Jazz
August 7, 2006
Une riche
histoire
S’il y a une musique qui résiste
à toute définition, c’est bien le jazz. Mais en dépit des innombrables
conjectures à son sujet, nul ne saurait nier que l’improvisation
en est l’élément constitutif essentiel. Plus que tout autre genre
musical en Occident, cet art de souche afro-américaine a redonné à
l’exécutant la capacité de créer son propre discours dans l’instant
plutôt que de reproduire celui d’un autre. Qu’on pense aux héros
du jazz (Armstrong, Hawkins, Parker et Coltrane, pour ne nommer que
les plus grands), et leur réputation est redevable à leurs exploits
de soliste. Mais à l’envers de cette médaille, il existe une face
qui n’est pas dénuée d’éclat : celle de la composition.
Dès ses premiers balbutiements,
le jazz puisait dans un répertoire de chansons populaires, qui servaient
de tremplin à l’improvisation. En fait, la plupart des musiciens
de jazz dit « classique » préféraient broder des variations sur
le vif sur des mélodies bien connues plutôt que de composer leurs
propres morceaux. Cela n’en a pas empêché quelques-uns d’entretenir
des ambitions de compositeur. Pionnier à ce titre, Jelly Roll Morton
s’est servi d’éléments du ragtime, des musiques classiques légères,
du blues, même de la musique latine, pour concevoir des pièces très
formelles, quoique assez rudimentaires d’un point de vue harmonique.
L’improvisation, en revanche, occupait un rôle secondaire, reléguée
le plus souvent dans des petits interludes de transition entre les différentes
sections (ou break, pour employer le terme consacré).
Avec l’arrivée sur scène des
premiers solistes dans les années 20, l’approche plus formelle de
Morton a passé de mode, mais l’écriture a continué d’évoluer,
marquée de façon déterminante par l’arrivée de Duke Ellington.
Reconnu à juste titre comme le premier grand compositeur du jazz, il
disposait d’un orchestre d’une quinzaine de musiciens, ce qui lui
permettait d’expérimenter, tant sur le plan harmonique qu’orchestral.
Mais à la différence de Morton, Duke a respecté les formes plus communes
de 12 mesures dans le blues ou de 32 dans les pièces populaires. Et
même lorsqu’il se lançait dans des projets plus ambitieux (la suite
Black, Brown and Beige, par exemple), le produit final était
le résultat d’un rapiéçage de morceaux individuels et non la conception
d’une plus large forme à la manière des symphonies ou des concertos
classiques. L’histoire ellingtonienne a toutefois été marquée par
l’arrivée, en 1939, d’un autre pianiste, de surcroît compositeur-arrangeur
doué, Billy Strayhorn, dont l’influence n’a pas été sans affecter
le travail de son illustre employeur. (Voir article à la page suivante.)
À la même époque, le phénomène
des big bands battait son plein. Si les grandes formations sont un terrain
tout désigné pour la composition, ce ne sont pas tant les compositeurs
que les arrangeurs qui ont été valorisés à cette époque. Engagés
par des chefs d’orchestre désireux de se donner une signature musicale
propre, ces scribes (souvent mal connus du public) étaient plus souvent
appelés à adapter des succès de l’heure qu’à créer des œuvres
originales. Tout compte fait, le jazz a eu comme effet de scinder les
fonctions de compositeur et d’arrangeur en deux facettes distinctes.
De Don Redman à Vince Mendoza en passant par Gil Evans, il ne manque
pas de ces artisans qui ont su poser leur griffe sur les matériaux
musicaux les plus divers.
La composition jazzistique, pour
sa part, a commencé à vraiment prendre son essor avec la venue du
bop. L’arrivée de Charlie Parker a été déterminante, mais avec
Dizzy Gillespie et Bud Powell le corpus musical s’est étiolé et
l’écriture a été réduite le plus souvent à la seule ligne mélodique
avec un chiffrage d’accords donnés pour l’accompagnement. Cette
approche plus sommaire donne alors l’occasion à tous les musiciens
de passer pour « compositeur », même si la plupart d’entre eux ne
sont que des bricoleurs de thèmes. Mais comme le bop était une
musique d’improvisation de haute voltige livrée surtout en petites
formations, l’écriture n’était qu’un tremplin à l’exécution.
