FRIEDRICH GULDA (1930-2000) : l'enfant terrible du
pianoLe pianiste et compositeur autrichien Friedrich
Gulda nous a quittés le 27 janvier 2000. Enfant précoce, il étudie le
piano avec, entre autres,. Bruno Seidlhofer, grand maître de l'Académie de
musique de Vienne. Également le professeur de Martha Argerich et de Nelson
Freire quelques années plus tard, il déclara que ces trois élèves
restaient les meilleurs de toute sa carrière : "Gulda,
c'est l'intelligence, Argerich le piano, Freire le cœur. "
À l'âge de 16 ans, Gulda remporte le premier prix
au prestigieux concours de Genève. Nelson Freire raconte en entrevue :
"Pour le public, Gulda était le successeur d'Arthur Rubinstein. Les
mélomanes le vénéraient tant qu'un très officiel fan-club de Gulda avait
été fondé en Argentine. Les jeunes pianistes étaient fascinés par son jeu.
En 1959, le concours de Genève était devenu LE concours de piano auquel se
présenter, car c'était celui que Gulda avait gagné. "
À 19 ans, Gulda part à la conquête de l'Amérique du
Sud et ses débuts à Carnegie Hall, l'année suivante, renversent la
critique, qui le compare à Horowitz. À 21 ans, il devient un compositeur
reconnu tout en poursuivant une carrière fulgurante d'interprète. À 23
ans, il donne une intégrale des Sonates
de Beethoven, dirige du piano les concertos de Mozart, donne déjà des cours au
célèbre Mozarteum et compose un opéra !
Au début des années 1960, son intérêt de plus en
plus intense pour le jazz le fait renoncer au circuit classique
traditionnel. Il n'avait jamais peur de mêler dans ses récitals classique
et jazz. Il dira en mai 1981 : " Moi, je joue ce qui
me plaît ! " Les auditeurs réagissent selon la classe sociale à
laquelle ils appartiennent. Au pire, les conservateurs sont choqués, au
mieux, ils pensent que c'est un bon gag. Les autres aussi sont limités,
parce qu'ils trouvent la musique classique ennuyeuse. Les gens, en
général, sont incapables de sortir de leur ghetto musical. J'ai beaucoup
écouté Bud Powell, Art Tatum, Willie The Lion Smith, Cecil Taylor; ces
pianistes-là sont des créateurs. Le seul pianiste classique qui m'ait
impressionné, c'est votre vieux Alfred Cortot, parce qu'il a joué comme
Alfred Cortot"
On ne pouvait jamais prévoir ce qu'il allait jouer
ni même s'il daignerait jouer. Dans un concert mémorable à la Salle Pleyel
(Paris), la salle s'était vidée quand Gulda s'était mis à improviser au
lieu de jouer les Préludes et fugues de Bach annoncés. Seuls les
inconditionnels qui osèrent rester furent récompensés par leur Bach.
Sa superbe arrogance ne lui avait pas seulement
gagné des amis dans le milieu, loin de là! En 1970, il refuse l'anneau du
bicentenaire de Beethoven, prétextant que les gens ne comprenaient rien à
la musique et à sa façon de jouer. Sa langue bien pendue lui faisait
également tenir des propose très peu nuancés sur ses confrères. En 1999,
il avait osé faire circuler la nouvelle de sa mort (avec démentis le
lendemain !) pour connaître les réactions du public et de la presse. Mais
limiter Gulda au personnage médiatique est une erreur. Il restait un
artiste à part entière qui avait su résumer en une formule frappante le
rôle de l'interprète : " L'amour pour moteur, la
personnalité pour moyen et le respect véritable de l'œuvre pour
but. "
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