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MÉMORISER, ÇA S'APPREND!

 
Mémoriser avec succès est un procédé en trois étapes: l'acquisition, la retenue et le recouvrement d'informations.  Pour le musicien, ces informations comprennent les notes, le rythme et l'expression nécessaires à l'interprétation d'une pièce. Par exemple, une seule pièce de Chopin peut durer 20 minutes et contenir 10,000 notes.  Nous voyons donc la nécessité d'une bonne technique de mémorisation, car bien mémoriser, ce n'est pas automatique.

Ceci dit, présumons-nous parfois que pour nos élèves la mémorisation solide se fera toute seule?   Combien de fois leur avons-nous dit: "Apprends la première page par coeur pour la semaine prochaine", sans leur avoir donné les outils nécessaires à la réalisation de cette tâche?  L'élève revient la semaine suivante, jouant sans trop regarder la partition, en s'accrochant ici et là.  Après plusieurs semaines, les accrocs de mémoire semblent diminuer.  On suppose que l'élève  maîtrise sa pièce, jusqu'à ce qu'il joue sous l'influence du stress (concours, concert, examen), et qu'on l'écoute en se tirant les cheveux...impuissant face à ses blancs de mémoire!  Bien que certains élèves aient plus de facilité que d'autres à mémoriser leurs pièces (souvent grâce à une bonne oreille), il demeure quand même important de leur enseigner la mémorisation.  Si les élèves comprennent comment mémoriser et pratiquent en conséquence, ils seront plus confiants de se présenter en concert et aux examens.  Cet article se propose de présenter un ensemble de méthodes pratiques et efficaces afin de faciliter la mémorisation solide des pièces musicales.

D'abord, voici un survol des types de mémoires nécessaires au musicien:

1.  AUDITIVE : la capacité d'entendre mentalement la mélodie, l'harmonie, les nuances, le tempo.  En somme, se rappeler exactement comment la musique devrait être jouée.
2.  VISUELLE : la capacité de former une image mentale précise de la partition musicale.
3.  MUSCULAIRE : (tactile) le sens du contact avec le clavier sous les doigts par lequel nous "savons" où sont les notes.
4.  CINÉTIQUE : la mémoire de position au clavier, permettant de calculer les distances et le mouvement nécessaire pour atteindre les notes voulues.
5. ANALYTIQUE : la mémoire de la forme et la structure de la pièce.

Voici quelques techniques qui peuvent faciliter l'apprentissage de la mémorisation.  Certaines d'entre elles conviendront davantage à l'élève avancé, mais toutes peuvent s'adapter également aux élèves débutants et intermédiaires.

1.  Mémoriser aussi rapidement que possible, mains séparément et ensemble.

2.  La précision est vitale pour une mémorisation solide. Dès la première lecture, le cerveau reçoit des messages qu'il emmagasine pour les périodes de pratiques futures.  Toute erreur de notes (ou de doigtés) occasionnée lors de la première lecture devrait être corrigée immédiatement, car le cerveau les enregistre et les retient comme notes exactes. La pratique lente et réfléchie est nécessaire pour assurer une précision complète, même sous le stress.  De cette façon, le cerveau ne reçoit qu'un ensemble d'informations, créant avec le temps une réponse automatique de la mémoire musculaire.  Cette répétition aide également la mémoire visuelle en fixant l'image de la partition.

3.  Une caractéristique importante de la mémoire est sa tendance à établir des liens entre divers éléments.  Ces associations résident au coeur de nos capacités de mémorisation.  La tâche est facilitée par l'organisation du matériel à l'étude.  Une analyse complète de la pièce, incluant forme, modulations, harmonie, motifs, séquences, et répétitions établit une base solide pour la mémorisation.
 
4.  Après la division de la pièce en sections (selon sa forme), l'élève devrait être capable de commencer au début de n'importe laquelle d'entre elles.  Les élèves ont souvent leurs points de repères préférés où se reprendre (ce qui n'est pas mal en soi), mais s'ils bloquent quand on leur demande de reprendre ailleurs, cela sous-entend une faiblesse au niveau de la mémoire.

