Est-ce trop ou pas assez ?26 métiers, 26
misères ? Les fonctions cumulées par un professeur d'instrument sont
multiples. Ce n'est certes pas un hasard si l'expression homme (ou femme)
orchestre puise son origine dans le langage musical. Si un professeur
devait remplir un questionnaire d'embauche, il pourrait inscrire sous la
rubrique "compétences" :
Avocat ("si tu pratiques
bien ton morceau, tu auras un collant la semaine prochaine ! ") ;
Banquier ("maman t'a remis l'argent pour la leçon ? ")
; Chercheur ("je vérifie et je te reviens là-dessus la
semaine prochaine ! ") ; Devin ("aurais-tu oublié de
pratiquer ton Bach cette semaine ? "); Entraîneur ("vas-y,
t'es capable ! Tu connais bien tes pièces ! ") Flexible
(combien de fois avez-vous dû modifier votre horaire de leçons dans la
dernière année ?) ; Gérant d'artiste (certains ego de
"vedettes " sont plus faciles à apprécier que d'autres !);
Humoriste ("bouhouhou...le "mi " est triste parce que tu as
oublié de le jouer ! ") ; Inventeur ("si on essayait de
l'apprendre autrement ? ") ; Jongleur (avec les emplois du
temps de professeur, instrumentiste, parent, conjoint...de quoi en
perdre la boule !); Kinésithérapeute ("un petit massage avant
le concours ? ") ; Laborantin (l'enseignement est parfois un
cocktail explosif à manipuler !); Mathématicien ("c'est une
forme A-B-A'") ; Narrateur ("imagine une belle histoire pour
t'aider. Par exemple... ") ; Orchestrateur ("pense au timbre
du violon pour ta main droite et au basson pour ta main gauche ") ;
Psychologue ("as-tu passé une belle semaine ? ");
Questionneur ("peux-tu m'indiquer la cadence parfaite ? ") ;
Réalisateur ("tu regardes ton public avant de t'asseoir et tu
souris ") ; Scribe (prendre des notes concises sur un calepin
minuscule n'est pas toujours évident !); Traducteur (les
termes italiens, rien de tel !); Unique (c'est ce qui fait la
force d'un professeur) ; Virtuose (il faut quand même
maîtriser notre instrument !); Walkyrie (mais sans excès,
tout de même !); Xénophile (avec tous ces élèves et ces
compositeurs étrangers, pas le choix !); Yogi (le yoga visant
à obtenir la parfaite maîtrise du corps et l'unité avec l'esprit...) ;
Zoologiste (les élèves sont, après tout, une race
particulière d'animaux !)
La société actuelle en demande-t-elle trop à ses
professeurs ? A-t-elle tellement besoin de se libérer de fonctions que
plus personne ne veut prendre le temps de remplir ? Devrions-nous adopter
une attitude de fonctionnaire et nous contenter de transmettre un
enseignement adéquat sans chercher à combler les autres lacunes de nos
élèves ? Devons-nous chercher à nous dépasser constamment ? Le débat est
lancé.
De mon côté, quand j'ai fait le choix de me diriger
vers l'enseignement, je l'ai fait les yeux ouverts, en réalisant qu'un
professeur se doit d'être un maître, un ami, un psychologue, un chercheur,
un artiste à part entière. L'enseignement ne devrait pas brimer notre
créativité. Oui, certains jours, j'ai le goût de tout laisser tomber en
ébauchant un "ce n'est pas de ma faute, les élèves ne pratiquent jamais !"
fataliste. Dans ces moments de doute, il faut oser tendre la main à
d'autres professeurs, échanger des histoires d'horreur, un sourire et
surtout se rappeler la joie qui illumine le visage de l'élève qui a
finalement maîtrisé un passage difficile, le sentiment d'accomplissement
perceptible de cet autre qui a compris le sens d'une œuvre, l'émotion qui
nous envahit quand un élève a donné son maximum au concert...Cela permet
de continuer encore une heure, un jour, une année. Si la musique est une
maîtresse exigeante, parfois intransigeante, elle sait toujours faire
renaître une passion exaltée chez ceux qui la servent.
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