Accueil   Chroniques   Écrivez-nous   



LES BIENFAITS D'UNE
ÉDUCATION MUSICALE

Depuis quelques années, l'importance de l'éducation musicale dans notre société de spécialisation scientifique semble constamment remise en question. Les coupures budgétaires affectent durement le système d'éducation et les dirigeants choisissent souvent de mettre l'accent sur les matières plus "pratiques " : français, mathématiques, sciences (avec une emphase sur l'informatique). En ajoutant les autres matières et activités parascolaires proposées aux jeunes, reste-t-il du temps pour l'apprentissage d'un instrument ou la participation à un ensemble vocal ? Dans le contexte actuel, est-ce un choix pertinent ?

La musique, particulièrement la musique classique, devrait-elle avoir une place plus importante dans le programme scolaire ? John Ruskin (un artiste, scientifique, poète, philosophe et critique d'art anglais du XIXème siècle) a affirmé : " Les grandes nations rédigent leur histoire dans trois manuscrits : le livre de leurs accomplissements, celui de leurs paroles et celui de leur art. La compréhension de chacun de ces livres se révèle incomplète sauf si on l'interprète à la lumière des deux autres, mais le seul des trois sur lequel on puisse se fier est celui des arts. "

La théorie des intelligences multiples de Howard Gardner soutient d'autre part qu'il existe sept formes d'intelligence : linguistique, logique-mathématique, spatiale, musicale, kinesthésique, interpersonnelle et intrapersonnelle. Aucune ne devrait avoir préséance sur les autres.

La meilleure façon de profiter des joies de la musique est de décider de participer nous-mêmes à sa diffusion. Quand un individu joue ou chante, quelle que soit la qualité de son interprétation, il devient membre actif d'un processus de création plutôt que simple consommateur passif. Ainsi, la survie de la musique passe par son partage.

Pratiquer un instrument en amateur ne devrait pas être considéré une activité moins importante que d'assister à un récital donné par un concertiste renommé. Il faut se rappeler que le mot amateur puise ses racines dans le latin amator qui signifie amoureux. Au Moyen Âge et pendant la période de la Renaissance, la distinction entre musiciens professionnels et amateurs était très floue. Les professionnels gagnaient bien sûr leur vie en jouant de leur instrument, mais les amateurs, souvent des nobles, pouvaient se permettre de consacrer leur vie à la musique par pur amour. Ces derniers possédaient souvent une éducation musicale plus poussée et étaient meilleurs musiciens ! On n'a qu'à penser au Roi David (chanteur et joueur de lyre), à Frederick le Grand (flûtiste), à Thomas Jefferson (violoniste) ou à Gesualdo (un aristocrate qui a pu se permettre des expérimentations harmoniques jugées audacieuses pour son époque).

À l'époque classique, le genre musical appelé hausmusik (que l'on peut traduire par "musique domestique") prend de l'importance. Il désigne une musique simple composée pour les dilettantes, que l'on joue à la maison et non en concert, pour le plaisir de pratiquer un instrument. L'amour de la musique se cultivait d'abord chez soi, les concerts publics étant souvent des événements sociaux ou religieux. La plupart des musiciens ne rêvaient pas de brûler les planches des grands théâtres, mais recherchaient plutôt une expérience de communion intime, une découverte d'eux-mêmes à travers la musique. Ce faisant, ils enrichissaient leur vie.

La musique sous toutes ses formes conserve une place prépondérante dans notre société moderne. Alors comment expliquer le peu d'engouement pour la pratique d'un instrument ? Notre société est peut-être devenue essentiellement orientée vers la consommation passive : la musique est devenue un "produit ", une partie intégrante de nombreuses opérations de marketing. Elle nous vient par le disque, la radio ou la télévision ; elle devient, par son utilisation commerciale, omniprésente dans les supermarchés, les bureaux de médecin, le métro... De cette façon, elle se retrouve désincarnée, privée de sa vocation première de langage de l'esprit humain.

