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La Scena Musicale - Vol. 10, No. 2

Le musicien et la pratique Entretien avec Hélène Maltais

Par Laurier Rajotte / 4 octobre 2004

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Octobre. Le tourbillon du début des classes est terminé et les jeunes musiciens ont repris leurs leçons avec leur professeur. Profitons de cette époque de l'année pour réfléchir sur une activité qui concerne tous les musiciens et qui représente la quasi-totalité du travail de l'interprète : la pratique.

Pour une pratique efficace

Qu'est-ce que la pratique ? Le dictionnaire Robert la définit par : « activités volontaires visant des résultats concrets », ce qui est exact pour la pratique musicale. Si l'on admet trois étapes chronologiques à la performance musicale – le préparer, le faire et le poursuivre dans le temps – la pratique se situe dans la première, primordiale, le préparer. Mais la pratique n'est pas toujours efficace. Voici comment Hélène Maltais, docteure en éducation, l'explique : « les étudiants en musique se retrouvent confrontés à plusieurs problèmes dans leur pratique. Par exemple, la pratique est souvent confondue avec le jeu ». Pianiste de formation, Mme Maltais a enseigné le piano au niveau primaire pendant plus de 20 ans ; elle a poursuivi ses recherches sur le développement de l'expertise chez l'interprète à l'Université de Sherbrooke et donne depuis plusieurs années le cours Processus d'apprentissage en musique à l'Université de Montréal. Elle ajoute : « Lorsqu'ils pratiquent, nous pouvons souvent observer que les jeunes musiciens travaillent un passage difficile et le répètent encore et encore. C'est ce que j'appellerais le syndrome de la pensée magique : à force de recommencer, un jour, je vais réussir. La stratégie qui consiste à répéter sans se questionner, sans définir les raisons pour lesquelles nous recommençons et sans définir les causes des difficultés et les moyens pour les résoudre est inefficace. De plus, cette stratégie peut entraîner le développement d'automatismes erronés qui seront excessivement difficiles à corriger. Mais heureusement pour tous, l'habileté à pratiquer se développe. Cela s'apprend. » Comme la pratique est à la base de l'interprétation, mieux pratiquer signifie mieux jouer.

Les difficultés de la pratique

Lorsqu'on demande à Hélène Maltais les principales difficultés des interprètes lors de leur pratique, sans hésiter elle répond : « du niveau primaire au niveau universitaire, la plus grande difficulté est la motivation ». Souvent, en effet, rien ne nous y oblige à l'exception de notre désir d'amélioration. Mme Maltais poursuit : « du manque de motivation découle un manque de régularité et du manque de régularité découle un ralentissement de l'apprentissage ». Il vaut mieux pratiquer un petit peu chaque jour que beaucoup une journée et pas du tout le lendemain. « Et un autre grand problème chez les jeunes musiciens, enchaîne Mme Maltais, est le manque d'organisation dans le contenu de leur pratique. Il faut pratiquer de façon stratégique, déterminer ce qu'il faut pratiquer, comment, pourquoi... comme le font les professionnels qui n'ont pas de temps à perdre », précise-t-elle. Souvent, les enfants sont suivis de près dans le contenu de leur pratique et rendus à l'adolescence, on laisse de côté cet encadrement qui ne sera jamais repris dans leur formation et ce, même à l'université, où l'on prétend à l'autonomie. Or, si les meilleurs athlètes de niveau olympique sont suivis de près par leur entraîneur, ne devrait-on pas tracer pour les jeunes musiciens une ligne entre « autonomie » et « laisser à soi-même » ? « Les professeurs prennent souvent pour acquis que les étudiants savent comment gérer leur pratique, ce qui n'est pas toujours le cas. Pratiquer est une habileté qui se développe au même titre que la technique et la musicalité », affirme Mme Maltais. Elle poursuit : « le troisième grand problème se situe dans les façons de pratiquer. Certains jeunes ont la fausse conception que la pratique se limite à l'instrument ou à la technique instrumentale. Pratiquer peut aussi signifier réfléchir sur le concept de la pièce, son histoire, son compositeur ou imaginer les différentes sonorités que l'on veut produire. Bref, pratiquer signifie construire mentalement son interprétation ».

Comment pratiquer

Il n'y a pas qu'une seule bonne façon de pratiquer. Cela dépend de nos limites (physiques, temporelles, techniques...) et de nos objectifs. J'ai demandé à Mme Maltais quel est le dénominateur commun dans la pratique des musiciens professionnels et, sans hésiter, elle répond : « la structure ! ». Et à quel niveau se situe cette structure ? « En somme, la pratique est structurée et ce qu'on pratique est aussi structuré. Les experts ont toujours comme objectif le résultat final, ils ne passent pas de temps à la pratique mécanique. Ils ciblent le travail. Un autre dénominateur commun est l'omniprésence de l'écoute. C'est à dire qu'un expert a comme point de départ une idée à produire. Il écoute toujours les sons qu'il produit en fonction de cette idée ». Comme, lorsque l'on parle, on ne pense pas aux mots, mais à l'idée ? « Oui. Les experts ont déjà un modèle mental dans l'oreille, le leur, et ils travaillent à l'exprimer. »

Dans ses recherches, nous pouvons relever un point fort important : la formation de buts. Mme Maltais explique : « Pour améliorer sa pratique, il faut établir des buts réalisables, mais qui contiennent du défi. Une fois les buts établis, il faut diriger l'écoute sur le résultat en fonction des buts à atteindre en se demandant : est-ce que je joue vraiment ce que j'entends intérieurement ? » Fixer un but, ce n'est pas désirer être comme tel grand interprète et attendre passivement que cela se produise. « Non, il faut toujours organiser ses pratiques pour atteindre des buts personnels. Ceci engendrera la motivation. » L'équation semble simple : fixer des buts réalisables pour engendrer la motivation afin de fixer de plus hauts buts... Et quel est le nombre idéal d'heures que nous devrions consacrer à la pratique ? « Tout dépend de nos objectifs, de nos forces et faiblesses et de notre âge. Il a été démontré que la pratique optimale se fait par bloc de 50 minutes suivit d'une pause. »

Quelques conseils...

Certains parents peuvent être dépassés par l'attitude à adopter envers un enfant qui s'investit dans la pratique musicale, alors voici quelques conseils du bon Dr Maltais à leur égard : « premièrement, il faut encourager l'enfant. Ensuite, il faut lui réserver un temps et un espace à la pratique. Sans être présent à chaque instant, on peut lui poser des questions sur son dernier cours, son programme, ce qu'il a à travailler, bref, lui poser des questions de façon à l'aider à organiser sa pratique lui-même. Finalement, il faut l'encourager à jouer, à se faire plaisir, à explorer et à s'amuser avec la musique». Et qu'avez-vous à dire aux jeunes qui souhaitent devenir musicien professionnel ? « Développez le goût de la pratique et n'oubliez pas qu'on apprend la musique pour elle-même. »
laurajotte@yahoo.fr


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