Espace musique
15 février 2005
Il
faut être prudent lorsque l'on compare les cotes d'écoute de l'ancienne chaîne
culturelle de Radio-Canada à ses derniers jours et celles d'Espace musique. Ne
l'oublions pas, la qualité de la chaîne culturelle baissait depuis longtemps
déjà et nombre de personnes m'ont avoué qu'elles avaient cessé de l'écouter
depuis trois ou quatre ans.
Quelle injustice pour les pionniers de cette chaîne
(Fernand Ouellette, André Major, Gilles Archambault), qui pendant des années
ont proposé de nombreuses émissions très riches en contenu (rappelons-nous par
exemple Les musiciens par eux-mêmes, une heure d'entrevue accordée
chaque semaine à un interprète important). Après avoir transformé la Chaîne
culturelle en fantôme de ce qu'elle était et avoir fait fuir beaucoup
d'auditeurs, on la pulvérise en douce pour la remplacer, à grand renfort de
publicité rose, par un espace musical tellement léger qu'il convient
parfaitement aux pharmacies et aux salles d'attente (mon dentiste est très
heureux). Vous croyez que j'exagère ? Sur le site Internet d'Espace musique,
l'animatrice chargée à elle seule de faire la revue de toutes les nouveautés en
musique classique se décrit comme « une petite fille gourmande qui a trouvé la
clef de la fromagerie » et Ginette Bellavance, capable de bien mieux pourtant à
la barre de son émission de musiques du monde, nous annonce qu'elle s'en
tiendra à quelques mots, « légers comme une plume de mésange » ! Comme si, en
matière de musique, seule comptait la diffusion. Mais qu'en est-il de la
réception ? À quoi bon tout ce répertoire varié si rien ou presque n'est
présenté et mis en contexte ? Qui invitera désormais un musicien classique, un
musicologue, un spécialiste des musiques ethniques ou folkloriques ? Sûrement
pas la Première chaîne (sauf quelques minutes rigolotes à Edgar Fruitier) !
Philippe Gervais, Montréal, 9 décembre 2004
Encore...
Plainte adressée à Monsieur Rabinovitch
Cher Monsieur,
Les cotes d'écoute publiées cette semaine confortent
certainement Radio-Canada dans sa nouvelle philosophie. Mais je persiste à
penser qu'Espace musique est une terrible défaite pour la culture, et pour la
population en général. À quoi sert de s'éduquer, à quoi sert la curiosité
intellectuelle, à quoi sert de former des compositeurs, des interprètes, des
auteurs, des philosophes, si il n'y a plus de lieu pour que la culture puisse
s'épanouir, prendre son envol ?
Le easy-listening, les chroniques d'humeur, le patchwork
musical dénué de sens, l'absence de réflexion intellectuelle me découragent
d'écouter Espace musique.
Y a-t-il encore de l'espoir pour l'effort et
l'intelligence, ou devrons-nous à jamais subir le nivellement par le bas imposé
par nos dirigeants ?
J'attends une réponse de votre part. Merci.
Lise Beauchamp, musicienne professionnelle, Montréal,
20 décembre 2004
Et encore...
Des lecteurs et lectrices de votre mensuel ont réagi à
la transformation du fm de Radio-Canada en Espace musique. J'aimerais à mon
tour vous livrer quelques commentaires sur ce qui s'avère être l'événement de
l'année à mon sens.
D'abord, Radio-Canada avait jusqu'à tout récemment une
fonction d'éducation et de formation du goût des gens. De plus, la radio d'État
pouvait compter sur une qualité d'animation qui faisait l'envie ou était
l'égale des autres grandes radios francophones du monde. Cependant, il y a
longtemps qu'est disparue la grande tradition des animateurs de Radio-Canada*.
Maintenant, la radio d'État est devenue une lamentable
petite radio dont l'« animation », notamment le matin, s'apparente à celle des
radios de gare. Et puis, nous sommes plongés ad nauseam dans les cross-over,
aussi toutes les musiques sont mises sur le même pied, quel que soit le moment
du jour. Pour se convaincre de l'effet pervers d'un tel concept, on n'a qu'à
écouter la station, en après-midi, et tout y est qui contribue à faire de
Radio-Canada ce que mes amis et moi avons rebaptisé sous le nom « Espace
merdique ».
