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JEAN COULTHARD 
Une pionnière de la musique canadienne contemporaine
 

En consultant la liste des pièces au programme de l'école Vincent d'Indy (1ère à 9ème année), j'ai découvert que le nom d'un compositeur canadien revenait plus souvent que tous les autres. Il m'a alors semblé tout naturel de faire des recherches biographiques afin de vous présenter cette artiste très prolifique qu'est Jean Coulthard.

Jean Coulthard est née le 10 février 1908 à Vancouver. Son père, physicien, était originaire de Toronto. Sa mère, pianiste, organiste et chanteuse, était diplômée du New England Conservatory of Music. Elle fut son premier professeur et put guider ses premiers essais en composition.

Jean Coulthard poursuivit ses études musicales avec Jan Cherniavsky (en piano) et Frederick Chubb (en théorie) et reçut son diplôme ATCM du conservatoire de Toronto à l'âge de 18 ans. L'environnement familial de Jean était intensément musical et professionnel. En effet, dès son plus jeune âge, elle fut sensibilisée au répertoire vocal et pianistique en plus de connaître ce qu'impliquait la gestion quotidienne d'un studio d'enseignement florissant ; sa mère étant alors à l'avant-scène musicale de Vancouver. Grâce à elle, Jean fut particulièrement influencée par la musique des impressionnistes : Ravel, Satie et par-dessus tout Debussy.

En 1929, elle gagne la bourse du Vancouver Women's Music Club et part pour Londres afin d'étudier avec R.O. Morris, Ralph Vaughan Williams et Kathleen Long. En 1932, elle revient au pays et enseigne au studio de sa mère, à l'école pour jeunes filles Queen's Hall ainsi qu'au collège St Anthony. Elle tente également une percée à titre de chef d'orchestre du Vancouver Little Theater Orchestra.

En 1933, la mère de Coulthard meurt soudainement à l'âge de 51 ans. Jean en restera longtemps dévastée, perdant du même coup sa mère et son mentor.
Le 24 décembre 1935, elle épouse Donald Adams, lui-même pianiste amateur, qui l'initie à la musique d'Aaron Copland, Harris, Cowell et même à celle du très controversé John Cage.

La décennie des années 1930 s'avère très frustrante pour Coulthard. Les leçons reçues de Vaughan Williams ne l'ont aucunement préparée à la carrière professionnelle de compositeur. Toutefois, au milieu des années 1930, elle apprend que l'orchestre de Reading (en Pennsylvanie) recherche des partitions d'auteurs contemporains. Elle leur propose Portrait, la seule œuvre orchestrale qu'elle ait alors composée. À sa grande surprise, l'orchestre retient l'œuvre et sa carrière de compositeur prend son essor.

En 1936, lors d'une visite chez ses grands-parents à New York, Coulthard profite de l'occasion pour prendre quelques leçons avec Aaron Copland. Lors d'une rencontre, elle demande à Copland de lui présenter l'une de ses œuvres. Copland lui joue ses Variations pour piano, composées en 1930. Elle fut d'abord étonnée par le modernisme agressif de ce piano percussif. Même si le style de Copland n'eut aucun effet direct sur son écriture, l'idée des variations germa dans son esprit pendant des années pour culminer dans ses Variations sur Bach en 1951.

En 1938, l'arrivée à Vancouver du chef d'orchestre et compositeur australien Arthur Benjamin transforme la vie musicale de Coulthard. Benjamin était un professeur enthousiaste et sut attirer plusieurs jeunes compositeurs, tels Robert Barclay, Robert Fleming, Hugh MacLean et Ira Schwartz. C'est grâce à ses encouragements que Coulthard compose Canadian Fantasy (1939), Excursion (1940), Ballade "A winter's tale" (1942) et Convoy (1942). Pendant ces années fructueuses, elle eut l'occasion de travailler avec Milhaud, Bartòk et Schoenberg en plus de poursuivre ses études avec Bernard Wagenaar à New York. Les leçons de Wagenaar lui permirent enfin de clarifier l'organisation formelle de ses matériaux, de solidifier ses notions d'harmonie, (particulièrement en élargissant son vocabulaire tonal), et d'utiliser le dodécaphonisme.

En 1947, Coulthard devient professeur au département de musique de l'Université de la Colombie-Britannique. Au cours des années 1950 et 1960, ses œuvres adoptent un langage musical basé sur la tonalité traditionnelle (malgré son constant rejet personnel de l'épithète "conservateur") mais élargi d'harmonies essentiellement polytonales et d'éléments chromatiques. Parmi les œuvres majeures de cette période, on retrouve : les 3 sonates (1947), la 1ère symphonie (1950), les Variations sur Bach (1951) et la Sonate en Duo (1952).

