trompette et orgue de Delerue). Le choix du répertoire ne fait pas la part belle qu’à la trompette: quelques pièces pour orgue seul nous permettent de prendre la mesure du talent de Vincent Boucher (la célèbre Toccata et fugue en ré mineur BWV 565 de Bach, notamment). Il n’y a pas grand chose à redire au jeu de Stéphane Beaulac: sonorité naturelle, attaques précises mais douces… et, chose étonnante chez un trompettiste, il n’a rien de tape-à-l’œil. Isabelle Picard

Musique contemporaine / Contemporary Music

Berio

Canticum novissimi testamenti; A-Ronne

Neue Vocalsolisten Stuttgart; Newears 4 clarinets; Xasax, ensemble de saxophones modulable / Peter Rundel

Wergo WER 6678 2 (59 min 49 s)

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Sequenzas I-XIV

Divers interprètes

Naxos 8.557661-63 (3 CD: 182 min)

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Chamber Music

Ex Novo Ensemble

Black Box BBM1105 (72 min 47 s)

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Le compositeur italien Luciano Berio (1925-2003) fait partie du peloton de tête des grands défricheurs du xxe siècle. Sa première œuvre date de 1937, mais c’est surtout au cours des années 50 qu’il s’inscrit parmi les pionniers, particulièrement lorsqu’il fonde avec Bruno Maderna le studio de phonologie de la Radio-télévision italienne. L’un de ses terrains d’exploration préférés a été la voix, un univers dont il a pu repousser les limites avec l’aide de sa première épouse, la mezzo-soprano américaine Cathy Berberian. L’enregistrement Wergo regroupe deux œuvres écrites avec le collaborateur fréquent Edoardo Sanguineti. Canticum nivissimi testamenti (1989) met en présence quatre clarinettes, quatre saxophones et huit voix, le compositeur s’amusant à mêler les textures semblables des 16 musiciens, les voix se détachant du tout par leur seule capacité à prononcer des mots. Le disque est complété par un documentaire radiophonique de 1975 «pour cinq acteurs», également de Berio et Sanguineti, certes plus aride que la précédente. La suite des Sequenzas est sans doute la plus grande contribution d’un compositeur au répertoire pour instrument solo. De la flûte (1958) au violoncelle (2002) en passant par le hautbois, la guitare ou la harpe, Berio y a étendu les possibilités des instrumentistes à chaque fois. L’intégrale Naxos nous permet d’entendre, parmi les 16 versions reproduites ici (deux versions alternatives s’ajoutent à la série) le tromboniste Alain Trudel, le violoniste Jasper Wood et l’accordéoniste Joseph Petric. Une collection indispensable. Le mélomane moins gourmand pourra commencer par l’enregistrement Black Box, qui donne un bon aperçu des Sequenzas (I, IV, VIII, IXa et XIV) et offre un bel exemple de fusion des intérêts du compositeur avec Lied (pour clarinette) et Les mots sont allés (un récitatif pour... violoncelle). On y trouve enfin un bel enregistrement de Due Pezzi (1951), pour violon et piano, et une délicieuse Musica Leggera (1974) dédiée à Goffredo Petrassi. Réjean Beaucage

DVD

Bach

Passion selon Saint-Jean

Gerd Türk, Midori Suzuki, Robin Blaze, Stephan MacLoad

Bach Collegium Japan, Masaaki Suzuki

EuroArts 2050396 (117 min)

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Réputés pour leurs magnifiques interprétations des cantates de Bach, Suzuki et ses musiciens ont aussi déjà gravé sur disque, avec succès, les passions selon Mathieu et selon Jean. Ils nous proposent à nouveau cette dernière, filmée il y a six ans dans le vaste Suntory Hall de Tokyo. Le chef, qui tient aussi le clavecin par moment, impose sa vision, à la fois légère et dramatique. Les choeurs et l’orchestre offrent une virtuosité sans faille, et la réputation de Gerd Türk en évangéliste n’est plus à faire: partout, il sait trouver l’équilibre délicat entre émotion et dignité que son rôle requiert. Le reste de la distribution, sans être impeccable, demeure satisfaisant: on retiendra la voix lumineuse de Midori Suzuki, qui peine cependant à maîtriser l’allemand. Bien que le concert soit filmé sans grande imagination, et dans un lieu peu inspirant, la magie finit par opérer et on suit avec grand intérêt, plus aisément qu’au disque, cette passion riche en contrastes théâtraux. Philippe Gervais

Berlioz

La Damnation de Faust

The Chicago Symphony Chorus and Orchestra / Georg Solti, Anne Sofie von Otter (Marguerite), Keith Lewis (Faust), José van Dam (Méphistophélès)

Arthaus Musik 102 023 (134 min)

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Cet enregistrement a été réalisé en 1989 au Royal Albert Hall. Depuis, il n’a cessé d’être encensé par la critique et avec raison: Mme Von Otter et M. Van Dam étaient alors au meilleur de leur forme, tandis que le Chicago Symphony et sir Georg Solti vivaient leurs meilleures années ensemble. Je dois néanmoins formuler deux réserves: pour ne parler que des solistes, Van Dam est le seul qui sache clairement énoncer le français; les autres peuvent faire illusion tant qu’on les écoute les yeux rivés sur les sous-titres français, mais pas autrement. Pour moi, cela suffit à mettre cet enregistrement, très comparable à ses meilleurs concurrents modernes, dans une catégorie inférieure à celle des grandes gravures françaises de Coppola, Munch, Monteux et Markévitch. L’autre réserve a trait au fait que l’oeuvre est présentée en version concert. Sans doute La Damnation est-elle un ouvrage hybride qui ne se prête pas naturellement à la représentation scénique. Pierre Marc Bellemare

Haendel

Giulio Cesare

Orchestra of the Age of Enlightenment and the Glyndebourne Chorus / William Christie; mise en scène: David McVicar; réalisation vidéo: Ferenc van Damme. Avec Sarah Connolly, Patricia Bardon, Angelika Kirchschlager, Danielle de Niese, Christophe Dumaux et Christopher Maltman.