Les hautes têtes de la radio d'État, dont je suspecte
le goût, sans parler de la formation, se targuent d'avoir trouvé la recette
gagnante, puisque les cotes d'écoute ont augmenté (voir les BBM de décembre) et
que l'ancienne radio ne plaisait qu'aux têtes blanches et aux édentés --
l'auditoire était majoritairement composé de gens de 55 ans et plus, paraît-il.
C'est sûr que si la radio d'État entend renier son souci d'instruire, de former
le goût et se met à la merci des sondages, elle ressemblera à sa congénère : la
télévision de Radio-Canada.
Enfin, avec son concept merdique, Radio-Canada
considère sans doute les francophones québécois comme un sous-peuple. N'empêche
qu'il convient de remercier Radio-Canada anglais de continuer à offrir au
Québec Radio Two sous une forme qui, curieusement, n'a pas été remaniée
pour s'adapter au goût du jour. En l'absence d'une vraie radio d'État, il est
besoin de rappeler le mot de Brassens : « On est tombés bien bas, bien bas ! »
Richard Bélanger, Québec, 28 décembre 2004
* Par grande tradition, j'entends celle instaurée par
des animateurs comme Raymond Charrette, Jean-Paul Nolet, André Hébert, Henri
Bergeron, Jean Deschamps et quelques autres. Par leur excellence, ils ont pavé
la voie à une autre génération, riche à sa manière, formée d'André Vigeant, de
Danielle Charbonneau, de Georges Nicholson, de Gilles Dupuis, pour ne nommer
que ces gens, qui ont donné à la chaîne une qualité dont on sentait jusqu'à
tout récemment encore l'empreinte.
NDLR : Devant l'ampleur de la réaction de ses lecteurs
suscitée par la transformation de la Chaîne culturelle de Radio-Canada en
Espace musique, La Scena Musicale offrira à M. Sylvain Lafrance,
vice-président de la Radio française de Radio-Canada, l'occasion de leur
répondre dans une entrevue qui sera publiée dans notre édition de mois
prochain.
« Une brève histoire de la guitare »,
un autre point de vue Enrique
Robichaud, amateur et collectionneur de disques
J'aimerais féliciter La Scena Musicale d'avoir
largement consacré son numéro d'octobre 2004 à la guitare. Je voudrais ajouter
quelques remarques à l'article de François Leclerc « Une brève histoire de la
guitare ». L'article est excellent jusqu'à la période classique et moderne où
les propos de l'auteur donnent l'impression d'une stagnation de l'instrument et
de sa musique alors que c'est exactement le contraire qui arrive.
La période classique
Premièrement, en ce qui a trait au « plaisir immédiat
» des œuvres de Sor et al : Graham Wade abondait dans le même sens en 1980 dans
son livre Traditions of the Classical Guitar, lorsqu'il qualifie le 19e
siècle de Silver Age (Âge d'Argent) au niveau de la qualité des œuvres
composées pour la guitare. Cependant les travaux musicologiques récents ont mis
au jour des œuvres plus ambitieuses et substantielles que celles habituellement
associées au 19e siècle. Ces œuvres ont trouvé leur place dans la discographie.
Je pense en particulier aux sonates op. 5 et 21 de Carulli (Savino/Naxos) à la
sonate op. 15 et aux trois concertos de Giuliani (Russell/Telarc,
Romero/Philips), aux Rondos Andantes et Polonaises d'Aguado
(Russell/GHA, Micheli/Stradivarius). Également, les 15 quatuors avec guitare de
Paganini ont été gravés au début des années 1990 (Dynamic) ainsi que les trios
et les duos pour guitare et violon (Kraft-Hammer/Naxos). Sa musique pour
guitare seule, bien que moins ambitieuse, occupe tout de même quatre disques
(Zigante/Arts).
Plus récemment, c'est la seconde moitié du 19e siècle
qui a attiré notre attention avec des compositeurs tels Johann Kaspar Mertz (Fantaisie
Hongroise, Russell/GHA), Napoléon Coste (Polonaise,
Russell/GHA), Giulio Regondi (10 études, Starobin/Bridge) Luigi Legnani(36
Caprices, op. 20, Steidl/Naxos) et Antoine de Lhoyer (Duos, op.
31, Haug-Stenstadvold/ Simax et Concerto, Spinosi/Naïve).
La période moderne
Deuxièmement, c'est le 20e siècle qui réservera sans
doute les plus belles surprises aux guitaristes en regard de leur répertoire.
