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De l'écriture dans l'accompagnement
et l'enseignement

Depuis plusieurs années que je travaille comme pianiste avec des choeurs et des petits ensembles vocaux, et je dois souvent composer les accompagnements que je joue. Le travail d'accompagnement n'est pas une route balisée. L'accompagnateur est un interprète, bien sûr. Mais qu'interprétera-t-il lorsqu'il reçevra une chanson sans harmonisation, ni partition écrite? C'est alors que le rôle d'accompagnateur ("être avec") prend tout son sens, faisant appel à l'harmonisation, l'arrangement, parfois le 'coaching' et ensuite l'interprétation. C'est dans ce contexte-là que mes cours d'harmonie, suivis à Vinvent d'Indy, revêtent toute leur importance.

Comme il n'est pas rare que des profs de piano soient, comme moi, en situation d'accompagner et d'écrire de petits arrangements qu'ils jouent eux-mêmes ou pour leurs élèves, j'ai pensé partager quelques-unes de mes "miniatures" qui servent d'introduction à des chansons, ainsi qu'un petit air de danse yougoslave (Kolo) que j'ai harmonisé pour le piano. Nous regarderons leur écriture, les éléments qui les constituent et, dans le cas des introductions, leur rapport avec la pièce.

Pour trouver des façons de mettre en valeur les mélodies, les introduire, les accompagner ou les lier de ponts ou de transitions, je n'hésiterai pas à chercher l'inspiration dans tous les plans à la fois — qu'ils relèvent de l'aspect sonore, descriptif ou textuel de la pièce, ou simplement de l'imaginaire. Le secret, quant à moi, réside dans le temps et le coeur qu'on met à s'investir dans chaque détail de la pièce. Il y a toujours mille et un aspects à saisir dans une oeuvre, même si en partant je sais rarement lequel sera mis en evidence, ni même quand il se manifestera.

Le Loup, la biche et le chevalier

Le loup, la biche et le chevalier est une petite chanson enfantine dans le sens où elle nous rappelle les berceuses et contes de notre enfance.

L'introduction se fera fort simple (deux voix). Je la place dans un registre aigu (boîte à musique, petit mobile musical). J’ai emprunté sa structure harmonique au début de la chanson. Dans la main droite, toutefois, les notes de la première mesure ont été inversées (comparé à la mesure 5), alors que celles de la seconde mesure préservent l'harmonie, le rythme et les notes répétées, mais d'une façon plus libre.

Pour terminer, un trait d’arpège en doubles croches viendra créer une atmosphère d'enchantement—comme s'il s'agissait d'une envolée de la harpe ou d'un coup de baguette magique.

La parade des soldats de bois

Rythme de tambour, parade de soldats: vivement, interpelons l'auditeur avec une introduction qui le mènera tout droit à … la chorale! Pour surprenante qu'elle soit, cette introduction est basée sur un accord de V7 renversé, remis à l'endroit sur la denière note. Le rythme, semblable à celui de la chanson, développe toutefois ses traits de double-croches plus tôt.

La dissonance s'installe dès les premières notes, avec une écriture chromatique très serrée, dont les mouvements parallèles évoquent le battement des tambours. Puis, les deux mains s'éloignent par des mouvements contraires, dans une ouverture qui aboutit à l'octave. Fin de la dissonance, la chorale commence!

La mélodie du choeur s'enchaîne alors, pimpante comme du pop-corn, comme nous le rapellent les petites croches aux accents syncopés qui donnent à la première mesure toute son énergie.

Le jardin extraordinaire

Avec un titre comme celui-ci, il faut bien une introduction qui donnera le goût de le visiter.

Ainsi font, font, font, cinq petites mesures, pour faire un tour rapide du jardin. D'abord, un petit tap dance monsieur Trenet (mesure 1)? Et que dire d'une gentille gambade sur la colline (mesure 2)? Faisons ensuite un court arrêt pour écouter les oiseaux (trilles). Et enchaînons avec un petit tour de balançoire à la mesure 4.

Et puis, ça y est — on est déjà transporté dans l'atmosphère du jardin, avant même que la chanson n'ait commencé.

Ensuite, c'est le chant qui veut se faire entendre. Le piano acquiesce en se faisant plus discret, se manifestant un peu plus ici ou là pour ponctuer un mot, ou encore pour esquisser un petit clin d'oeil—profitant de ce que la chorale chante des notes longues.

A l'inverse, lorsque la mélodie du choeur comporte des notes rapides, le piano peut la soutenir avec des notes de valeur longue, ou espacées. A l'occasion, il peut également amplifier un tel passage en le doublant à l'unisson (ou/et en rythme).

A la claire fontaine

Voilà une chanson bien connue! Pourtant, il n'est pas si facile de l'introduire… Pour ma part, j'ai songé au texte de la chanson et à la vague tristesse de l'amoureux que l'on surprend ici à rêver dans l'eau claire de la fontaine. Il n'en fallait pas plus.

Plutôt que de créer une musique parallèle à partir des notes de la mélodie ou d'une quelconque propriété du rythme comme point de départ, j'ai tenté de recréer l'atmosphère de la pièce. Cela commence avec le mouvement de l'eau dans la fontaine (flot du rythme continu). Lorsqu'il s'immobilise à la mesure 4, on découvre alors à la surface de la fontaine l'image de celle dont rêve notre amoureux.

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Pour respecter le caractère intimiste de la chanson, le piano—auparavant, eau de la fontaine—se fait ensuite miroir des sentiments du jeune homme, se promenant au même rythme que celui-ci (i.e. style choral).

Kolo

Je terminerai avec Kolo, un petit air que j'ai trouvé dans une méthode de flûte à bec et que j'ai harmonisé pour piano, par plaisir.

Une première analyse révèle qu'ici, tout a été conçu en forme de deux (question / réponse). J'ai donc exploité ce petit côté binaire de la pièce, faisant d'abord alterner les sections douces aux sections fortes; etc.

Mais viennent ensuite 8 mesures (9-16) où la mélodie est pratiquement toujours la même: que faire?

De même qu'après avoir posé une 'question', on a hâte de connaitre la 'réponse', dans une paire de mesures, on anticipe habituellement la seconde. J'en ferai autant avec la paire de mesures 9 et 10—anticipant la seconde (mesure 10 en fa) par l'ajout d'une septième (si b) à la première (mesure 9). Après quoi, la progression harmonique s'effectuera aisément, la tension de la mesure 11 anticipant la résolution de la mesure 12 (mouvement contraire, mélodie inversée). Pour terminer, je reprendrai le principe du contraste—en répétant plus doux, un octave plus bas, et avec la mélodie en voix intérieure.

 

 

Conclusion

 

Lorsqu'on apprend le piano, enfant, on ne sait pas toujours ce qu'on en fera plus tard. Or, fort souvent, on se trouve en situation d'accompagner quelqu'un, des instrumentistes ou des chanteurs, parfois sans partition. C'est alors qu'on apprécie d'avoir pratiqué l'instrument, d'avoir étudié l'harmonie, et d'avoir saisi toutes les occasions de mettre en pratique ses connaissances par des exercices d'écriture musicale. N'oublions pas qu'il pourrait en être de même pour nos élèves plus tard, d'où l'importance de les aider à cultiver leur oreille intérieure.

Danielle Fournier

 

 



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Originaire de Sherbrooke, Danielle Fournier est professeure affiliée à l'Ecole de Musique Vincent d'Indy, depuis 1974.
Elle est l'auteure de deux recueils de chants de Noël pour piano, publiés aux éditions de La Grande Portée, dont elle est également co-fondatrice avec son mari.