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La Scena Musicale - Vol. 10, No. 5

Jan Simons - Gagnant du prix Hommage 2005

Par Danielle Dubois / 15 février 2005

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Jan Simons était surpris d'apprendre que le Conseil d'administration du Conseil québecois de la musique l'avait choisi comme récipiendaire du prix Hommage. « Ce doit être pour ma longue association avec CAMMAC (Canadian Amateur Musicians Musiciens Amateurs du Canada) et pour mon enseignement», exprime Simons. Son impressionnante carrière comme interprète et professeur de chant en dit long sur le baryton naturalisé Canadien.

Né en Allemagne en 1925, Simons habite au Havre avec sa famille lorsque son père, craignant l'éclatement de la guerre, décide de quitter l'Europe pour les États-Unis. Or, le jour où il se présente à l'Ambassade américaine, il trouve ses portes barrées. Avec peu de temps à perdre, il fait ce que tout homme d'instinct aurait fait – il traverse la rue et entre à l'Ambassade canadienne. En mai 1939, la famille Simons débarque à Montréal.

Jan Simons se souvient bien de sa toute première prestation. C'était pendant la guerre et on lui avait demandé de chanter Land of Hope and Glory d'Elgar à l'assemblée de son école. Oscar Peterson l'accompagnait au piano. « Oscar n'était pas heureux d'avoir à lire de la musique », raconte Simons, qui se souvient d'avoir écouté le pianiste improviser pendant les heures de dîner à The High School of Montreal, aujourd'hui l'école FACE. Malgré une voix naturelle, Simons n'avait jusqu'alors jamais reçu d'éducation musicale, si on ne compte sa participation à des chorales et son apprentissage de la flûte à bec à son ancienne école du Havre. Il désire néanmoins poursuivre le chant et, après avoir complété son secondaire, il se rend à New York afin de passer des auditions avec différents professeurs de chant.

Simons étudie deux ans à New York avec Emilio de Gorgoza. Toutefois, la loi de 1948 sur la conscription convainc le jeune baryton qu'il est temps de rentrer au Canada, où il se mérite une bourse au Toronto Royal Conservatory of Music pour étudier avec Ernesto Vinci et Emmy Heim. Cette dernière eut, du point de vue musical, une grande influence sur Simons. « C'était une interprète profonde, dit-il. Peut-être est-ce la perte de deux enfants, morts de l'influenza, qui lui a donné sa profondeur, son intensité », exprime Simons, lui-même père de six enfants. « Ce que j'ai appris, je l'ai principalement appris par instinct, poursuit-il. Je suis sensible à ce que je fais et j'ai la chance d'avoir une bonne oreille. C'est vraiment ce qui compte le plus. »

« Les choses ont vraiment commencé à prendre leur envol à Toronto », affirme Simons, qui commence à cette époque à travailler pour les radios anglaise et française de Radio-Canada. C'est aussi pendant qu'il est étudiant à Toronto qu'il se lie d'amitié avec Glenn Gould. En 1950, les deux musiciens partagent un récital à Oshawa. Simons se souvient également d'avoir assisté à la performance de Gould du Concerto en ré mineur de Bach lors de l'Expo 58 tenue à Bruxelles. Lui-même y était en tant que membre de la Chorale Bach de Montréal. « Après le concert, Glenn m'a demandé si je pouvais porter son banc de piano. Fatigué d'avoir à arrêter chaque fois qu'on félicitait Glenn, j'ai continué seul jusqu'à la tente où l'ambassadeur à Bruxelles donnait une réception. Quand Glenn est arrivé quelques minutes plus tard, le portier ne voulait pas le laisser entrer. Comme d'habitude, il avait sur le dos son vieil imperméable sale et portait ses cheveux longs. Il avait l'air d'un vrai clochard. » Ce fut à Simons de réparer le tort.

