Magdalena Kozena Grâce et beauté Par Wah Keung Chan
 / 21 février 2006
 English Version...  		 On 
				utilise souvent le mot « beauté » pour décrire tant la voix que la personne de 
				Magdalena Kozena. Photogénique et douée d'une musicalité innée, la 
				mezzo-soprano tchèque âgée de 32 ans est vue comme l'une des étoiles montantes 
				de la musique classique. 
		Plusieurs la comparent déjà à Cecilia Bartoli. En mars 
				dernier, sa relation avec le maestro Simon Rattle, largement relatée dans la 
				presse britannique en 2004, a produit un fils, Jonas. 
		Magdalena Kozena attira l'attention internationale en 
				1995 en remportant le 6e Concours international Mozart à Salzbourg. Elle fit 
				ses débuts à l'opéra en chantant Dorabella dans Così fan tutte de Mozart 
				au Théâtre Janácek de Brno et elle entra au Vienna Volksoper en 1996. Au 
				départ, elle était fascinée par la musique baroque et son premier disque d'airs 
				de Bach avec l'ensemble tchèque Musica Florea remporta le prix tchèque Harmonie 
				d'Or. Un dirigeant de Deutsche Grammophon a écouté l'enregistrement et très 
				vite, une étoile internationale du disque est née. Loin de reposer sur un 
				succès unique, son répertoire s'est élargi de la musique baroque et tchèque aux 
				mélodies françaises et du XXe siècle. Sa discographie comprend maintenant 
				dix-neuf titres. 
		La Scena Musicale a suivi Mme Kozena au fil 
					des disques. Philip Anson a écrit : « Kozena possède un splendide mezzo léger 
					qui rappelle Ann Sophie von Otter. Ses airs lents, qu'elle chante comme une 
					femme naturelle, sans maniérismes (par ex. son ravissant "te lascia la luce" de 
					HWV 99), sont ensorcelants. Frédéric Cardin a parlé de sa voix « onctueuse, 
					douce et souple, mais ne manquant pas de puissance ni de solidité. La chanteuse 
					fait preuve d'une extraordinaire musicalité qui ne sacrifie rien à la précision 
					technique, et vice versa ». 
		En janvier 2006, Kozena entamait une tournée 
				nord-américaine de deux mois. On la verra d'abord dans la production de Così fan 
					tutte au Metropolitan Opera et plus tard à Montréal et à Québec. 
		La Scena Musicale Comment s'est développé votre intérêt 
					pour la musique ? 
		 Magdalena 
						Kozena Lorsque j'étais petite, j'imitais des sons. En maternelle, 
					j'entendais la maîtresse jouer du piano et j'étais fascinée, je voulais devenir 
					pianiste. J'ai aussi chanté dans le chœur d'enfants du Philharmonique de Brno. 
		LSM Votre père était mathématicien et votre mère 
					biologiste. Vos parents auraient pris leurs économies, dit-on, pour vous offrir 
					un piano... 
		MK Ils m'ont toujours soutenue. Ils ne 
					connaissaient pas beaucoup la musique classique et ils ont appris avec moi. Ils 
					étaient très fiers de moi et ils ne m'ont jamais forcée à faire quelque chose 
					qui ne me tentait pas. J'étais une enfant étrange. Mes parents devaient me dire 
					de cesser de jouer. C'était ma passion. J'ai étudié le piano très sérieusement, 
					je jouais 5 ou 6 heures après l'école. Si vous voulez être pianiste, il faut 
					s'exercer à bouger les doigts et cela demande des heures chaque jour. 
		Cet entraînement à été très bon pour moi. Je ne peux 
				plus jouer, mais je peux m'accompagner toute seule et étudier les morceaux par 
				moi-même. J'ai appris toute la musicalité et la façon de travailler lorsque 
				j'étais petite. 
		Juste avant mon examen au Conservatoire de Brno, je me 
				suis cassé une main, alors j'ai dû passer les auditions en chant du 
				conservatoire. 
		LSM Pourquoi vouliez-vous être musicienne ? 
		MK Ç'a toujours été à cause des émotions. La 
					musique m'a toujours permis d'exprimer des sentiments que je ne pouvais 
					verbaliser. La musique est une sorte de relaxation, sur scène comme lorsqu'on 
					chante pour soi. C'est une sorte de soulagement : que vous soyez très triste ou 
					pleine de joie, vous pouvez toujours mettre cela dans votre voix et chanter. Je 
					pense que la musique devrait faire appel aux sentiments et au cœur avant tout, 
					plus qu'au cerveau. 