Néanmoins, deux compositeurs singuliers se manifestent dans la période
de l’après-guerre : Bob Graettinger et George Russell. Arrangeur à
l’emploi du big band de Stan Kenton, le premier a composé, en 1947,
l’étonnante pièce City of Glass, oeuvre sans improvisation
et d’une facture inouïe pour le jazz. Quant au second, on le considère
comme le seul jazzman ayant formulé un concept théorique musicologique
original, soit sa théorie d’organisation tonale lydienne, une dissertation
doctorale maintes fois rééditée et qu’il a enseignée au New England
Conservatory pendant de longues années.
Depuis, d’autres compositeurs
de jazz doués de visions originales se sont détachés du lot, Thelonious
Monk et Charles Mingus en tête de liste, mais aussi Sun Ra, Steve Lacy,
Andrew Hill (voir article à la page suivante) Carla Bley, Anthony Braxton.
Outre-Atlantique, de fortes pointures ont aussi émergé, parmi lesquelles
Alexander von Schlippenbach, Barry Guy, Kenny Wheeler (Canadien de naissance)
et Franz Koglmann.
Billy Strayhorn
seul ou avec Duke?
Félix-Antoine Hamel
Dans son essai Les mondes du
jazz, André Hodeir, pionnier de la critique analytique en jazz,
consacre une section à « celui qui écrit le jazz ». Il insiste sur
l’importance de distinguer, lorsque l’on parle de cette musique,
l’auteur de thème (qui fournit une mélodie à un cadre bien défini),
l’arrangeur (qui organise un matériau musical préexistant) et le
compositeur (qui crée une œuvre originale, dont il est l’auteur
complet). Cependant, certains musiciens peuvent cumuler ces fonctions,
et Billy Strayhorn est peut-être l’exemple modèle de « celui qui
écri(vai)t le jazz ».
Engagé à vingt-trois ans comme
arrangeur par Duke Ellington, Strayhorn a passé près de 30 ans dans
l’orbite du maestro, ce qui lui fournissait un laboratoire permanent
de création, mais ne lui donnait pas souvent l’occasion d’occuper
l’avant-scène. Il en a résulté que son œuvre et celle d’Ellington
sont, encore aujourd’hui, étroitement associées, et que le mythe
de symbiose entre les deux compositeurs se perpétue.
En lisant l’ouvrage (non traduit
en français) du musicologue néerlandais Walter van de Leur, Something
to Live For : The Music of Billy Strayhorn, on découvre toutefois
une vision différente dans l’œuvre de Strayhorn. Très bien documenté
et travaillant à partir de manuscrits des collections Strayhorn et
Ellington, l’auteur analyse dans le détail certaines partitions marquantes,
tentant de mettre le doigt sur les différences entre les deux compositeurs
et de démystifier leur relation musicale. Avec ce but déclaré, on
aurait souhaité voir quelques analyses comparatives entre des œuvres
contemporaines ou semblables des deux compositeurs, mais le travail
du Duke n’est qu’effleuré. Malgré tout, le livre jette une lumière
nouvelle sur leurs techniques de composition, notamment en ce qui a
trait à leurs œuvres communes. L’auteur consacre également d’importantes
sections de son ouvrage à la période de jeunesse de Strayhorn (lorsqu’il
était étudiant à Pittsburgh), à ses activités en-dehors de l’organisation
ellingtonienne et à certaines œuvres inédites, qui ne furent découvertes
et enregistrées que récemment.
Côté discographique, et par-delà
le grand nombre d’enregistrements gravés par Ellington entre 1939
et 1967, on peut rechercher deux collections d’inédits parues sous
le nom de Strayhorn, l’une chez Red Baron (« Lush Life »), l’autre
chez Storyville (« Piano Passion »). Sous le nom de Strayhorn et de
Johnny Hodges, chez Lone Hill, « The Stanley Dance Sessions » réédite
deux albums de 1959-61. Parmi les hommages, en plus de l’incontournable
« And His Mother Called Him Bill » d’Ellington (RCA,
1967), mentionnons ceux d’Art Farmer (« Something to Live
For » chez Contemporary, 1987) et de Joe Henderson (« Lush Life :
the Music of Billy Strayhorn », chez Verve, 1991). Pour arrondir le
tout, trois disques du Dutch Jazz Orchestra, sur étiquette Challenge,
permettent de découvrir des œuvres inédites de Strayhorn : « Portrait
of a Silk Thread, « So This is Love» et « Something to Live For. »
Andrew
Hill Explaining the Past and Suggesting the Future
Paul Serralheiro
Andrew Hill is a pianist/composer
whose distinct work is not widely known but well worth discovering.
