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La Scena Musicale - Vol. 10, No. 2

Richard Desjardins symphonique

Par Réjean Beaucage / 4 octobre 2004


Gilles Bellemare

Gilles Bellemare est bien connu pour être le directeur artistique et chef attitré de l'Orchestre symphonique de Trois-Rivières, un orchestre qu'il a fondé en 1978. Il est aussi compositeur et arrangeur. On le verra le 13 octobre diriger à Montréal ses propres arrangements de la musique de l'auteur-compositeur-interprète Richard Desjardins. La Scena Musicale l'a rencontré pour discuter avec lui de son cheminement et de son travail dans le cadre de ce concert très attendu.

La Scena Musicale : Vous avez étudié au Conserva-toire de musique de Trois-Rivières où l'on vous a décerné en 1972 un premier prix en harmonie puis, en 1974, un premier prix en percussion, et enfin, en 1978, un premier prix en composition. On est toujours un peu surpris de voir la percussion dans le curriculum vitæ d'un chef d'orchestre...

Gilles Bellemare : La percussion, ça a été mon premier contact avec la musique. J'ai fait de la batterie, comme plusieurs de mes copains, mais la musique que ça servait à jouer ne m'intéressait peut-être pas... J'ai ensuite été attiré par les timbales, le xylophone, et je suis donc entré au Conservatoire en percussion. J'avais aussi des cours d'écriture et cela m'a fait bifurquer vers la composition. J'ai ressenti un certain malaise en tant que percussionniste au sein d'un orchestre ; j'étais là, avec mes timbales, et je regardais jouer les copains en attendant que vienne enfin mon tour... Je faisais donc les répétitions avec des partitions de chef, pour avoir quelque chose à faire, et ça m'a ouvert à l'idée de la direction. Je faisais partie d'un orchestre formé d'étudiants et d'amateurs, l'Ensemble instrumental de Trois-Rivières, alors dirigé par Daniel Swift, qui est aujourd'hui au Niagara Symphony. J'enseignais à l'époque dans un collège où je dirigeais l'harmonie, alors, lorsque Daniel Swift a laissé la direction de l'ensemble, j'ai en quelque sorte été projeté à la tête de l'Ensemble instrumental et la formation est devenue l'Orchestre symphonique de Trois-Rivières (OSTR).

LSM : C'était en 1978, vous avez donc célébré les 25 ans de l'Orchestre tout récemment !

GB : Oui, c'était l'année dernière, la saison 2003-2004. Évidemment, on m'associe davantage au métier de directeur d'orchestre qu'à celui de compositeur, parce que le premier bénéficie d'une meilleure visibilité. Il y a eu un arrimage entre l'OSTR et moi, au point que lorsque je participe à un projet comme celui-ci, avec Richard Desjardins, les gens s'imaginent que c'est un projet de l'OSTR, mais ce n'est pas le cas ici.

LSM : Au long de ces 25 ans à l'OSTR, vous avez aussi exercé, en effet, le métier de compositeur et on trouve maintenant plus d'une trentaine d'œuvres à votre catalogue.

GB : La composition est extrêmement importante pour moi, mais on sait ce que c'est : il est pratiquement impossible de ne faire que ça. Mais les activités de composition et de direction sont évidemment complémentaires et l'une influence l'autre. Je pense être un compositeur qui connaît très bien l'instrument pour lequel il écrit, en l'occurrence l'orchestre. Ma production est principalement concentrée sur les œuvres pour orchestre symphonique ou orchestre de chambre.

LSM : J'ai aussi vu à votre catalogue des œuvres créées à l'étranger, par exemple Non piu di trenta pour orchestre (1979), créée par I Solisti di Roma ou Argutie (1982), créée à Salzbourg par l'ensemble de musique nouvelle d'Autriche sous la direction d'Alexander Mullenbach.

