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La Scena Musicale - Vol. 10, No. 2

La valse des supports...

Par Réjean Beaucage / 4 octobre 2004


CD, HD-CD, CD-Plus, SACD, DVD-A, et quoi encore ? Sur quel support seront stockés les enregistrements que nous écouterons demain ? Du côté de chez ATMA Classique, on fait le pari du SACD. Johanne Goyette, directrice et responsable de la prise de son et de la production chez ATMA Classique, nous parle de son choix ; nous recueillons également d'autres sons de cloche.

Formée à l'Université McGill en enregistrement sonore, Johanne Goyette est passée chez Analekta, Dorian et Fonovox, avant de mettre sur pied la maison de disques ATMA Classique, afin de pouvoir participer à la production des disques de la première à la dernière étape. Début septembre, ATMA annonçait la sortie de son premier SACD (Super Audio CD), un enregistrement de l'ensemble Les Violons du Roy, sous la direction de Bernard Labadie ; les solistes sont deux grandes voix d'ici : la soprano Karina Gauvin et le contre-ténor Daniel Taylor. Le disque propose un programme d'œuvres rarement entendues de Jean-Sébastien Bach (le motet Tilge, Höchster, meine Sünden, d'après le Stabat Mater de Pergolesi et la Cantate bwv 82 Ich habe genug dans sa reconstitution pour soprano avec solo de flûte). Il s'agit d'un gros coup, qui combine le premier enregistrement de l'ensemble chez ATMA à sa première sortie sur SACD.

Qu'est-ce qui a poussé Johanne Goyette à poser ce geste à ce moment-ci ? « On sent que l'industrie du disque prend cette direction-là depuis quelques années, explique-t-elle. Il y a eu la tentative du DVD-Audio, qui n'a pas eu le succès escompté ; c'est un support qui implique un accompagnement visuel... Ça existe encore, ça cohabite, mais je ne crois pas que ça finira par « lever ». Le SACD, par contre, est de toute évidence un format qui s'implante et il pourrait amener d'ici quelques années un renouveau de l'industrie du disque. » Pourtant, à l'heure actuelle, produit-on tant de SACD ? Le format est encore assez marginal, par exemple, dans les arrivages quotidiens de disques au bureau de La Scena Musicale... Johanne Goyette poursuit : « Les majors produisent aujourd'hui tous leurs disques aussi en SACD ; chez les indépendants, c'est la moitié des parutions de Hyperion ; chez BIS, ce doit être 25 % ; chez Chandos ou Harmonia Mundi, tous les enregistrements se font aussi pour le SACD, ils sont prêts. Le marché n'est pas tout à fait prêt, lui, mais ça s'en vient. La position de notre distributeur canadien S.R.I., c'est que lorsqu'un enregistrement est disponible en CD et en SACD, il ne prend que le dernier. Ce qui sera l'incitatif ultime, c'est l'effet surround ; ça tient donc aussi du marché du cinéma-maison. »

Si, bien sûr, les maisons de disques produisent des SACD à profusion et que le marché fini par suivre, ceux qui ne l'auront pas prévu seront complètement dépassés... Mais il y a un autre côté à cette médaille : un enregistrement reproduit sur cinq canaux ne se fait pas comme un enregistrement stéréo... Comment cette designer sonore réputée, qui a fait tant de merveilles en stéréo, a-t-elle apprécié le changement ? « C'est évidemment beaucoup plus compliqué de faire du surround. Avant, je travaillais toute seule et maintenant, il faut une équipe ! On fait les deux simultanément, enregistrement stéréo et, séparément, enregistrement surround. Nous enregistrons donc sept canaux DSD (Direct-Stream Digital, alors que le CD utilise la technologie PCM [Pulse-code modulation]) : deux pour le SACD stéréo, qui sont aussi utilisées, après transfert, pour le CD stéréo, et cinq pour le SACD multi-canaux. Le tout se retrouve sur le même disque, hybride, qui peut être lu par les trois types de lecteurs. »

Évidemment, les coûts de production s'en ressentent passablement, on le comprend. Cela peut être un sérieux frein à l'enthousiame. Par exemple, Mario Labbé, président de la maison de disque Analekta, qui n'est pas particulièrement connu pour sa frilosité devant les soubresauts de l'industrie du disque, tient un discours en opposition totale à celui de Johanne Goyette. Croisé au lancement saisonnier d'Analekta le 21 septembre, il lançait : « Je n'y crois pas du tout. Connaissez-vous quelqu'un qui possède un lecteur SACD ? Il y a eu des efforts de mis, mais le public n'embarque pas. Je pense plutôt à la musique sans support ! On sera rendu au protocole MP18 avant que le SACD n'atteigne un marché significatif. »

Du côté de l'étiquette de disques Empreintes Digitales, qui se consacre exclusivement à la musique électroacoustique, autre son de cloche... Le directeur de l'étiquette, Jean François Denis, nous fait savoir que les productions de la maison seront dorénavant disponibles en « 5.1 » (surround), mais pas en SACD... « La technologie derrière l'enregistrement SACD, la fréquence d'échantillonnage, a une incidence dramatique, j'entends positive, sur le son de la musique, qui est grandement amélioré. Pour des projets de musique acoustique (instrumentale), c'est vraiment une excellente idée. En ce qui concerne la musique électroacoustique, les compositeurs travaillent directement, à la source, avec la technologie PCM, qui est celle des CD. Si on le transfère en SACD, il ne sera pas amélioré, ayant été à la base créé en PCM. C'est parce que l'équipement qu'utilisent les compositeurs dans leur studio n'existe pas encore en technologie SACD. Dès que ce sera démocratisé, évidemment, les compositeurs suivront le mouvement. » Il n'y a donc pas d'avantage fondamental, pour une étiquette de musique électroacoustique, à choisir le SACD. Jean-François Denis poursuit : « Nous avons choisi la technologie DTS (Digital Theater Systems) qui nous permettra d'inclure dorénavant avec chacun de nos CD un deuxième CD qui sera lisible par tout lecteur de DVD conventionnel (comportant le logo DTS) et qui pourra être amplifié pour une reproduction sur la chaîne de cinéma-maison, en « 5.1 », qui sera équivalente, en terme de qualité, à la reproduction CD. Ce sera le cas, évidemment, pour les compositeurs qui travaillent en surround, puisque certains travaillent toujours uniquement en stéréo. » Le premier projet du genre chez Empreintes Digitales sera celui de Robert Normandeau, qui paraîtra cet automne.

Et pour ceux que l'abondance de supports ne rebute pas, voici une nouvelle intéressante : le Zappa Family Trust, qui gère l'héritage musical du compositeur américain Frank Zappa, fait paraître ces jours-ci, chez DTS Entertainement, un DVD-Audio qui regroupe les expériences que le compositeur faisait, dans les années 1970, en... quadraphonie ! Le disque s'intitule Quaudiophiliac. Décidément, un développement à suivre !


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