Au rayon du disque / Off the Record - Débat
October 18, 2005
Version française... Quartet Noir: Lugano
Victo CD 096
Il
faut de la patience pour apprécier ce nouveau CD signé par les quatre grosses
pointures de l'improvisation collective que sont Urs Leimgruber (saxophone
ténor et soprano), Marilyn Crispell (piano, percussion), Joëlle Léandre
(contrebasse) et Fritz Hauser (batterie). Quartet Noir avait publié en 1999 un
enregistrement marquant d'un concert donné au festival de Victoriaville. Capté
en concert à Lugano à pareille date l'an dernier, cette nouvelle performance
semble vouloir éviter toute expressivité. En l'écoutant, on est même porté à
penser que les artistes ont cherché à intellectualiser le processus créateur
pourtant très abouti dans leur premier opus. On pourra parler ici ou bien d'une
peinture monochrome -- en opposition au spectre étendu de couleurs qui peuvent
si souvent éclater dans l'improvisation collective -- ou bien de fluctuations
aléatoires qui se referment sur elles-mêmes. Les musiciens se permettent aussi
d'improviser à la limite de l'audible et ce, dans un dépouillement d'une
infinie précision. Toutefois, cette musique frôle l'impasse de la
non-communication par l'absence d'un élément catalyseur capable de la libérer
de sa retenue. En situation de concert, comme ce fut le cas ici, ce problème ne
se pose pas, car les interprètes et le public sont réunis dans une mystérieuse
complicité en temps réel. En revanche, les conditions d'écoute d'un disque ne
peuvent pas reproduire cet espace, nécessitant alors un effort supplémentaire
de la part l'auditeur.
« Lugano » comporte trois parties, la première étant
la plus importante en termes de durée (plus de 30 minutes). La dernière donne
lieu à une éruption sonore salutaire, bien qu'elle arrive un peu tard dans la
partie. Cela dit, des termes tels « abstrait » ou « hermétique » sont à vrai
dire inadéquats pour ce disque qui, lui, se situe hors des sentiers battus. *** Charles
Collard
Il est le propre des grands artistes de se remettre
en question périodiquement, parfois au grand dam de leurs partisans. Qu'on
pense à Coltrane dans sa dernière période free ou à Miles dans sa période
électrique et l'on a deux exemples probants à cet effet. Alors que ces deux
monstres sacrés recherchaient une espèce de plénitude, les quatre
improvisateurs très actuels de ce disque s'engagent dans une démarche opposée,
soit celle d'une ascèse. Il importe de souligner ici que le 'directeur musical'
de ce groupe, le saxophoniste suisse Urs Leimgruber, est un jazzman de souche
dont la démarche actuelle se situe dans une espèce de recherche sonore
abstraite, tout comme son compatriote percussioniste Fritz Hauser. La
contrebassiste Joëlle Léandre, pour sa part, n'est pas étrangère à cette épure
sonore, autrement plus manifeste dans la musique contemporaine dont elle est
issue que dans le jazz. Toutefois, c'est la pianiste Marilyn Crispell qui a
effectué le plus grand saut ici, puisque cette héritière de Cecil Taylor semble
s'être délestée de tout son bagage pour se joindre à ses collègues dans cette
aventure au bord du gouffre. Certes, on peut aimer ou ne pas aimer, ou préférer
le premier enregistrement au second, mais force est de constater que ce
quartette obéit au premier principe de la musique improvisée, soit de ne pas
tenter de reproduire son travail antérieur (si réussi fut-il), même au risque
de décevoir ceux et celles qui espèrent retrouver un autre moment de grâce
semblable de leur part. **** Marc Chénard
(1)Chamber Works
Terry Bozzio and Metropole Orkest
Favored Nations FN2530-2
***
(2)Odd Jobs, Assorted Climaxes
John Korsrud
Spool SPP203
*****
In the world of music, the composer often stands in a
privileged position, akin to that of the dramatist in the theatre. He or she
creates, while players simply execute. It is no surprise, then, that players
often have ambitions to become composers themselves and accede to all the power
and prestige that implies. In the realm of improvised music, this raises an
interesting paradox, which, like all paradoxes, makes perfect sense. Repeating
music that has been notated seems the antithesis of creating music on the spot.
But improvised music is always about composition, as composition is about
recording improvised ideas worth developing and repeating. In comparing the
recent releases of American drummer Terry Bozzio and Canadian trumpeter John
Korsrud, one learns a few things about this phenomenon.