Pendant les années 1950, les autres compositeurs canadiens, en particulier ceux de l'école torontoise des neoclassical serialists, dénigrent ses explorations, alors qu'en Europe plusieurs musiciens reconnaissent l'ampleur de ses réalisations. Notons tout de même quelques événements importants, tels la création en 1958, par Maureen Forrester de Spring Rhapsody puis en 1959, celle du concerto pour violon par Thomas Rolston, ardent défenseur de sa musique. Il faut aussi ajouter comme autres œuvres importantes de cette décennie : The bird of Dawning (1960), Serenade "Meditation and 3 dances" (1961), Fantasy (écrite pour Rolston et sa femme Isobel Moore en 1961) ainsi que la première version du Concerto pour piano (1962).

Lorsqu'elle prend sa retraite de l'université de Colombie-Britannique en 1973, ses activités de compositeur prennent un nouvel essor. Pendant ses années d'enseignement, elle avait toujours continué à écrire pour les jeunes musiciens et ses œuvres étaient largement connues et appréciées par ceux-ci. Plusieurs de ses étudiants sont devenus professeurs et compositeurs, contribuant rayonnement de l'œuvre de Coulthard ; notons entre autres Chan Ka-Nin, Roger Knox et Joan Hansen.

Pendant les années 1970 et 1980, Jean Coulthard garde encore quelques élèves et donne des masterclasses à Victoria, Vancouver, Shawnigan et Banff. À cette époque, Montréal devient sa deuxième résidence, sa fille Jane y demeurant avec son mari le cinéaste Andreas Poulsson. Elle voyage donc régulièrement, surtout après la naissance en 1975 de sa petite-fille, Alexa. Coulthard,qui a toujours ressenti une affection particulière pour la culture canadienne-française, a utilisé du matériel folklorique dans Canadian Fantasy (1948), Québec May (1948), the Two French Songs (1957 sur des textes de Nelligan) et Les Chansons du Cœur (1979).

Dans les années 1970 et 1980, la popularité de Jean Coulthard renaît. Plusieurs disques épuisés sont réédités pour l'Anthologie de musique canadienne. Après avoir été ignorée pendant des années, Coulthard devient l'un des compositeurs canadiens dont les œuvres sont les plus enregistrées. De cette période retenons deux œuvres maîtresses : le 2ème Quatuor à Cordes(1969) et l'Octuor "12 essais sur un thème Cantabile" (1973). On peut aussi ajouter Canada Mosaic (1974), la symphonie #3 "Lyric" (1975), l'Ode symphonique pour alto et orchestre (1976) et Burlesca pour piano et cordes (1977).

Dans ses compositions les plus récentes, Jean Coulthard explore les éléments aléatoires, microtons, musique concrète, agrégats sonores, mais les intègre à son style personnel unique. En 1988, la fête entourant son 80ème anniversaire retient l'attention, notamment par la remise par l'UBC d'un diplôme honorifique. À l'occasion d'un discours présenté devant plus de 3000 personnes, Coulthard fait la propagande de la musique, spécifiquement de la musique canadienne, comme faisant partie intégrante de la vie culturelle et éducationnelle. Malgré son âge avancé, Jean Coulthard poursuit ses activités musicales, en créant de nouvelles œuvres et en retravaillant ses œuvres antérieures. Signalons entre autres la cantate Vancouver Lights (A Soliloquy) en 1980, Musique de notre temps, 9 volumes de matériel d'enseignement pour jeunes pianistes composés conjointement avec David Duke et Joan Hansen entre 1977 et 1980, Ballade of the West pour piano et orchestre (1993), la Symphonie #4 "Autumn" (1984), la suite "Where tempest rise" (1989), issue de son opéra  The return of the Native.(1956-1979). Symphonic Image "of the North", composée en 1989 est l'œuvre pour orchestre la plus récente de Mme Coulthard.
 

Lucie Renaud
Pour en savoir plus sur Jean Coulthard :

DUKE, David. Jean Coulthard Biography, Canadian Composer Portraits
Adresse Internet :
music.mcgill.ca/newHome/mlfProject/composerDatabase/jeanCoulthard/general/bio/html/home.html.

Plusieurs œuvres de Jean Coulthard sont recensées sur le site Internet du Centre de Musique Canadienne : culturenet.ca/cmc/

COULTHARD, Jean. Diary of a Young Composer