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TECHNIQUE PIANISTIQUE :
POUR UNE MEILLEURE
INTERPRÉTATION

N.D.L.R. La Muse entreprend ici une nouvelle série. Les archives de Sr Lucille Brassard, professeur pilier de l'école Vincent d'Indy pendant de nombreuses années, ayant été gracieusement mises à notre disposition, nous avons décidé de vous faire partager ces perles de sagesse.
Il n'existe aucune différence entre la technique et l'interprétation. En effet, chaque nuance, chaque couleur d'une phrase musicale est le résultat d'un procédé technique. Devant la diversité des écoles de piano des différents pays, existe-t-il des techniques différentes ou bien n'y a-t-il qu'une seule technique interprétée différemment selon les écoles ou les professeurs ? C'est ce que nous essaierons de démontrer.

Qu'est-ce que la technique pianistique ? Il en existe plusieurs définitions. La technique proprement dite est l'ensemble des moyens utilisés pour l'expression d'un art. Nous, pianistes, devons posséder les moyens d'expression pour maîtriser les mille nuances expressives et ce, dans tous les modes de toucher. Il faut savoir manier les différents procédés, tout en appliquant la technique de base. Il faut apprendre à concilier la force, la souplesse, les mouvements circulaires d'énergie et d'ampleur très variable des doigts, des mains, des bras et assimiler tous ces procédés pour qu'ils deviennent réflexes.

Chaque génération a laissé ses recueils d'exercices, ses méthodes sur le jeu du piano. Que ce soit Hanon, Philip, Pishna, Cortot, Brahms ou Herz, tous se ressemblent et incluent : des exercices de notes tenues, des exercices pour les 5 doigts, le passage du pouce dans les traits de gammes et d'arpèges, les double 3ces et double 6tes, les trilles, les octaves, les accords, les extensions... C'est à partir du moment où l'on apprend les multiples possibilités d'exécution comme la détente, la simple pression digitale ou l'articulation active des doigts, le va et vient de l'avant-bras (ce que Cortot appelle le mouvement de tiroir), l'impulsion circulaire du bras, le poignet, que commence l'étude de la technique.

Le son du piano est produit par ses marteaux et ses cordes ; nous devons extraire à musique enfouie en nous. Nous ne poussons pas le son dans le piano, nous dessinons, nous extrayons le son hors de lui. Tous les musiciens, sauf les pianistes, ont un contact intime physique avec leur instrument. Nous pouvons seulement contrôler le volume du son dans sa préparation.

Il semble important d'aborder la question de la position au piano. Utilisez la moitié de la chaise de manière à pouvoir bouger le corps en avant ou en arrière. Il faut pouvoir distribuer le poids à gauche et à droite du clavier, la plus grande partie de ce poids se trouvant de l'épaule aux hanches. Le torse est le conducteur de la sonorité. Si nous ne pouvons bouger, nous ne pouvons contrôler la distribution du poids.

Quelle doit être la position de la main ? La même que lors de la marche, le bras pendant, très détendu, les doigts un peu courbés (non en griffes), sans briser les jointures. La main se trouvera légèrement voûtée, le poignet un peu incliné, les doigts ne laissant pas fléchir les phalanges. Il faut savoir éviter de jouer trop au bord du clavier, afin de ne pas être obligé de déplacer la main pour atteindre les touches noires. La position naturelle peut être obtenue en jouant les notes suivantes : mi- fa dièse- sol dièse- la dièse- do.

L'articulation, un des facteurs principaux de virtuosité, donne au jeu précision, clarté, netteté et vélocité. Elle s'emploie pour le jeu non-legato et le jeu léger. Marie Panthès disait : "Le doigt n'aura ni la solidité, ni la netteté, ni la clarté d'attaque, s'il n'a été graduellement entraîné au préalable par un travail très articulé afin d'arriver à la non-articulation. " Le fléchissement de la phalangette est un grave défaut. Il prive les doigts de force de sonorité, donne un jeu mou, pâteux et ce défaut est très long à corriger quand on a négligé ce point au début des études musicales.

