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La Scena Musicale - Vol. 10, No. 8

Natalie Choquette : L’enfance de l’art

Par Réjean Beaucage / 14 mai 2005

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Lorsqu’une porte se referme, une autre s’ouvre – voilà qui est certes vrai dans le cas de la soprano Natalie Choquette. C’est une audition manquée pour l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal à la fin des années 80 qui lui a offert l’occasion de se recentrer sur sa véritable personnalité musicale. Aujourd’hui très connue pour son mélange de chant opératique et d’humour, la soprano Natalie Choquette a acquis une popularité plus qu’enviable ces dernières années. Ses divers personnages de diva (Natalie Lipons, La Fettucini, La Castafiore, Chiquita Choquetta, etc.) connaissent autant de succès où qu’elle les présente. Entre le théâtre et l’opéra, et incluant beaucoup d’humour et de fantaisie, le choix de Natalie Choquette était osé. Unissant sur une même scène les deux bouts du spectre culturel, la chanteuse risquait de s’aliéner autant les puristes de l’opéra que les strictes amateurs d’humour. Cependant, elle a gagné son pari et l’on s’aperçoit rétrospectivement que ce choix n’en était un qu’à moitié, puisque la chanteuse a simplement accepté de laisser s’exprimer ses aspirations les plus profondes en utilisant les expériences accumulées tout au long de sa vie.

La Scena Musicale a rencontré Natalie Choquette afin de tracer le parcours des différentes influences qui l’ont menée à mettre au monde les drôles de personnages qu’elle trimballe dans ses malles, de l’Amérique du Sud aux Pays-Bas et du Japon à l’Allemagne.

L’enfance de Natalie Choquette a été marquée par les fréquents déplacements de ses parents diplomates. Née à Tokyo, elle y restera jusqu’à 18 mois avant de revenir au Canada, à Ottawa, où elle séjourne jusqu’à l’âge de 3 ans; de 3 à 6 ans, elle est au Pérou, à Lima, où débute son éducation scolaire; elle la poursuivra de 6 ans et demi à 9 à Boston, puis de 9 à 13 ans à Rome, et de 13 à 16 ans à Montréal, avant de s’établir à Moscou jusqu’à 17 ans et de revenir à Montréal pour compléter son Baccalauréat français au Collège Marie de France (où elle se produira ce 9 mai au profit de la Fondation du Collège international Marie de France)… On ne s’étonne pas de la voir aujourd’hui encore sillonnant la planète pour sa propre carrière. « C’est mon karma ! commente-t-elle en riant, et c’est sans doute pour ça que je suis très à l’aise avec les cultures différentes. »

C’est en Italie que la chanteuse sentira les premiers signes d’une vocation. « Mon père changeait de titre à chacune de ses affectations et à Rome, il était conseiller culturel de l’ambassade du Canada. Nous avions donc plus que jamais l’occasion de voir des spectacles, mais il a toujours aimé la musique classique et ma mère s’adonne de son côté aux arts visuels, un talent dont a hérité ma soeur. On peut dire que j’ai certainement été exposée assez tôt aux plaisirs culturels. J’ajoute que mon père est une excellent conteur et que cela a eu une très grande influence dans ma vie, puisque nos constants déplacements avaient pour effet de resserrer le noyau familial. »

S’en étonnera-t-on, c’est d’abord le théâtre qui attire la jeune Natalie : « Lorsque j’étais toute jeune, ma mère m’emmenait au théâtre musical et j’étais fascinée par les personnages, les décors, la scène, etc. En Italie, plus tard, j’ai assisté à une représentation de Aïda, mais déjà d’entendre les Italiens chanter dans la rue et gesticuler dans le quotidien de façon tellement théâtrale m’avait fait ressentir un coup de foudre pour ce pays. De l’art partout ! Et l’expérience du son à l’opéra m’a complètement traversée. De plus, à l’époque, je rêvais de devenir vétérinaire, et dans Aïda il y avait sur scène des chameaux, des éléphants et des chevaux, c’était parfait pour moi, et ça semblait être amusant. Après Rome, mon père a été transféré au Vatican, et c’est là, bien sûr, que j’ai pris contact avec la musique sacrée, en particulier lors d’une messe de Noël célébrée par Paul vi. »

La construction de la chanteuse se poursuit à l’Institut Saint-Dominique, où elle peut suivre un enseignement en français, et aussi à travers la découverte du film The Sound of Music, qui lui donne comme l’opéra l’impression que plaisir et musique vont de paire; « Je voulais être tous les personnages du film ! Les enfants, Maria, le capitaine ! J’avais des cours de musique chez les Dominicaines, où il y avait bien sûr une chorale. J’adorais chanter ! Et on nous faisait évidemment découvrir Soeur Sourire et « Dominique, nique, nique », que j’ai tant chanté ! On y apprenait tout, et jusqu’à la grammaire, par des chansons. Ça a contribué à me donner l’impression que tout devenait plus naturel en passant par la musique. Enfin, lors de notre spectacle de fin d’année, on m’a distribué le rôle de la… Fée de la musique ! » Le retour à Montréal après cet enchantement en Italie sera dur : « Il a fallu m’arracher de ce paradis et je pense bien ne m’en être jamais remise complètement ! ».