		Lorsque je tombais amoureuse d'un morceau, je voulais 
				être capable de le jouer. Ce n'était pas pour monter sur scène. En fait, quand 
				j'étais une enfant, les concerts étaient une torture. 
		LSM Comment avez-vous surmonté le trac ? 
		 MK
					Au piano, je n'ai jamais vraiment pu. Je passais mon temps à me demander 
					pourquoi je voulais faire cela. En chant, ce fut différent. C'était tout à fait 
					naturel que de choisir le chant. 
		LSM Quelles œuvres aimez-vous utiliser pour vous 
					exprimer ? 
		MK Lorsque je jouais du piano, j'adorais Bach 
					et Debussy. En chant, c'est un peu la même chose : j'aime Bach et la musique 
					française du xxe siècle. Je chante des lieder romantiques, mais cela 
					correspond moins à mon tempérament, à mon approche de la musique. 
		LSM Comment expliquez-vous la différence dans Bach et 
					Debussy? 
		MK Je les aime pour différentes raisons. La 
					musique de Bach rend modeste, les artistes ne cherchent pas à être le centre 
					d'attention. En chant, vous n'êtes que l'une des voix de l'orchestre. C'est 
					toujours un mélange de mathématique et d'émotion pour moi, parce que c'est 
					tellement parfait. On se sent très humble sur la terre. Debussy, je l'aime pour 
					sa peinture. C'est comme exprimer de petites images, des émotions fines, un peu 
					comme des dessins. J'aime la possibilité de dessiner avec ma voix et de trouver 
					des couleurs. C'est une musique très chatoyante, qui me permet de trouver des 
					expressions dans différents sons. 
		LSM J'ai lu que vous vous trouvez très chanceuse. 
		MK Dans les pays socialistes, la formation 
					était très dure. Seul le talent comptait. Les artistes avant ma génération 
					avaient reçu une merveilleuse éducation, mais ils ne pouvaient pas se 
					manifester sur les scènes du monde. En plus, les artistes étrangers étaient 
					rares. Lorsque j'étais étudiante, le seul chanteur international que je 
					connaissais était un Russe. 
		Tout a changé avec la révolution de velours en 1989. 
				Soudain, tout ce que nous avions appris, nous pouvions aller le montrer à 
				l'extérieur du pays. Les élèves ont maintenant de nombreuses occasions de 
				comparer et de voir et ils peuvent étudier à l'étranger. Je suis heureuse 
				d'avoir pu quitter le pays et rencontrer de merveilleux chefs et collègues. 
		LSM Qu'est-ce qui fait un bon professeur ? 
		MK Je crois qu'un professeur devrait être 
					strict, demander beaucoup de ses élèves, mais aussi se montrer encourageant. 
					Chaque élève est différent. Certains apprennent mieux si on leur répète qu'ils 
					sont bons et talentueux, d'autres ont besoin qu'on leur dise de travailler 
					davantage. Il faut faire preuve de psychologie. 
		Moi, j'ai besoin de louanges. Un jour, mon professeur 
				de piano m'a dit que je n'étais pas assez douée. Plus tard, j'ai su qu'il avait 
				dit cela uniquement pour m'encourager à travailler plus fort. Sauf qu'avec moi, 
				ça n'avait pas fonctionné. Je pense qu'il est plus important d'aider l'élève, 
				d'être de son côté, de bien savoir ce qui l'aide et ce qui le bloque. Certains 
				professeurs sont bons pour un élève et d'autres non. C'est comme une relation 
				affective, c'est une question de chimie. 
		Il y avait des concours et c'est un autre problème. Je 
				ne crois pas qu'il devrait y avoir de la compétition en art, parce qu'on ne 
				peut mesurer qui est meilleur. J'étais en fait terrifiée par les concours, mais 
				ils m'ont permis de savoir que j'avais les nerfs solides. Il est important que 
				les jeunes y goûtent et sachent comment ils réagissent. Ce métier est très dur 
				sur le plan psychologique parce que vous avez toujours la spectre du trac, des 
				critiques. Pour la plupart des gens, il n'est pas naturel de se produire devant 
				un public, il faut apprendre à composer avec cela. 