GB : Oui, parce que ce sont des endroits où j'ai étudié (à l'Accademia nazionale Santa Cecilia de Rome avec Franco Donatoni [1978-80] et à la Hochschule für Musik und Darstellende Kunst de Vienne [1980-81] avec Erich Urbanner). Ces dernières années, la plus grande partie de mon activité de composition est occupée par des arrangements. L'OSTR avait la volonté, comme bien d'autres orchestres sans doute, d'attirer un public plus large que celui des concerts habituels, mais tout en proposant par ailleurs une musique symphonique, et j'ai donc arrangé des chansons de Brel ou de Piaf, entre autres. C'est un exercice qui consiste à rester fidèle aux émotions véhiculées par le texte musical original, tout en le transposant à l'orchestre symphonique. Quel bel instrument ! Ça me permet aussi d'écrire dans un langage harmonique que les compositeurs d'aujourd'hui n'ont plus le droit d'utiliser, sous peine d'être regardés de travers ! Mes premières expériences de ce type ont été réalisées avec des musiques de Félix Leclerc, et je me souviens de la joie ressentie en écrivant... un accord de do majeur ! Bien sûr, aujourd'hui on a des réticences à utiliser un tel matériau dans les œuvres que l'on écrit pour soi, mais dans ce cadre-là, avec des musiques qui s'élaborent souvent sur trois ou quatre accords, c'est permis ! Bien sûr, toute la beauté de ce type de langage se trouve dans les grands chefs-d'œuvre des siècles passés, les Tchaïkovski, Bruckner, Mahler, Schumann, etc.

Les émotions que véhiculent les grandes chansons sont souvent les mêmes que l'on trouve dans le répertoire symphonique. Avec celles de Desjardins, par exemple, je tombe sur des moments où je me dis, tiens, ça me rappelle Mendelssohn, alors je sors la partition à laquelle je pense et je constate qu'il s'agit presque du même schéma harmonique, alors, pourquoi pas l'évoquer ? Je ne veux pas dire que la musique de Desjardins deviendra du Mendelssohn, mais elle pourra bénéficier de ses couleurs.

LSM : Richard Desjardins a déjà lui même utilisé la musique de Ravel pour soutenir l'un de ses textes (16.03.48, sur « Les derniers humains »).

GB : Oui, bien sûr, il a étudié le piano et il en connaît le répertoire. Je ne sais pas jusqu'à quel niveau il a été, mais sa formation transpire dans sa rigueur rythmique et son inspiration. Il y a dans sa musique des moments d'une grande sensibilité, que la transposition pour orchestre rendra très bien je crois. Il y a aussi chez lui des passages très rythmés, et ça aussi l'orchestre peut le rendre magnifiquement. Lorsque 50 ou 60 musiciens tiennent un rythme, on n'a pas besoin de batterie ! Il m'est arrivé de faire des concerts de ce type avec des chanteurs ou chanteuses populaires et de rencontrer une grande réticence au fait que l'on n'ajoute pas une batterie à l'orchestre, mais ils se rendent compte assez vite que ce n'est pas nécessaire.

LSM : Drôle de discours dans la bouche d'un percussionniste !

GB : Je crois que j'ai été attiré par la percussion, c'était vers l'âge de 14 ans, comme tous les adolescents. Cependant, je crois que j'aimais plus « la musique » que « la percussion ». C'est pourquoi j'ai fini par ressentir un malaise lorsque j'étais dans l'orchestre. Je ne veux aucunement dénigrer le travail de percussionniste, mais je pense simplement que ça ne me suffisait pas. Évidemment, quand je dirige la Cinquième Symphonie de Chostakovitch, au début du quatrième mouvement, je voudrais bien être à la place du percussionniste ! Mais d'un autre côté, dans ma propre musique ou mes arrangements, la percussion est souvent très légère.

LSM : Lorsque vous avez débuté le projet, je suppose que Richard Desjardins, s'il n'y avait pas pensé avant, a dû commencer à avoir des idées sur la façon dont sa musique pourrait sonner dans une interprétation orchestrale. Vous a-t-il fait part de suggestions, de contraintes ?

GB : Il faut rappeler que le projet est né au Festival international de poésie de Trois-Rivières, lors d'une discussion avec le président de l'événement, Gaston Bellemare (sans lien de parenté). Malheureusement, ça n'a pas pu se tenir dans le cadre de ce festival, pour diverses raisons. En ce qui concerne Richard, il m'a demandé une seule chose : dans la pièce Buck, il aurait aimé pouvoir ajouter des sons de cloches d'église lorsqu'il l'a enregistrée, mais ça n'a pas été possible. Il m'a donc demandé d'en prévoir, alors nous aurons des cloches d'église là où il les voulait, soit vers la fin de la pièce. J'ajuste donc la musique en fonction d'arriver à cette texture particulière. Parce que son matériel, dans cette pièce-là particulièrement, est à la base celui de la musique pop, et je peux en utiliser l'essence, mais il y a des chemins harmoniques qui sont quelquefois un peu cahoteux et sur lesquels il est impossible d'engager l'orchestre, il me faut donc travailler les enchaînements.