À l’époque, Natalie Choquette tapotte déjà un peu le piano familial et elle s’empare également d’une guitare abandonnée par sa soeur. Elle chante des airs napolitains ou des chansons des Beatles en s’accompagnant à la guitare. C’est une de ses tantes qui recommande à ses parents, alors qu’elle a 15 ans, de l’inscrire à un cours de chant. Son premier professeur sera André-Paul Bourret, un alto. « Il habitait au nord de Montréal, se souvient-elle, et je mettais une heure et demi à m’y rendre, mais c’était le moment le plus important de ma semaine ! » Cependant, au bout d’un an, le père diplomate est appelé à Moscou… Moscou la grise, époque Brejnev, paranoïa et petits micros en prime (on est loin de Rome !). Nouveau professeur, donc, et nouvelle méthode, très physique (« elle parlait polonais, russe et allemand, tandis que moi je parlais français, anglais, italien et espagnol… Je devais enregistrer le cours et mon père me le traduisait le soir venu ! »). La vie culturelle de Moscou vaut tout de même le déplacement et la jeune étudiante en profitera largement (Boris Godounov au Bolshoï, je n’oublierai jamais ça ! »). Elle sent grandir en elle l’envie de participer à ces fabuleux rituels, mais elle trouve le décorum bien sérieux…

Retour au Québec, puis poursuite des études à l’Université de Montréal, où c’est Roland Richard qui lui enseigne le chant. « J’étais inscrite mais je n’avais aucune ambition de faire carrière et je n’ai jamais couru les auditions. Je n’en ai fait qu’une, pour l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal et j’ai détesté ça ! J’aime mieux chanter sous la douche que dans ces conditions-là. J’admire celles qui le font, mais il faut une autre personnalité. Je n’aime pas être jugée lorsque je chante, je le fais par plaisir et c’est ce que je veux transmettre. » À la sortie de l’université, beaucoup de contrats « alimentaires » l’amèneront à chanter dans les églises, à l’occasion de mariages ou d’autres célébrations. D’autres engagements, dont l’un dans un costume de clown, lui permettront de développer un talent d’animatrice de foule. La voilà dans les choeurs de l’Opéra de Montréal, pour… Aïda ! Puis elle tâte de la musique contemporaine pour la création d’une oeuvre de Marie Pelletier, et le mot se passe. Elle chante Reynald Arsenault (« Il m’a beaucoup aidé, se remémore-t-elle; il m’a fait chanter à Radio-Canada un Alléluia composé pour moi et je l’ai enfin enregistré sur mon dernier disque. Je suis tellement fière de le voir aux côtés de Bach et de Mozart ! ») et reçoit quelques bonnes critiques; les choses commencent à prendre forme. Le chef et compositeur suisse Pierre Huwiler, à la recherche d’une chanteuse possédant une technique solide, mais capable d’adopter un phrasé « pop », l’invite à chanter sa pièce Gottardo pour choeur, solistes et orchestre. Elle chantera aussi sa Missa Alba avec l’Orchestre de Montreux. Catapultée « chanteuse d’oratorios », Natalie Choquette reçoit de plus en plus d’invitations pour se produire en Suisse dans ce type de répertoire qui lui donne le trac. Après les concerts, avec musiciens et amis, la chanteuse ressort ses talents pour l’animation et son répertoire « de brunch » pour amuser la compagnie. C’est à l’invitation d’un collègue qu’elle montera avec ce répertoire allant de Puccini à Gilles Vigneault un spectacle de cabaret. Le mélange d’airs populaires et de grands airs du répertoire opératique recueille un grand succès.

De retour à Montréal en juin 1992, elle reçoit la confirmation de ses talents de « performeuse » en participant au spectacle Les muses au Musée, pour l’ouverture du Musée d’art contemporain de Montréal. Avec le rôle de « Muse de la pantomime » (!), elle réussit en improvisant (« avec l’énergie du désespoir ! ») à amuser le public au-delà de ses espérances. Ce ne sera pas la dernière fois ! Ses diverses incarnations du personnage éternel de La Diva (près d’une centaine de personnages) ont depuis fait rire beaucoup d’amateurs d’opéra tout en faisant découvrir les grands airs à un vaste public.

Natalie Choquette est porte-parole de la première édition de l’International des choeurs du monde de Montréal (www.icmm.ca), un festival qui s’est donné pour mandat de faire la promotion du chant choral et dont elle faisait l’ouverture le 29 avril avec un concert présentant les oeuvres réunies sur son plus récent disque, Æterna (ISBA, ISB CD 5107). Cet enregistrement, réalisé par son conjoint, le contrebassiste Éric Lagacé, qui est aussi son directeur musical et arrangeur, ne s’inscrit pas dans la lignée des frasques de La Diva, mais est plutôt un témoignage de la chanteuse exprimant son amour pour la musique sacrée et, surtout, un disque produit au bénéfice de la Fondation québécoise du cancer, dont elle est porte-parole.

Elle participera également ce mois-ci à la première édition du festival montréalais Maestra (www.maestramusique.ca), entièrement consacré aux musiques des femmes, en assurant l’animation de son concert de clôture, le dimanche 8 mai à la salle Pierre-Mercure. La soirée, intitulée « Merci ma soeur ! », est un geste de reconnaissance envers les religieuses qui ont largement participé à l’éducation musicale de nombre d’artistes de chez nous. On pourra à cette occasion entendre plusieurs de leurs compositions et des surprises sont à prévoir. Les interprètes seront Alain Lefèvre, Louise Bessette, Lise Daoust, le Quatuor Claudel, Marie-Danièle Parent, Marie-Josée Simard et Laurence Lambert-Chan.


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