Le plus inspirant de ses récitals a été son début avec Gerald Moore au Wigmore Hall à Londres. Reconnu pour être méchant avec les artistes qu'il n'aimait pas, Moore avait tout de même un faible pour les Canadiens. Les deux hommes se sont entendus dès le début. « Les répétitions m'ont apporté beaucoup de satisfaction », se souvient Simons. « Moore était très généreux de son temps et j'ai beaucoup appris. » Au programme ce soir-là: les Heine-Lieder du Schwanengesang de Schubert ainsi que le Dichterliebe de Schumann.

Aussi mémorable, un spectacle à guichet fermé au Philadelphia Academy en compagnie du Ballet national du Canada. Simons chante alors les Kindertotenlieder de Mahler pour le ballet d'Antony Tudor intitulé Dark Elegies. « Le jour avant le spectacle, j'étais debout sur la scène et je me sentais comme un nain – cet édifice est très haut. J'ai commencé mes vocalises et tout à coup, j'entends une voix derrière moi qui me dit : "Cette salle a la meilleure acoustique au monde. Pas besoin de forcer, on t'entendra." C'était le concierge et il avait bien raison. Ç'a été merveilleux de chanter dans cette salle », raconte Simons qui rit encore lorsqu'il se souvient des danseurs se moquant de son visage mal maquillé.

Des premières, il y en a eu plusieurs au cours de sa carrière : le rôle principal dans l'opéra In a Garden, dirigé par Pierre Mercure en 1952; un voyage au Japon avec le Bach Choir en 1961, où ses solos sont diffusés, en couleur, à la télévision japonaise.

Homme d'initiative, Simons fonde en 1955, avec Gordon Rye et Tom Brown, un chœur professionnel qui sera plus tard rebaptisé « Elmer Iseler Singers » en l'honneur de son chef. Cette même année, Simons se rend pour la première fois à CAMMAC. Longtemps professeur à ses camps d'été au lac Macdonald, Simons y occupe pendant 25 ans le poste de directeur général et artistique. Il y retourne chaque été pour donner des cours de chant et d'interprétation.

Simons n'hésite pas à dire que, de toute sa carrière musicale, c'est l'enseignement qui lui a apporté la plus grande satisfaction. Sa pédagogie est simple : « Revenir aux éléments de base. Je fais ça avec chaque élève, à chaque leçon. C'est le seul moyen de garder la voix en forme », maintient Simons, qui a toujours insisté sur l'importance de la diction.

Retraité de l'Université McGill depuis 1995, Simons continue à y enseigner 11 heures par semaine avec son complice, le pianiste Michael McMahon. À cela se rajoutent ses étudiants privés: amateurs, professionnels et chanteurs souffrant de problèmes de voix graves. « Une des choses les plus importantes dans l'enseignement, c'est d'être positif avec ses étudiants, même lorsqu'on ne croit pas qu'ils soient particulièrement talentueux. Si quelqu'un désire chanter, il y a toujours quelque chose là », dit l'optimiste Simons, à qui l'on avait dit qu'il n'aurait jamais une grande voix. Pour les débutants, Simons trouve que deux courtes sessions par semaine donnent un progrès plus rapide qu'une session plus longue – c'est ce qu'il appelle de la pratique supervisée.

L'attention que Simons porte à la personnalité de chacun de ses étudiants, ainsi que l'emphase qu'il met sur l'importance pour ceux-ci de développer leur propre voix, plutôt que d'imiter celles des autres, font de lui un professeur très en demande. « Je n'ai jamais été aussi occupé ! », s'exclame Simons qui compte Stephanie Marshall, Olivier Laquerre, Matthew White, Michelle Sutton, et Marie-Annick Béliveau parmi ses étudiants.

Simons ne prévoit aucun ralentissement de ses activités. « J'apprends toujours ! », déclare le professeur de 79 ans, qui entend faire profiter ses élèves de sa bonne oreille et son instinct pour un bon nombre d'années encore.


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(c) La Scena Musicale 2002