Jinjoo Cho : Rouge feu Par Lucie Renaud
/ 6 août 2006
L’ardeur, la rapidité extrême
de l’articulation et la technique colossale de la torride interprétation
de Jinjoo Cho du « Burlesque » du Premier Concerto de Chostakovitch
ont fait lever la foule. Quelques instants auparavant, cependant, c’est
par les émotions qu’elle avait saisi le public; l’intensité de
sa cadence, en apparence suspendue, l’ayant ensorcelé. Quelques heures
plus tard, quand elle a reçu le Premier Grand Prix du Concours Musical
International de Montréal (elle devait également remporter le Prix
du public), Jinjoo a ressenti à son tour une grande charge émotive
puis, en un demi-soupir à peine, elle est redevenue une adolescente
de 17 ans renversée par les événements. Ses intentions étaient claires
: téléphoner à sa mère en Corée et faire la fête !
Ce concerto – qui lui a aussi
permis de remporter le Stulberg International String Competition en
2005 – occupe une place de tout premier choix dans le cœur de Jinjoo
: « Il fait ressurgir plusieurs émotions quand je l’interprète.
C’est ce même concerto que j’ai joué lorsque j’ai rencontré
M. Kantor pour la première fois lors d’un cours de maître à Aspen
(sous le charme, elle a quitté la Corée il y a quatre ans pour aller
étudier avec Paul Kantor au Cleveland Institute of Music) et il évoque
beaucoup de choses pour moi. Il démontre à la fois la virtuosité
et la musicalité du violoniste et c’est une œuvre très émotive
et passionnée. »
Cette tension entre deux pôles
semble être représentative de la perception qu’elle entretient d’elle-même
en tant que violoniste. « Je me sens un petit peu bipolaire, explique-t-elle
en riant. Je suis sujette à des changements rapides et émotifs. Je
peux être furieuse un instant et extrêmement joyeuse le suivant. Je
pense que cette aptitude m’aide vraiment quand il s’agit de changer
d’état d’esprit rapidement en musique. J’ai tendance à privilégier
les émotions extrêmes et, en tant qu’artiste, c’est un plus. Il
peut être difficile de transposer dans un instrument des émotions
précises et de les transmettre au public. La musique en général est
une expérience intense pour moi, que ce soit lorsque je joue comme
soliste avec un orchestre, fais de la musique de chambre avec mon superbe
quatuor, joue dans l’orchestre Le Sacre du printemps, reçois
des leçons ou interprète des sonates avec mes nombreux amis pianistes…
Toutes ces expériences sont très intenses et me procurent un énorme
plaisir. Avec la musique, toute parole est superflue. »
Elle a déjà joué sous la direction
de chefs tels que Peter Oundjian, Steven Smith et James Gaffigan, avec
le Cleveland Orchestra, le Cleveland Orchestra Youth Orchestra, le Cleveland
Institute of Music Orchestra, l’Orchestre philharmonique de Séoul,
l’Aspen Orchestra et maintenant avec l’OSM. Jinjoo est aussi très
active en tant que récitaliste. De plus, elle occupe le poste de premier
violon solo du Cleveland Orchestra Youth Orchestra et reste une chambriste
convaincue. Elle est d’ailleurs membre du Wo-Men String Quartet, quatuor
qui a remporté le Ohio Orchestra & String Teachers Association
Chamber Music Competition.
En examinant cette liste, on serait
porté à croire qu’elle consacre tout son temps à travailler dans
son studio et qu’elle n’a aucune vie personnelle. Énorme erreur
de perception. « Je suis estomaquée d’apprendre combien de temps
certains musiciens passent à s’exercer, s’exclame-t-elle. J’ai
des phases : parfois, pendant des jours entiers, je travaille très
peu puis, tout à coup, mes heures à l’instrument deviennent intensives.
En été, par exemple, je peux travailler de six à huit heures par
jour (elle passera l’été à Aspen pour une sixième année consécutive).
Je ne cesse toutefois jamais de jouer du violon, même quand je ne suis
pas en train de travailler. Que je crée une nouvelle œuvre, que je
joue dans l’orchestre ou que je fasse de la musique de chambre, je
ne crois pas à la nécessité de m’enfermer dans un studio! J’ai
besoin d’explorer le monde musical, d’assister à des concerts,
à des cours de maître. L’impact émotif est bien plus essentiel
pour moi que le travail. Cela me permet d’apprendre le langage musical
du violon. Quand on ne connaît pas la musique, la technique devient
10 fois plus difficile à maîtriser. »
Dans ses temps libres, elle nage,
lit (voracement), prend des cours de yoga, magasine, échange avec ses
amis. Elle admet sans hésiter succomber régulièrement au péché
de la gourmandise (elle semblait particulièrement ravie de son voyage
à Montréal de ce côté-là et mentionne notamment un somptueux repas
de homard !). Plus que tout, elle aime découvrir et apprendre de nouvelles
choses (elle parle déjà d’apprendre le français !). Ce sera probablement
avec cette passion débordante qu’elle conquerra le monde. n |
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