Accueil     Sommaire     Article     La Scena Musicale     Recherche   

La Scena Musicale - Vol. 10, No. 1

Prévenir l'abandon chez les apprentis-musiciens

Par Noémie L. Robidas / 9 septembre 2004

English Version...


Selon une étude menée en France en 1995, 1 % des violonistes ayant reçu une formation d'environ dix ans en feront une pratique professionnelle. Cette observation n'est pas alarmante vu le nombre restreint d'ouvertures dans le domaine musical. Le plus inquiétant est de constater que moins de 4 % du groupe total feront du violon une pratique amateure et que 95 % ne toucheront plus jamais à leur instrument même après dix ans d'efforts quotidiens. De plus, d'autres études révèlent que seulement une faible partie des enfants qui débutent l'apprentissage du violon passe le cap des trois ou quatre années de pratique.

En effet, selon des études menées en Grande-Bretagne, un nombre substantiel d'instrumentistes débutants abandonneront la pratique dans les premiers 18 mois et 40 % de ceux qui auront poursuivi abandonneront vers l'âge de 11 ou 12 ans, soit au passage à l'école secondaire. Dans certaines écoles secondaires publiques américaines où l'on prodigue un enseignement instrumental régi par un programme d'État, les données, bien qu'elles datent de quelques années, ne sont guère plus reluisantes puisque le taux d'abandon s'élève à 70 % en cours de programme chez les instrumentistes à cordes. Les violonistes gagnent la palme d'or avec le plus haut taux d'abandon atteignant les 75 %.

Au Québec, le problème est plus difficile à cerner puisqu'assez peu de programmes d'enseignement instrumental subventionnés existent dans les écoles publiques, priorisant ainsi une clientèle plutôt douée et intéressée. La majorité de l'enseignement instrumental se pratique à travers le réseau des écoles de musique privées qui ne relèvent d'aucune instance subventionnaire, à propos desquelles nous ne possédons que peu d'information. Bien que les recherches se fassent rares, voire même inexistantes au Québec, en se basant sur le témoignage de plusieurs professeurs d'expérience, nous avons des raisons de croire que les données ci-haut mentionnées reflètent également notre situation.

Nous vivons à une époque et dans une société où le temps est très précieux. L'investissement d'argent ou d'énergie doit être justifié. La formation d'un instrumentiste est très « coûteuse » sur ces points puisqu'elle requiert un parcours long et particulièrement exigeant. On sait par exemple que les meilleurs violonistes auront accumulé plus de 10 000 heures de pratique personnelle avant l'âge de 21 ans et qu'il faut plus de 10 ans de pratique et préparation pour atteindre un niveau international de performance en art. Dans une démarche d'optimisation, il devient inconcevable d'entreprendre des études musicales dans une perspective quasi assurée d'abandon. Si certaines attitudes et facteurs sont reconnus comme déterminants en ce qui concerne la perspective d'abandon ou de rétention chez les jeunes cordistes, il est important pour les professeurs, parents et élèves d'en connaître la nature.

Il n'existe pas qu'un seul chemin menant à la réussite en musique. Il y en a autant qu'il y a d'enfants qui veulent apprendre à jouer d'un instrument, qui veulent tenter cette longue aventure, parée d'obstacles. Cependant, il est possible de relever certains des facteurs qui pousseront les apprentis-musiciens à abandonner en cours de route ou à persister.

Si on rassemblait les éléments constitutifs d'un environnement favorable à l'épanouissement de ces apprentis-musiciens, à quoi cela ressemblerait-il? Pour résumer, l'élève doit avoir, d'abord et avant tout, envie de jouer de son instrument et posséder une attitude positive vis-à-vis celui-ci, mais aussi par rapport au répertoire joué, au professeur, à la performance en concert, à la pratique personnelle. Il doit également posséder une image positive de ses collègues de classe et la capacité de percevoir son propre progrès. Il devra développer au cours de son cheminement une motivation intrinsèque afin de persister dans l'apprentissage de son instrument. Pour ce faire, il devra cultiver des buts à court, moyen et long terme.

Le professeur, quant à lui, doit posséder des qualités différentes selon l'âge et le stade d'apprentissage de l'enfant; une personnalité chaleureuse et attachante sera plus appréciée par l'élève en début de parcours alors que celui-ci sera plus motivé par un professeur qu'il admire pour ses habiletés et son expérience durant l'adolescence. Il doit être compétent et intéressé tout au long du parcours du jeune instrumentiste. Il doit évidemment prodiguer un enseignement efficace et systématique. Il doit valoriser l'effort pour aider l'enfant à se surpasser et donner des méthodes de travail ainsi qu'un « feedback » qui le rendront de plus en plus autonome. Les cours doivent préférablement être donnés de façon individuelle mais, selon l'avis de plusieurs spécialistes, conjugués avec des cours de groupe en complément. Le professeur doit fréquemment organiser des concerts et activités diverses pour concrétiser, appliquer et valoriser les acquis de l'élève. Selon le niveau et la personnalité de l'enfant, le pédagogue doit l'inciter à s'inscrire à des concours et des classes de maîtres. Il doit participer à la grande entreprise « d'enculturation musicale » de l'élève en lui faisant découvrir et aimer les différents éléments constituant l'univers de la musique et de son instrument (répertoire, interprète, histoire de la musique, etc.).

La musique doit constituer un aspect positif et doit être présente dans le milieu de vie du jeune instrumentiste (écouter de la musique à la maison, aller au concerts en famille, etc.). L'enfant devra avoir des occasions de vivre des émotions intenses et positives stimulées par la musique, et ce dès son jeune âge.

On sait non seulement qu'un fort soutien parental, même dans d'autres domaines que la musique, fait tendre vers la persistance, mais que sans l'implication positive des parents dans le processus, un niveau d'apprentissage élevé ne peut être atteint. Cette implication variera évidemment selon la personnalité et l'âge de l'enfant, son degré d'autonomie, les exigences du professeur et le temps disponible. Le rôle du parent passera de la fourniture des éléments nécessaires à la pratique (instrument, partition, pupitre etc.), à l'incitation à la pratique, à la prise de notes durant les leçons ou à la supervision des pratiques.

Ces pratiques devront être faites régulièrement, efficacement, et avec un souci de structure et de répétition consciente, dans un cadre positif et détendu. Elles devront devenir plus substantielles en fonction du niveau et de l'âge de l'élève. La compétence instrumentale ne pourra être atteinte qu'au prix de plusieurs centaines, voire milliers d'heures de pratique assidues réparties sur plusieurs années.

Dans ce monde merveilleux de l'apprentissage des instruments à cordes, nous proposons qu'une plus grande place soit accordée à la créativité et à l'improvisation tout au long du cursus du jeune instrumentiste afin de l'enrichir et de laisser toutes ses capacités fleurir avec les saisons.


English Version...

(c) La Scena Musicale 2002