(1) Bozzio, best known for his tenure with Frank
Zappa, the Brecker Brothers and his pop trio Missing Persons, has had a varied
performance career. In "Chamber Works," the drummer's composition chops are
displayed in five originals, deftly performed by Holland's 50-piece-plus
Metropole Orkest and its conductor Dick Bakker. Subtitled Five Movements for
Drum Set and Orchestra, the music, arranged here by pianist Martin
Fondse, is rich in rhythmic drive and orchestral textures and colour, albeit
idiomatically derivative to some degree, if not predictable in spots. This
would make very good film music – a genre Bozzio is no stranger to – as it
evokes a wide range of drama and moods. This work appears to be mostly built
around the rhythms of the drums, which are featured prominently throughout, as
in a concerto, but with some added solos provided by orchestra members along
the way.
(2) John Korsrud, for his part, offers us a
different take on things in his own work. The composer's trumpet appears on a
single cut, and only three feature the palette of a full orchestra, a symphony
in this case. While Bozzio's music could pass for the soundtrack of a
blockbuster, Korsrud's would work for a quirky, cutting edge indie flick, since
he goes for a more creative use of varied media and styles. VAP DIST for
Orchestra is worth lingering over in comparison to Bozzio's work; both are
attempts to write for an essentially outdated medium. In that regard, Korsrud
aptly asks in the notes: "How does anybody create something 'new' for
orchestra?" The answer for both composers seems to be this: By exploring
rhythms and textures that are not commonly associated with orchestral music.
Elsewhere on this side Korsrud also demonstrates a much greater command of
compositional languages and an obviously greater familiarity with the craft
that includes writing with tape and sampled sounds in mind. Running a wide
range of styles, both high and low brow, the music here incorporates Mozartian
strains with the roiling outbursts of punk and the surprising shifts of sound
sources. All told then, this recording provides us with enough proof to
conclude that Korsrud demonstrates far greater abilities as a composer than
Bozzio. Paul Serralheiro
Anthony Braxton & Duke Ellington: Concept of
Freedom Performed by...
hatOLOGY 614
****
En
dépit d'une abondante discographie sous son nom, le saxophoniste Anthony
Braxton est un musicien dont l'oeuvre est peu enregistrée par d'autres. Parmi
les exceptions, cette parution récente présente un collage de ses pièces dans
lesquelles l'écrit et l'improvisé se fondent entre eux. Pour interpréter cette
fresque de 57 minutes (divisée en sept plages plus ou moins arbitraires), un
trio suisse comprenant la pianiste Hildegard Kleeb, le violoniste Dimitris
Polisoidis et le tromboniste Roland Dahinden négocient les copieuses partitions
avec leur rigueur de musiciens contemporains, rejoints ici par Robert Höldrich
à l'échantillonneur. En cours de route, les exécutants se permettent d'insérer
quelques motifs furtifs issus des concerts de musique sacrée de Duke Ellington,
d'où l'inclusion de son nom dans le titre de ce disque. Musicalement, on est
loin de l'orbite du jazz, mais comme tous les musiciens sont appelés à
improviser, le lien est là, si ténu soit-il. Marc Chénard
Drew Gress : Seven Black Butteflies
Premonition 90767
****
Contrebassiste
très sollicité dans les milieux de jazz contemporain à New York, Drew Gress se
permet à l'occasion de présenter sa propre musique, comme c'est le cas pour
cette troisième offrande sous son nom (et seconde pour cette étiquette sise à
Chicago). De retour ici sont le saxophoniste alto Tim Berne et le batteur Tom
Rainey (deux acolytes réguliers du bassiste), en plus du passionnant pianiste
Craig Taborn (jadis avec James Carter) et du trompettiste Ralph Alessi (on
recommande fortement de bien tendre l'oreille). Les compositions (neuf au
total) sont toutes de Gress, qui démontre une aussi belle imagination avec sa
plume que dans son travail d'accompagnateur, et qui se permet une escapade en
solo de près d'une minute en mi-parcours. Le groupe ne contient aucun maillon
faible, bien que Berne, qui embrase les planches dans ses propres projets, ne
réponde pas tout à fait aux attentes qu'on aurait de lui. En dépit de certaines
mauvaises langues qui fustige les audaces, le jazz contemporain américain se
porte très bien et ce disque en est une preuve. Marc Chénard
Mark O'Leary, Tomasz Stanko, Billy Hart: Levitation
Leo Records LR 445
***
Noted Polish trumpeter Tomasz Stanko's sound is well
balanced by his American collaborators on this disc, veteran Billy Hart on
drums and newcomer guitarist Marc O'Leary. The same bass-less format that once
worked for trumpeter Dave Douglas (Tiny Bell Trio) is adopted here--which makes
one wonder whether this configuration is on its way to become a new
contemporary instrumentation standard. As good as it is to hear each of these
instrumentalists stretching out, sometimes there is a little too much
individuality going on, which doesn't make the group quite gel as a unit.
