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La Scena Musicale - Vol. 11, No. 1

Des traditions qui se modernisent

Par Bruno Deschênes / 22 septembre 2005


L'expression « musique du monde » fait référence à ces musiques autres, aux origines traditionnelles, mais calquées sur la musique occidentale (World Beat), ou bien à des musiques typiquement traditionnelles (World Music). Cependant, l'utilisation du mot « traditionnelles » est équivoque. Autant en occident qu'ailleurs, les musiques traditionnelles sont idéalisées comme étant figées dans le temps, alors que la musique occidentale représente la modernité. De part et d'autre, ces musiques sont « romancisées1 » bien au-delà de ce qu'elles sont réellement. Le résultat de cette « romancisation » est que, à l'extérieur de l'Occident, les musiques traditionnelles tendent à disparaître ou à se diluer pour s'uniformiser sous le poids de l'Occident, alors qu'en Occident les musiques traditionnelles en viennent à définir une culture exotique figée dans le temps.

Du fait des contacts inévitables entre les cultures, aucune culture, aucune musique ne peut se maintenir à l'écart des infiuences, bien qu'une musique puisse évoluer très lentement, ou être maintenue scrupuleusement. En fait, le métissage musical s'est accru au xxe siècle. Un grand nombre de musiques qui sont considérées traditionnelles aujourd'hui ont vu le jour après la dernière guerre !

Les ensembles de percussion japonais, par exemple, n'existent que depuis le début des années 1950. Traditionnellement, on ne retrouvait que de petits ensembles de 3 à 4 musiciens. Pour les besoins d'un rituel religieux, un musicien jazz créa un ensemble plus large et donna alors le coup d'envoi à cette vogue. Il existe aujourd'hui plus de 8 000 ensembles au Japon et plus de 250 ailleurs dans le monde.

Le fiamenco espagnol possède cette aura « romancisée » d'une tradition figée. Le fiamenco, comme on le connaît aujourd'hui, a à peine 45 ans, bien que ses racines peuvent être retracées au xixe siècle. Tradition, oui !, mais renouvelée. Le gouvernement espagnol l'a largement modifié au début des années 1960 pour attirer les touristes en Espagne.

La polyphonie corse est une autre de ces musiques qui a subi de profonds changements dans les années 1970 et 1980, dont le plus grand bouleversement est que les femmes y participent. Auparavant, seulement les hommes chantaient entre eux. Il s'avère que c'est grâce à ces chœurs mixtes que ces polyphonies ont été connues en dehors de la Corse.

Par son attitude face à ces traditions modernisées, l'homme démontre une tendance naïve à idéaliser ou à « romanciser » ce qu'il considère exotique, séduisant et hors du commun. Aujourd'hui, tout ce qui est traditionnel est exotique, et les musiques du monde subissent le contrecoup de cette « romancisation », lesmédias occidentaux les entretiennent ouvertement; et ce sont eux qui définissent en grande partie ce qu'est la « culture ». En fait, le métissage et les échanges culturels sous toutes leurs formes font partie intégrante de l'évolution humaine. Ce ne sont pas les traditions qui sont figées dans le temps, mais ce que l'homme en fait, et mon objectif est justement de vous présenter ces traditions vivantes. *

1.On retrouve en anglais un mot inexistant en français, plus approprié que « idéalisation » : « To romanticize » signifie interpréter d'une façon idéaliste, irréaliste et trompeuse; un phénomène est alors perçu comme étant plus que ce qu'il est réellement, tout en ignorant la réalité des faits. Une traduction potentielle serait: « romanciser », que j'utilise ici.

Recensions
Manouche : St-Urbain Café
Manouche (68 min 17 s)
***** $$$$

Il est fort intéressant de constater l'intérêt marqué des Québécois à l'égard des musiques gitane, tzigane ou manouche. Le groupe Manouche est un bon exemple de cet intérêt. Contrairement aux autres groupes gitans, cependant, qui incorporent au moins un musicien d'origine gitane, Manouche n'est formé que de musiciens québécois. Le groupe a été formé en 1999 par des étudiants fraîchement sortis d'écoles de musique. Il lança son premier CD en 2002 et, le printemps dernier, un deuxième très attendu. Bien qu'ils ne soient pas gitans d'origine proprement dite, ils ont tous su s'imprégner de cet esprit si particulier. À l'écoute de ce deuxième CD, je remarque immédiatement une évolution comparativement au premier. Ce nouvel album est plus festif, plus enjoué ; non pas que le précédent ne l'était pas, mais plutôt que la maturité y laisse sa marque.

 

Trio Trad : Made in Belgium
Wild Boar Music, WBM 21055 (49 min 13 s)
***** $$$$

Le groupe belge Trio Trad est une de mes belles découvertes de l'année. Trois excellents musiciens qui nous remplissent les oreilles comme un orchestre symphonique. On y entend du violon, de l'alto, de la cornemuse et de l'accordéon diatonique. Formé il y a près de 6 ans, ils présentent ici leur deuxième disque. L'intérêt de ce groupe est qu'il pige dans les sources les plus diverses : suédoises, hongroises, auvergnates, irlandaises, des Balkans, des îles Hébrides et autres. La constance dans ce mélange multiculturel : leurs impeccables arrangements qui démontrent une grande sensibilité musicale. Ces chants et ces mélodies deviennent leur musique, telle une québécoise qui tricoterait un chandail avec de la laine venue d'Irlande. L'analogie est saugrenue, j'en conviens, mais elle indique le fait que, par ces arrangements, ces mélodies débordent de leurs origines pour la musique du trio, et quelle musique !


(c) La Scena Musicale 2002