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La Scena Musicale - Vol. 10, No. 6

Regards sur la relève

Par Marc Chénard / 16 mars 2005


Plus que jamais, nos sociétés occidentales célèbrent la jeunesse en véhiculant une image plutôt idéalisée de celle-ci, glorifiée par exemple dans la publicité, le cas le plus patent. Le même phénomène se passe dans les arts. En musique, cette tendance se manifeste par le jeu pernicieux du vedettariat : que serait la musique pop sans les stars d'un soir? En musique classique, quoi de mieux que de rafler le premier prix d'un prestigieux concours (et d'avoir un beau look) pour être catapulté au rang des étoiles ?

Le jazz n'est pas non plus à l'abri de ce jeu qui, parfois, prend des allures messianiques. Inutile de revenir sur cette quête quasi obsessive du « nouveau Coltrane », pour reprendre le cas le plus classique. Mais ici comme ailleurs, c'est l'arbre qui cache la forêt. À part ceux qui ont la chance d'évoluer dans la Mecque qu'est New York et les quelques privilégiés qui ont une maison de disques assez puissante pour les pousser, les musiciens en début de carrière ne vivent pas une situation des plus enviables de nos jours.

Dans des centres plus petits, comme Montréal, la conjoncture jazzistique est pour le moins paradoxale. Pour une ville de grandeur moyenne, le bassin de talents n'est certes pas négligeable. Mais bien que cette communauté soit assez diversifiée, tant du côté anglophone que francophone, aussi bien dans le créneau plus traditionnel que dans celui des musiques improvisées, elle vivote en quelque sorte en raison d'un manque chronique de public. Toujours est-il que des mécanismes de financement public, tels les subventions et bourses des différents paliers gouvernementaux, contribuent à cette survie. D'où, bien sûr, l'éternel débat sur la validité de ces programmes publics.

Pour sa part, le bassiste électrique et leader du groupe IKS, Pierre-Alexandre Tremblay, tranche nettement la question : « Il y a trois domaines qui sont les piliers d'une société : la santé, l'éducation et la culture. Comme les deux premiers sont offerts gratuitement (du moins en large partie pour le second), pourquoi pas le troisième ? » Bien que seulement à l'orée de la trentaine, ce musicien peut compter parmi les « vétérans » de sa génération, puisque sa formation tourne depuis déjà près de huit ans. Quant à savoir si le Canada, ou plus précisément le Québec, est un milieu propice pour la relève, il est d'un avis mitigé. « D'une part, je dirais oui, puisque le milieu est stimulant. Et le moteur de cela, c'est la fragilité même de notre culture. D'autre part, c'est étouffant parce que les différents milieux sont cloisonnés, et pas juste en musique. Pourtant, tout le monde gagnerait à s'ouvrir davantage, tant ici qu'envers les gens de l'extérieur. »

Joel Prenovault, bassiste et l'un des nouveaux venus dans l'organisation du Off Festival de Jazz depuis l'an dernier, abonde dans le même sens. « Les gens du jazz bénéficieraient de voir ce qui se passe dans d'autres milieux, comme le théâtre ou encore le circuit du rock alternatif, qui se sont donné des structures. » Pour lui, il faut que cette musique ait une pertinence en-dehors des seuls publics spécialisés ou des milieux institutionnels. De manière générale, la situation lui paraît assez navrante et le défi est de taille, mais il croit que le Off a son rôle à jouer. « Cette année, justement, on veut mettre l'accent sur cette relève, mais aussi stimuler les rencontres entre les générations et avec des invités venus d'ailleurs. »

Le saxophoniste Phillipe Lauzier, qui a suivi une formation en composition classique avant de se tourner vers le jazz, croit que les appuis du secteur public se situent à mi-chemin entre notre voisin états-unien (où c'est moins que rien) et l'Europe (où c'est la manne... toute proportion gardée). L'an dernier, il a fait paraître le premier disque de son « Ensemble en pièces » quintette qu'il dirige avec le pianiste Alexandre Grogg (disque chroniqué dans ces pages en octobre dernier). Pour lui, un des problèmes est que le marché de la musique mise bien plus sur son histoire que sur le présent. « Ce qui est difficile, poursuit-il, c'est qu'on encourage la tradition (du moins en jazz), mais moins la musique de création ». Et il en sait un petit peu là-dessus, puisqu'il a eu l'occasion de côtoyer de nombreux jeunes musiciens européens durant son séjour au Banff Music Centre l'an dernier. Fort de cette première expérience de travail avec des vis-à-vis de France, de Norvège et d'Allemagne, il renouvellera l'aventure au cours du mois de mars (voir encart ci-dessous). « Les pays nordiques, cite-t-il à titre d'exemple, misent beaucoup plus sur les nouvelles musiques que nous, et les musiciens de là-bas sont impressionnants. »

Quant à ces musiques du passé, n'oublions pas que le jazz a, en dépit de l'incertitude sur sa date exacte de naissance, franchi le cap des cent ans. Avec une si fulgurante évolution en si peu de temps, se peut-il que son héritage soit un fardeau lourd à porter pour la relève d'aujourd'hui? Lauzier et Prenovault préfèrent ne pas trop y penser, sinon cela les empêcherait de poursuivre leurs propres muses. Quant à Tremblay, ses études en musique électroacoustique le mènent vers un tout autre terrain et il sera en mars à Birmingham pour présenter une œuvre de cinquante minutes pour bande et batteur de free jazz. Intitulée La Rage (titre inspiré du roman de Louis Hamelin), cette œuvre constitue son travail de fin d'étude pour son doctorat en musique. On lui souhaite bon succès, tout comme aux autres artisans de la relève, sur lesquels ils faut compter pour contribuer à la vitalité et au développement des musiques d'aujourd'hui et de celles de demain.

Événement spécial

Pour voir cette relève en action, un concert spécial sera tenu au cours du mois de mars. Le mercredi 23 à 21 h à la Salla Rossa de la Casa del Popolo, le saxophoniste Phillipe Lauzier sera de retour d'une séance de travail de trois semaines à Banff avec quatre jeunes collègues européens : le trompettiste allemand Niels Ostendorf, le guitariste Kym Myhr et le tubiste Martin Taxt, tous deux Norvégiens, et le batteur français Toma Gouband. À cette occasion, cette jeune équipe présentera un programme de musiques originales qu'elle vient tout juste d'enregistrer durant son séjour albertain.

À la veille de ce concert, le 22, les personnes intéressées sont aussi conviées à assister à une table-ronde avec ces mêmes musiciens au local B-484 de la Faculté de musique de l'Université de Montréal, 220 ave Vincent-d'Indy. Intitulée « Nouvelles perspectives en jazz contemporain », cette discussion publique se déroulera à 17 h 30 et sera clôturée par un mini-concert aux alentours de 19 h.


(c) La Scena Musicale 2002