Avant d'étudier le procédé de bras, il est très important de parler de détente et de relaxation. La relaxation doit permettre au poids de ses libérer, les muscles détendus, la force de la pesanteur agissant librement sur le bras et le fait tomber naturellement. Les bras d'un dormeur sont en repos absolu: si l'on soulève son bras pour le lâcher tout à coup, il doit tomber, lourd comme du plomb, avec abandon. Cela évoque l'idée de la chute libre. Cette inertie corporelle, cette décontraction, doit être acquise tout d'abord. Il ne faut pas oublier que le problème prépondérant des pianistes est d'obtenir un jeu alliant la détente du bras et la fermeté des doigts, la détente venant du bras et la précision du doigt, la technique des doigts et du bras se complétant l'une l'autre.

Un autre procédé essentiel reste le mouvement du poignet. Le poignet est la "cheville ouvrière" de toute technique supérieure. Lorsqu'on parle d'un pianiste en disant "Quel poignet ! ", c'est le plus grand éloge et le plus rare que l'on puisse décerner. Le rôle du poignet est inappréciable pour la qualité de la production du son et le dosage des nuances. On peut le comparer à l'action de l'archet pour le violoniste. De l'archet dépend mille subtilités de ponctuation et les inflexions les plus variées. La technique de poignet ajoutée à celle des doigts permettra un phrasé sensible et éloquent. Il faut donc en intégrer l'étude dès le début des études musicales.

Le son et le temps demeurent les deux éléments de base de l'apprentissage musical. Le rythme est l'esprit de la musique, la chose la plus humaine en musique. Il vit par l'inspiration et l'intuition. Il n'est indiqué par l'écriture que d'une façon approximative; le sens musical permet de le découvrir. Le même texte, interprété avec un état d'âme différent, est soumis à des rythmes divers. Sans ce "sens musical" impossible de saisir le rythme des choses ! Le rythme ne consiste donc pas seulement à jouer en mesure et à observer les accents. Le rythme et la mesure se rapprochent mais ils ne se confondent jamais.

Souvent, on doit ralentir à certains passages d'un morceau, mais comment ralentir et à partir de quelle note puisque la mesure indique l'égalité de toutes les notes ? Le rythme seul permet de résoudre le problème. On le compare souvent aux pulsations d'un organisme vivant et non au tic-tac d'une horloge, au mouvement d'un balancier, au battement d'un métronome. Il se rapproche plutôt du pouls, de la respiration, du déferlement des vagues. Il faut maintenir constante la somme des variations rythmiques (syncopes, rubato) et veiller à ce qu'une pièce soit exécutée d'une façon égale à la durée de la pièce si on la divisait par unité de mesure. Imaginez un arbre que le vent fait ployer. Entre ses feuilles passent des rayons de soleil : la lumière tremblotante qui en résulte, c'est le rubato. Il ne faut pas oublier que le rythme est un des plus puissants moyens d'agir sur l'organisme de l'auditeur, surtout le grand rythme, les grandes relativités contenues dans l'œuvre. Il est l'essence même de l'art musical.

Un des plus importants devoirs du professeur est d'enseigner à l'élève la bonne manière d'étudier, partie intégrante de la technique. Le travail doit être fait dans les études mais également dans les pièces. Les élèves passent trop de temps à jouer et trop peu à étudier. Il ne faut jamais jouer le morceau du commencement à la fin. On doit d'abord en analyser chaque difficulté, chercher la cause, démonter chaque trait et remonter le passage entier. Après avoir cherché le mouvement le plus convenable pour rendre un passage, il faut encore automatiser le geste choisi en répétant le passage une dizaine de fois. Ajoutons ici que le travail devra toujours être effectué avec concentration. Une pièce bien étudiée n'est jamais à recommencer lorsqu'on veut la rejouer.

Les silences sont aussi importants que les notes. C'est Mozart qui disait : "Le silence produit le plus grand effet en musique. " Les jeunes étudiants ne réalisent pas la valeur artistique du silence. Quand on ne donne pas au silence sa pleine valeur, on détruit la symétrie artistique. Il faut vivre le silence. La musique est un prolongement sonore qui se déroule dans le temps.

Lucille Brassard
(Adapté par Lucie Renaud)