LSM : On prévoit pour le moment un seul concert ?

GB : En effet. On espère qu'il y en aura deux, si la demande est suffisante, bien entendu, mais ça reste à voir. Évidemment, après avoir travaillé là-dessus pendant un an, on ne se fera pas prier pour un deuxième soir... Il y aura aussi, tout de même, un enregistrement de Radio-Canada. Alors évidemment, nous serons en présence d'un orchestre « d'un soir » (ou deux !), mais je pense avoir développé des habiletés à créer un son d'ensemble dès la première répétition. Nous aurons une cinquantaine d'excellents musiciens, dont plusieurs à qui j'ai demandé personnellement de garder cette date à leur agenda, parce que certains passages sont écrits pour eux !

LSM : Peut-on avoir une idée du programme ?

GB : Il faut d'abord savoir que Richard Desjardins, que les gens ont l'habitude de voir derrière un piano ou un guitare, sera cette fois-ci chanteur soliste, sans autre instrument que sa voix. À ce moment-ci, nous avons 13 pièces de prêtes et la 14e, qui est en chantier, c'est L'étoile du nord. Ça commence par une guitare de style presque baroque, et ça reste dans cette zone-là avec le basson, puis les cordes... J'ai hâte que Richard entende ça ! Pour le moment, chaque fois que je finis une pièce, je lui en envoi la partition et un enregistrement sur disque compact. Évidemment, pour le moment c'est le son de l'ordinateur, sur lequel je travaille avec le logiciel Finale ; ça sonnera très certainement mieux que ce que nous pouvons entendre pour le moment. J'avoue que j'ai perdu du temps à me laisser prendre au jeu d'écrire pour la machine, écrire pour que le son de ce qui sort de l'ordinateur soit beau, mais ce n'est pas pour un ordinateur que j'écris, et je dois simplement imaginer comment sonneront ces notes à l'orchestre, sans me soucier de ce que la machine peut en faire. Pour l'instant, ce n'est qu'une ébauche qui donne une idée à Richard de ce que fera l'orchestre, et, bien sûr, ça produit une partition, ce qui est le but premier de l'exercice.

[Gilles Bellemare me montre un extrait de la partition de la pièce Miami]

Voyez, le logiciel fait un travail fantastique pour ce qui est d'écrire une partition, et c'est ce pour quoi il est conçu, après tout, mais transposé en son wave, ça ne donne qu'une image très imparfaite du produit.

J'ai demandé à Richard à quoi il pensait lorsqu'il chante, à la fin de cette pièce, « il s'enfuyait... » et il m'a dit « Ah ! Ça, c'est du Pink Floyd ! ». Mmmm... du Pink Floyd... Mais ce n'est pas du Pink Floyd, c'est du Bruckner ! Et c'est là que j'irai chercher la couleur de cette finale. Il y a sans doute des musiciens et des mélomanes qui s'en rendront compte, mais ça marche tellement bien dans ce contexte-là ! Il y en a une autre, L'homme-canon, qui sera surprenante. J'avais un répertoire d'une vingtaine de pièces, proposées par Richard pour la transposition. Il y aura Jenny, Tu m'aimes-tu ?, bien sûr, Akinisi, Fossumbrone, qu'il chante en « italien imaginaire », Sahara Lumber, Le coeur est un oiseau, Le bon gars...

LSM : Une pièce qu'il est difficile d'imaginer jouée par un orchestre...

GB : Hé bien, c'est drôle parce que celle-là, je dois la refaire. Je l'ai transposée en me fiant à l'enregistrement du disque, puis je l'ai entendue en concert... Quelle différence ! Alors je vais la retravailler dans ce sens-là. Il y a aussi Les Yankees, une pièce de 9 minutes, un fleuve sans répétition. Il m'est arrivé de travailler une semaine sur certaines pièces pour ne garder à la fin que deux mesures... Mais ces deux mesures-là, on ne les aurait pas eu s'il n'y avait pas eu une semaine de travail auparavant !

Richard Desjardins Symphonique

Présenté en guise de prélude à la 18e édition du Coup de cœur francophone en collaboration avec le Comité Musique Maisonneuve et la radio de Radio-Canada.

13 octobre, 20 h – en supplémentaire le 14 octobre – au Centre Pierre-Charbonneau, à Montréal. (514) 844-2172 / 1 866 844-2172


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