		Mon professeur Eva Blahová était très sage, positive 
				et encourageante. Elle ne me laissait pas chanter des choses trop difficiles, 
				même si j'en avais toujours envie. Il est très facile de détruire une voix, 
				particulièrement une voix jeune. Elle m'a amenée à beaucoup de concours et elle 
				m'a aussi laissée chanter en public. Vers l'âge de 16 ans, je faisais beaucoup 
				de musique baroque. J'ai chanté dans quelques groupes qui pratiquaient le style 
				ancien. Elle pensait que ce serait une bonne chose, elle m'a beaucoup aidée. 
				Elle voulait m'aider à sortir ce que je voulais de ma voix et de mon corps. 
		LSM Parlez-nous de votre technique. 
		MK La couleur a toujours été là. C'est 
					quelque chose d'inné. Avec la technique, on développe les notes aiguës, les 
					graves. Après quelques années, la personne mûrit et la voix change, elle 
					acquiert certaines qualités, elle en perd peut-être d'autres. On est amené à 
					changer de répertoire au fil du temps. 
		Je veux que ma voix soit aussi naturelle que possible. 
				Le chant est très près de la parole et je veux être capable de dire quelque 
				chose en chantant. Certains chanteurs cherchent l'effet contraire : ils veulent 
				impressionner, faire sentir que c'est difficile. C'est une autre approche, mais 
				je préfère que les gens pensent que c'est très facile et qu'ils pourraient en 
				faire autant. 
		Je n'ai pas de méthode, c'est quelque chose qui vient 
				de l'intérieur. On se sert de sa voix, de son corps et de sa figure pour 
				produire le son désiré. En fait, on raconte une histoire. Je n'aime pas 
				vraiment penser à la technique. 
		LSM Vous avez quelques rôles de soprano dans votre 
					répertoire. 
		MK Oui, il y a ce défi de se tourner vers le 
					répertoire de soprano parce que, si vous n'avez pas une voix puissante, le 
					répertoire de mezzo n'est pas très vaste. À mon avis, chaque rôle dépend de la 
					couleur de votre voix et de votre tempérament. 
		J'ai besoin autant de l'opéra que du récital pour 
				garder l'équilibre. Si je travaille avec un grand chef à l'opéra, je peux 
				ensuite utiliser l'expérience en récital parce que pour moi, chaque mélodie est 
				comme un petit opéra. Dans une salle noire, vous ne pouvez voir les visages 
				dans le public. En récital, j'aime ce retour direct d'énergie. Et le répertoire 
				est si vaste ! Je peux être mon propre patron, monter mon propre programme et 
				décider de ce que je veux faire. L'opéra, c'est l'art du compromis. Beaucoup 
				chantent du Brahms et du Schumann en récital. Or, il y a aussi tellement de 
				musique très belle, mais que personne ne connaît et qui est rarement entendue. 
				Il faut explorer les choses moins habituelles. Il faut aussi être réaliste 
				quant au genre de musique que les gens vont acheter. 
		LSM Quels seront vos prochains disques ? 
		MK Il y a un disque de Mozart avec 
					instruments anciens, des airs que j'aime chanter et que je n'avais pas encore 
					enregistrés. Après, il y aura une intégrale des mélodies avec orchestre de 
					Ravel. 
		LSM La maternité a-t-elle changé votre voix ? 
		MK Non. J'espérais qu'elle rendrait ma voix 
					plus grave, mais non. 
		[Traduction : Alain 
						Cavenne] 
		Toutes les photos sont de : Kasskara / Deutsche 
				Grammophon 
			Chanteuses préférées : Frederica von 
					Stade, Janet Baker 
				Compositeur méconnu préféré : 
					Bohuslav Martinu 
				Œuvre préférée : Claude 
					Debussy Pelléas et Mélisande 
					Lecture actuelle : 
					Arundhati Roy The God of Small Things 
					Sonnerie de téléphone 
						cellulaire : Normal 
				Cet article a été réalisé en partie 
				grâce à la généreuse contribution de Madame Virgina K.H. Lam. 
		En concert 
				Magdalena Kozena chante Rameau et 
				Gluck avec Les Violons du Roy dirigés par Bernard Labadie à Montréal (le 28 
				février à la salle Claude-Champagne) puis à Québec (le 2 mars à l'église 
				Saint-Dominique). Montréal : 514.844.2172 ; Québec : 418.692.3026 
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