Depuis quelques années, de nombreuses recherches ont été effectuées afin de démontrer les bienfaits d'une éducation musicale. Une étude menée dans 17 pays a tenté de déterminer les habiletés de déduction scientifique des jeunes de 14 ans. Les Hongrois, les Hollandais et les Japonais ont remporté la palme. Dans ces trois pays, l'éducation musicale est obligatoire de la maternelle à la fin du secondaire. La méthode Kodàly, devenue obligatoire dès 1960 en Hongrie, permet aujourd'hui à tous les écoliers de huit ans de chanter avec justesse et musicalité. Les performances académiques des étudiants hongrois, particulièrement en sciences et en mathématiques, demeurent remarquables.

Une autre étude, réalisée cette fois aux États-Unis, a démontré que les écoles qui atteignent un niveau académique plus élevé sont celles qui proposent à leurs étudiants un cursus incluant 20 à 30% de disciplines artistiques, particulièrement la musique. Un exemple frappant est celui des élèves de l'école élémentaire St-Augustin dans le Bronx, qui échouaient en majorité. En 1984, un programme intensif de musique a été mis sur pied. Aujourd'hui, seulement 10% de sa clientèle est sous la moyenne nationale.

On dénombre également plusieurs autres bénéfices de l'apprentissage musical :
 

  1. la découverte du caractère unique de notre créativité personnelle ;
  2. la compréhension et l'utilisation de symboles dans des contextes différents ;
  3. une découverte inhabituelle des mathématiques ;
  4. l'acquisition de l'esprit de synthèse et d'une discipline personnelle ;
  5. la joie de s'exprimer ;
  6. la participation à une réalisation artistique qui nous comble et nous met au défi tout à la fois ;
  7. l'enrichissement de la connaissance de notre héritage culturel ;
  8. la libération du stress quotidien en travaillant en harmonie avec la musique, seul ou en groupe ;
  9. la découverte que tout ne peut être analysé, disséqué, que le subjectif a encore une place dans notre société.
La meilleure motivation à pratiquer un instrument n'est certes pas de donner raison à toutes ces études scientifiques ! La musique, langage universel, est plutôt un chemin qui permet d'explorer le côté émotif et esthétique de l'aventure humaine. L'enfant apprend que la musique tisse des liens directs entre lui-même et le monde qui l'entoure. La musique l'aide à découvrir qui il est. Quand il commence à réaliser qu'il existe une corrélation entre les heures de pratique investies et la qualité de son interprétation, la discipline personnelle se renforce d'elle-même.

Malgré un nombre impressionnant de manuels didactiques et de logiciels, rien ne peut remplacer le contact privilégié avec un professeur. Le choix de celui-ci reste une opération délicate. Un mauvais enseignement peut parfois laisser des séquelles physiques (tendinites et autres maladies d'instrumentistes) ou même psychologiques. Un enfant, si doué soit-il, ne pourra s'épanouir que si le pédagogue sait créer un lien de confiance unique avec lui, sachant s'adapter à ses qualités, intérêts et aptitudes. Le professeur se doit de transmettre à l'élève sa passion pour la musique ; ainsi, les parents apprendront eux aussi à en apprécier la magie. Certains professeurs insistent fortement sur la participation des étudiants à des concours. Toutefois, certains tempéraments ne supportent pas bien ce type de pression et préféreront un professeur plus conciliant qui les fera jouer occasionnellement dans des concerts à l'atmosphère décontractée.

En tant que parent, il faut savoir que le monde de la musique classique professionnelle est particulièrement inhospitalier : un musicien, même bardé de diplômes, n'obtiendra pas automatiquement le succès. Plusieurs déceptions peuvent surgir le long du parcours sinueux de l'apprentissage. Elles demanderont, de la part du musicien, maturité, confiance en soi et en la solidité des liens affectifs.

Le plaisir procuré par la musique durera toute la vie, peu importe la place occupée par celle-ci à l'âge adulte. La grande majorité des jeunes qui entament des études musicales ne deviendront jamais concertistes. Ce dont la musique a le plus besoin pour survivre reste un public éduqué, amoureux, fidèle, qui continuera d'encourager la pratique de cet art unique. Comme le disait Weber en 1817 : " La musique est aussi essentielle à la survie de l'humanité que l'amour. La musique est elle-même une des formes les plus pures de l'amour, le langage éternel des émotions et de ses subtiles métamorphoses ".

Lucie Renaud