Cette période est significativement appelée Golden Age par Graham Wade.
La première moitié du 20e siècle verra la construction d'un répertoire écrit
par des compositeurs non-guitaristes dû aux efforts du guitariste Andrés
Segovia et de ses contemporains (Pujol, Llobet, Sainz de la Maza). Des corpus
importants par Manuel María Ponce, Mario Castelnuovo-Tedesco, Federico
Moreno-Torroba, Alexandre Tansman, Heitor Villa-Lobos et Joaquín Rodrigo
verront le jour, démentant les paroles de Berlioz (qui, soit dit en passant, a
aussi écrit pour la guitare) à l'effet qu'il est presque impossible d'écrire
pour cet instrument sans être guitariste.
La seconde moitié du 20e siècle verra la consolidation
de la percée de la guitare chez les compositeurs symphoniques avec des œuvres
d'une esthétique résolument moderne. Cette tendance est représentée par le
guitariste Julian Bream dont la plus grande réussite est sans doute d'avoir
obtenu de Benjamin Britten le Nocturnal after John Dowland, op. 70
(1963), sans conteste le plus grand chef d'œuvre pour guitare du 20e siècle.
Alors que l'on pourrait reprocher une relative
obscurité à plusieurs compositeurs « ségoviens », la liste des compositeurs
approchés par Bream (ou le contraire) et d'autres (Isbin, Williams, Starobin,
Tanenbaum) ressemble à un Who's who de compositeurs importants : en
Angleterre : Walton, Arnold, Berkeley, Davies, Bennett et Tippett ; en Italie :
Berio, Petrassi, Donatoni, Bussotti ; au Japon : Takemitsu ; en Allemagne :
Henze ; en Russie : Denisov ; aux États-Unis : Carter, Babbitt, Crumb, Riley,
Rorem, Schwantner, Foss, Paulus ; en Espagne : Tomás, Benguerel, Abril ; en
Amérique du Sud : Ginastera, Nobre, Guastavino ; en Australie : Sculthorpe,
Houghton, Westlake ; au Canada : Somers, Schafer, Morel, Gougeon, Hétu,
Bellavance ; et cetera.
Les questions du « répertoire relativement limité » et
de la récurrence des œuvres en concert, mentionnés dans l'article, ne sont dus
qu'au manque de visibilité de l'instrument dans les encyclopédies, livres
d'histoire de la musique, cours divers et médias. Cette évacuation culturelle
inexplicable force-t-elle les guitaristes à la transcription d'œuvres plus
immédiatement reconnaissables par le public symphonique afin d'être entendus et
acceptés par lui ? Qu'est-ce que les guitaristes peuvent réellement se
permettre de jouer au concert ? Au disque ? L'équation fausse « guitare = pas
de répertoire », perpétuée dans les médias, et chez les guitaristes eux-mêmes,
se retourne éventuellement contre eux par l'absence de contact avec leur
répertoire original et ceux qui veulent bien composer pour eux. Le regretté
Ruggero Chiesa, éditeur du magazine musicologique italien Il Fronimo,
notait déjà en 1982 que « sans la contribution d'un répertoire original valide,
aucun instrument n'a de facilité à survivre, il ne peut arriver à se tailler
une place dans un panorama musical plus large ». Il rapporte le cas patent des Quatre
pièces brèves de Frank Martin : composées en 1933, ces pièces durent
attendre près de 30 ans avant d'être jouées (Bream les enregistra en 1967 et au
moins 22 autres enregistrements existent actuellement).
Quant au « volume sonore limité de la guitare », je
préfère parler de son créneau sonore. Le compositeur allemand Hans Werner Henze
a dit de la guitare qu'elle possède « une richesse sonore capable d'embrasser
tout ce qu'on pourrait trouver dans un gigantesque orchestre contemporain mais
on doit partir du silence pour le remarquer; on doit marquer une pause et
exclure le bruit complètement ».
Dans la même veine, Wade remarque que « le son naturel
de la guitare correspond à la dynamique de la voix parlée ; sa franchise toute
simple émeut beaucoup dans le contexte quelque peu déshumanisé de la société
industrielle ». La guitare est donc en plein essor et de plus en plus de
guitaristes décident de se faire les ambassadeurs des plus belles pages de
cette Cendrillon musicale.
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