5.  Les élèves ont tendance à se sentir plus en sûreté quand ils jouent les sections mémorisées en premier. Si le travail de mémoire se fait en commençant par la fin de la pièce, l'élève se trouvera toujours à avancer vers les parties qui sont plus solides au fur et à mesure qu'il joue sa pièce.

6.  Étudier la partition visuellement en essayant d'imaginer les sons ainsi que la position et la sensation des mains au clavier comme si on la jouait vraiment.  Jouer silencieusement sur une table, en entendant la musique dans sa tête.

7.  Jouer avec les yeux fermés ou dans le noir afin de développer et raffiner les sens tactile et cinétique.  Les élèves trouvent cet exercice très amusant!

8.  Développer la mémoire auditive en solfiant (seul ou en jouant) la mélodie, la basse ou les voix individuelles dans les inventions et fugues.  Toujours bien écouter lors de la pratique.

9.  Faire l'essai suivant : jouer la pièce à pleine vitesse et ensuite très lentement et doucement, ce qui force l'exécutant à accroître sa concentration, la réaction musculaire étant moins automatique.  Si la mémoire flanche à un tempo lent, c'est un indice qu'elle n'est pas infaillible au tempo régulier.

10.  L'esprit doit être aussi actif que les doigts.  Jouer attentivement, en étant conscient du rôle de chaque note.  Se concentrer sur le plaisir de l'expression et la projection du message musical envers l'auditoire.

11.  S'avouer que l'anxiété est une réaction normale, tout en envoyant des messages de renforcement positif au cerveau qui rappellent le bon travail effectué lors des pratiques.

Après cette bonne préparation vient l'épreuve finale : le concert, le concours, l'examen.  L'expérience se soldera-t-elle par un échec ou un succès?  Ici, la concentration est de première importance car une erreur de mémoire est souvent due à un moment d'inattention causé par une distraction  d'origine externe ou interne.  Un dérangement externe pourrait être un bruit du public ou de l'instrument (une pédale qui fait "squeak") ou même une alarme de feu!  (J'ai moi-même vécu cette expérience en interprétant une fugue de Bach à un concert de l'APMQ, mais j'ai réussi à bien m'en tirer!) Les causes internes sont souvent reliées à l'anxiété.  Un niveau plus élevé d'adrénaline cause une hyperactivité mentale,  provoquant un déferlement rapide d'images et de pensées au cerveau, phénomène qui ne se produit pas pendant la pratique habituelle.  Ces informations superflues peuvent bloquer les réponses automatiques de la mémoire musculaire.  Les réactions corporelles dues à l'adrénaline (bouche sèche, transpiration etc.) entraînent un état physique troublant qui peut devenir une menace pour la mémoire.  Les élèves doivent s'habituer à contrôler leur réaction à l'anxiété, et là entre la nécessité de leur donner souvent l'occasion de jouer en public.

L'apprentissage musical inclut la mémorisation réfléchie et l'interprétation habile du répertoire.  Nous avons vu que plusieurs techniques existent afin d'aider les élèves à accroître leur confiance en leurs capacités de mémorisation lorsqu'ils doivent se produire en public.  Tout comme on développe la technique ou l'expression, il est nécessaire de  perfectionner la mémorisation.

Gayle Colebrook

Bibliographie

1.  Rubinstein, The Pianist's Approach to Sight-reading and Memorizing, Fischer.
2.  Ahrens and Atkinson, For All Piano Teachers, Harris.
3.  Tankard, Pianoforte diplomas and Degrees, Elkin
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5.  Norman, Donald A., Learning and Memory, San Francisco: W.H. Freeman and Company, 1982.
6.  Irvine, Darryl , Piano Pedagogy Correspondence Course
7.  Mastroianni, Thomas AMemory and Anxiety@, Piano and Keyboard, July/August 1996
8.  Guerrant, Mary, AHow Secure is Your Memory?@ Piano Quarterly, Summer 1979
9.  Lancaster, E. L., AQuestions and Answers,@ Clavier, September 1997