Opus Arte OA 0950 D (3 DVD: 305 min)

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Orquestra Simfònica i Cor del Gran Teatre del Liceu / Michael Hofstetter; mise en scène: Herbert Wernicke; réalisation vidéo: Toni Bargallo. Avec Flavio Oliver, Elena de la Merced, Ewa Podles, Maite Beaumont et Jordi Domènech

TDK DVWW-OPGCES (2 DVD: 216 min)

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L’opéra baroque est devenu un lieu d’expérimentation pour les metteurs en scène. Au nom de la modernisation, ils entremêlent les incongruités et les anachronismes avec des résultats très variables. Mis en scène par l’audacieux David McVicar et dirigé amoureusement par William Christie, le Giulio Cesare in Egitto donné l’été dernier au festival de Glyndebourne est une réussite exceptionnelle. La distribution est proche de l’idéal, mais il semble bien que ce soit la Cléopâtre déchaînée de l’Américaine Danielle de Niese qui vole la vedette. McVicar a situé l’action dans un lieu utopique (ce pourrait être l’Égypte) où les siècles classiques se chevauchent jusqu’à la Première Guerre. Il s’amuse, et nous amuse avec lui, mais nous fait comprendre aussi combien le bonheur tout autant que les malheurs des grands de ce monde sont invariablement payés par les plus faibles, les peuples colonisés en l’occurrence. Un spectacle qui s’adresse aux oreilles autant qu’aux yeux et à l’intelligence, et trois heures qui passent trop vite! C’est tout le contraire du Giulio Cesare barcelonais de juillet 2004. Ici, les personnages sont soumis à d’étranges contorsions dans un décor abstrait aux prétentions confuses. La distribution est inégale, surtout du côté masculin, alors que le chef paraît dépassé par les exigences du style haendélien. Alexandre Lazaridès

Günter Wand Edition Part II

Works by Beethoven, Brahms, Bruckner and Schubert

NDR Symphony Orchestra/Günter Wand

Live at the Schleswig-Holstein Musik Festival 1990-1999

Video Director: Hugo Käch

TDK DVWW-COWANDBOX2 (322 min - 4 DVDs) Sound 2.0

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Part 1 of the Günter Wand Edition set a new standard for concert video productions and the present issue is also of the highest quality. The set provides six outstanding performances from the conductor’s core repertory. It immediately enters the realm of historical relevance because the full presentation in sound and vision is further irrefutable evidence of a long life dedicated to the music and Wand’s masterful technique in recreating it. Despite increasing frailty through the 1990s, he became a tower of strength each time he mounted the podium and great music seems to flow from his gestures in an artistic triumph of instinctive willpower. The NDR SO are more than equal to their conductor laureate’s challenge of excellence. Wand made several distinguished audio recordings with the BPO in his last years, but as an example of an orchestra’s devotion to inspirational leadership, the Hamburg players must be seen.

Definitive accounts of Bruckner 5, 6, 8 and 9 are included in Part 1 of the edition. Blazing performances of Nos 4 and 7 may be the primary attractions here but the Beethoven, Brahms and Schubert cannot be discounted. In deference to the integrity of complete performances, Schubert’s Unfinished makes a second appearance in the edition. It is fascinating to compare the 1997 account and that of 2001 included in Part 1 as a preface to Bruckner’s Ninth. W. S. Habington

Livres / Books

The Words and Music of Frank Zappa

Kelly Fisher Lowe

Praeger, The Praeger Singer-Songwriter Collection

2006, 259 p.

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Voici le genre de livre que l’on attend depuis longtemps sur le compositeur américain Frank Zappa, dont l’univers créatif éclaté et pluristylistique voue toute tentative de description à l’inexhaustivité. Lowe se concentre particulièrement sur les textes de Zappa; c’est déjà énorme et ça comble une lacune. Ce qui est magnifique, c’est que l’auteur ne cherche pas à utiliser le corpus zappien pour mettre en valeur ses propres théories fumeuses ou sa propre petite personne, comme c’est trop souvent le cas dans les études ou biographies parues jusqu’à maintenant. L’auteur est un universitaire spécialiste des American cultural studies et son ouvrage peut certes prétendre à une certaine objectivité, même si certaines de ses interprétations pourront faire tiquer l’amateur (sa propension à chercher la satire partout, comme si Zappa ne pouvait pas, à l’occasion, explorer un style musical pour le simple plaisir de le faire, finit par lasser). Mais ce point négatif (qui s’inscrit après tout dans le projet de départ qui consiste à décortiquer l’œuvre) s’efface devant la somme de points positifs qu’offre l’étude. L’œuvre de Zappa (1940-1993) est immense, et Lowe arrive à en faire le tour en mettant en parallèle ses propres observations, généralement d’une grande justesse, avec celles de nombreux autres critiques, témoins d’époque ou exégètes (Ben Watson, Kevin Courrier, etc.). Une discographie à jour et une bibliographie critique contribuent à faire de l’ensemble un ouvrage complet. Un très beau travail qui jette un regard nouveau sur le personnage. Réjean Baucage


(c) La Scena Musicale