His excellent recent Blue Note release, “Time Lines,“ is a good
place to start. It contains all the trademarks of the Hill style: odd
time signatures, quirky horn voicings, long, multi-segmented melodic
lines and a harmonic language that, although by no means “out,”
stretches the boundaries of familiar tonal structures.
Born in Chicago in 1937, Hill played
with the likes of Charlie Parker, Miles Davis and Johnny Griffin while
still a teenager. He was a sideman on a number of other people’s recordings,
including Roland Kirk and Sam Rivers, exhibiting a remarkable eclecticism.
His first date as a leader came in 1955 in a trio with bassist Malachi
Favors and James Slaughter on drums. His Blue Note debut, a label he
has recorded for at three different periods in his life, came in 1963
on Joe Henderson’s “Our Thing.“ The early 60s recordings, of which
there were several, featured Hill alongside some of the best and most
adventurous improvisers, people like Eric Dolphy, John Gilmore, Joe
Henderson and Tony Williams. The most remarkable of the early music
was captured on “Point of Departure,“ which contains the necessary
ingredients for a great session: strong vehicles and inspired, skilled
players, with Dolphy and Henderson both in top form.
In the notes to the 1963 “Black
Fire,“ Hill’s first Blue Note disc as a leader of the talented Henderson,
Richard Davis (bassist) and Roy Haynes (drummer), the distinguished
writer A.B. Spellman wrote of the group that “they explain the past
and suggest the future.” Hill was characterized by many as a second
wave avant-gardist, an assessment challenged however by Leonard Feather
who saw him as planted in the tradition. A meticulous explorer of compositional
techniques, Hill is just as likely to throw all premeditation to the
winds and improvise a whole solo performance. Daring and craft are twin
qualities that entwine throughout his oeuvre, contrasting features that
are captured notably on the Palmetto release “Dusk“ (2000), clearly
one of Hill’s best discs.
Earning a Doctorate in Music in
the early 1970s, this one time student of Hindemith moved to the West
Coast and taught music in prisons and public schools, keeping a low
profile well into the 80s, while recording for independent labels such
as Soul Note and Steeplechase. But his status as an important composer
was not diminished and a number of musicians have paid tribute to Hill,
either in word or deed (e.g. Anthony Braxton’s millennium year release
“Nine Compositions“).
Since his return to Blue Note last
year, we can hear the distillation of a lifetime of unique music-making.
“Time Lines,“ which also features Greg Tardy on reeds, trumpeter
Charles Tolliver, bassist John Hebert and drummer Eric McPherson, exhibits
all the Hillian traits mentioned above, with an added mellowness. Although
one might surmise that this is the result of the pianist’s advancing
age, mellowness has been there all along, even in his earlier and more
heated work.
John Lewis
du baroque au troisième courant
Né il y a un demi-siècle, le
mouvement Third Stream a donné de beaux espoirs à ceux qui
souhaitaient marier l’improvisation jazz à la composition classique.
Alors que le compositeur et musicologue américain Gunther Schuller
en était le principal porte-parole, le pianiste John Lewis était son
plus distingué représentant. Fondateur dans les années 50 du célèbre
Modern Jazz Quartet (MJQ), ce dernier chercha à réconcilier ces genres
en se servant de toute la palette des instruments de la tradition européenne.
En 1956, les disques Columbia ont publié un album intitulé « Music
For Brass », qui contient les premiers travaux significatifs du mouvement,
suivi, un an plus tard, par « Modern Jazz Concert » (ce dernier titre
réédité en bonne partie dans la compilation numérisée de 1996 « The
Birth of the Third Stream »).
Réunir des œuvres de compositeurs
aux tempéraments très différents relevait d’une gageure artistique
et commerciale, mais cette tentative a suscité bien des remous dans
le monde du jazz, qui valorisait l’exécutant avant l’œuvre. Et
pourtant... Charlie Parker avait exprimé le vœu d’étudier avec
Edgar Varèse. Dans les années 20, Paul Whiteman a proposé son « jazz
symphonique », alors que Stan Kenton s’est lancé dans l’aventure
désastreuse du Neophonic Orchestra en 1949-1950; d’autres, comme
Shorty Rogers et Jimmy Giuffre, ont à leur tour tenté d’inventer
quelque chose ressemblant à ce troisième courant sur la côte Ouest
américaine des années 50. En dépit de ces essais, les principaux
représentants du « troisième courant » ont été conspués pour un
« esthétisme », contraire à l’idée même du jazz. Seuls des brouillons
d’œuvres (souvent inabouties) restent de cette époque. En revanche,
Three Little feelings de John Lewis atteint un plein équilibre.
