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La Scena Musicale - Vol. 11, No. 5

Au rayon du disque / Off the Record

February 21, 2006


Débat

David Murray 4tet & Strings : Waltz Again
Justin Time JUST 193-2
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Il est difficile à croire qu'en trente ans de carrière, le prolifique David Murray n'ait jamais enregistré avec un ensemble à cordes. C'est maintenant chose faite, avec sa plus récente partution chez Justin Time, maison de disques dont on ne peut que louer la détermination à documenter le travail de Murray depuis presque dix ans. Dans son nouvel opus, nous sommes cependant loin du traditionnel album de jazz « with strings ». Dès les premières mesures de l'épique Pushkin Suite #1, qui ouvre le disque, on se rend compte que l'écriture est très moderne, à mille lieues des arrangements de type hollywoodien qui gratifient habituellement ce genre de production. Le robuste quartette (Murray au ténor et à la clarinette basse, le talentueux Lafayette Gilchrist au piano, et les vétérans Jaribu Shahid à la contrebasse et Hamid Drake à la batterie) et l'orchestre à cordes (cinq violons, deux altos, deux violoncelles, une contrebasse) s'échangent des interventions vigoureuses et interagissent entre eux comme si ces derniers étaient le cinquième membre du groupe, doublant quelquefois la mélodie, ou ajoutant son contrepoint au quartette de jazz. Le nom d'Ornette Coleman est mentionné dans les notes de pochette, et par moments l'écriture pour cordes rappelle bien celle du maître ès harmolodie. Avec la pièce titre, un hommage de Murray à son père, et la belle ballade Steps, nous sommes en terrain plus convenu, mais l'orchestre demeure très actif, et les arrangements demandent plus de lui qu'un fonds sonore. Une brève interprétation de Sparkle, un thème typique de Murray, clôt un album qui se situe au-dessus de la moyenne pour le saxophoniste. Félix-Antoine Hamel

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Musicien protéiforme qui propose toujours de nouveaux projets, David Murray s'aventure ici dans une contrée hasardeuse, celle unissant une formation de jazz à un ensemble de cordes. L'histoire démontre que les échecs de ces mariages sont plus nombreux que les réussites, l'un des essais les plus probants étant le disque « Focus » de Stan Getz en 1961, arrangé avec brio par Eddie Sauter. Murray, pour sa part, a invité un ensemble de musiciens de haut niveau à joindre son quartette actuel. Signalons particulièrement le travail du merveilleux batteur Hamid Drake. Des cinq titres de l'album, la pièce d'ouverture Pushkin Suite # 1, dédiée au grand poète et dramaturge russe du xixe siècle et à son ancêtre Ibrahim Hannibal, un esclave noir affranchi par le tsar Pierre le Grand, s'avère un succès. Celle-ci débute dans un chaos survolté de cordes et de ténor en contrepoint. Le saxo use ici d'un langage dissonant chromatique qui n'est pas sans évoquer Prokofiev. Cette œuvre de 26 minutes au lyrisme véhément oscille entre des parties plus tendres et d'autres donnant priorité à l'énergie communicative des cordes, sans oublier une part généreuse de solos accordés aux quatre jazzmen. En dépit de cette ouverture palpitante, le reste du disque (quelque 40 minutes) n'est pas aussi convaincant. C'est le cas de Waltz Again et de Steps, où le jeu des cordes se résume à quelques motifs redondants, tandis que Sparkle, la finale, est entachée de quelques problèmes de justesse des archets. Il ne fait aucun doute que le saxophoniste propose ici un album provocant et original, mais dans son ensemble, les résultats ne sont que mi-figue, mi-raisin. Charles Collard

Jane Bunnett: Radio Guantanamo: Guantanamo Blues Project Vol. 1
EMI 09463-46808-2-0
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Canadian saxophonist and flutist Jane Bunnett is no stranger to Jazz-Cuban fusion, having made it her specialty since her first trip to that Island country in 1982. Here the heat that makes this session cook is provided by musicians of the Changüi persuasion, one of the island's earliest musical idioms alive and well in the Guantanamo Bay area. "Changüi," according to the Latin American Folk Institute web site "is rough, pulsating music, played with minimal instrumentation... [I]nstead of the syncopated four-count of the son, changüi follows a quick count of eight, with accents on the first and fifth beats. The absence of the clave is notable, and it is the tres that takes center stage". With this "Guantanamo Blues Project", Bunnett has fused this little known genre with American Jazz. On the one hand, she has brought in guest instrumentalists Howard Johnson and Dewey Redman from the States, as well as New Orleans vocalist Johnny Sansone who brings Zydeco and rhythm and blues to the mix by way of his originals Give Me One Dollar and No Money no Chica. On the other hand, Bunnett's band Spirits of Havana is also joined by the Grupo Changüi de Santiago and the Grupo Changüi de Guantanamo. This is sensuous, swaying music, and all players are put to a test as they embroider around the melodies, and quite successfully at that. Of special note are the driving opener, Changui para Alfredo, the hypnotic pulsations of Conga Blue and the quiet lyricism of New Orleans Under Water. The leader's soprano sax soars throughout, along with the trumpet of Larry Cramer and those of the remaining band members. An added treat is listening to Dewey Redman's tenor weaving within the deep grooves of changüi music. Paul Serralheiro