However, in the best moments (like the title track, or the opening one "Red
Sand"), all three players spin out lines that mesh into good grooves and
no-holds-barred blowing. Stanko's trumpet sounds like no other and Hart's
masterful tripping from swing to hard bop to funk to rock and everywhere in
between is just the right underpinning to O'Leary's puckish guitar chops.
Together, these musicians succeed in playing with a kind of controlled abandon.
If you want something driven and intense, this will deliver. Paul Serralheiro
Iks: Inner Whatever
Ora 09075
****
Compte tenu du titre de ce sixième opus du quintette
québécois neo-impro, néo-fusion, néo-jazz Iks, on serait porté à croire à du
n'importe quoi. Or, une écoute attentive révèle un travail assez minutieux de
montage en studio, ce dernier n'étant pas seulement un lieu mais bien un
instrument à part entière, et que le leader, le bassiste électrique
Pierre-Alexandre Tremblay, a exploité d'une manière plus poussée que la norme
en musiques improvisées. Étalées sur près de 70 minutes, les 13 plages
conjuguent le triple intérêt du leader pour les musiques électro-acoustiques
(il vient d'achever des études doctorales de composition dans ce domaine en
Angleterre), l'impro en temps réel et les musiques plus pop. Outre ses quatre
camarades, une douzaine d'autres musiciens (Charles Papasoff étant le plus
connu ici) ont prêté leurs instruments au projet. Complexe en soi, la musique
n'est pourtant pas radicale dans l'ensemble, car on ne renie pas l'emploi
d'assises plus familières (lignes mélodiques, pulsations rythmées). Et c'est
sans doute ce double jeu qui a valu à l'ensemble les succès qu'il a connu chez
nous. Pour l'avenir, reste à savoir si l'histoire d'Iks aura une suite, compte
tenu du départ de Tremblay cet été pour l'Angleterre. Notons enfin la 'plage
cachée', une amusante finale pas dénuée d'humour. Marc Chénard
JP Carter, Skye Brooks, Dave Sikula, Pete Schmitt:
Inhabitants
Drip Audio/Maximum Jazz
Max 16362
***
This release by a Vancouver foursome will be right
up the alley of those into fusionesque offerings. Although young, these
musicians display a mature group sound on the ten cuts of this eponymous disc,
with everyone seemingly thinking on the same wavelength. The only beef,
however, is that the compositions and sound concept tend toward the same
darkish moods, even on a tune with a title like Happy Princess. But the
irony is not out of place, given the band's aesthetic of detachment. The
surreal aural painting seeps through Sikula's processed guitar, Brooks' drums,
Schmitt's bass and the surprising textures of Carter's electronically enhanced
trumpet that comes across like a second guitar or keyboard. This is creative
music made with an effective, albeit limited palette, resulting in titillating
but somber soundscapes. Paul Serralheiro
Drumheller
Rat-Drifting R-D9
Drumheller est un quintette torontois qui effectue
ici sa première sortie discographique, sur une nouvelle étiquette axée sur la
relève locale. L'attitude décomplexée des musiciens envers les divers courants
du jazz et leur allergie à toute définition les rallient un peu à l'esprit qui
anime les productions Ambiances magnétiques à Montréal. Hélas! aucun
renseignement n'est donné sur cette formation polyvalente qui évite les
relectures de standards pour se constituer un répertoire d'originaux, dont
l'inusité Beach House, qui donne lieu à un échange singulier entre le
saxophone alto de Brodie West (disciple d'Eric Dolphy) et le trombone de Doug
Tielli, voire le très humoristique Am I Lovely?, où la guitare distordue
d'Eric Chenaux semble avoir trouvé son inspiration chez Eugene Chadbourne. Le
batteur Nick Fraser, quant à lui, signe trois pièces dans lesquelles est
parfois invoqué l'esprit de Monk ou de Mingus. Pour la créativité déployée ici,
on accorderait bien quatre étoiles, mais sa réalisation en mérite trois. Charles
Collard
Version française... |
|