« Jazz Abstractions », produit par Lewis et arrangé par Schuller, avec
Ornette Coleman et Eric Dolphy en solistes, laissait deviner certains
développements à venir.
Lewis est resté un rêveur acharné,
habité autant par le contrepoint de Bach que par la tradition baroque.
Neuf ans avant sa mort, en 1992, le quarantième anniversaire du MJQ
avait été célébré un peu partout dans le monde. Un film de concert,
réalisé à Stuttgart avec cette formation et un orchestre de chambre,
illustre parfaitement cette esthétique, version originale. Mais ce
pianiste ne se limitait pas à cette seule démarche : il s’adonnait
aussi à la jouissance de la note bleue, un exemple à ce titre étant
le disque « Grand Encounter », reprise de deux disques des années 50.
La première séance, enregistrée sur la Côte Ouest en 1956, offre
les plus beaux moments, Lewis étant accompagné de Jim Hall, Percy
Heath, Chico Hamilton et Bill Perkins. La seconde moitié, datant de
1957, est un bop plus routinier interprété par Dizzy Gillespie, Sonny
Stitt, Charli Persip, Percy Heath ou Skeeter Best (selon les plages).
Pistes d’écoute
The Birth of The Third Stream
Columbia Legacy CK 64929
John Lewis Presents Jazz Abstractions
Atlantic 1365 CD
John Lewis West Coast – East Coast
Encounter
Gambit Records 69209
The Modern Jazz Quartet: 40th Anniversary
Tour
TDK DVWW-JMJ 40 (DVD)
Au rayon du disque / Off the Record
>
British Corner
Généralement méconnu chez nous, le
jazz britannique a pourtant une longue histoire, remontant aux passage
des premiers pionniers américains (Original Dixieland Jazz Band, Sidney
Béchet…). Bien qu’à la remorque de styles plus traditionnels pendant
de nombreuses décennies, une musique plus libertaire se manifeste dans
ce pays depuis près de 40 ans déjà. Dans les lignes qui suivent,
il sera surtout question de documents inédits des années 70, publiés
pour la plupart par le label américain Cuneiform. Mais commençons
d’abord par une actualité. MC
Mujician : There’s No Going Back
Now
Cuneiform Records Rune 232
HHHHHI
Après quelque 20 ans d’activités,
le quartette Mujician se retrouve ici au sommet de son art dans cette
nouveauté. Album constitué d’une seule pièce de 45 minutes, cet
enregistrement fait résonner l’art du Free Jazz aux couleurs britanniques,
art à la fois incisif et lumineux. Au-delà de la maturité, c’est
la cohérence d’un univers musical qui s’affirme avec un souci de
lisibilité propre à séduire bien des publics. Parfois explosive,
mais surtout jubilatoire, cette musique n’est ni sévère, ni austère,
mais construite avec brio. Le pianiste Keith Tippett est passé par
la pop britannique d’avant-garde (King Crimson et Robert Fripp) avant
se tourner vers le jazz actuel. Son piano préparé crée des climats
de fluidité étonnante rappelant les audaces de Cage. Saluons aussi
le saxophoniste (ténor et soprano) Paul Dunmall, qui se montre de bout
en bout fulgurant, le bassiste Paul Rogers et le batteur Tony Levin.