John Zorn: Malphas (The Book of Angels Vol. 2)
Tzadik Tz 7354
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À Montréal l'été dernier, dans le cadre du Off Festival de Jazz, la pianiste d'origine suisse Sylvie Courvoisier et son conjoint américain, le violoniste Mark Feldman ont livré une prestation enlevante de musiques composées par l'inénarrable John Zorn. Trois mois plus tard, ce couple enregistre le même répertoire de leur concert en studio, puis, juste avant le Nouvel An, voici que leur galette nous arrive toute chaude, publié sur l'étiquette dudit M. Zorn. Cette belle production, qui comprend 11 titres succints totalisant 47 minutes, nous fait revivre le film de leur match, à un point tel que leurs moindres gestes, même les plus débridés, semblent reproduits dans le plus menu détail. En un sens, ce disque a toutes les allures d'un récital classique (instrumentation oblige), mais il s'inscrit bien plus dans l'orbite du jazz ou des musiques improvisées. Les interprètes ne suivent pas des partitions entièrement écrites, mais ont arrangé les thèmes à leur façon. Comme il s'agit de l'un des nombreux volets du grand projet de réactualisation des musiques juives de Zorn (Masada), on reconnaît un peu partout les couleurs mineures typiques de cette tradition, sans oublier la pratique de la citation musicale qu'affectionne Zorn (emprunts à Mozart, entre autres), pratique qui, toutefois, peut sembler gratuite par endroits, quitte à être agaçante. Certains apprécieront le côté fou de pièces comme Laboriel ou Szelil, mais il y a aussi quelque chose de très prenant dans les morceaux plus lents comme Rasebal ou Radiel. Quelles que soient vos préférences, nul ne pourrait nier l'excellence de ce tandem musical. Souhaitons un retour chez nous avec d'autres musiques, les leurs peut-être. Marc Chénard

Trio Derome Guilbeault Tanguay : The Feeling of Jazz
Ambiances Magnétiques AM 145 CD
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Après nous avoir offert un splendide premier album l'an dernier (« 10 Compositions de Jean Derome »), ces trois grosses pointures des musiques créatives québécoises récidivent avec un second opus. Cette fois, point de compositions originales, mais 11 lectures comprenant de pièces familières (comme You'd Be So Nice To Come Home To) ou des plus obscures (dont deux compositions du pianiste hollandais Misha Mengelberg). Il y a certainement ici un sentiment de légèreté, renforcé par le commentaire de Derome dans la pochette : « Ça me repose de ne pas jouer mes compositions ». Le répertoire est assez varié pour maintenir l'intérêt, avec des pièces signées Duke Ellington, Sonny Clark, Fats Waller, Lee Konitz, celles-là intercalées de standards éprouvés, mais intelligemment réinterprétés. Le caractère informel de la session est souligné par les vocaux de Jean Derome, qu'on aurait toutefois pu distribuer plus judicieusement tout au long de l'album plutôt que de les concentrer dans la deuxième moitié. Trois étoiles et demie pour la musicalité. Félix-Antoine Hamel



Michel Lambert : Le Passant
Jazz from Rant Rant 0529
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Dans sa version originale, « Le Passant » était un triptyque pour orchestre symphonique composé en 1992. Par la suite, la partition a été réduite à un orchestre de chambre constitué d'un quatuor à cordes, instruments à vent, harpe et percussion. Cette instrumentation se complète d'un groupe d'improvisateurs. « C'est une confrontation entre l'écriture formelle, le travail d'orchestration et l'art de l'improvisation », explique Lambert dans les notes. Ce batteur est aussi l'auteur, en 2001, de « Musiques Dessinées ». Ainsi, le dessin et les couleurs nourrissent son travail de musicien et on peut parler ici d'ombre et de lumière, ou de fluidité des lignes pour décrire la singularité de son invention à la batterie. Dans les cinq plages de cette suite, il apparaît que les improvisateurs, Dominique Duval, contrebasse, Ellery Eskelin, saxophone ténor, Malcolm Goldstein, violon, sont véritablement habités par ce projet. Dans les sept plages restantes, toutes à géométrie variable, les différents musiciens se lancent dans des joutes improvisées de haut vol. Charles Collard




