Un monde de musiques Par Bruno Deschênes
/ 15 février 2005
La
popularité des musiques du monde est indéniable. Débuté dans l'après-guerre, le
phénomène a éclaté vers 1980 avec le « World Beat », bien qu'on l'ai vu poindre
depuis l'après-guerre, et est maintenant un incontournable de notre paysage
musical contemporain. Autant elles sont influencées par la musique occidentale
sur laquelle elles calquent, autant elles influencent la nôtre par le nombre
croissant de musiciens occidentaux qui deviennent maîtres d'instruments aux
origines les plus diverses.
Comment définir la musique du monde ? Deux expressions
sont couramment utilisées en anglais : « World Beat » signifiant rythmes du
monde, et « World Music » signifiant musique du monde. Ces deux expressions
dénotent deux types de musique différents. Le « World Beat » est ce mouvement
de musique populaire aux couleurs locales du pays d'origine des musiciens qui a
pris naissance au début des années 1980. Celles-ci sont des musiques
nouvellement créées, métissées et calquées sur la musique populaire
occidentale. Pour sa part, l'expression « musique du monde » fait référence aux
musiques traditionnelles et classiques typiques d'une culture. Depuis quelque
temps, la distinction est dissoute : « musique du monde » en est venue à
désigner ces deux formes de musique pourtant distinctes.
Les musiques du monde sont généralement couvertes par
les critiques de musique populaire, leur propos étant principalement
anecdotiques. L'anecdotique peut être adéquat pour le « World Beat », mais
totalement inapproprié pour les musiques du monde, tels un groupe traditionnel
iranien ou un ensemble de Gamelan balinais. Ces musiques réclament de la part
du critique qu'il étudie, même partiellement, ces musiques pour qu'il appuie
pertinemment son propos. Si un critique de musique classique publie un article
sans avoir fait ses devoirs, il risque de se faire rabrouer. Les musiques du
monde traditionnelles et classiques nécessitent une démarche similaire si un
critique désire être pris au sérieux et informer pertinemment le lecteur.
Il semble y avoir encore un malaise à l'égard des
musiques du monde tant dans les médias, qui semblent les traiter un peu comme
des rejetons, que partout ailleurs. Elles sont encore marginalisées; on ne sait
trop quoi en dire. Les milieux académiques, outre l'ethnomusicologie, se
refusent encore à les reconnaître. Les paliers gouvernementaux octroyant des
bourses aux musiciens obligent les musiciens du monde à classer leur musique
comme musique populaire ; la distinction faite ici est toujours ignorée.
La nouvelle chaîne de Radio-Canada, Espace Musique,
semble prometteuse à cet égard. On peut entendre en semaine une émission de
musique du monde. Cependant, la seule vraie émission montréalaise de musiques
du monde, « Des musiques en mémoire », et son excellente animatrice ont été
malheureusement mises au rancart et ce, après 19 ans de loyaux services. Je
n'ai pas encore entendu à Espace Musique de shakuhachi japonais, de chants
tibétains ou autre vraie musique du monde traditionnelle. Il est erroné de dire
qu'Espace Musique présente une émission de musique du monde; on n'y entend
principalement que du « World Beat ».
Par le présent numéro, nous débutons ainsi une
nouvelle page mensuelle dédiée aux musiques du monde et qui, je l'espère, saura
plaire. Cependant, nous voulons surtout guider le lecteur de façon à ce qu'il
puisse approfondir sa connaissance et son appréciation de ces merveilleuses
musiques. J'y parlerai surtout de musiques du monde, mais à l'occasion de «
World Beat ». Nous parlerons de concerts, de festivals, de musiciens,
d'événements d'envergure, de musiques typiques, d'instruments, mais aussi
d'histoire, d'ethnomusicologie et de bien d'autres sujets tout aussi
captivants.
Strictly Mundial
Du 24 au 27 février 2005 aura lieu à Montréal un
événement encore inconnu du grand public qui démontre la vigueur et l'intérêt
croissant pour les musiques du monde : Strictly Mundial est un marché
international des musiques du monde qui est généralement organisé en Europe par
le Forum européen des musiques du monde. Depuis quelques années, les dirigeants
du FEMM ont établi un partenariat avec le North American Folk Music and Dance
Alliance et le Network of Cultural Centers of Color, permettant ainsi d'élargir
les horizons internationaux et l'ampleur de Strictly Mundial. En 2004,
l'événement avait lieu à San Diego, et en 2003 à Nashville; en 2006, il se
déroulera à Austin au Texas.
Comme l'indique Gilles Garand, le principal
organisateur de Montréal, l'événement est un lieu de rencontre où les
producteurs, les médias, les diffuseurs (salles de concerts, festivals,
universités) peuvent connaître de nouveaux talents en « World Beat », musique
du monde, musique « folk » (des chansons à texte et à engagement social) et
traditionnelle et ce, provenant de partout à travers le monde. Présenté au
Palais des Congrès et à l'Hôtel Regency Hyatt, nous y retrouverons une place du
marché international, un salon pour les exposants, une salle de spectacles et
un quadrilatère culturel où se donneront des ateliers, des conférences et des
forums d'échange. Des vitrines (ce qu'on appelle « showcases » en anglais)
seront présentées dans quelques autres salles, dont le Gésu, le Medley et le
Club Soda. Lors de ces vitrines, les producteurs et diffuseurs pourront
découvrir et apprécier de nombreux talents encore peu connus.
Nous y entendrons et verrons un peu de tout, autant
des spectacles de danse que de musiques métissées nouvellement créées, « folk »
et traditionnelles. Des artistes d'un peu partout à travers le monde auront la
chance de se faire voir et entendre. Ils viendront de Cuba, de France, de
Syrie, d'Haïti, d'Australie, de l'île de la Réunion, de l'Arménie, du Tchad et
de bien d'autres pays. Parmi les québécois, mentionnons La Volée d'Castors, La
Bottine Souriante, Le vent du nord, Lhasa, Monsieur Lambert et compagnie. Parmi
les autres Canadiens, y participeront Kiran Ahluwalia (musique d'origine
indienne), Shtreiml (musique klezmer) et plusieurs autres groupes.
Comme indiqué plus haut, les musiques du monde
semblent être encore marginalisées, à tout le moins ici au Québec. L'intérêt et
le rôle d'un tel événement est, je crois, justement de permettre aux médias et
à diverses institutions de réaliser que le milieu est vivant, vigoureux, rempli
de talents et, surtout, en pleine croissance ; une croissance qu'on ne peut
ignorer.
|
|