Tout le monde comprendra que l’on tient là un CD de Free Jazz des
plus séduisants. CC
John Surman: Way Back When
Cuneiform Records Rune 200
HHHHII
This previously unissued quartet/quintet
date is a nice blast from the past. Baritone saxophonist John Surman,
all of 25 at the time (1969), convened some of his friends for a session
just before moving from Britain to the continent. Heard here are pianist
John Taylor, playing electric keyboard, bassist Brian Odgers, John Marshall
and, on two tracks, the sadly vanished altoist Mike Osborne. For years,
only a few test pressings were available as the master tape went missing
till recently. While the music is dated, the leader’s spirited solos
make up for wrinkles. On soprano sax, he careens on the first four tracks,
creating a kind of suite that gives its title to this record. On the
two longer tracks (with Osborne), Surman shows his extraordinary command
of the bigger horn, clearly reaffirming his position as a master of
that axe. For that reason alone, this disc merits four stars, but because
three of the suite’s parts are really alternate takes of the same
tune, I give it three and a half. MC
Soft Machine:Grides
Cuneiform Record Rune 230/231
HHHHII
Formed in the mid-1960s in Canterbury,
Soft Machine became an innovator in the emerging English underground,
hitting its stride as a jazz-rock fusion outfit in 1969 when it morphed
into the quartet of saxophonist Elton Dean (who died in February of
this year), keyboardist Mike Ratledge, electric bassist Hugh Hopper
and drummer Robert Wyatt. The quartet lasted only a couple of years
but honed itself on stage into a tight telepathic unit. Proof of this
are two hitherto unissued live performances, the first in Amsterdam
in October of 1970 and a BBC broadcast of a German concert a year later
(available here on CD and DVD respectively). These sets were made at
the height of a period when classical, jazz, and R’n’B were all
churned together with a good dose of improvisation. Dionysian rhythmic
abandon is clearly the driving force, but we also get intricately composed,
multi-textured thematic modules in tunes like “Facelift,” “Neo-Caliban
Grides” and “Teeth.” The unique sound of the group (with processed
sax, electric keyboards, fuzz bass and very creative drumming) includes
melismatic meanderings reminiscent of Indian Ragas and Coltrane’s
work. This newly available material rewards re-listening, for it is
a document of ecstatic and thrilling playing. PS
Harry Miller’s Isipingo : Which Way
Now
Cuneiform Rune 233
HHHHII
Parmi les récents inédits du jazz britannique,
cette généreuse surface de 75 minutes capte un groupe plutôt éphémère
des années 70. Dirigé par le regretté bassiste sud-africain Harry
Miller, le sextette Isipingo (dont le nom provient d’un lieu situé
dans ce lointain pays) regroupe plusieurs des fortes pointures de la
scène d’un jazz situé à la charnière du hard bop et du free. En
quatre plages seulement (une captation moins qu’idéale de la radio
d’État à Brème en Allemagne), cet ensemble joue un répertoire
du bassiste (qui, ironiquement, est le plus mal servi par la prise sonore).
Ses compagnons de route comptent parmi les meilleurs, soit Mike Osborne
(oscillant entre Parker et Ornette), Nick Evans au trombone, Mongezi
Feza à la trompette (mort six semaines après cette séance du 20 novembre
1975), Louis Moholo à la batterie et Keith Tippett (rappelant parfois
McCoy Tyner, parfois Cecil Taylor). Musicalement, cela est inscrit dans
la formule traditionnelle, thème-solos-thème, mais tous les musiciens
sont en grande forme et se donnent pleinement avec des solos généreux.
Pour un jazz vigoureux, quoiqu’un peu daté, cette surface tient quand
même bien la route après plus de 30 ans. MC
Louis Moholo-Moholo : Bra Louis
– Bra Tebs/Spirits Rejoice!
Ogun OGCD 017/018
HHHHII
Dernier survivant de la légendaire formation
les Blue Notes, quintette sud-africain mixte qui émigra à Londres
au milieu des années 60, Louis Moholo – ou Moholo-Moholo, comme il
se fait maintenant appeler – demeure l’un des batteurs essentiels
de la musique improvisée; preuve à l’appui, cette parution assez
récente nous permet d’apprécier son travail. Cette double offrande
regroupe deux séances, la première (« Spirits Rejoice! ») parue sous
son nom en 1978. Il s’est retrouvé pour l’occasion avec sept autres
confrères, dont Evan Parker (saxo ténor), Kenny Wheeler (trompette),
Keith Tippett (piano), deux trombonistes (Nick Evans et Radu Malfatti)
et deux contrebassistes (Harry Miller et Johnny Dyani, compatriotes
du batteur). Album classique dans le genre, il conjugue avec bonheur
les thèmes sud-africains accrocheurs et l’improvisation la plus percutante.
Près de 17 ans plus tard, le batteur dirige, dans le second disque,
un septuor nommé Viva la Black. Bien que n’ayant pas l’urgence
de « Spirits Rejoice! », « Bra Louis – Bra Tebs » bénéficie tout
de même de la présence du saxophoniste hollandais Toby Delius, du
trompettiste Claude Deppa et d’une chanteuse originale, la martiniquaise
Francine Luce. FAH |
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