Robert Marcel Lepage: PeeWee et Moi
Ambiances Magnétiques AM144CD
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The wit and poetry of the late great clarinetist Pee Wee Russell are given a post-modern treatment by Montreal clarinetist Lepage and a host of other practitioners of the instrument. A total of seven clarinetists show up for this gig, along with a stellar rhythm section of René Lussier on guitar, Normand Guilbeault on bass and Pierre Tanguay on drums. It's not surprising that it takes this much ebony to pay homage to Russell's legacy. Lepage and company lead off with Pee Wee's Blues, a Russell original, then explore various readings, variations in the blues form on the Russell style, winding up after the multi-referential romp with another Russell piece, Muskogee Blues. Through the journey, essentially consisting of studies in style, there are many delightful moments. Lussier's twangy resonator-acoustic guitar blends right in, with its quirky evocations of cartoonish humour. In the spirit of play is a heartfelt tribute, making this a must for Pee Wee Russell fans and lovers of the clarinet in general. Paul Serralheiro




Nehring/Koller & Braid : Set in Stone
Effendi FND 058
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Le label Effendi, qui publie, à peu d'exceptions près, des enregistrements de musiciens québécois, nous offre ici un disque d'un trio torontois formé du batteur Lorne Nehring, du contrebassiste George Koller et du pianiste David Braid. Il s'agit d'un hommage au trompettiste/compositeur canadien (également de la Ville Reine), Fred Stone (1935-1986). Figure méconnue, Stone fut un collaborateur de Ron Collier, de Phil Nimmons et de Rob McConnell. Après avoir côtoyé Charles Mingus, son heure de gloire vint au début des années 70, alors qu'il rejoint l'orchestre de Duke Ellington, l'un des rares musiciens blancs (et seul Canadien) à en avoir eu l'occasion. Le trio nous fait découvrir ici en 11 interprétations concises le talent de compositeur de Stone, dans une atmosphère rappellant les trios d'antan de de Keith Jarrett, de Paul Bley, ou de Chick Corea (années 70), parfois avec des résultats surprenants. À découvrir. Félix-Antoine Hamel




John McNeil : East Coast Cool
Omnitone 15211
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Sur la couverture, on voit un trompettiste (John McNeil, le leader) tirant sur une cigarette, un saxophoniste (Alan Chase, au baryton) portant des verres fumées et un titre qui dit tout : « East Coast Cool ». Avec un bassiste (John Hebert) et un batteur (Matt Wilson), on soupçonne (avec raison) qu'on se situe en territoire du saxophoniste Gerry Mulligan (époque Chet Baker, bien sûr). Et lorsque le programme comprend Bernie's Tune, on est en droit de penser à un calque de l'original. Pourtant, il y a onze autres titres tous signés par McNeil. La sonorité de ce dernier rappelle davantage un Dave Douglas (le panache en moins) qu'un Baker. Chase, en revanche, a un son plus charnu que Mulligan et joue avec circonspection. La section rythmique est discrète, mais ne reste pas toujours collée au métronome. On signalera deux courts duos entre les vents et un emprunt du concerto pour piano de Schönberg, petits a parte dans cette parution bien ficelée. Pour la musique, on accordera trois étoiles, et une demie de plus pour la belle exécution des musiciens. Marc Chénard



Max Nagl Ensemble : Quartier du Faisan
hatOLOGY 621
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Avec une vingtaine d'albums à son actif, la production du saxophoniste et compositeur viennois Ma Nagl pourrait sembler pléthorique s'il n'était devenu l'un des emblèmes du jazz européen. Celui-ci cite volontiers Julius Hemphill et Anthony Braxton comme principales influences, et d'autres passions qui ne se limitent pas au jazz. Ce touche-à-tout de génie compose des musiques de films en plus d'avoir travaillé avec des écrivains. Cela dit, on se perdrait à tenter d'établir un fil conducteur dans ce disque. La méthode Nagl consiste à accumuler sans scrupule dans une même composition divers éléments sonores pour en arriver à un collage contrasté et à des associations surprenantes. Beduinwalzer, par exemple, est une valse surréelle qui tient de la fête foraine, alors que Delirium Clemens ressemble à un pastiche de free jazz se transformant en marche tauromachique. Les dix musiciens de cet enregistrement poussent la démonstration avec une maîtrise peu banale et qui ne sent pas le réchauffé. Pour l'anecdote, le « Quartier du Faisan » (Fasanenviertel) est celui où habite M. Nagl. Charles Collard


(c) La Scena Musicale